La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/04/2023 | FRANCE | N°21/02015

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 14 avril 2023, 21/02015


ARRÊT DU

14 Avril 2023







N° 617/23



N° RG 21/02015 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T7OE



MLBR/VM





























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

08 Novembre 2021

(RG F 19/00084 -section 4)



































GROSSE :



Aux avocats



le 14 Avril 2023



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [X] [C]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Florence GALLAND, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



LA MUTUELLE JUST

[Adresse 1]

[Localité 3]

repré...

ARRÊT DU

14 Avril 2023

N° 617/23

N° RG 21/02015 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T7OE

MLBR/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

08 Novembre 2021

(RG F 19/00084 -section 4)

GROSSE :

Aux avocats

le 14 Avril 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [X] [C]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Florence GALLAND, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

LA MUTUELLE JUST

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Julie VALLEZ, avocat au barreau de VALENCIENNES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Cindy LEPERRE

DÉBATS : à l'audience publique du 28 Février 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 07 Février 2023

EXPOSÉ DU LITIGE':

Mme [X] [C] a été embauchée en qualité d'assistante technique juridique par la société mutualiste Mutuelle Just' dans le cadre d'un contrat à durée déterminée du 21 décembre 2005 à effet au 1er janvier 2006.

Les parties ont par la suite conclu un contrat à durée indéterminée à effet au 1er juillet 2006 et Mme [C] a été promue au poste de responsable des ressources humaines et de chargée des affaires juridiques, statut cadre, niveau C1 de la convention collective de la mutualité

Mme [C] a été promue au poste de directrice du service ressources humaines et juridique à compter du 1er janvier 2011 et sa classification est devenue celle de 'cadre dirigeant' coefficient C4 à compter du 1er mars 2012, avec un forfait sans référence horaire et une rémunération annuelle de 66 310,99 euros bruts.

A partir du 1er janvier 2016, la salariée s'est par ailleurs vue confier la responsabilité de la fonction clé de vérification de la conformité.

Mme [C] a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire et s'est vue remettre par voie d'huissier de justice, le 19 février 2018, une convocation à un entretien, préalable à un éventuel licenciement, fixé au 27 février 2018.

Le 9 mars 2018, la société Mutuelle Just' a notifié à Mme [C] son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Dénonçant une situation de harcèlement moral et discriminatoire, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Valenciennes par requête du 5 mars 2019, afin de contester son licenciement et d'obtenir diverses indemnités liées à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.

Par jugement contradictoire du 8 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Valenciennes a':

- débouté Mme [C] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné Mme [C] à payer à la société Mutuelle Just' la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil et l'a condamnée aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 3 décembre 2021, Mme [C] a interjeté appel du jugement rendu en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 2 mars 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [C] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,

A titre principal,

- condamner la société Mutuelle Just' au paiement des sommes suivantes':

*100 000 euros de dommage-intérêts en raison de la nullité du licenciement, le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail n'ayant pas vocation à s'appliquer dans ces circonstances,

*40 000 euros de dommage-intérêts en réparation du préjudice moral résultant de faits de harcèlement moral,

*rappel des salaires à la date du licenciement (apprécié à l'issue du préavis, soit au 9 juin 2018) et la date de la décision à intervenir, sur la base d'un salaire mensuel moyen de 6 377,06 euros bruts ;

A titre subsidiaire,

- condamner la société Mutuelle Just' au paiement des sommes suivantes':

*70 147,66 euros soit 11 mois de salaire brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail,

*40 000 euros de dommage-intérêts en réparation du préjudice moral résultant de faits de harcèlement moral ;

En tout état de cause,

- condamner la société Mutuelle Just' au paiement de la somme de la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice découlant des conditions vexatoires et brutales de la rupture du contrat de travail,

- condamner la société Mutuelle Just' au paiement de':

*52 136 euros bruts à titre de rappel des heures supplémentaires à raison de l'annulation de la clause du contrat de travail la soumettant au statut de cadre dirigeant,

*30 000 euros de dommage-intérêts pour travail dissimulé caractérisé par la dissimulation de la réalisation d'heures supplémentaires,

*38 262,36 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé prévue à l'article L. 8223-1 du code du travail,

- condamner la société Mutuelle Just' au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens,

- dire que ces sommes porteront intérêt à taux légal à compter du dépôt de la requête,

- ordonner l'exécution provisoire conformément aux dispositions du code du travail et la remise de documents conformes.

Dans ses dernières conclusions déposées le 12 avril 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la Mutuelle Just' demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu,

- condamner Mme [C] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- la condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

- sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du même code, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application de l'article L. 1152-3 qui suit, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions susvisées est nulle.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [C] expose que le changement d'attitude du directeur général, M. [M], à son égard est apparu à la suite des tensions liées à sa candidature, non soutenue par son employeur, comme conseillère prud'homale en février 2017 et s'inscrit dans un contexte particulier dans la mesure où elle demeurait le dernier membre de l'ancien comité de direction, les autres ayant été licenciés l'un après l'autres après l'arrivée de M. [M] comme directeur général en 2016.

Pour dénoncer le harcèlement moral qu'elle dit avoir subi à partir de 2017, Mme [C] invoque dans ses conclusions les faits suivants :

- l'exigence de la part du directeur général, M. [M] qu'il lui soit rendu compte de son activité, à l'instar de ses équipes, dans un tableau de suivi découpé par quart d'heure :

Par le courriel du 3 août 2017 émanant de M. [M], Mme [C] établit la matérialité des faits, celui-ci lui transmettant la maquette du suivi d'activité mensuel à mettre en place au sein de son équipe tout en lui demandant aussi 'de le mettre en place à ton niveau', ce tableau consistant en une évaluation du temps consacré chaque jour à chaque tâche, par unité de 15 minutes. L'appelante produit également les tableaux complétés jusqu'en février 2018 ainsi que celui de sa collaboratrice Mme [D].

- l'exigence de son directeur général par courriel du 11 juillet 2017 de lui soumettre toutes les notes de service avant diffusion, puis à compter du 3 août 2017 de les lui faire systématiquement signer :

Ces faits sont matériellement établis, Mme [C] versant aux débats les 2 courriels émanant de M. [M], qui ne font état d'aucune explication quant à ce nouveau processus de validation.

Il sera d'ailleurs relevé que dans la lettre de licenciement, la société Mutuelle Just' fait reproche à Mme [C] d'avoir diffusé plusieurs notes de services en dépit de cette consigne.

- l'exigence à compter de février 2018 de la part de l'intéressé de l'informer de tous ses déplacements extérieurs :

Mme [C] produit le courriel de M. [M] du 6 février 2018 par lequel il lui rappelle ses instructions précédemment données lors d'un comité de direction et d'un entretien personnel de l'informer de ses déplacements extérieurs. L'effectivité de cette consigne est confirmée à travers la lettre de licenciement dans laquelle il est fait reproche à Mme [C] de ne pas l'avoir respecté lors de son déplacement du 6 février 2018.

Les faits allégués sont ainsi matériellement établis.

- une réduction progressive courant 2017 de ses responsabilités, avec notamment le retrait officiel de la supervision du service courrier, de l'intendance et du secrétariat de direction par note diffusée en septembre 2017, sans explication, ni avenant à son contrat de travail, tout en continuant à la solliciter dans ces différents domaines :

Mme [C] établit la matérialité des faits en produisant les courriers du 15 septembre 2017 lui annonçant ainsi qu'à 3 salariés concernés par la réorganisation, sans aucune explication particulière, le rattachement à compter du 1er octobre 2017 des services susvisés d'une part au service Gestion Relation Adhérent (service courrier) et d'autre part à la direction générale (secrétariat de direction et intendance), sa fiche de poste jointe au courrier actualisée au 14 septembre 2017 n'en faisant plus mention.

Elle justifie également avoir continué à être sollicitée en parallèle, notamment le 23 novembre 2017 au sujet de la vente d'un bâtiment à [Localité 5], pour des questions qui relèvent pourtant du service intendance ainsi qu'elle l'a d'ailleurs fait remarquer au directeur général, sans être contestée sur ce point.

Il en a été de même de l'analyse des coûts d'énergie, de la mise à jour des plans d'évacuation des locaux ou de la représentation de la société à l'assemblée générale de copropriété d'une SCI.

L'appelante invoque enfin, en produisant ses arrêts de travail pour syndrome anxieux réactionnel de février et mars 2018 et les attestations de proches, les répercussions de ces agissements sur son état de santé mentale.

A travers les échanges de courriels et de courrier avec son directeur général, il est également matériellement établi que les faits susvisés sont survenus en parallèle au litige les opposant concernant la candidature de Mme [C] pour un mandat de conseiller prud'homale sur la liste de l'UDES (Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire).

Alors que Mme [C] était depuis 2012 cadre dirigeante, et devait de ce fait bénéficier d'une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps ainsi que d'une habilitation à prendre des décisions de façon largement autonome dans ses domaines d'intervention, les faits matériellement établis susvisés, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement, dès lors que, survenus sur une période de quelques mois en parallèle à l'émergence d'un litige entre Mme [C] et son directeur général, ils sont de nature à constituer des remises en cause de sa liberté d'organisation de son activité et de celle de ses services, ainsi que de son habilitation à prendre des décisions, susceptibles d'être ressenties à défaut d'explication comme des mesures de défiance, l'ambiguïté quant au périmètre de ses responsabilités officiellement restreintes depuis le 1er octobre 2017 malgré les sollicitations ultérieures, étant par ailleurs un facteur de déstabilisation, le tout étant de nature à contribuer à la dégradation de ses conditions de travail et de sa santé ainsi qu'à compromettre son avenir professionnel.

Il incombe dès lors à la société Mutuelle Just' de prouver que les agissements dénoncés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A ce titre l'intimée fait d'abord valoir que les tâches que le directeur général a demandées à Mme [C] de piloter, à savoir 'piloter le secrétariat de direction sur l'ordre du jour des CA, représenter le président lors de l'AG de la SCI, gérer la vente d'immeubles appartenant à la mutuelle', relevaient de ses fonctions décrites dans sa fiche de poste, que l'intéressée ne s'est jamais plainte de quelconques pressions de ses supérieurs hiérarchiques, et que toutes les modifications du contrat de travail ont fait l'objet d'un avenant régularisé.

Il sera toutefois observé que l'organigramme figurant dans la fiche de poste datée du 25 janvier 2018 produite par la société Mutuelle Just' (pièce 5-1) pour justifier que les fonctions sont inchangées, et dont il n'est au demeurant pas établi qu'elle a été notifiée à Mme [C], est en contradiction avec l'attestation de Mme [R], responsable Intendance et du secrétariat de Direction, que l'intimée produit aussi aux débats, Mme [R] y confirmant avoir été l'assistante de Mme [C] jusqu'en 2017 puis avoir été rattachée directement à la direction depuis le 1er octobre 2017.

Cette fiche de poste sur laquelle la société Mutuelle Just' s'appuie est également contredite par l'organigramme produit en sa pièce 28-2 qui confirme qu'à tout le moins à partir de novembre 2017 et jusqu'en mars 2018, les services intendance et secrétariat de direction supervisés par Mme [R] étaient directement rattachés à M. [M] et non à Mme [C].

La fiabilité de cette fiche de poste n'est donc pas garantie.

Par ailleurs et surtout, si Mme [C] a continué à exercer certaines tâches relevant desdits services, ce qu'elle ne conteste pas, la société Mutuelle Just' ne donne aucune explication sur les raisons l'ayant alors conduite à retirer à Mme [C] à compter du 1er octobre 2017, la supervision de ces services ainsi que celle du service courrier, et réduire ainsi le personnel mis à sa disposition pour effectuer lesdites missions.

Aucun élément objectif n'est ainsi avancé pour justifier que cette décision est étrangère à une situation de harcèlement.

La société Mutuelle Just' entend par ailleurs justifier des exigences faites à Mme [C] de rendre compte de certaines de ses prérogatives, en invoquant en page 34 de ses conclusions le 'désengagement manifeste' de celle-ci dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, sans se référer à aucun élément objectif circonstancié qui serait contemporain des décisions prises en juillet et août 2017 de faire remplir à Mme [C] un tableau extrêmement détaillé de suivi d'activité et de modifier le processus de validation et signature de toutes les notes de service.

Il en est de même pour la décision prise courant 2017 et rappelée en février 2018 d'informer son directeur général de tous ses déplacements extérieurs.

Il n'est notamment fait état d'aucun écrit, avant la lettre de licenciement, lui reprochant éventuellement son désinvestissement, voire son inertie, dans l'exécution de certaines de ses missions au jour de ces prises de décision, étant rappelé que les courriels portant notification de ces décisions ne contenaient pas d'explication.

La société Mutuelle Just' ne justifie donc pas non plus que ces décisions ont été motivées par des éléments étrangers à une situation de harcèlement moral.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la situation de harcèlement moral dénoncée par Mme [C] est établie, et ce peu importe que celle-ci n'ait pas dénoncé ces faits avant son licenciement, ni fait l'objet d'arrêt de travail du fait de ces agissements, ce qui au demeurant n'était pas des démarches aisées à accomplir au regard de sa position officielle de cadre dirigeant.

Mme [C] reproche à la société Mutuelle Just' d'avoir ainsi failli à son obligation de sécurité de résultat et sollicite le versement d'une somme de 40 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant du harcèlement subi.

L'employeur étant responsable des agissements de ses dirigeants, et la preuve du préjudice moral allégué résultant de la nature même des faits de harcèlement moral, il convient de condamner la société Mutuelle Just' à payer à Mme [C] une somme de 10 000 euros de dommages et intérêts à titre de réparation.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

- sur la remise en cause du statut de cadre dirigeant et les demandes financières subséquentes :

Selon l'article L. 3111-2 du code du travail sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeants, les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Les trois critères fixés par ce texte impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise et il appartient au juge, en cas de litige, de vérifier précisément les conditions réelles d'emploi du salarié concerné.

Il est en l'espèce constant que Mme [C] bénéficiait officiellement du statut de cadre dirigeant depuis l'avenant à son contrat du 3 octobre 2012, avec une rémunération indépendante de tout horaire.

La société Mutuelle Just' prétend que le seul fait que le directeur général ait exigé de Mme [C] à compter d'août 2017 un tableau mensuel d'activité et qu'elle lui soumette pour validation et signation l'ensemble des notes de service avant diffusion, ne saurait avoir remis en cause la large autonomie de l'intéressée dans l'exercice de ses fonction et de la gestion de son temps de travail, rappelant qu'elle détenait encore d'importantes délégations de pouvoir dans le domaine des ressources humaines et qu'elle ne rendait pas compte de ses heures de travail.

Elle affirme par ailleurs qu'elle bénéficiait d'une rémunération parmi les plus élevées des salariés de la société, ce dernier point n'étant au demeurant pas contesté par Mme [C].

Cependant, ainsi que lui oppose à raison Mme [C], l'obligation faite à cette dernière de soumettre pour validation et signature l'ensemble des notes de service constitue une importante remise en cause de son autonomie dans ses domaines d'intervention.

A ce même titre, Mme [C] justifie également que le directeur général a exigé de pouvoir valider les trames d'entretien d'évaluation avant le lancement de la campagne d'entretien, ce qui relève pourtant habituellement de la mission courante d'un directeur des ressources humaines.

S'agissant de l'organisation et de la gestion de son travail, l'appelante produit un courriel de mai 2017 par lequel M. [M] l'a contrainte de reporter à 2018 une formation qui intéressait directement le volet juridique de ses fonctions.

Il a déjà été relevé plus haut qu'au cours de l'année 2017, il exigeait en outre d'être informé de tous ses déplacement extérieurs et lui a demandé à compter d'août 2017 un suivi mensuel de ses activités à travers un tableau décomptant le temps quotidien consacré à chacune des tâches.

La société Mutuelle Just' ne peut sérieusement soutenir que ce suivi mensuel visait uniquement à connaître la charge de travail que représentait chaque domaine d'activité de Mme [C] dès lors que le tableau particulièrement détaillé élaboré par M. [M] exigeait de renseigner le temps consacré à chaque tâche sur chaque jour du mois avec par ailleurs un décompte journalier du temps de travail globalement effectué ainsi que le cumul mensuel, ces deux dernières données permettant aisément de contrôler le temps de travail déclarée par la salariée et ses absences.

Exiger de Mme [C] qu'elle procède de la même manière pour les membres de son équipe, constitue d'ailleurs aussi une remise en cause de son autonomie dans l'organisation de ses services et la répartition des tâches entre ses collaborateurs.

Le 28 août 2017, M. [M] exigeait aussi qu'elle lui transmettre les compte-rendus de l'ensemble des tournées des agences ou échanges avec les différents services qu'elle avait pu effectuer, ce que Mme [C] justifie avoir fait de manière très régulière et détaillée par la suite, ce qui constitue une autre forme de compte-rendu de son activité quotidienne.

La société Mutuelle Just' ne produit d'ailleurs aucun élément pour contredire ces constats et démontrer que Mme [C] aurait dans les faits conservé le pouvoir décisionnel et l'autonomie d'un cadre dirigeant dans la gestion de ses domaines d'activité, et pas simplement ceux dont bénéficie un cadre d'entreprise.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que contrairement à son statut contractuel, Mme [C] s'est vue en réalité retirer à partir de juillet 2017 une grande partie de son autonomie dans l'organisation de son activité et la gestion de son temps de travail, de sorte que les critères posés par l'article L.3111-2 du code du travail n'étaient plus réunis pour lui reconnaître un statut de cadre dirigeant et permettre à la société Mutuelle Just' de s'exonérer des dispositions légales réglementant la durée du travail.

Par voie d'infirmation, il convient de retenir que le statut de cadre dirigeant ne lui était plus opposable à compter de juillet 2017.

Il s'en déduit que Mme [C] est en droit d'obtenir le paiement d'heures supplémentaires dès lors qu'elle apporte des éléments précis sur le dépassement de la durée légale de travail hebdomadaire.

A ce titre, il sera rappelé qu'en vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande de rappel de salaire, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.

Mme [C] produit les tableaux de suivi d'activités mensuels pour les mois d'août 2017 à février 2018 ainsi qu'en sa pièce 55, un décompte établi par ses soins du nombre de jours travaillés chaque mois et le cumul des heures mensuelles ainsi réalisées, pour en déduire le nombre d'heures supplémentaires accomplies chaque mois, sur la base d'un temps complet de 151,67 heures. Elle y détaille également la méthode de calcul de son taux horaire de travail et le chiffrage de sa demande de rappel de salaire de 52 135,51 euros au titre des 3 dernières années.

Cette demande sur 3 ans se basant sur une extrapolation des données intéressant les mois d'août 2017 à février 2018, il sera d'abord relevé qu'en dehors de cette dernière période, Mme [C] ne présente pas d'élément précis pour les mois antérieurs à août 2017.

Contrairement à ce que soutient la société Mutuelle Just', ces éléments sont en revanche suffisamment précis concernant la période août 2017 à février 2018 pour lui permettre d'y répondre par ses propres pièces. Or, elle ne produit aucun élément pour s'opposer au chiffrage avancé par Mme [C] alors pourtant qu'elle a exigé, en la personne de son directeur général, que sa salariée lui rende compte mensuellement de son activité à compter de cette date.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il sera retenu que Mme [C] a accompli des heures supplémentaires entre août 2017 et février 2018 qui justifient le versement d'un rappel de salaire de 9 412,45 euros, congés payés inclus, la méthode de calcul du taux horaire appliquée par Mme [C] ne faisant l'objet d'aucune critique de la part de l'intimée. Le jugement sera infirmé en ce sens.

En revanche, contrairement à ce qui est soutenu par Mme [C], les échanges qu'elle produit en ses pièces 22 et 24, entre elle et M. [K], administrateur, puis entre ce dernier et M. [M], ne suffisent pas à démontrer que les instances dirigeantes de la société Mutuelle Just' lui ont donné le statut de cadre dirigeant pour volontairement échapper au paiement des heures supplémentaires, M. [K] faisant à l'époque valoir pour plaider en faveur du statut de cadre dirigeant qu'il serait conforme au niveau de rémunération et de responsabilité, eu égard également au nombre d'heures de présence importantes le soir et le week-end.

D'ailleurs, Mme [C] ne prétend pas qu'avant 2017 et les faits susvisés, le statut de cadre dirigeant ne correspondait pas aux fonctions effectives qu'elle exerçait.

Il ne se déduit pas non plus des éléments évoqués plus haut que le maintien de ce statut malgré les limitations portées à son autonomie dans l'exercice de ses fonctions a été motivé par une volonté de ne pas déclarer des heures de travail.

Ainsi, à défaut pour Mme [C] de rapporter la preuve de l'intention de la société Mutuelle Just' de dissimuler, par l'attribution du statut de cadre dirigeant, l'exécution d'heures supplémentaires afin de ne pas les déclarer et les rémunérer, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [C] de ses 2 demandes indemnitaires pour travail dissimulé.

- sur le licenciement :

Au visa des articles L. 1132-1 et L. 1121-1 du code du travail, Mme [C] sollicite à titre principal la nullité de son licenciement en raison du caractère discriminatoire de certains griefs allégués et de l'atteinte aussi portée à ses libertés fondamentales que sont le droit au respect de sa vie privée et le droit de se porter candidat à un mandat syndical, mutualiste ou prud'homal, mais également en raison du harcèlement moral.

Elle dénonce par ailleurs son caractère abusif et l'absence de cause réelle et sérieuse, faisant valoir en substance que :

- son employeur a artificiellement prononcé un licenciement pour insuffisance professionnelle alors que les motifs avancés sont en réalité de nature disciplinaire,

- il n'a de ce fait pas respecté la procédure disciplinaire en ce qui concerne l'interdiction d'invoquer des faits fautifs couverts par la prescription de l'article L. 1332-4 du code du travail,

- les faits et manquements visés dans la lettre de licenciement, et qui ne seraient éventuellement pas prescrits, ne sont nullement établis par les pièces adverses,

- certains faits n'étaient en outre plus d'actualité au jour de la procédure de licenciement.

En réponse, la société Mutuelle Just' rappelle en liminaire que Mme [C] s'est vue notifier 'un licenciement pour insuffisance professionnelle et manquement à son obligation de loyauté et de bonne foi contractuelle', pour soutenir que licenciée pour cause réelle et sérieuse, elle ne peut donc se prévaloir des règles de prescription de l'article L. 1332-4 susvisé et demander au juge d'aggraver la qualification de la faute retenue en requalifiant son licenciement en un licenciement disciplinaire.

La société Mutuelle Just' fait valoir en substance qu'il n'est nullement reproché une insubordination ou une faute professionnelle mais des carences dans l'exécution de ses fonctions qui reflètent en réalité une insuffisance professionnelle que les pièces produites suffisent à caractériser.

S'agissant plus particulièrement des motifs de nullité allégués par Mme [C], l'intimée affirme qu'il n'a pas été reproché à cette dernière sa relation sentimentale avec un autre salarié mais simplement le fait d'avoir manqué de loyauté en ne l'en informant pas au moment du licenciement de celui-ci auquel elle a participé, un tel conflit d'intérêt ayant dû l'inciter à se décharger du dossier.

La société Mutuelle Just' précise également qu'elle ne lui a pas fait grief de souhaiter s'investir dans un mandat de conseiller prud'homal, mais de délaisser ses fonctions au profit d'autres engagements plus personnels malgré ses échanges à ce sujet avec le directeur général, désengagement dans le cadre de ses fonctions qui fait écho à son insuffisance professionnelle.

Sur ce,

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

Il appartient au juge qui n'est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits invoqués et reprochés au salarié et de les qualifier puis de décider s'ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l'article L1232-1 du code du travail à la date du licenciement.

Il convient de rappeler que l'insuffisance professionnelle, qui peut constituer une cause sérieuse de licenciement, se manifeste par la difficulté du salarié à exercer correctement sa prestation de travail, quelle que soit sa bonne volonté. Elle doit reposer sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié et des moyens mis à sa disposition pour accomplir sa tâche et il appartient à cet effet à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux de l'insuffisance professionnelle sur laquelle est fondé le licenciement.

Lorsqu'elle est l'expression d'une volonté délibérée de la part d'un salarié pouvant résulter de son caractère récurrent, l'insuffisance professionnelle revêt un caractère fautif.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société Mutuelle Just', un licenciement pour une cause réelle et sérieuse n'est pas exclusif de griefs constitutifs d'une faute disciplinaire, dès qu'elle n'est ni grave, ni lourde, sous condition dans cette hypothèse de respecter la procédure disciplinaire de l'article L. 1332-2 du code du travail, quelle que soit la sanction finalement infligée, et plus précisément les règles de prescription de l'article L.1332-4 du code du travail.

Il sera tout d'abord relevé qu'aux termes de la convocation à l'entretien préalable datée du 19 février 2018, la société Mutuelle Just' a informé Mme [C] qu'elle envisageait à son égard 'une mesure de licenciement pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave', lui confirmant par ailleurs la mesure de mise à pied conservatoire qui lui a été notifiée verbalement le 13 février 2018 et 'qui se poursuivra pendant le temps de la procédure engagée'.

Ainsi que Mme [C] le soutient justement, il résulte des termes mêmes de cette convocation que la société Mutuelle Just' a bien entamé à son encontre une procédure disciplinaire dès lors qu'elle était susceptible d'aboutir à un licenciement pour faute grave et que Mme [C] a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire.

Il ressort d'ailleurs des termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, et des moyens développés par la société Mutuelle Just' dans ses conclusions, que celle-ci n'évoque pas de simples négligences ou difficultés susceptible de caractériser une insuffisance professionnelle non fautive.

Outre des manquements à l'obligation de loyauté et à la bonne foi contractuelle qui sont par nature des fautes, il est reproché en réalité à Mme [C] aux termes de la lettre de licenciement, d'avoir fait preuve d'abstentions volontaires et/ou d'une mauvaise volonté délibérée et récurrente dans l'exécution de ses missions, l'insuffisance professionnelle ainsi reprochée revêtant dès lors un caractère fautif.

En effet, après le rappel des fonctions de Mme [C] et des termes du contrat et des avenants, le lettre de licenciement se poursuit comme suit :

' Nonobstant la clarté de ces stipulations contractuelles et des engagements que vous avez pris, nous avons été amenés à déplorer depuis plusieurs mois un changement notable de comportement de votre part n'hésitant pas à manifester votre divergence de vue s'agissant de l'organisation opérationnelle de la Mutuelle. En outre, nous déplorons de votre part des manquements dans la tenue de votre poste, signe d'un abandon total.'

La société Mutuelle Just' fait ainsi le reproche à Mme [C] d'un désengagement total dans la tenue de son poste, qu'elle illustre par des attitudes de la salariée qu'elle détaille ensuite et à propos desquelles elle insiste sur le caractère volontaire et pour certaines, contraire aux directives données :

- 'vous préférez avoir recours à l'utilisation des mails plutôt que de rencontrer les personnes, et ce malgré plusieurs rappels de la part de votre directeur et du trésorier',

- 'au lieu d'avoir un échange nourri avec les conseillers en agence, vous passez le plus clair de votre temps à y gérer vos mails; vos déplacements en agence n'ayant alors aucun intérêt', en contrevenant ainsi à une directive donnée par le directeur général,

- 's'agissant de votre communication avec les membres du CODIR, là encore force est de constater que vous vous êtes volontairement mis en retrait, n'hésitant pas à communiquer avec les membres uniquement par mail, ce qui empêche toute cohésion d'équipe',

- 'le 29 janvier 2018, lors d'une réunion avec la contrôleuse de gestion, et les autres directeurs, vous avez été en totale opposition avec la procédure d'engagement de dépenses mise en place'

- 'votre positionnement d'opposition frontale aux décisions stratégiques de la Mutuelle n'est pas de nature à justifier votre totale implication dans la bonne marche de notre entreprise mais caractérise tout au contraire un manquement à votre obligation de loyauté envers la Mutuelle',

- non respect des consignes du directeur général concernant notamment la mise en place d'une veille juridique, l'établissement d'une charte commune pour toutes les commissions, la diffusion de notes de service préalablement signées par ses soins, la société Mutuelle Just' estimant sur ce dernier point que cela 'confine à l'insubordination', la mise en place du suivi d'activité des équipes, l'information préalable de tous ses déplacements extérieurs,

- dans le cadre d'un litige avec Mme [L], ancienne salariée protégée, 'lorsque vous avez appris que cette personne était en litige vous n'avez plus rien fait et avez continué à la payer et n'avez pas suivi les recommandations de notre avocat'.

Si la société Mutuelle Just' conclut cette énumération de griefs en indiquant qu'ils 'caractérisent une insuffisance professionnelle de votre part', il résulte des termes utilisés et de la nature des manquements allégués qu'ils relèvent tous soit d'une abstention volontaire et récurrente de la salariée à respecter les consignes données, soit d'un positionnement volontairement opposé à celui défini par le comité de direction, de sorte qu'ils revêtent un caractère fautif et donc disciplinaire.

La société Mutuelle Just' fait par la suite état d'un manquement de Mme [C] à son obligation de loyauté et de bonne foi qui aurait été commis en novembre 2017 à l'occasion de la procédure de licenciement de son conjoint, M. [A], alors directeur financier, ainsi que du non-respect de son obligation de se consacrer exclusivement à la société par sa persistance à vouloir maintenir sa candidature pour un mandat de conseiller prud'homal au sein du collège 'employeur', contre l'avis du directeur général, obligeant celui-ci à intervenir auprès de l'UDES pour annuler cette candidature pendant l'été 2017.

Ces 2 derniers griefs tirés de la violation de l'obligation de loyauté et d'exclusivité sont également par nature disciplinaires.

Il s'en déduit que l'existence de la cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [C] devra s'apprécier d'une part au regard du caractère fautif des manquements allégués, et d'autre part, à l'aune des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du Travail selon lequel ' aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance'.

Les parties s'accordant sur le fait que la procédure de licenciement a été déclenchée par l'envoi de la convocation datée du 19 février 2018 à l'entretien préalable, il convient donc d'abord d'examiner si des fautes ont été commises ou connues de l'employeur après le 19 décembre 2017, à défaut de quoi aucun des griefs antérieurs à cette date ne pourront être retenus, compte tenu de leur caractère prescrit.

Dans sa lettre de licenciement et ses conclusions, la société Mutuelle Just' ne cite comme étant survenus ou connus après le 19 décembre 2017 que les faits suivants :

- le 15 janvier 2018, le directeur général aurait constaté que Mme [C] n'est pas intervenue sur le conflit opposant une salariée, Mme [T], avec Mme [Z], sa responsable hierarchique.

Toutefois, outre le fait que l'intimée ne produit aucun élément concernant l'objet du conflit et les circonstances de la révélation au directeur de la supposée inaction de Mme [C], celle-ci justifie par la production des courriels qu'elle a été saisie par Mme [T] de la situation en même temps que son directeur, soit le 12 janvier 2018 et a immédiatement répondu à la salariée, de sorte qu'aucune inertie fautive n'est établie;

- le 29 janvier 2018, totale opposition de Mme [C] sur la procédure d'engagement des dépenses lors d'une réunion avec la contrôleuse de gestion.

Toutefois, Mme [C] relève à raison que l'intimée ne produit aucune pièce pour établir la réalité de cette opposition supposée fautive, que de surcroît elle conteste, de sorte que ce fait ne peut être retenu.

- diffusion de note de service notamment en 2018 sans la signature du directeur général, malgré les consignes contraires données le 3 août 2017, et non-respect le 6 février 2018 de la directive visant à obligatoirement informer le directeur de ses déplacements extérieurs.

Ces faits ne peuvent être retenus comme fautifs dès lors qu'il a été précédemment retenu que ces directives participaient aux agissements de harcèlement moral subi par Mme [C].

- gestion erronée de la situation de Mme [L].

Aucune pièce n'est produite par la société Mutuelle Just' sur cette situation pour caractériser la faute commise, en dehors du refus de la DIRECTE d'autoriser le licenciement de cette salariée, ce qui est insuffisant à l'établir.

En outre, même si le suivi de cette situation s'est prolongée jusqu'en 2018, il ressort des pièces adverses (113, 114, 115) que d'autres directeurs, dont M. [W], responsable hierarchique de la salariée, et le directeur général, outre le trésorier de la société Mutuelle Just', M. [K], étaient parfaitement informés des analyses et procédures suivies par Mme [C], sans qu'ils n'aient jamais exprimé un quelconque désaccord. Même si la stratégie procédurale adoptée par Mme [C] pour la gestion de l'arrêt maladie de cette salariée et son licenciement n'a finalement pas abouti, il ne s'en déduit pas nécessairement, dans ce contexte et au vu des éléments produits par celle-ci, qu'elle a commis une faute.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'aucun des faits susvisés ne peut fonder le licenciement de Mme [C], à défaut de manquement établi.

S'agissant de la supposée dissimulation du conflit d'intérêt dans le cadre du licenciement de M. [A], conjoint de Mme [C], la société Mutuelle Just' prétend qu'elle ignorait la relation sentimentale entre l'appelante et ce salarié mais elle ne donne aucune précision, ni élément quant à la date à laquelle celle-ci lui aurait été révélée, sachant que Mme [C] produit au contraire l'attestation d'un membre élu du CSE qui certifie que tout le monde, dont la direction de la société, était au courant de leur liaison.

Le licenciement de l'intéressé étant intervenu en novembre 2017, ces faits seront donc retenus comme prescrits au jour du déclenchement de la procédure de licenciement, à défaut pour la société Mutuelle Just' d'établir qu'elle n'en a eu connaissance qu'après le 19 décembre 2017.

Par ailleurs, au vu des dates évoquées dans la lettre de licenciement et les conclusions de l'intimée, tous les autres manquements allégués, y compris celui tiré de sa persistance à maintenir sa candidature comme conseiller prud'homal, ont tous été portés à la connaissance de la société Mutuelle Just' antérieurement au 19 décembre 2017, de sorte que, même à les supposer fautifs, ce qui est contesté par Mme [C], ils ne peuvent à eux seuls fondés son licenciement conformément aux dispositions de l'article L. 1332-4 du code du Travail.

Pour l'ensemble de ces raisons, il apparaît que le licenciement de Mme [C] apparaît dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Mme [C] soutient qu'il est nul pour les motifs rappelés plus haut.

Toutefois le motif discriminatoire lié à sa vie familiale ne peut être retenu dans la mesure où il ressort de la lettre de licenciement que le reproche tenait au fait d'avoir participé à la procédure de licenciement de son conjoint en dissimulant un éventuel conflit d'intérêt. Ainsi, même si ce motif de licenciement n'a finalement pas été retenu, il ne peut pour autant être considéré comme discriminatoire dans la mesure où il ne visait pas sa situation familiale en tant que telle mais un supposé manquement à l'obligation de loyauté dans le cadre de l'instruction de la procédure de licenciement de l'intéressé.

Mme [C] ne peut non plus soutenir que le licenciement constitue une discrimination syndicale dans la mesure où le fait de candidater à un mandat de conseiller prud'homal ne peut être assimilé à l'exercice d'une activité syndicale, sachant en tout état de cause, à supposer cette discrimination présumée par le simple effet de son inscription sur la liste de l'UDES, que le motif retenu par son employeur est étranger à une telle discrimination dès lors que les courriers échangés par les parties montrent que la société Mutuelle Just' avait uniquement pour intention de veiller à ce qu'elle consacre son temps aux activités de la Mutuelle, ce qui pouvait apparaître légitime compte tenu de son statut de cadre dirigeant et de ses fonctions.

Pour l'ensemble de ces raisons, le licenciement ne peut être jugé comme discriminatoire.

Il n'a pas non plus été porté une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales de Mme [C] au sens de l'article 1121-1 du code du travail, dès lors qu'au regard des éventuelles incidences de la relation sentimentale de Mme [C] avec un autre directeur sur l'exercice de ses fonctions et plus précisément sur la gestion du licenciement de ce dernier et de l'existence d'un possible conflit d'intérêt, son employeur a porté une atteinte proportionnée à son droit au respect de la vie privée en l'évoquant dans la lettre de licenciement.

De même, au regard de son statut particulier de cadre dirigeant, de l'importance de ses responsabilités au sein de l'entreprise et de la clause d'exclusivité figurant au contrat, la société Mutuelle Just' n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit d'exercer un mandat prud'homale, en s'y opposant et en lui faisant le reproche dans la lettre de licenciement d'avoir persisté à maintenir sa candidature.

Ces moyens tendant à la nullité du licenciement ne pourront donc être retenus.

En revanche, il a été précédemment retenu qu'aucune cause réelle et sérieuse ne fonde le licenciement, sachant par ailleurs qu'au moins 2 griefs figurant dans la lettre de licenciement étaient directement en lien avec les agissements du directeur général considérés comme ayant participé à la situation de harcèlement moral subi par Mme [C].

Il convient en conséquence, en application de l'article L. 1152-3 du code du travail, de prononcer la nullité du licenciement qui apparaît directement résulté du harcèlement moral dont Mme [C] a été victime.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Mme [C] sollicite une somme de 100 000 euros de dommages et intérêts en raison de la nullité de son licenciement, après avoir rappelé que son salaire mensuel était de 6 377,06 euros et qu'elle avait 12 ans d'ancienneté au moment de la rupture de la relation de travail.

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, ce qui est le cas en l'espèce, a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Aussi, compte tenu des conséquences dommageables que ce licenciement a eu pour Mme [C] alors âgée de 37 ans, celle-ci ne faisant cependant pas état, ni ne justifiant de sa situation professionnelle depuis lors et n'évoquant aucune difficulté particulière dans la recherche d'un emploi, le préjudice en résultant pour l'appelante doit être réparé par une somme de 57 393 euros à titre de dommages-intérêts.

Elle sera en revanche déboutée de sa demande de rappel de salaire à compter du terme du préavis, l'intéressée n'ayant pas demandé à réintégrer l'entreprise et le préjudice tiré de la perte injustifiée de son emploi étant réparé par la somme susvisée.

Mme [C] sollicite également le versement d'une somme de 25 000 euros de dommages et intérêts au regard des circonstances vexatoires et brutales de son licenciement, faisant valoir que la mise à pied à titre conservatoire lui a été notifiée verbalement devant son assistance, la procédure de licenciement ayant été déclenchée sans même tenter de négocier son départ comme cela c'est fait pourtant pour d'autres cadres dirigeants, le fait de lui notifier la convocation à l'entretien préalable par voie d'huissier de justice participant aussi à une volonté de l'humilier.

Compte tenu du niveau de responsabilité et de l'ancienneté de Mme [C] au sein de l'entreprise, la notification de la mise à pied en présence de témoin, ce qui n'est pas contesté par la société Mutuelle Just', et la convocation par voie d'huissier de justice, sans raison annoncée et sans que n'ait été tentée une convocation par lettre recommandée comme le prévoit le texte, suffisent à établir le caractère brutal et vexatoire des conditions du licenciement, Mme [C] justifiant des répercussions immédiates à travers son arrêt de travail au jour de sa mise à pied pour syndrome anxieux réactionnel.

Il convient de réparer le préjudice moral ainsi subi par une somme de 5 000 euros de dommages et intérêts.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Mutuelle Just' devra supporter les dépens de première instance et d'appel. Elle sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est en outre inéquitable de laisser à Mme [C] la charge des frais irrépétibles exposés au cours de l'instance. La société Mutuelle Just' est condamnée à lui payer sur ce même fondement la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en date du 8 novembre 2021 sauf en ce qu'il a débouté Mme [C] de ses demandes indemnitaires pour travail dissimulé et de sa demande de rappel de salaire fondée sur la nullité de son licenciement,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DÉCLARE la clause portant statut de cadre dirigeant inopposable à Mme [C] à partir du mois de juillet 2017 ;

PRONONCE la nullité du licenciement de Mme [C] ;

CONDAMNE la société mutualiste Mutuelle Just' à payer à Mme [C] les sommes suivantes :

- 9 412,45 euros, congés payés inclus, à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires non rémunérées accomplies entre août 2017 et février 2018,

- 10 000 euros de dommages et intérêts en raison du harcèlement moral subi,

- 57 393 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte injustifiée de son emploi,

- 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par les conditions vexatoires et brutales du licenciement ;

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société mutualiste Mutuelle Just' supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE PRÉSIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/02015
Date de la décision : 14/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-14;21.02015 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award