ARRÊT DU
14 Avril 2023
N° 643/23
N° RG 20/02234 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TIYR
MLB / SL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES
en date du
15 Octobre 2020
(RG 19/00317 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 14 Avril 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [S] [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Cedric BLIN, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
S.A.R.L. SITCA LEVAGE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Julie VALLEZ, avocat au barreau de VALENCIENNES
DÉBATS : à l'audience publique du 01 Mars 2023
Tenue par Muriel LE BELLEC
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC conseiller et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08/02/2023
EXPOSE DES FAITS
M. [S] [L], né le 9 avril 1960, a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 octobre 2017 en qualité de grutier polyvalent par la société Sitca Levage, qui applique la convention collective des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à 10 salariés.
Le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie du 16 au 18 janvier 2019.
Il a été convoqué par lettre remise en main propre le 23 janvier 2019 à un entretien le « 29 février 2019 » à 8 heures en vue de son éventuel licenciement. Il a été destinataire le 28 janvier 2019 à 17h32 d'un sms lui indiquant qu'il ne pourrait pas être reçu le lendemain matin comme convenu mais qu'il le serait après sa journée de travail. L'entretien s'est tenu le 29 janvier 2019 et son licenciement pour faute grave a été notifié à M. [L] par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 février 2019.
Les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre sont les suivants :
« Nous vous avons convoqué à un entretien dans nos bureaux, le 29 janvier 2019, afin de vous exposer nos remarques et entendre vos explications au sujet de votre comportement de ces derniers mois.
Suite à cet entretien, nous avons estimé que vos explications n'atténuaient en rien notre regard sur la gravité des faits reprochés, nous avons donc pris la décision de vous licencier pour faute grave pour les motifs suivants :
- Refus répétés de prise de jours de repos
A plusieurs reprises, vous avez eu instruction de l'exploitation de ne pas vous présenter à l'entreprise le lendemain ; de votre propre chef, vous vous êtes quand même présenté le lendemain, sans travail à effectuer, et vous avez pointé vos heures comme travaillées.
- Comportement désinvolte et insubordination envers la direction
A plusieurs reprises et encore très récemment, vous avez contesté les nouvelles mesures d'organisation prises par la direction et vous persistez à contredire votre direction devant les autres salariés de la société marquant ainsi une insubordination manifeste devant témoins.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise n'est pas possible.»
Par lettre du 8 février 2019, M. [L] a contesté son licenciement et réclamé des précisions sur les motifs de son licenciement. La société Sitca Levage ne lui a pas répondu.
Par requête reçue le 14 octobre 2019, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Valenciennes pour obtenir un rappel de salaire pour l'entretien et faire constater l'illégitimité et l'irrégularité de son licenciement.
Par jugement en date du 15 octobre 2020 le conseil de prud'hommes a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société Sitca Levage à payer à M. [L] :
13,50 euros à titre de rappel de salaire pour l'entretien
1,35 euros au titre des congés payés y afférents
2 755,02 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
275,50 euros au titre des congés payés y afférents
918,33 euros à titre d'indemnité de licenciement
300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a débouté M. [L] du surplus de ses demandes, la société Sitca Levage de ses demandes reconventionnelles et condamné la société Sitca Levage aux dépens.
Le 11 novembre 2020, M. [L] a interjeté appel de ce jugement.
Par ses conclusions reçues le 15 avril 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [L] sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement sur l'indemnité de licenciement, le préavis et le rappel de salaire pour l'entretien, le rejet des demandes reconventionnelles de la société Sitca Levage et les dépens, qu'elle l'infirme en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et l'a débouté du surplus de ses demandes et, statuant à nouveau, qu'elle dise que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et la procédure de licenciement irrégulière et condamne la société aux sommes de :
5 510,04 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
2 755,02 euros à titre d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement
3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant le conseil de prud'hommes.
Il demande également que la société Sitca Levage soit déboutée de son appel incident et le cas échéant, à titre subsidiaire, la confirmation du jugement ayant requalifié son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société Sitca Levage au titre de l'indemnité de licenciement, du préavis et du rappel de salaire pour l'entretien.
Il demande en toute hypothèse la condamnation de la société Sitca Levage à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 30 avril 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Sitca Levage sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse, statuant à nouveau qu'elle dise justifié le licenciement pour faute grave, déboute M. [L] de l'ensemble de ses demandes, confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [L] de ses demandes indemnitaires au titre de l'irrégularité de procédure et du licenciement sans cause réelle et sérieuse et le condamne à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 8 février 2023.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le rappel de salaire pour l'entretien
La société Sitca Levage indique dans ses conclusions que la convocation en dehors du temps de travail ne constitue pas une irrégularité et que le temps passé à l'entretien préalable a été payé au salarié comme temps de travail.
M. [L] souligne que l'employeur n'a pas voulu fixer l'entretien durant ses heures de travail mais « après sa journée de travail ».
Il résulte du sms adressé à M. [L] le 28 janvier 2019 que l'entretien préalable s'est tenu après la journée de travail du salarié. L'employeur ne vise aucune pièce à l'appui de son affirmation selon laquelle le temps passé à l'entretien préalable a été payé au salarié comme temps de travail. Les bulletins de salaire de janvier et février 2019 ne comportent aucune mention permettant d'identifier un tel paiement. Le relevé des heures / tableau des indemnités de trajet de janvier 2019 fait état pour la journée du 29 janvier de seulement sept heures de travail prestées, ce dont il se déduit que le temps consacré à l'entretien préalable n'a pas été pris en compte.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a accordé au salarié la rémunération d'une heure au titre de l'entretien préalable.
Sur le licenciement
En application des articles L.1232-6 et L.1234-1 du code du travail, la lettre de licenciement, qui est motivée par le fait pour M. [L] d'avoir refusé de façon répétée de prendre les jours de repos fixés pour le lendemain en se présentant quand même à l'entreprise et en pointant ses heures comme travaillées et d'avoir contesté à plusieurs reprises et encore très récemment les nouvelles mesures d'organisation prises par la direction en la contredisant devant les autres salariés de la société, fait état de faits précis et matériellement vérifiables et est suffisamment motivée, quand bien même les faits ne sont pas datés et les mesures d'organisation contestées non précisées.
Il incombe à la société Sitca Levage de rapporter la preuve de la faute grave invoquée à l'appui du licenciement de M. [L].
En vue de caractériser les deux griefs, la société Sitca Levage se prévaut uniquement dans ses conclusions des attestations de M. [E], responsable manutention, et de M. [O], responsable d'exploitation.
Le premier indique : « Tout s'est à peu près bien passé les premiers mois. Ensuite les discussions autour de son temps de travail qu'il jugeait trop faible, des jours de repos qu'il refusait de prendre au motif qu'on lui devait du travail tous les jours ce à quoi on lui expliquait qu'on lui donnait du travail à hauteur de nos obligations, mais cela ne lui convenait pas. De fil en aiguille les discussions devenaient difficiles, notre collaboration se dégradait et le ton montait chaque fois qu'il passait au bureau. Il n'en faisait qu'à sa tête et contredisait toutes nos demandes. »
Le second déclare : « J'ai été très souvent confronté aux contestations de M. [L] concernant la prise de jour de repos. Il avait du mal à comprendre que l'activité de grutier comporte une part d'aléas sur les horaires et jours de travail ; pourtant il avait bien intégré l'entreprise en sachant qu'il était le premier salarié, que nous lancions une activité sans clients historique, sans contrat annuel etc... que nous comptions prendre notre place sur le marché du levage en répondant d'abord aux dépannages et aux urgences. Nous avons toujours respecté le temps de travail minimum obligatoire, en incluant à l'occasion des journées de repos. Ceci ne lui plaisait pas et faisant constamment l'objet de discussions conflictuelles. »
La société produit également des rapports hebdomadaires d'activité signés par M. [L] et des tableaux des indemnités de trajet, ainsi que les plannings de septembre à novembre 2018.
Il en ressort que les jours de repos litigieux fixés par l'employeur concernent les journées des 2, 15 et 16 novembre 2018, des 24 et 31 décembre 2018 et des 1er et 5 février 2019. M. [L] a mentionné sur ses rapports d'activité pour chacune des journées concernées de novembre et décembre 2018 qu'il avait reçu l'ordre de rester chez lui « imposer d'office par la direction » et pour les journées concernées de février 2019 : « pas de travail je reste chez moi ».
Sur le planning de novembre 2018, l'employeur a noté au titre des journées des 2, 15 et 16 novembre que M. [L] « est resté chez lui ». Les plannings des mois suivants ne sont pas produits.
Sont également versés aux débats deux courriels signifiant à M. [L] qu'il était en repos le lendemain, adressés l'un le 14 novembre 2018 à 17h25 pour le lendemain, l'autre, sur demande de confirmation de M. [L], le 15 novembre 2018 à 17h50 pour la journée du lendemain.
M. [L] conteste toute faute. Il expose qu'il n'a jamais refusé de prendre des repos mais souligne qu'il n'existait aucun délai de prévenance ni aucune discussion, qu'il était constamment obligé d'attendre des nouvelles de son employeur du jour au lendemain pour savoir s'il devait travailler ou non et qu'il avait uniquement peur de se voir reprocher une absence car il était loin d'atteindre les 35 heures normalement travaillées. Il explique être resté chez lui sur ordre de son employeur les jours ci-dessus indiqués, outre le 30 janvier 2019, qui apparaît pourtant travaillé selon les documents produits. Il fait observer que l'employeur a l'obligation de fournir le travail convenu, qu'il demandait uniquement de pouvoir travailler ou, a minima, de disposer d'un ordre écrit de sa hiérarchie le dispensant de son obligation à son égard.
Le refus de M. [L] de prendre, par sa prétendue venue à l'entreprise, les jours de repos fixés par son employeur lorsque celui-ci n'était pas en mesure de lui fournir du travail n'est pas caractérisé au vu des mentions apposées par le salarié sur ses rapports d'activité qu'il était resté chez lui et des mentions apposées par l'employeur sur le planning de novembre 2018 que le salarié était resté chez lui. De plus, à supposer que M. [L] se soit néanmoins présenté au bureau les jours de repos fixés ou bien certains de ces jours, les éléments produits laissant planer beaucoup d'incertitude sur ce point, ces venues ne présenteraient aucun caractère fautif, l'appelant faisant justement observer que l'employeur n'a pas fourni d'instruction écrite sur chacune des journées concernées, ce qui pouvait être source d'ambiguïté sur ce qui était attendu de lui et d'inquiétude sur les absences qui pourraient éventuellement lui être reprochées.
L'affirmation dans la lettre de licenciement que M. [L] pointait ses heures de repos comme travaillées est inexacte au vu des rapports d'activité signés par le salarié pour les journées des 2, 15 et 16 novembre 2018. Elle est exacte mais sans portée pour les journées des 24 et 31 décembre 2018 et des 1er et 5 février 2019, pour lesquelles le salarié a indiqué sept heures de travail, puisque la société Sitca Levage précise dans ses conclusions et a indiqué au conseillers prud'homaux, selon les mentions du jugement, que la rémunération était bien maintenue lors des dispenses d'activité.
Il n'est pas allégué d'autres mesures d'organisation contestées par M. [L] que celles relatives à la fixation de jours de dispense d'activité. La circonstance que ces mesures aient donné lieu à des vives discussions, dont la teneur n'est pas précisée par les attestations produites par l'employeur, alors que M. [L] explique qu'il était prévenu au dernier moment et demandait uniquement de pouvoir travailler ou de disposer d'un ordre écrit de sa hiérarchie le dispensant de son obligation à son égard, ne présente pas de caractère fautif, en l'absence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs établis de nature à caractériser un abus de la liberté d'expression du salarié.
Il résulte de ce qui précède que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, étant observé que le salarié ne tire aucune conséquence juridique de son affirmation que le licenciement serait en réalité une mesure de rétorsion consécutive à son arrêt maladie.
Il n'existe aucune contestation sur les montants de l'indemnité compensatrice de préavis d'un mois de salaire, des congés payés afférents et de l'indemnité de licenciement dont l'intimée ne conteste que le principe.
En considération de l'ancienneté du salarié, de sa rémunération brute mensuelle, de son âge de 58 ans lors de la rupture du contrat de travail obérant sa capacité à retrouver un nouvel emploi et des justificatifs de ce qu'il est effectivement resté sans emploi jusqu'au 1er mai 2021, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite, il convient de lui allouer la somme de 5 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail.
En application de l'article L.1235-2 du code du travail, en l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, M. [L] ne peut prétendre à une indemnité distincte pour licenciement irrégulier.
Sur les autres demandes
Il convient de confirmer le jugement du chef de ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Sitca Levage à verser à M. [L] la somme complémentaire de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse et débouté M. [S] [L] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau de ces chefs :
Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamne la société Sitca Levage à verser à M. [S] [L] la somme de 5 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Confirme le jugement pour le surplus.
Condamne la société Sitca Levage à verser à M. [S] [L] la somme complémentaire de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Condamne la société Sitca Levage aux dépens.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
pour le président empêché
Muriel LE BELLEC