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25/05/2023 | FRANCE | N°21/05544

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 25 mai 2023, 21/05544


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 25/05/2023





****





N° de MINUTE : 23/186

N° RG 21/05544 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T5ZI



Jugement (N° 20/00711) rendu le 30 Septembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras







APPELANT



Monsieur [C] [Z]

né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité

4]



Représenté par Me Christian Delevacque, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué, substitué par Me Laure Yahiaoui, avocat au barreau d'Amiens



INTIMÉ



Maître [L] [I]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Loc...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 25/05/2023

****

N° de MINUTE : 23/186

N° RG 21/05544 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T5ZI

Jugement (N° 20/00711) rendu le 30 Septembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANT

Monsieur [C] [Z]

né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Christian Delevacque, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué, substitué par Me Laure Yahiaoui, avocat au barreau d'Amiens

INTIMÉ

Maître [L] [I]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Bruno Bufquin, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Carl Wallart, avocat au barreau d'Amiens, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 09 mars 2023 tenue par Claire Bertin, magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 9 janvier 2023

OBSERVATIONS ECRITES DU MINISTERE PUBLIC : 12 décembre 2022 communiqué le 20 décembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

Mme [Y] [O], épouse [Z] (Mme [O]), et M. [C] [Z] ont contracté mariage le [Date mariage 3] 1990 sans contrat de mariage préalable et ont postérieurement opté pour le régime de la séparation de biens par acte du 8 octobre 2002. Deux enfants sont issus de leur union.

Le 11 avril 2012, M. [Z] a déposé une requête en divorce.

Par ordonnance de non-conciliation du 27 juin 2012, le juge aux affaires familiales a notamment autorisé Mme [O] et M. [Z] à introduire l'instance en divorce.

Par arrêt du 19 décembre 2013, la cour d'appel d'Amiens a confirmé cette ordonnance, l'appel interjeté par M. [Z] ayant été jugé irrecevable faute d'intérêt à agir dès lors que l'ordonnance avait été rendue conformément à sa demande.

Par acte du 6 août 2014, M. [Z] a fait assigner Mme [O] en divorce pour altération définitive du lien conjugal. Il a sollicité dans ses dernières écritures la condamnation de Mme [O] à lui payer une prestation compensatoire d'un montant de 450 000 euros en capital.

Dans le cadre de cette procédure, M. [Z] était représenté par Mme [L] [D] en qualité d'avocat postulant.

Par jugement du 18 avril 2016, le juge aux affaires familiales d'Amiens a notamment :

prononcé aux torts exclusifs de M. [Z] le divorce ;

débouté M. [Z] de sa demande de prestation compensatoire ;

débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts ;

condamné M. [Z] à payer à Mme [O] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par déclaration d'appel du 26 avril 2016, M. [Z] a interjeté appel général de ce jugement.

Cette déclaration d'appel a été signifiée à Mme [O] le 24 juin 2016.

Le conseil de M. [Z] a déposé des conclusions le 18 juillet 2016, tandis que Mme [O] a constitué avocat le 28 juillet 2016.

Le 1er août 2016, Mme [D] a fait signifier les conclusions au fond de M. [Z] directement à Mme [O] et non à son avocat pourtant constitué à cette date.

Par ordonnance du 17 février 2017, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel d'Amiens a :

déclaré caduque la déclaration d'appel de M. [Z] ;

débouté les parties de leurs autres demandes ;

condamné M. [Z] aux frais et dépens de l'incident.

Par conclusions de déféré, M. [Z] a demandé à la cour d'infirmer cette ordonnance et de débouter Mme [O] de sa demande de caducité.

Par arrêt du 10 juillet 2017, la chambre de la famille de la cour d'appel d'Amiens a :

confirmé l'ordonnance du 17 février 2017 ;

débouté les parties de leurs autres demandes ;

condamné M. [Z] aux frais et dépens.

Par courrier du 28 juillet 2017 adressé à Mme [D], le nouveau conseil de M. [Z] a sollicité l'avis de celle-ci sur l'opportunité du pourvoi en cassation et l'a informée que M. [Z] estimait que sa responsabilité était engagée.

M. [Z] n'a pas reçu de réponse à ce courrier et s'est pourvu en cassation.

Par arrêt du 18 octobre 2018, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi, l'a condamné aux dépens, a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Considérant que Mme [D] avait commis une faute lui faisant perdre toutes chances de voir son action devant le juge aux affaires familiales prospérer, M. [Z] a fait assigner Mme [D] devant le tribunal judiciaire d'Arras par acte du 19 septembre 2019 afin de la voir condamner à lui payer la somme de 456 000 euros à titre de dommages et intérêts.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 30 septembre 2021, le tribunal judiciaire d'Arras a notamment :

dit que Mme [D] a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. [Z] ;

condamné en conséquence Mme [D] à payer à M. [Z] la somme de 60 000 euros au titre des préjudices subis ;

condamné Mme [D] à payer à M. [Z] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

débouté M. [Z] du surplus de ses demandes ;

débouté Mme [D] de ses demandes ;

condamné Mme [D] aux dépens.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 29 octobre 2021, M. [Z] a formé appel de ce jugement en ce qu'il a condamné Mme [D] à lui payer la somme de 60 000 euros au titre des préjudices subis et la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 juillet 2022, M. [Z], demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants, 1143 et suivants, 1147 et suivants du code civil devenus 1103 et suivants, 1222 et suivants et 1231-1 et suivants du code civil, de :

=$gt; infirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Arras du 30 septembre 2021 en ce qu'il a :

condamné Mme [D] à lui payer la somme de 60 000 euros de dommages et intérêts ;

condamné Mme [D] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

rejeté le surplus de ses demandes indemnitaires ;

Statuant à nouveau,

condamner Mme [D] à l'indemniser de l'ensemble des préjudices subis ;

la condamner à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 450 000 euros correspondant au montant de la prestation compensatoire qu'il aurait dû obtenir de la cour d'appel d'Amiens ;

la condamner à lui payer la somme de 6 600 euros au titre des frais supportés dans le cadre de la procédure initiée devant la Cour de cassation ;

débouter Mme [D] de son appel incident ;

la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et la somme de 3 000 euros au titre des frais d'appel ;

condamner Mme [D] aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, il fait valoir que :

le lien de causalité entre la faute de Mme [D] et son préjudice est incontestable ;

il a subi principalement une perte de chance d'obtenir le bénéfice d'une prestation compensatoire et des préjudices accessoires ;

la motivation du juge aux affaires familiales pour le débouter de sa demande de prestation compensatoire est particulièrement contestable dans la mesure où il s'est fondé sur des circonstances particulières de la rupture en contradiction totale avec les termes même de son jugement et des éléments qu'il a produits aux débats ;

le juge aux affaires familiales peut rejeter une demande de prestation compensatoire au visa de l'article 270 alinéa 3 du code civil en justifiant de ce que les circonstances particulières de la rupture sont suffisamment graves pour rejeter la demande de prestation compensatoire ;

or, les circonstances particulières de la rupture mises en exergue par ce jugement se résument à son départ du domicile conjugal et au prétendu fait qu'il a cessé de contribuer aux charges du ménage et à l'entretien et à l'éducation des enfants ;

le jugement ne s'est fondé sur aucune autre circonstance et il est vain pour Mme [D] de faire état d'autres motifs ;

il convient ainsi de se demander si les seules circonstances particulières de la rupture retenues justifiaient en équité de rejeter sa demande de prestation compensatoire ;

depuis la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, la faute est dissociée du versement de la prestation compensatoire de sorte que pour rejeter une demande de prestation compensatoire, le juge doit motiver sa décision en équité, soit en considération des critères prévus à l'article 271 du code civil, ce qui n'était pas possible en l'espèce compte tenu de l'importance des revenus de Mme [O] par rapport aux siens, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux au regard des circonstances particulières de la rupture ;

ces circonstances particulières de la rupture ne recouvrent que les situations les plus graves ainsi que le rappelle la circulaire du 23 novembre 2004 de présentation de la loi relative au divorce, du décret portant réforme de la procédure en matière familiale et du décret fixant les modalités de substitution d'un capital à une rente allouée au titre de la prestation compensatoire ;

en l'espèce, les circonstances de la rupture ne justifient pas en équité de refuser la demande de prestation compensatoire ;

s'agissant de son départ du domicile conjugal, le jugement retient en page 7 que ce départ ne constitue pas une faute rendant intolérable le maintien de la vie commune de sorte qu'il se contredit en faisant état du départ en page 11 pour rejeter sa demande au titre des circonstances particulières de la rupture ;

concernant le prétendu défaut de contribution aux charges du mariage et à l'entretien et à l'éducation des enfants, il a justifié de ce qu'il a alimenté le compte joint de ses salaires jusqu'en décembre 2011 et a toujours contribué à hauteur de ses moyens aux dépenses générées par le couple ;

le juge aux affaires familiales ne s'est basé que sur un seul courriel de Mme [O] qui lui réclamait une somme de 1 116,67 euros mais il a démontré que cette somme était liée à des frais pour lesquels il n'avait absolument pas été consulté ;

il a interjeté appel du principe même du divorce car il pouvait valablement espérer obtenir un divorce aux torts partagés alors même que la relation adultère de Mme [O] était parfaitement démontrée ; il pouvait ainsi de manière certaine prétendre obtenir la réformation de ce jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de prestation compensatoire ;

le quantum de la prestation compensatoire qui aurait pu lui être accordée peut être fixée à la somme de 450 000 euros conformément aux articles 270 et 271 du code civil ;

le jugement querellé du 30 septembre 2021 devra être infirmé en ce qu'il a condamné Mme [D] à lui payer la somme de 60 000 euros sans motiver cette évaluation ;

ses préjudices accessoires sont constitués par les honoraires d'avocat près la Cour de cassation d'un montant de 3 600 euros et le montant de l'indemnité procédurale de 3 000 euros à laquelle il a été condamné par la Cour de cassation ;

il aurait pu faire l'économie de la procédure devant la Cour de cassation si Mme [D] et sa compagnie d'assurance avaient répondu au courrier du 28 juillet 2017 par lequel elle était interrogée sur l'opportunité d'un pourvoi en cassation, étant précisé qu'il a dû faire cette procédure pour ne pas se voir reprocher postérieurement de ne pas avoir fait un tel pourvoi en cassation.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 28 avril 2022, Mme [D], intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

=$gt; infirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Arras en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [Z] une somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts outre 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

par conséquent, à titre principal,

- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- le condamner à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

à titre subsidiaire,

- la condamner à payer à M. [Z] la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance d'avoir pu obtenir le paiement d'une prestation compensatoire à hauteur du même montant par devant la chambre de la famille de la cour d'appel d'Amiens ;

en tout état de cause,

- le condamner au paiement des entiers frais et dépens d'instance.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

elle n'entend pas contester la faute commise dans le cadre de son mandat ;

M. [Z] n'avait aucune chance d'obtenir la réformation du jugement rendu par le juge aux affaires familiales ;

une perte de chance ne constitue un préjudice réparable que si cette chance était raisonnable, ce qui revient à soumettre la réparation de la perte de chance à un seuil raisonnable de gravité ;

lorsqu'est engagée la responsabilité civile professionnelle d'un avocat, il appartient au juge de procéder à une reconstitution de la discussion qui aurait pu avoir lieu afin de déterminer les chances de succès de l'action ou de la voie de recours en cause, de sorte qu'il appartient à la cour de se substituer à la chambre de la famille afin d'apprécier si l'infirmation du jugement du juge aux affaires familiales pouvait être obtenue ;

le rejet de la demande de prestation compensatoire est motivé par le fait que le divorce a été prononcé aux torts exclusifs de M. [Z] ;

en l'espèce, le juge aux affaires familiales a pleinement motivé sa décision et contrairement à ce qu'invoque M. [Z], le juge aux affaires familiales n'a pas seulement retenu le départ de celui-ci du domicile conjugal et le fait d'avoir cessé de contribuer aux charges du ménage et à l'entretien et à l'éducation des enfants ;

en effet, il a été retenu quatre des six circonstances invoquées par Mme [O], à savoir, le fait qu'il avait secrètement organisé son départ du domicile conjugale avant de déposer sa requête en divorce, qu'il avait cessé de contribuer aux charges du ménage de manière contemporaine à ses préparatifs pour quitter le domicile conjugal, qu'il avait sollicité du juge conciliateur un délai pour quitter le domicile conjugal alors qu'il avait déjà les clés de son nouvel appartement, qu'il avait laissé son épouse faire face seule à l'endettement conséquent du ménage auquel il avait contribué et enfin qu'il n'avait plus subvenu à l'entretien et à l'éducation des enfants ;

avant de prononcer le divorce aux torts exclusifs de M. [Z], le juge aux affaires familiales a dû étudier les six motifs invoqués par Mme [O] et a considéré que les faits de violences physiques étaient suffisamment établis et constitutifs de manquement grave aux devoirs conjugaux de M. [Z] mais qu'ils ne rendaient toutefois pas intolérable le maintien de la vie commune au regard de la poursuite de la vie conjugale postérieurement à ces violences ;

s'agissant du départ prémédité de M. [Z] du domicile conjugal, le juge a considéré qu'il ne s'agissait pas d'une faute rendant intolérable le maintien de la vie commune tout en reconnaissant la réalité de ce départ prémédité ;

concernant l'adultère, le juge a retenu qu'il était établi et constituait un manquement grave et renouvelé aux devoir conjugaux ;

au sujet de l'investissement démesuré de M. [Z] pour son loisir, le juge l'a également considéré comme démontré et caractéristique d'un manque d'investissement personnel dans le lien matrimonial et constituait donc une faute rendant intolérable le maintien de la vie commune ;

sur le comportement inadapté de M. [Z] visant à l'endettement du couple, le juge a retenu qu'il « résulte suffisamment de ces éléments que par son comportement Monsieur [Z] a manqué à son devoir de contribuer aux charges du ménage à hauteur de ses facultés. Ce manquement persistant, par son manque de considération pour les dettes communes et par l'abandon qu'il démontre, rend intolérable le maintien de la vie commune » ; par ailleurs, à compter du mois de décembre 2011, M. [Z] a cessé d'alimenter le compte joint mais n'a pas hésité à prélever des sommes sur ce compte et a aggravé la situation débitrice du couple et ce afin d'entretenir sa nouvelle amie ;

enfin, le juge a retenu que M. [Z] n'a pas spontanément contribué à l'entretien et à l'éducation de ses enfants à la hauteur de ses engagements et qu'il a laissé Mme [O] faire face seule à l'essentiel de ces frais ; le juge a considéré que ce manquement, la désinvolture manifestée par M. [Z] à l'égard des enfants et l'abandon caractérisé rendaient intolérable le maintien de la vie commune ;

M. [Z] ne justifie ainsi d'aucun lien de causalité entre la faute qu'il lui reproche et le préjudice invoqué.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour constate que Mme [L] [D] ne conteste pas avoir commis une faute.

Par ailleurs, la cour rappelle que l'objet du litige est déterminé, en application de l'article 4 du code de procédure civile, par les prétentions des parties respectivement formulées dans leurs conclusions récapitulatives, elles-mêmes enserrées dans les limites des prétentions exposées dans leurs premières conclusions visées par l'article 910-4 du même code.

En application du principe d'indisponibilité du litige pour le juge, tel qu'il est prévu par l'article 5 du code de procédure civile, la cour a l'obligation de respecter les termes du litige tel qu'il a été défini par les parties.

En l'espèce, M. [Z] fait valoir que son préjudice est constitué par la perte de chance d'obtenir le bénéfice d'une prestation compensatoire et des préjudices accessoires constitués par les honoraires d'un avocat près la Cour de cassation et l'indemnité procédurale à laquelle il a été condamné dans le cadre du pourvoi en cassation.

Sur la responsabilité de l'avocat :

Dans les rapports avec son client, l'avocat est susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle lorsqu'il commet une faute ayant causé un préjudice à celui-ci dans l'exercice de son mandat de représentation en justice, en application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce.

La faute ayant conduit à la caducité de la déclaration d'appel nétant pas contestée, il convient d'examiner si celle-ci a causé un préjudice indemnisable à M. [Z].

Sur le préjudice et le lien de causalité :

Lorsqu'il ne peut être tenu pour certain qu'en l'absence de la faute de l'avocat, le dommage invoqué par son client ne serait pas survenu, le préjudice subi s'analyse en une perte de chance d'échapper à ce dommage ou de présenter un dommage de moindre gravité, correspondant à une fraction des différents chefs de préjudice, évaluée en mesurant l'ampleur de la chance perdue et non en appréciant la nature ou la gravité de la faute.

Constitue ainsi une perte de chance la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, même faible.

La perte de chance n'est toutefois réparable que si la victime ne dispose pas de la faculté de pouvoir à nouveau bénéficier de l'éventualité favorable espérée.

Il convient de rechercher, pour évaluer le préjudice pouvant résulter de la faute de l'avocat, s'il existait une chance d'obtention de la prestation compensatoire que l'avocat avait été chargé de demander, en reconstituant fictivement, au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats, la discussion qui aurait pu s'instaurer devant la chambre de la famille dans le cadre de l'appel interjeté.

Sur ce,

Il est soutenu par M. [Z] que son préjudice est constitué, d'une part, par la perte de chance d'obtenir l'infirmation du jugement rendu par le juge aux affaires familiales et une prestation compensatoire et, d'autre part, par les honoraires d'avocat près la Cour de cassation et les frais irrépétibles auxquels il a été condamné par la Cour de cassation.

Sur la perte de chance d'obtenir une prestation compensatoire

L'article 270 du code civil dispose que « le divorce met fin au devoir de secours entre époux.

L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge.

Toutefois, le juge peut refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture ».

L'article 271 du même code dispose quant à lui que « la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

A cet effet, le juge prend en considération notamment :

- la durée du mariage ;

- l'âge et l'état de santé des époux ;

- leur qualification et leur situation professionnelles ;

- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;

- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;

- leurs droits existants et prévisibles ;

- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa. ».

Le jugement du 18 avril 2016 rendu par le juge aux affaires familiales a prononcé le divorce aux torts exclusifs de M. [Z] et l'a débouté de sa demande de prestation compensatoire. Le juge aux affaires familiales a dans un premier temps dû se prononcer sur les griefs invoqués par Mme [O] sur le fondement de l'article 242 du code civil, soit sa demande reconventionnelle tendant à voir prononcer un divorce pour faute. Puis, après avoir retenu que le divorce serait prononcé aux torts exclusifs de M. [Z], le juge aux affaires familiales a statué sur les circonstances particulières de la rupture justifiant de refuser de faire droit à la demande de prestation compensatoire formée par M. [Z].

Afin de déterminer si M. [Z] pouvait se prévaloir d'une éventualité favorable d'infirmation de ce jugement et d'obtention d'une prestation compensatoire, il est nécessaire dans un premier temps de vérifier s'il pouvait raisonnablement espérer obtenir l'infirmation du jugement en ce qu'il a prononcé le divorce à ses torts exclusifs. Dans un second temps, si la cour considère que le jugement ne pouvait pas être infirmé de ce chef, il conviendra d'apprécier si les circonstances particulières de la rupture justifiaient de débouter l'époux de sa demande de prestation compensatoire.

La cour observe à la lecture de ce jugement que le juge aux affaires familiales a motivé chacune de ses réponses aux griefs invoqués au visa de l'article 242 du code civil et chacune de ses réponses relatives aux circonstances particulières de la rupture.

Sur le divorce aux torts exclusifs de M. [Z]

Concernant les griefs invoqués par Mme [O] au soutien de sa demande tendant à voir prononcer un divorce aux torts exclusifs de son époux, six griefs ont été invoqués.

Le premier grief était relatif à des violences verbales et physiques de M. [Z] à l'encontre de son épouse. Le juge aux affaires familiales a jugé que ce grief était suffisamment démontré mais qu'en raison de l'ancienneté des violences et de la poursuite de la vie commune, il n'y avait pas lieu de considérer qu'elles rendaient intolérable le maintien de la vie commune.

Le second grief concernait le départ prémédité de l'époux du domicile conjugal. Sur ce grief, le juge aux affaires familiales a considéré que si la cessation de la communauté de vie était un manquement au devoir du mariage, le fait de préparer celle-ci en toute connaissance de cause, en ayant fait des préparatifs avancés, n'était pas constitutif d'une faute rendant intolérable le maintien de la vie commune tant que la cessation de la communauté de vie n'avait pas été effective.

Le troisième grief avait trait à l'adultère reproché à M. [Z]. Le juge a également considéré que les pièces permettaient de conclure à la réalité de ce grief et a jugé que ce manquement grave et renouvelé aux devoirs conjugaux rendait intolérable le maintien de la vie commune.

Le quatrième grief concernait l'investissement démesuré de M. [Z] pour son loisir. Ici encore le juge a conclu à la démonstration de ce grief par l'épouse et a conclu à un manquement renouvelé au devoir d'assistance et de direction morale de la famille qui, par son caractère répété sur une longue période, caractérisait un manque d'investissement personnel dans le lien matrimonial et constituait ainsi une faute rendant intolérable le maintien de la vie commune.

Le cinquième grief était relatif au comportement de M. [Z] visant à l'endettement du couple. Après étude des pièces produites, le juge a considéré qu'il résultait des éléments examinés que par son comportement, M. [Z] avait manqué à son devoir de contribution aux charges du ménage à hauteur de ses facultés et qu'en raison de la persistance de ce manquement, du manque de considération de M. [Z] pour les dettes communes et par l'abandon démontré, ce manquement rendait intolérable le maintien de la vie commune.

Le sixième et dernier grief concernait le refus de contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants. De nouveau, après avoir analysé les pièces, le juge aux affaires familiales a affirmé qu'il était démontré que M. [Z] n'avait pas spontanément contribué à l'entretien et à l'éducation de ses enfants à hauteur de ses engagements et qu'il avait laissé son épouse faire face seule à l'essentiel de ces frais, ce qui constituait un manquement grave et qui rendait intolérable le maintien de la vie commune notamment par la désinvolture que manifestait M. [Z] à l'égard de ses enfants et l'abandon qui était ainsi caractérisé.

Estimant que des violations graves ou renouvelées aux devoirs et obligations du mariage imputables à M. [Z] étaient démontrées et rendaient intolérable le maintien de la vie commune, le juge aux affaires familiales a prononcé le divorce aux torts exclusifs de l'époux.

Sans avoir besoin de détailler davantage l'argumentaire développé par le juge aux affaires familiales pour chacun de ces griefs, la cour constate que le jugement est motivé et opère une véritable démonstration pour retenir quatre de ces six griefs qui justifient de prononcer le divorce aux torts exclusifs de M. [Z].

Si ce dernier soutient qu'il aurait pu se prévaloir d'un divorce aux torts partagés aux fins d'éluder les conséquences en matière de prestation compensatoire, il ne produit toutefois aucune pièce permettant à la cour de requalifier le divorce en ce sens.

Faute de disposer d'élément permettant d'apprécier si ce jugement aurait pu être infirmé pour avoir prononcé le divorce aux torts exclusifs de M. [Z], il convient de conclure que la perte de chance d'obtenir l'infirmation de ce chef n'est ni certaine ni démontrée.

2. Sur les circonstances particulières de la rupture

Si un grief peut ne pas suffisamment caractériser un manquement rendant intolérable le maintien de la vie commune, il peut cependant constituer une circonstance particulière de la séparation au sens de l'article 270 du code civil justifiant de refuser d'accorder une prestation compensatoire.

Ainsi, le juge aux affaires familiales, après avoir retenu que le divorce serait prononcé aux torts exclusifs de M. [Z], a considéré que le fait d'avoir secrètement organisé son départ du domicile conjugal avant de déposer sa requête en divorce, d'avoir cessé de contribuer aux charges du ménage de manière contemporaine à ses préparatifs pour quitter le domicile conjugal, d'avoir demandé un délai au juge conciliateur pour quitter le domicile conjugal alors qu'il disposait déjà des clés de son nouvel appartement, d'avoir laissé son épouse faire face seule à l'endettement du ménage auquel il avait contribué, et enfin de ne plus avoir subvenu à l'entretien et à l'éducation de ses enfants constituaient des circonstances particulières de la séparation justifiant de refuser d'accorder la prestation compensatoire.

En fonction des circonstances particulières de la séparation telles qu'exposées de façon circonstanciée dans ce jugement, la cour d'appel d'Amiens aurait confirmé de façon certaine le rejet de la demande de prestation compensatoire, dans la situation contrefactuelle où la faute commise par Mme [D] n'aurait pas été commise. M. [Z] n'ayant produit aucune pièce permettant de contredire l'analyse du juge aux affaires familiales, la cour en conclut que la chance d'obtenir une infirmation du jugement de ce chef n'est ni démontrée ni certaine.

En conséquence, M. [Z] ne démontre pas de perte de chance de voir infirmer le jugement rendu par le juge aux affaires familiales en ces chefs ayant prononcé le divorce à ses torts exclusifs et l'ayant débouté de sa demande de prestation compensatoire.

Le jugement querellé sera ainsi infirmé pour avoir retenu l'existence d'une perte de chance directement causée par le manque de diligence de Mme [D] et affirmé que cette perte de chance réelle mais limitée devait être réparée à hauteur de 60 000 euros.

B) Sur les frais d'honoraires d'avocat et les frais irrépétibles

M. [Z] déclare que la faute de Mme [D] lui a causé un préjudice constitué par les honoraires d'avocat exposés dans le cadre de son pourvoi en cassation et les frais irrépétibles auxquels il a été condamné par la Cour de cassation. Il soutient que le pourvoi en cassation était nécessaire afin d'essayer d'obtenir la cassation de l'arrêt ayant confirmé l'ordonnance par laquelle la caducité a été constatée, mais également afin qu'il ne puisse lui être reproché de s'être abstenu de se pourvoir en cassation dans le cadre de l'action en responsabilité engagée ultérieurement à l'encontre de son avocate.

Pour autant, M. [Z] indique lui-même que postérieurement à l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 10 juillet 2017 ayant confirmé la caducité de la déclaration d'appel imputable à la faute commise par Mme [D], il a confié la défense de ses intérêts à Me Delevacque, avocat au barreau d'Arras. Il précise que cet avocat a adressé une lettre officielle à Mme [D] pour l'interroger sur l'opportunité de former un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Il en résulte d'une part que la désignation d'un nouveau conseil par M. [Z] a mis un terme au mandat précédemment confié à Mme [D], alors que ce nouveau conseil disposait d'autre part des compétences nécessaires pour apprécier lui-même l'opportunité d'un pourvoi en cassation, sans devoir s'en remettre à l'appréciation de Mme [D]. A cet égard, l'absence de réponse apportée par Mme [D] n'est ainsi ni fautive, ni en relation causale avec l'introduction d'un pourvoi n'ayant en définitive pas prospéré.

La responsabilité de Mme [D] n'est ainsi pas engagée à l'égard de M. [Z] au titre des frais qu'il a engagés devant la Cour de cassation dans le cadre du pourvoi qu'il a lui-même fait introduire, alors qu'il était assisté d'un nouveau conseil. M. [Z] est par conséquent débouté de cette demande, qui n'avait pas été formulée devant le premier juge.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt et l'équité conduisent :

à réformer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

à condamner M. [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

à débouter les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Réforme le jugement rendu le 30 septembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déboute M. [C] [Z] de sa demande indemnitaire au titre d'une perte de chance d'obtenir une prestation compensatoire ;

Déboute M. [C] [Z] de sa demande indemnitaire au titre des frais qu'il a exposés devant la Cour de cassation ;

Condamne M. [C] [Z] aux dépens de première instance et d'appel ;

Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/05544
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;21.05544 ?
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