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04/05/2023 | FRANCE | N°21/04184

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 04 mai 2023, 21/04184


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 04/05/2023



****





N° de MINUTE :23/162

N° RG 21/04184 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TYSL



Jugement (N° 19/08694) rendu le 25 Mai 2021 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANT



Monsieur [H] [P] [V] [T]

né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 7] ([Localité 7])

de nationalité Française

[Adresse 5]

[

Localité 4]



Représenté par Me Géraldine Sorato, avocat au barreau de Lille, avocat constitué





INTIMÉS



Maître [L], [F] [A] prise en sa qualité de notaire associé de la Selarl Etude [A] notaires

de nationali...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 04/05/2023

****

N° de MINUTE :23/162

N° RG 21/04184 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TYSL

Jugement (N° 19/08694) rendu le 25 Mai 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANT

Monsieur [H] [P] [V] [T]

né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 7] ([Localité 7])

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Géraldine Sorato, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉS

Maître [L], [F] [A] prise en sa qualité de notaire associé de la Selarl Etude [A] notaires

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Madame [F], [B] [A] prise en sa qualité de notaire rédacteur de la Selarl Etude [A] notaires

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

SELARL Etude [A] Notaires

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentés par Me Véronique Vitse-Boeuf, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substituée par Me Playoust, avocat au barreau de Lille

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 09 février 2023 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 4 mai 2023 après prorogation le 13 avril 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 18 novembre 2022

Communiquées aux parties le 21 novembre 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 janvier 2023

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

M. [H] [T] exploite en nom propre un centre de loisirs sportif « château d'Hem », au sein duquel la Scea [Adresse 6] (la Scea) exploite notamment un centre équestre qu'elle lui loue depuis mai 2006 selon un « bail civil : convention de location et d'occupation de boxes ».

Par acte sous seing privé du 19 janvier 2010, M. [T] a promis à Mme [C] et à M. [D], associés de la Scea, de leur vendre, selon quatre hypothèses distinctes, deux ensembles immobiliers, ensemble ou séparément, portant sur :

un ensemble correspondant au centre équestre (ensemble 1);

un ensemble sur lequel sont érigés des constructions légères de loisir (ensemble 2).

En définitive, M. [T] a vendu à la Scea le seul ensemble 2, selon acte authentique établi le 14 mai 2010 par Mme [F] [A], notaire.

Par acte authentique du même jour établi par Mme [F] [A], M. [T] a loué à la Scea l'ensemble 1 selon un « bail précaire » moyennant un loyer mensuel de 14 000 euros HT, à compter du 15 mai 2010 et jusqu'au 31 mai 2012.

La gestion locative de l'ensemble 1 a été confiée par M. [T] à Mme [F] [A].

Mme [F] [A] ayant proposé la rédaction d'un bail commercial à l'approche du terme de ce bail précaire, les parties ont toutefois poursuivi la relation initiale, la Scea se maintenant dans les lieux à compter du 1er juin 2012 sans qu'un nouvel acte soit rédigé.

Mme [F] [A] a cessé son activité et a cédé ses parts à la Selarl Etude [A] notaires (la Selarl), gérée par Mme [L] [A]. Par arrêté du 27 février 2015, la Selarl a été nommée en remplacement de Mme [F] [A].

À compter du 1er août 2015, la Scea a cessé de payer le loyer fixé pour lui substituer un fermage mensuel de 1 091,67 euros, invoquant à la fois le statut des baux ruraux et une estimation de la valeur locative par un expert.

M. [T] a assigné la Scea en paiement et a appelé la Selarl et Mme [F] [A] en garantie devant le tribunal paritaire des baux ruraux.

Par arrêt du 25 octobre 2018, la cour a estimé que le bail du 14 mai 2010 était un bail rural d'une durée de 9 ans, dont le montant mensuel était fixé à 1 006,91 euros du 15 mai 2010 au 14 mai 2018, de sorte que M. [T] a été condamné à rembourser une somme de 32 938,21 euros à la Scea au titre du trop-perçu de fermage.

Par actes des 26 et 28 novembre 2019, M. [T] a assigné la Selarl, Mme [L] [A] et Mme [F] [A] devant le tribunal de grande instance de Lille en responsabilité quasi-délictuelle.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Lille a :

1- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir à l'encontre de Mmes [F] et [L] [A] ;

2- condamné Mme [F] [A] à payer à M. [H] [T] la somme de 8 270,45 euros à titre de dommages-intérêts ;

3- rejeté les surplus des demandes indemnitaires de M. [T] ;

4- condamné Mme [F] [A] à payer à M. [T] 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

5- dit n'y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

6- condamné Mme [F] [A] aux dépens ;

7- ordonné l'exécution provisoire de son jugement.

La condamnation principale porte exclusivement sur les frais exposés par M. [T] en lien avec l'instance devant le tribunal paritaire des baux ruraux, puis devant la cour d'appel.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 28 juillet 2021, M. [T] a formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 2 et 3 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2023, M. [T], appelant, demande à la cour d'infirmer le jugement en ses seules dispostions visées par la déclaration d'appel et de le confirmer pour le surplus, et statuant à nouveau, de :

- dire et juger que Mme [F] [A], la Selarl et Mme [L] [A], engagent leur responsabilité à son égard en raison des fautes commises ;

- dire et juger que son préjudice est en lien avec les fautes commises et condamner solidairement la Selarl, Mme [L] [A] et Mme [F] [A] à lui verser les sommes suivantes :

' 872 931 euros HT au titre des gains manqués s'analysant en une perte de chance évalué à 99% du montant des loyers non perçus ;

' 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' 2 104,75 euros au titre des frais d'expertise judiciaire (M.[Y]) ;

' 1 350 euros HT au titre des frais de géomètre, étude réalisée pour les besoins de l'expertise (Sarl Cornille Filez) ;

' 1 450 euros HT au titre des honoraires réglés à son conseil, Maître Bué ;

' 2 236,10 euros HT au titre des honoraires de Maître Bailly, premier conseil ;

' 1 129,60 euros HT au titre des frais d'expertise amiable (Scp Gossein Duhem) ;

' 800 euros HT au titre des frais d'expertise comptable pour la gestion du litige relatif au bail.

- les condamner solidairement à lui verser la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;

- les condamner solidairement à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de la résistance abusive ;

- les débouter de l'ensemble de leurs demandes ;

- les condamner solidairement à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner solidairement aux dépens.

A l'appui de ses prétentions, M. [T] fait valoir que :

- lorsque Mme [L] [A] a été nommée en remplacement de Mme [F] [A], en février 2015, le bail commercial verbal était en cours et elle en a assuré la gestion en indexant et en percevant le montant des loyers, sans avoir jamais attiré l'attention de son client sur la soumission de ce bail au statut des baux ruraux ;

- la faute de Mme [F] [A] a été valablement retenue par les premiers juges, dès lors qu'elle n'a pas assuré la validité et l'efficacité des actes qu'elle a reçus ; en qualité de professionnelle, elle ne pouvait ignorer que depuis la loi du 23 février 2015, les activités équestres sont classées comme agricoles, de sorte qu'un centre équestre relevait du statut du fermage, circonstance que son conseil reconnaissait dans un courrier officiel ; le caractère transitoire du projet de location du centre équestre jusqu'à sa vente éventuelle est indifférent pour apprécier la faute commise par le notaire ; même s'il ne fait que donner un forme authentique à un accord conclu en dehors de lui, le notaire engage sa responsabilité délictuelle s'il ne procède pas aux vérifications nécessaires ; en dépit de l'arrêt de la cour d'appel ayant validé l'application du statut du fermage, les notaires maintenaient qu'il n'y avait aucune difficulté avec le bail ; aucun bail écrit n'a été établi dès lors que le notaire a prétendu qu'un bail commercial verbal de 9 ans s'était formé à l'issue du bail précaire de deux ans ;

- la faute de Mme [L] [A] doit également être retenue : si elle a encaissé des loyers en application d'un bail dont les stipulations relatives à son montant n'ont été qu'ultérieurement annulées, elle devait toutefois également apporter à son client un conseil pertinent sur la situation juridique, en parallèle de la seule perception des loyers et détecter la qualification erronée du bail ;

- le préjudice subi est moral, dès lors qu'il a été confronté à une procédure judiciaire de près de 10 ans résultant de la faute commise par le notaire ; il est également financier et correspond à la différence entre les fermages et le loyer commercial, dès lors qu'elle s'analyse comme un gain manqué, et non comme une restitution après annulation d'un acte (qui n'est pas indemnisable). En tout état de cause, une perte de chance de 99 % doit être fixée. S'y ajoutent l'indemnisation intégrale des frais engagés dans le cadre des instances judiciaires et le paiement d'une TVA excédant celle réellement due ; le bail a été résilié en 2018 par la Scea elle-même.

- en dépit de la recherche d'une solution amiable, il a été contraint d'agir en justice et subit à ce titre un préjudice résultant d'une résistance abusive.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 19 janvier 2023, la Selarl et Mmes [L] et [F] [A], intimées et appelantes incidentes, demandent à la cour de :

- infirmer le Jugement en ce qu'il a :

o rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir contre Mme [L] [A] ;

o condamné Mme [F] [A] à payer à M. [T] la somme de 8 270,45 euros à titre de dommages et intérêts ;

o condamné Mme [F] [A] à payer à M. [T] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

o dit n'y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

o condamné Mme [F] [A] à supporter les dépens de l'instance ;

- le confirmer en ce qu'il a rejeté le surplus des demandes indemnitaires de M.[T] ;

En conséquence, statuant à nouveau :

A) Sur l'irrecevabilité des demandes formées à l'encontre de [L] [A] : vu les dispositions de l'article 31 et 122 du code de procédure civile :

- juger que M. [T] ne dispose d'aucun intérêt à agir à l'encontre de Mme [L] [A] au titre de la rédaction du contrat de bail du 14 mai 2010 ;

- en conséquence, le déclarer irrecevable en ses demandes indemnitaires dirigées à l'encontre de Mme [L] [A], notamment au titre du « gain manqué » revendiqué de 848.765,64 euros HT ;

B) Sur l'absence de responsabilité civile professionnelle de Mmes [L] et [F] [A] et de la Selarl : vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,

- rejeter toutes prétentions, fins et conclusions de M. [T], l'en débouter ;

Dans tous les cas,

- le condamner au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance ;

- le condamner au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens de première instance et de l'instance d'appel.

A l'appui de leurs prétentions, elles font valoir que :

- M. [T] n'a aucun intérêt à agir à l'encontre de Mme [L] [A], dont la responsabilité ne peut être recherchée pour des faits antérieures au 27 février 2015, date de sa nomination ;

- aucune faute n'a été commise par Mme [F] [A] : (i) n'étant tenu qu'à une obligation de moyens, les diligences du notaire se limitent à celles normalement nécessaires, compte tenu du contexte ; à cet égard, le bail n'était que provisoire dès lors qu'il était convenu que la Scea s'engageait à acquérir à court terme les biens objets du bail ; les parties elles-mêmes ont voulu soumettre le bail au statut dérogatoire des baux commerciaux, alors que la question de la qualification avait été évoquée avant la signature de l'acte ; (ii) la qualification de bail rural résulte exclusivement des décisions du tribunal paritaire des baux ruraux et de la cour d'appel, alors qu'à la date de rédaction du bail, les activités de la Scea n'imposaient pas une telle qualification ; le bail n'a pas été annulé, seule sa clause relative au montant des fermages ayant été remise en cause ;

-aucune faute n'a été commise par Mme [L] [A], dès lors qu'elle ne pouvait appeler que les loyers pour le montant fixé contractuellement. Même si elle avait informé M. [T] de l'irrégularité affectant le montant du loyer, M. [T] n'aurait pas accepté spontanément d'en modifier à la baisse le montant, alors qu'il a au contraire saisi le tribunal paritaire des baux ruraux pour contester l'analyse de la Scea ;

- aucun lien de causalité n'est établi entre les fautes reprochées et les préjudices allégués : en cas de manquement à son obligation de conseil, il convient de rechercher la façon dont M. [T] aurait agi s'il avait été valablement informé ou conseillé, pour caractériser les conséquences de cette faute. En l'espèce, la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter dans de meilleurs conditions financières n'est pas indemnisable, dès lors qu'elle n'est pas certaine. En particulier, M. [T] n'expose pas clairement quelle autre solution juridique lui aurait permis de percevoir 14 000 euros par mois, alors que sa volonté initiale était de vendre l'intégralité des deux ensembles immobiliers et que la position qu'aurait adopté la Scea face à un projet alternatif reste inconnue. A l'inverse, le préjudice de perte de loyers n'existe pas, alors que si le statut du fermage avait été appliqué dès 2010, M. [T] n'aurait pu prétendre à un loyer mensuel de 14 000 euros, supérieur à celui finalement fixé par la cour d'appel et en violation de dispositions d'ordre public de l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime. L'arrêt n'a replacé les parties que dans la situation qui aurait été la leur si la faute reprochée à Mme [F] [A] n'avait pas été commise. En outre, le calcul du préjudice invoqué est erroné dès lors qu'il ne tient pas compte de l'imposition qui aurait été appliquée aux loyers perçus ; la durée de la perte de loyers invoquée jusqu'en 2021 est enfin excessive, dès lors que la Scea disposait de la faculté de résilier le bail, ainsi qu'elle y a procédé en quittant les lieux le 31 juillet 2018.

- la demande de remboursement au titre de la restitution du trop-perçu au profit de la Scea fait double emploi avec la demande en paiement au titre de la perte de loyers. Les restitutions réciproques consécutives à l'annulation d'un contrat ne constitue pas en elles-mêmes un préjudice indemnisable que le rédacteur d'acte peut être tenu de réparer.

- le remboursement des frais de justice, d'expertise et de conseil n'est pas justifié, dès lors que : (i) M. [T] ne prouve pas avoir acquitté les différentes condamnations mises à sa charge par la cour d'appel ; (ii) certains frais n'ont pas été déboursés en pure perte, et notamment ceux de métrage de la parcelle pour un montant de 1 215 euros ; (iii) les changements successifs d'avocat par M. [T] ne peuvent être mis à leur charge (facture de 1 771,32 euros de Me Bailly) ; les frais d'évaluation de la valeur locative des lieux auraient dû en tout état de cause être exposés et n'ont pas de lien de causalité avec la faute reprochée, dès lors qu'aucun arrêté préfectoral n'existait à l'époque de sorte que ce recours à dire d'expert aurait été nécessaire ;

- aucune résistance abusive n'est établie, alors que M. [T] produit lui-même le courrier adressé en réponse à ses prétentions, préalablement à la phase contentieuse.

- aucun préjudice moral n'est établi, alors que M. [T] ne peut invoquer le préjudice subi par les autres membres de sa famille.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Le dossier a été transmis au ministère public qui a visé la procédure et conclu à la confirmation du jugement critiqué. Son avis a été communiqué aux parties le 21 novembre 2022.

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 23 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir à l'encontre de Mme [L] [A] :

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

La recevabilité d'une demande en justice est ainsi exclusivement subordonnée à la démonstration d'un intérêt personnel, né et actuel de son auteur, qu'il s'agisse d'un intérêt matériel ou moral.

En revanche, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, et l'existence d'une faute et d'un préjudice invoquée par le demandeur dans le cadre d'une action en responsabilité n'est pas une condition de recevabilité de son action mais du succès de celle-ci.

L'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice.

En l'espèce, dès lors qu'il n'est pas contesté que Mme [L] [A] était mandataire de M. [T] pour procéder à l'indexation du loyer litigieux et à son encaissement pour le compte du bailleur, ce dernier dispose d'un intérêt à agir à son encontre, sans qu'il lui appartienne de démontrer préalablement le bien-fondé de son action en responsabilité au titre d'une telle gestion locative.

Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. [T] à l'encontre de Mme [L] [A].

Sur les fautes :

S'agissant de Mme [L] [A] :

Lorsqu'il est reproché au notaire d'enfreindre une obligation tenant à sa qualité d'officier public, dans l'exercice strictement entendu de sa mission légale, sa responsabilité ne peut être que délictuelle ou quasi délictuelle. Ce fondement trouve sa justification dans la considération que ce professionnel est investi d'une mission définie par un statut d'ordre public, et que son intervention ne s'inscrit pas véritablement dans une relation contractuelle librement consentie.

Par ailleurs, un notaire qui succède à un autre notaire ne peut être rendu responsable des fautes commises par son prédécesseur.

Il en résulte en l'espèce que :

d'une part, Mme [L] [A] n'est pas personnellement intervenue à la rédaction de l'acte dressé le 14 mai 2010 par Mme [F] [A], à laquelle elle n'a succédé qu'à compter de 2015 ; elle n'était pas davantage en charge de l'office au 1er juin 2012, date à laquelle la relation locative antérieure s'est prolongée sans qu'un nouveau bail ne soit régularisé par le notaire en charge de conseiller M. [T]. Sa responsabilité délictuelle ne peut par conséquent être engagée en qualité de notaire au titre des manquements reprochés par M. [T], qu'il s'agisse de ses obligations liées à sa fonction d'authentification ou de celles relevant d'un devoir d'information ou de conseil ;

d'autre part, Mme [L] [A] est personnellement intervenue au titre de la gestion locative de l'ensemble 2, à compter de 2015 : sur ce point, les premiers juges ont exclu que Mme [L] [A] ait commis une faute, en estimant qu'elle avait l'obligation de respecter les stipulations du bail antérieurement conclu, sans qu'elle puisse lui substituer d'office un autre montant de loyer pour les échéances d'août et septembre 2015, dès lors que l'annulation du bail n'a été judiciairement prononcée qu'ultérieurement.

Pour autant, sa relation avec M. [T] est à ce titre de nature contractuelle, dès lors que Mme [L] [A] agit exclusivement en qualité de mandataire du propriétaire pour calculer l'indexation du loyer et procéder à son encaissement, conformément au mandat rémunéré de gestion confié à « l'étude [A] » par M. [T] selon acte du 18 mai 2010. S'il lui incombe une obligation d'information et de conseil à l'égard de M. [T] en cette qualité de mandataire immobilier, sa responsabilité ne peut toutefois être engagée sur un fondement délictuel, mais exclusivement contractuel. La circonstance que Mme [L] [A] ait parallèlement la qualité de notaire n'implique pas qu'au titre de ce mandat de gestion locative, elle ait une obligation d'alerter M. [T] en cette qualité d'officier ministériel de la qualification erronée du bail conclu en 2010, puis du maintien de ce bail en l'absence d'établissement d'un contrat écrit à compter du 1er juin 2012, dès lors qu'une telle mission ne relève pas de son office public.

Lorsqu'un ou plusieurs fondements juridiques sont invoqués au soutien d'une prétention, la cour tranche le litige selon les règles de droit qui lui sont applicables, conformément à l'article 12 alinéa 1 du code de procédure civile. Il lui appartient par conséquent de vérifier si toutes les conditions d'application de la règle de droit ou des règles de droit invoquées par la partie sont ou non réunies, sans qu'elle soit tenue de soulever d'office un nouveau fondement qui n'a été invoqué par aucune des parties.

Alors que M. [T] a exclusivement fondé son action en responsabilité sur les dispositions de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, il convient par conséquent de confirmer le jugement l'ayant débouté de ses demandes à l'encontre de Mme [L] [A], dont la responsabilité délictuelle n'est pas susceptible d'être engagée au titre de son mandat de gestion locative.

S'agissant de la Selarl :

Si la structure d'exercice est solidairement tenue d'indemniser les dommages causés par l'un des notaires qui la compose, la Selarl n'a toutefois été d'une part constituée que postérieurement aux faits reprochés à Mme [F] [A] et n'a d'autre part pas vocation à être condamnée au titre de la gestion locative, en l'absence de déclaration de responsabilité civile à l'égard de Mme [L] [A].

S'agissant de Mme [F] [A] :

En application de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Outre qu'en sa qualité d'authentificateur, le notaire doit refuser d'instrumenter s'il est requis pour rédiger un acte illégal ou frauduleux, il est également tenu d'un devoir de conseil, qui lui impose d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité et de l'efficacité de l'acte rédigé par ses soins.

La responsabilité du notaire n'est toutefois pas engagée au titre de son devoir de conseil, s'il établit avoir valablement informé les parties à l'acte authentique des conséquences du manquement qui lui est reproché ou s'il justifie d'une cause d'exonération légitime.

Le notaire instrumentaire est en revanche tenu d'informer et d'éclairer les parties sur la portée, les effets et les risques, notamment juridiques, de l'acte par lequel elles s'engagent, dans la limite des possibilités de contrôle et de vérification qui lui sont offertes, des informations connues des parties et sans avoir à porter d'appréciation sur l'opportunité économique de l'opération.

Il appartient au notaire de rapporter la preuve de l'exécution complète de ce devoir de conseil.

En l'espèce, trois fautes sont reprochées à Mme [F] [A].

l'établissement d'un bail précaire commercial :

Le 14 mai 2010, Mme [F] [A] a établi un bail précaire commercial au profit de la Scea portant sur l'ensemble n°1, qui stipule notamment que les parties ont entendu « déroger en toutes ses dispositions, au statut des baux commerciaux ».

Alors que l'activité équestre est intégrée dans le domaine agricole selon l'article L. 311-1 du code rural, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2005-1127 du 8 septembre 2005 applicable à la date de rédaction du bail litigieux, seul le statut du fermage était par conséquent applicable en application de l'article L. 411-1 du même code dans les relations entre M. [T] et la Scea.

Par arrêt du 25 octobre 2018, la cour a observé que la qualification de bail rural, qu'avait retenue le tribunal paritaire des baux ruraux, n'était pas contestée par les parties, de sorte que Mme [F] [A] y a notamment acquiescé. La nullité du loyer a par conséquent été prononcée par la cour d'appel.

Alors que Mme [F] [A] ne conteste pas avoir eu connaissance que le bail litigieux portait sur une activité équestre (destination des lieux loués, en page 4 de l'acte), ce notaire a ainsi commis une erreur de droit lorsqu'il a authentifié un bail commercial alors que seul le statut du fermage était applicable à une telle activité selon l'état du droit à l'époque de la conclusion de cet acte.

Outre qu'une consultation du Cridon dans un dossier spécifiquement soumis à une juridiction n'a aucune valeur normative, les premiers juges ont valablement observé que la pièce produite ne constitue au surplus qu'un simple commentaire de jurisprudence. L'analyse livrée indique en outre qu' « au lendemain de la loi du 23 février 2005, c'est naturellement que des baux ruraux ont été consentis à des exploitants équestres », alors qu'il limite essentiellement l'éventuelle difficulté juridique à la question du renouvellement d'un bail antérieur et de l'application dans le temps de la nouvelle législation. En l'espèce, le bail précaire litigieux ne s'analyse pas comme un renouvellement d'un bail commercial antérieur, dont le terme aurait été postérieur à l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l'article L. 311-1 du code rural, mais à l'inverse comme un bail dérogatoire au statut des baux commerciaux.

En tout état de cause, en présence d'une législation nouvelle, il appartient au notaire de s'assurer de ses conditions d'application et d'informer ses clients d'un éventuel aléa juridique dans sa mise en oeuvre. À cet égard, Mme [F] [A] ne prouve toutefois pas avoir émis une quelconque réserve sur la qualification commerciale du bail et a ainsi exclu d'emblée sa qualification rurale sans qu'elle justifie avoir :

exposé aux parties une éventuelle incertitude juridique sur cette question, s'agissant de la définition des activités équestres ainsi visées par le code rural,

informé en conséquence M. [T] sur le risque que la clause fixant le loyer soit remise en cause ou déclaré illicite.

Selon promesse synallagmatique de vente immobilière (avec faculté de substitution) du 19 janvier 2010, M. [T] et les associés de la Scea ont convenu, au titre des conditions particulières, que la promesse porte sur l'acquisition dissociable de deux ensembles immobiliers et qu'à ce titre, en l'absence de levée des conditions suspensives (notamment d'obtention de prêt) pour l'un ou/et l'autre des ensembles 1 et 2, le vendeur s'engage à « consentir à la Scea un nouveau bail à effet du 1er avril 2010 », « de nature commerciale et d'une durée inférieure à 2 ans (23 mois) ». Dans l'hypothèse 3 s'étant en définitive réalisée, cet acte prévoit que le loyer initial sera de 14 000 euros HT par mois.

En dépit des allégations de M. [T], rien n'établit que cet acte sous seing privé a été élaboré par Mme [F] [A]. La seule circonstance que ce notaire soit désigné dans l'acte pour établir les baux qu'il vise ne suffit pas à établir qu'elle a conseillé, puis rédigé un tel montage juridique comportant quatre hypothèses distinctes.

Alors qu'il ne peut décliner le principe de sa responsabilité en alléguant qu'il s'est borné à donner la forme authentique aux conventions des parties, le notaire est tenu d'une obligation de conseil et d'information à l'égard des parties, quand bien même l'engagement de ces dernières procéderait d'un accord antérieur, dès lors qu'au moment de l'authentification cet accord n'a pas produit tous ses effets ou ne revêt pas un caractère immuable.

Dans cette dernière hypothèse, le notaire n'est pas tenu à un devoir de conseil, dans la mesure où le préjudice est déjà réalisé antérieurement à l'authentification de l'acte litigieux par le plein effet reconnu à l'acte sous seing privé qu'il a repris à son compte.

En l'espèce, seule une promesse unilatérale de bail a été antérieurement consentie par le seul bailleur au profit de la Scea, de sorte que l'acte authentique s'analyse en réalité comme la levée d'option par laquelle le promettant confirme sa volonté de contracter avec le bénéficiaire ayant accepté son offre et conclut ainsi un acte définitif. Il en résulte que l'acte du 19 janvier 2010 ne revêtait pas un caractère immuable avant que l'acte authentique dressé par Mme [F] [A] ne soit signé. Le devoir de conseil de ce notaire subsiste ainsi, en dépit d'un tel accord sous seing privé antérieur, dont elle a repris les termes dans son propre acte authentique.

La circonstance qu'une vente de l'ensemble 1 était d'ores et déjà envisagée entre les parties et que la poursuite du bail n'était ainsi pas prévue au-delà des 23 mois convenu est également indifférente, alors qu'en tout état de cause, la seule erreur de qualification du bail suffit à constituer la faute commise par Mme [F] [A].

Il appartenait en définitive à cet officier ministériel de qualifier valablement le bail et de rectifier par voie de conséquence le montant du loyer par application du statut du fermage, sans s'arrêter à celui fixé par les parties par référence à un bail civil établi sous seing privé en 2006. A défaut d'y avoir procédé, elle a compromis la validité de l'acte qu'elle a authentifié. L'efficacité de cet acte a également été affectée par une telle faute, dès lors que M. [T] n'a pu en définitive percevoir la somme mensuelle de 14 000 euros par mois au titre de la location de l'ensemble 1.

- la proposition de conclure un bail commercial à l'approche du terme du bail précaire :

Mme [F] [A] a confirmé son analyse erronée antérieure, en proposant aux parties au bail précaire de rédiger courant 2013 un bail commercial de 9 ans, selon un projet prévoyant une prise d'effet rétroactive au 1er juin 2012.

Pour autant, contrairement à l'appréciation des premiers juges, le devoir de conseil du notaire n'existe que si un acte authentique a été conclu par les parties qui invoquent un manquement à un tel devoir : en l'espèce, seul un projet a été adressé aux parties par le notaire, sans qu'une signature d'un bail authentique soit intervenue.

La faute reprochée à Mme [F] [A] de ce chef n'est ainsi pas établie.

- la conclusion d'un bail verbal commercial au cas de maintien du locataire dans les lieux au-delà du terme du bail précaire :

Il n'est en revanche pas contesté que les parties ont poursuivi les relations contractuelles résultant du bail précaire commercial au-delà de la date à laquelle cette convention devait prendre fin.

Sur ce point, Mme [F] [A] n'établit pas avoir alerté les parties, dès sa conclusion du bail précaire ou préalablement à son terme, sur le risque d'un bail verbal résultant d'une absence de rédaction d'un bail écrit, dans l'hypothèse où la Scea se maintiendrait dans les lieux au-delà du terme du bail précaire, alors qu'il lui appartenait d'informer ses clients sur l'issue du bail authentique qu'elle avait rédigé. Un tel manquement à son devoir de conseil est fautif.

Sur les préjudices et le lien de causalité :

- s'agissant de la perte de chance de percevoir un loyer mensuel de 14 000 euros :  

A titre liminaire, M. [T] admet que la restitution et la non-perception des loyers commerciaux à la suite de l'annulation de la stipulation de loyer par la cour d'appel n'est pas un préjudice réparable, mais estime que son dommage correspond en revanche à un gain manqué.

Le gain manqué qu'invoque ainsi M. [T] n'est réparable que s'il peut être qualifié de perte de chance.

Lorsqu'il ne peut être tenu pour certain qu'un dommage ne serait pas advenu ou n'aurait pas présenté la même gravité en l'absence de faute, une réparation ne peut ainsi être envisagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. La perte de chance constitue un préjudice indemnisable chaque fois qu'est constatée la disparition certaine et actuelle d'une éventualité favorable.

Si le préjudice résultant d'une erreur en matière de conseil par un notaire s'indemnise par conséquent à hauteur du seul pourcentage de perte de chance actuelle et certaine par la victime de ne pas subir le préjudice final ou de subir un moindre préjudice, c'est exclusivement lorsque le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice final intègre une part de probabilité. A l'inverse, lorsque ce lien de causalité est lui-même certain, la victime doit être indemnisée à hauteur de l'intégralité du préjudice final, sans appliquer de coefficient de perte de chance.

Enfin, si l'existence de l'éventualité favorable dont la privation est invoquée n'est elle-même pas établie, le préjudice allégué est hypothétique et n'est pas indemnisable.

En l'espèce, une perte de chance de percevoir une somme mensuelle de 14 000 euros équivalente au loyer ayant été annulé par la faute du notaire n'est établie que si M. [T] démontre que, dans la situation contrefactuelle où le notaire n'aurait pas omis de l'informer de l'irrégularité de la qualification commerciale du bail et de la possibilité corrélative pour la Scea d'invoquer ultérieurement l'illicéité de la stipulation de loyer, existe une probabilité que les parties auraient pourtant conclu un montage permettant à M. [T] de percevoir une telle somme mensuelle, ou, au moins, une somme supérieure au fermage fixé par la cour d'appel.

Sur ce point, M. [T] prétend que « si Me [F] [A] avait correctement analysé la situation, elle aurait pu proposer un autre montage juridique pour lui permettre de bénéficier de ce loyer ». Il invoque à cet égard une série de solutions alternatives qu'il reproche à Mme [F] [A] de ne pas avoir proposé :

une division différente des ensembles immobiliers, au sein de laquelle certaines parcelles auraient été soumises au statut du bail rural et d'autres à celui du bail commercial,

une souscription de prestations de service ou un règlement de travaux par le preneur ;

une rédaction de baux de nature différente selon l'activité exercée ;

une renonciation au bail au profit de la Scea pour exiger la vente des ensembles immobiliers, conjugué à l'octroi d'un crédit-vendeur à la Scea.

(pages 21 et 24 de ses conclusions)

Pour autant, il ne suffit pas d'alléguer qu'existent d'autres options de montage pour établir la perte de chance : il appartient en effet à M. [T] de prouver que l'une de ces options aurait pu être effectivement adoptée par les parties dans des conditions lui permettant de bénéficier des revenus mensuels qu'il indique avoir visés. À cet égard, la seule volonté de M. [T] n'est pas la seule circonstance à prendre en compte pour apprécier l'existence du préjudice invoqué, alors qu'il convient également de rechercher quelle aurait été la position adoptée par la Scea.

Dans la reconstitution de la situation où les parties se seraient trouvées en l'absence de la faute commise par Mme [A], il apparaît à l'inverse que :

si la Scea avait été informée dès la conclusion de l'acte authentique que le statut des baux commerciaux ne pouvait s'appliquer à l'ensemble 1, elle n'aurait pas accepté de signer un bail prévoyant un loyer mensuel de

14 000 euros HT, alors que l'application du statut du fermage lui permettait de bénéficier d'un loyer mensuel d'environ 1 000 euros (la cour d'appel ayant fixé le loyer initial annuel à 120 193 euros) : la certitude que la Scea aurait refusé de payer un tel montant mensuel si elle avait été informée du caractère rural du bail, résulte de sa cessation unilatérale de versement du loyer commercial pour y substituer à compter 1er août 2015 un fermage calculé sur la base d'une expertise amiable.

il ressort de la désignation des locaux constituant l'ensemble 1 qu'il est affecté dans son intégralité à un usage de centre équestre, dès lors qu'il se compose des écuries principales composées de 65 boxes, de deux manèges intérieurs, d'un bureau de réception, d'une remise et d'un local à usage de club house, double sellerie, terrasse à l'avant du club-house, le terrain de concours en herbe, la grande carrière de sable à ciel ouvert et les 2/3 du parking attenant ; par ailleurs, les actes indiquent que sa destination est exclusivement prévue à cet usage.

Face à une telle configuration matérielle et affectation, M. [T] ne prouve pas la faisabilité d'une scission différente des ensembles immobiliers, la possibilité juridique d'y appliquer des régimes de location distincts, et la rentabilité alléguée d'un tel montage. Il n'établit pas davantage que la Scea aurait été disposée à scinder différemment les parcelles et notamment à diviser l'ensemble 1 et à limiter à une partie des infrastructures son activité équestre.

Hors de l'hypothèse de la vente, une alternative à la conclusion d'un bail rural, tel qu'il a été en définitive qualifié par le tribunal paritaire des baux ruraux, n'est ainsi pas démontrée.

le projet commun de M. [T] et de la Scea était clairement de procéder à la vente des deux ensembles immobiliers, et non d'envisager leur mise en location au profit de la Scea : seule l'absence de financement accordé à la Scea a finalement conduit les parties à mettre en 'uvre un bail précaire.

alors que le projet de vente visé par l'hypothèse 1 de l'acte sous seing privé du 19 janvier 2010 était l'option privilégiée des parties et que cette vente des deux ensembles n'a pu se réaliser en raison d'un défaut de financement de l'acquéreur pour l'ensemble 1, les parties n'ont pour autant jamais envisagé l'hypothèse d'un crédit-vendeur, étant en outre observé que la mise en vente de ces ensembles par M. [T] était à l'inverse destinée à lui permettre de faire face à ses propres besoins de financement ; l'invocation tardive d'une telle possibilité de financement par le vendeur est purement spéculative.

M. [T] n'allégue pas même qu'un tiers aurait pu acquérir les deux ensembles, au lieu et place de la Scea.

Dans ces conditions, M. [T] n'établit pas l'existence de la perte de chance qu'il invoque.

Le jugement critiqué est par conséquent confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de ce chef.

s'agissant des frais liés aux procédures judiciaires :

Les fautes commises par Mme [F] [A] ont causé les procédures engagées par la Scea à l'encontre de M. [T] et les frais qui y sont liés : la cour adopte d'une part la motivation des premiers juges, qui ont condamné le notaire à payer à son client les sommes de :

2 104,75 euros HT, au titre de l'expertise judiciaire :

1 350 euros HT, au titre des frais de géomètre ;

1 450 euros HT, au titre des honoraires de Me Bué ;

2 236,10 euros HT, au titre des honoraires de Me Bailly

1 129,60 euros HT, au titre des honoraires du conseil technique pour l'évaluation des loyers

et qui ont relevé qu'aucune pièce justificative n'est produite pour établir « les frais d'expertise comptable pour la gestion du litige relatif au bail » et que les dépens de 225 euros correspondant à un timbre dématérialisé n'ont pas vocation à être acquittés par M. [T], dès lors qu'il s'agissait d'une instance sans représentation obligatoire devant la cour.

Il convient d'autre part d'ajouter et de préciser que :

M. [T] établit l'existence et le montant des sommes dont il sollicite la prise en charge par Mme [F] [A] ;

M. [T] dispose de la faculté de changer de conseil librement, sans qu'un telle circonstance lui soit opposable, dès lors qu'une telle démarche ne présente pas d'un caractère abusif ;

les frais de métrage et d'évaluation de la valeur locative résultent directement de la seule instance judiciaire, alors que la nécessité d'y procéder en tout état de cause n'est pas démontrée, notamment en l'absence de certitude qu'un bail rural aurait été conclu entre les parties, alternativement à la conclusion du bail commercial irrégulier.

Le préjudice causé par Mme [F] [A] inclut enfin les frais irrépétibles que M. [T] a supporté devant la 8ème chambre de la cour, sur appel du jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux, soit la somme de 5 000 euros.

Le total de son préjudice s'établit ainsi à 13 270,45 euros, de sorte que le montant fixé par les premiers juges à hauteur de 8 270,45 euros est réformé.

s'agissant du préjudice moral :

L'intervention d'un notaire ayant vocation à sécuriser l'acte conclu, M. [T] a d'une part été privé de la confiance qui s'attache à la fonction d'authentification et de conseil de cet officier ministériel et a subi une procédure judiciaire lui ayant causé pendant des années des désagréments.

Alors qu'il indique d'autre part que le projet avait vocation à lui permettre d'envisager des investissements puis de préparer sa retraite, la remise en cause de l'équilibre que les parties avaient convenu dans l'acte invalidé a causé à M. [T] un préjudice moral qu'il convient de réparer.

Au titre du seul préjudice qu'il a personnellement subi, il convient de condamner à ce titre Mme [F] [A] à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur la résistance abusive :

En application de l'article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu'un préjudice en résulte.

Une défense en justice ne peut, sauf circonstances particulières, constituer un abus de droit dès lors que sa légitimité a été reconnue, au moins partiellement, par la juridiction de premier degré.

En l'espèce, la demande indemnitaire présentée par M. [T] a été largement rejetée par les premiers juges, alors qu'un tel débouté a été confirmé par le présent arrêt.

Dans ces conditions, la résistance de Mme [F] [A] aux demandes formulées par M. [T] n'est pas abusive.

Le jugement ayant débouté M. [T] de sa demande de ce chef est par conséquent confirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

d'autre part, à condamner Mme [F] [A] aux dépens d'appel et à payer à M. [T] une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 25 mai 2021 par tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir à l'encontre de Mme [L] [A] ;

- condamné Mme [F] [A] à payer à M. [T] 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-dit n'y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [F] [A] aux dépens ;

Réforme ledit jugement en ce qu'il a :

- condamné Mme [F] [A] à payer à M. [H] [T] la somme de 8 270,45 euros à titre de dommages-intérêts ;

- rejeté les surplus des demandes indemnitaires de M. [T] ;

Et statuant à nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant :

Déboute M. [H] [T] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de Mme [L] [A] et de la Selarl [A] Notaires ;

Déboute M. [H] [T] de ses demandes principales suivantes à l'encontre de Mme [F] [A] :

* 872 931 euros HT au titre des gains manqués s'analysant en une perte de chance évalué à 99% du montant des loyers non perçus ;

* 800 euros HT au titre des frais d'expertise comptable pour la gestion du litige relatif au bail.

* 20 000 euros au titre de la résistance abusive ;

Condamne Mme [F] [A] à payer à M. [H] [T] les sommes de :

- 13 270,45 euros, à titre de dommages-intérêts correspondant aux frais liés aux instances judiciaires ;

- 3 000 euros, au titre d'un préjudice moral ;

Condamne Mme [F] [A] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [F] [A] à payer à M. [H] [T] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/04184
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;21.04184 ?
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