République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 25/05/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/03609 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TF3T
Jugement (N° 19/02973) rendu le 25 Juin 2020
par le Tribunal judiciaire de Lille
APPELANT
Monsieur [R] [J]
né le 10 décembre 1980 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Christian Delevacque, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué
INTIMÉ
Monsieur [P] [T]
demeurant [Adresse 4]
[Localité 5]
représenté par Me Marie-Christine Dutat, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 13 février 2023 tenue par Catherine Courteille magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Manon Caron
GREFFIER LORS DU PRONONCÉ : Anaïs Millescamps
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, président de chambre
Jean-François Le Pouliquen, conseiller
Véronique Galliot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023 après prorogation du délibéré en date du 04 mai 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Courteille, président et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 5 décembre 2022
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Vu le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 25 juin 2020,
Vu la déclaration d'appel de M. [R] [J] du 14 septembre 2020,
Vu les conclusions de M. [R] [J] du 05 décembre 2022,
Vu les conclusions de M. [P] [T] du 03 février 2021,
Vu l'ordonnance de clôture du 05 décembre 2022.
EXPOSE DU LITIGE
M. [R] [J] a été propriétaire d'un immeuble situé [Adresse 3], il a vendu ce bien le 09 mars 2022.
M. [P] [T] est propriétaire de l'immeuble voisin, situé [Adresse 4].
M. [J] avait fait construire une terrasse extérieure au niveau du premier étage de son immeuble.
Se plaignant de vues créées sur son fonds, M. [T] a, par acte d'huissier en date du 13 juillet 2017, fait assigner M. [J] aux fins de le voir condamner sous astreinte à mettre fin aux vues ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts outre 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Une mesure de médiation ordonnée par le juge de la mise en état n'a pas abouti.
Par jugement en date du 25 juin 2020, le tribunal judiciaire de Lille a :
- Condamné M. [J] à mettre fin aux vues sur la propriété de M. [P] [T] située [Adresse 4], en installant sauf meilleur accord des parties, des panneaux de bois ajouré de type brise-vue entre les deux fonds ainsi que sur la longueur du fond de la terrasse, dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement et passé ce délai, et passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant un délai de 6 mois
- Condamné M. [J] à verser à M. [T] une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts
- Condamné M. [J] à verser à M. [T] une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Par déclaration en date du 14 septembre 2020, M. [J] a interjeté appel de l'ensemble des chefs du jugement.
Par dernières conclusions du 05 décembre 2022, M. [J] demande à la cour de :
Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- Condamné M. [J] à mettre fin aux vues et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant un délai de 6 mois
- Condamné M. [J] à verser à M. [T] une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts
- Condamné M. [J] à verser à M. [T] une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
- Constater que M. [J] n'est plus propriétaire de l'immeuble sis [Adresse 3],
En conséquence,
- Débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Débouter M. [T] de sa demande de dommages et intérêts.
- Débouter M. [T] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Dire que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
Par conclusions en date du 03 février 2022, M. [T] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 25 juin 2020
- Porter le montant des dommages et intérêts alloués à la somme de 5 000 euros
- Condamner M. [J] à verser à M. [T] une somme de 2 000 euros pour procédure abusive
- Eu égard aux frais irrépétibles que M. [T] aura dû engager du fait de la présente instance, frais qu'il serait inéquitable de leur laisser intégralement supporter, condamner M. [J] à lui verser une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l'audience et rappelées ci-dessus.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 05 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- sur la recevabilité de l'appel incident formé par M. [T]
Dans le dispositif de ses écritures déposées le 3 février 2021, M. [T] sollicite :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 25 juin 2020,
- porter le montant des dommages et intérêts à la somme de 5 000 euros.
Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.
L'appel incident n'est pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet, les conclusions de l'appelant, qu'il soit principal ou incident, doivent déterminer l'objet du litige porté devant la cour d'appel, l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l'article 909 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de cet article 954.
Il résulte du dispositif des conclusions déposées par M. [T], qu'a été sollicité la confirmation du jugement mais ces conclusions n'ont pas saisi la cour de l'infirmation du jugement concernant le montant des dommages et intérêts alloués, l'appel incident est dès lors irrecevable.
2- Sur les vues
L'article 678 du code civil dispose qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.
L'article 679 du code civil précise qu'on ne peut sous les mêmes réserves avoir de vues par côtés ou obliques sur le même héritage s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance.
M. [J] reconnaît avoir fait construire la terrasse et ne conteste pas les vues créées sur le fonds voisin, mais sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamné à mettre fin aux vues sur la propriété voisine sous astreinte, au motif qu'il a revendu le bien. Il ajoute avoir acheté des panneaux de bois pour occulter la vue sur l'immeuble de son voisin.
M. [T] maintient que la création de la terrasse sur l'extension existante a créé des vues, il précise que si M. [J] a bien acheté des panneaux occultants, il affirme que ceux-ci n'ont pas été posés.
Les photographies produites mettent en évidence que les deux immeubles sont mitoyens et que la terrasse créée sur une extension de l'immeuble du [Adresse 3] (qui appartenait à M. [J]) a eu pour conséquence la création de vues droites et obliques sur le fonds de M. [T], ce fait n'étant d'ailleurs pas contesté par M. [J] qui indique avoir voulu créer un espace végétalisé, puis avoir interdit à ses locataires l'accès de la terrasse.
M. [J] produit une facture d'achat en date du 02 juillet 2020 portant sur l'acquisition de panneaux persiennes et d'un poteau en bois permettant d'occulter la vue, le document est annoté par M. [T]. M. [T] reconnaît que des panneaux ont été achetés, mais indique qu'ils n'ont pas été posés. Aucune pièce, aucune photographie ne vient établir que les panneaux auraient été posés et qu'il aurait été mis fin aux vues.
M. [J] justifie par la production d'une attestation du notaire, avoir vendu le 19 mars 2022 l'immeuble du [Adresse 3] à Mme [U] et M. [D], si à ce jour M. [J] n'est plus propriétaire, sa responsabilité est engagée non en sa qualité de propriétaire de l'immeuble mais en sa qualité de maître d'ouvrage des travaux à l'origine des vues, et c'est à juste titre que le tribunal a condamné M. [J] à y mettre fin sous astreinte, dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a été condamné à la remise en état des lieux par occultation des vues sous astreinte.
3- Sur la demande de dommages et intérêts
L'appel incident de M. [T] ayant été déclaré irrecevable, il convient de considérer que celui-ci demande la confirmation du jugement.
M. [J] conteste le préjudice invoqué, indiquant qu'il n'est pas justifié d'un trouble anormal de voisinage.
C'est à tort que M. [J] soutient qu'il n'est pas justifié d'un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, la demande de dommages et intérêts étant fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil.
La faute invoquée par M. [T] consiste à avoir créé des vues sur son fonds alors que les dispositions des articles 678 et 679 le prohibe.
Cette faute a eu pour conséquence, ainsi que l'a relevé le tribunal, une perte d'intimité, dès lors que les voisins de M. [T] avaient vue sur son jardin et sa chambre, elle a nécessairement créé un préjudice à M. [T].
Pour justifier de ce préjudice, M. [T] fait état de fêtes bruyantes organisées dans l'immeuble de son voisin par les locataires, ces nuisances sont étrangères à celles créées par les vues et ne justifie pas de l'ampleur du préjudice subi, dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [J] au paiement d'une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.
4- Sur la demande au titre de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Il n'est justifié ni d'une faute dans l'exercice du droit d'agir en justice par l'appelant, ni d'un préjudice subi par M. [T], celui-ci sera débouté de sa demande de ce chef.
5- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera confirmé de ces chefs,
M. [J] sera condamné aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euros au titre de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Déclare l'appel incident de M. [T] irrecevable,
Confirme le jugement du 25 juin 2020 sauf en ce qu'il a fixé le point de départ de l'astreinte relative aux travaux destinés à mettre fin aux vues sur la propriété de M. [P] [T] située [Adresse 4],
statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Fixe que le point de départ de l'astreinte relative à l'obligation de remise en état du terrain à 2 mois à compter de la signification de la présente décision ;
Déboute M. [T] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Déboute M. [J] de sa demande d'indemnité de procédure,
Condamne M. [R] [J] à payer à M. [P] [T] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel,
Condamne M. [J] aux dépens d'appel.
Le greffier
Anaïs Millescamps
Le président
Catherine Courteille