ARRÊT DU
14 Avril 2023
N° 640/23
N° RG 20/00974 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S5GG
MLB/AA
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Roubaix
en date du
23 Janvier 2020
(RG 18/00242 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 14 Avril 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [C] [V]
[Adresse 1]
[Localité 6]
assisté de Me Pauline BROCART, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉES :
SARL FOCREA en liquidation judiciaire
S.C.P. BTSG , prise en la personne de Maître [B] [P], és qualité de liquidateur judiciaire de la SARL FOCREA
[Adresse 2]
[Localité 5]
UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentés par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI substitué par Me Cecile HULEUX, avocat au barreau de DOUAI
DÉBATS : à l'audience publique du 01 Mars 2023
Tenue par Muriel LE BELLEC
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
ARRÊT : contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par [N] [K], Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 22/02/2023
EXPOSE DES FAITS
La société Focrea, immatriculée au RCS le 21 septembre 2017, a exploité à compter de décembre 2017 un magasin d'optique à [Localité 7], sous l'enseigne Optique Lafayette, dans le cadre d'un contrat d'affiliation avec la société Lafayette Conseil.
Prétendant avoir été salarié de la société Focrea du 3 octobre 2017 au 17 novembre 2017, M. [C] [V], né le 17 novembre 1967, a saisi le 10 octobre 2018 le conseil de prud'hommes de Roubaix pour obtenir un rappel de salaire, les indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse et travail dissimulé.
Par jugement en date du 23 janvier 2020 le conseil de prud'hommes a débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes, l'a condamné à payer la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a dit que chacune des parties supportera ses propres dépens.
Le 19 février 2020, M.[V] a interjeté appel de ce jugement.
Par jugement en date du 25 mai 2022, le tribunal de commerce de Lille Métropole a prononcé la liquidation judiciaire de la société Focrea.
Par ses conclusions reçues le 9 février 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [V] sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement entrepris, juge que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, que le licenciement est irrégulier et fixe sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société aux sommes de :
5 400 euros brut à titre de rappel de salaire du 3 octobre au 17 novembre 2017
540 euros brut au titre des congés payés y afférents
10 800 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis
1 080 euros brut au titre des congés payés y afférents
622,91 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés
3 600 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
3 600 euros net à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier
21 600 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
Il demande également qu'il soit ordonné à Maître [P], liquidateur judiciaire de la société Focrea, de lui remettre les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire d'octobre et novembre 2017, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter du « jugement » à intervenir, et pour une durée de 15 jours, après quoi il sera de nouveau statué s'il échet, le conseil de prud'hommes de Roubaix se réservant la compétence de liquider l'astreinte, la condamnation du CGEA au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, que les sommes dues portent intérêts à compter du jour de la demande et la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
Par ses conclusions reçues le 16 décembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, le liquidateur judiciaire de la société Focrea sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement en toutes ses dispositions, déboute M. [V] de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire si elle estimait que M. [V] a la qualité de salarié, qu'elle juge que le salaire mensuel brut auquel il peut prétendre s'élève à la somme de 2 700 euros, réduise par conséquent le quantum du rappel de salaire et des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés à de plus justes proportions, déboute M. [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour licenciement irrégulier, faute de justifier d'un préjudice subi et, à titre infiniment subsidiaire, ramène le quantum à de plus justes proportions, déboute M. [V] de sa demande d'indemnité au titre du travail dissimulé faute de justifier du caractère intentionnel de la dissimulation et, en toute hypothèse, condamne M. [V] à verser à la SCP BTSG² la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 16 décembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, l'Unédic délégation AGS CGEA de Lille sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement dans toutes ses dispositions et déboute M. [V] de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire si elle jugeait que M. [V] a la qualité de salarié, qu'elle juge que le salaire mensuel brut auquel il peut prétendre s'élève à la somme de 2 700 euros, réduise par conséquent le quantum du rappel de salaire et des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés à de plus justes proportions, déboute M. [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour licenciement irrégulier, faute de justifier d'un préjudice subi et, à titre infiniment subsidiaire, ramène le quantum à de plus justes proportions, déboute M. [V] de sa demande d'indemnité au titre du travail dissimulé faute de justifier du caractère intentionnel de la dissimulation et, en toute hypothèse, juge que l'AGS ne garantit pas l'astreinte éventuellement ordonnée, dise que l'arrêt ne sera opposable à l'AGS que dans la limite de sa garantie légale fixée par les articles L.3253-6 et suivants du code du travail et des plafonds prévus à l'article D.3253-5 du code du travail, toutes créances confondues, et juge que l'obligation du CGEA ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire, conformément à l'article L.3253-20 du code du travail.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 22 février 2023.
MOTIFS DE L'ARRET
En application de l'article L.1221-1 du code du travail, le contrat de travail suppose l'existence entre les parties d'un lien de subordination qui est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
M. [V] expose que la société Focrea recherchait un directeur de magasin en vue de l'ouverture de trois nouveaux magasins, dont un à [Localité 7], qu'il a rencontré les deux associés (Messieurs [T] et [F]) qui lui ont indiqué que la signature du contrat de travail ne se ferait qu'à l'ouverture du magasin prévue courant décembre 2017, que son salaire a été fixé initialement à 3 600 euros brut et devait augmenter avec l'ouverture des autres magasins, qu'il lui a été demandé de préparer l'ouverture du magasin de [Localité 7] et de faire les démarches nécessaires, ce qu'il a fait à compter du 3 octobre 2017, jusqu'à ce que la société Focrea lui annonce oralement le 17 novembre 2017 qu'elle ne souhaitait plus poursuivre la relation de travail.
En vue de démontrer l'existence d'un contrat de travail du 3 octobre 2017 au 17 novembre 2017, l'appelant produit :
- le RIB de la société Focrea en sa possession,
- ses notes manuscrites portant notamment sur les démarches faites et à faire, les contacts pris avec l'ARS, la CPAM, les fournisseurs,
- le plan du magasin et de la disposition des produits,
- un échange de mails des 26 et 27 octobre 2017 avec Mme [U], animatrice réseau optique de la société Lafayette Conseil, pour leur rendez-vous du 2 novembre,
- un échange de mails du 25 octobre 2017 avec Mme [O] de la société Lafayette Conseil pour leur rendez-vous du lundi suivant avec les deux associés de la société Focrea,
- des échanges de mails avec M. [T], gérant associé de la société Focrea, et Mme [U] et Mme [O], en date des 2 et 3 novembre 2017 sur le matériel informatique nécessaire pour le magasin de Marcq et les devis à réaliser pour le choix du prestataire informatique,
- des échanges de mails avec M. [T] entre les 18 et 25 octobre 2017 par lesquels M. [V] indique à M. [T] que « kbis et rib ok », qu'il lui manque l'adresse exacte pour Marcq pour faire la « demande num finess et carte cps » et demande à M. [T] si c'est « ok pour [lui] », ce à quoi M. [T] lui répond que la signature du bail a été reportée et lui propose d'utiliser l'adresse du centre commercial de Marcq pour obtenir le finess et la cps,
- un mail adressé à M. [T] le 31 octobre 2017 par lequel M. [V] lui indique avoir déposé la veille le RIB, Kbis, attestation ARS et le numéro Adeli,
- ses échanges de mail avec le service relations avec les professionnels de santé de la caisse primaire d'assurance maladie le 31 octobre 2017 et sa transmission à M. [T] le même jour des documents à compléter pour la caisse,
- un mail de M. [T] du 2 novembre 2017 lui demandant qu'ils se voient « afin de remplir ensemble les documents exigés par la CPAM », M. [T] expliquant ne pas maitriser tous les aspects techniques,
- le formulaire de la CPAM d'adhésion à la convention nationale optique complété le 4 novembre 2017 et signé par M. [T],
- le mail adressé à M. [T] le 2 novembre 2017 pour lui demander la transmission du numéro CDO et finess afin de commencer les achats en collaboration avec Mme [U] et les demandes de tiers payant au niveau des mutuelles,
- le mail adressé à Mme [U] le 4 novembre 2017 par lequel M. [V] lui indique avoir reçu le CDO et le mot de passe et lui demande le nombre de montures optique et solaire à commander en précisant qu'il a rendez-vous avec M. [T] ce jour pour la visite du local et les questions administratives,
- le mail que lui a adressé un fournisseur avec un devis le 10 novembre 2017 et qu'il transfère aussitôt à M. [T] pour validation,
- plusieurs factures fournisseurs adressées à partir de janvier 2017 non seulement à l'adresse électronique du magasin mais également à la sienne,
- le mail qu'il adresse à M. [T] le 8 novembre 2017 pour organiser une rencontre avec le prénommé [Z].
Le liquidateur judiciaire et l'Unédic exposent que les associés de la société Focrea, tous deux pharmaciens, alors que la profession d'opticiens est réglementée, ont décidé d'exploiter le fonds de commerce dans le cadre du réseau géré par la société Lafayette Conseil, qu'ils étaient à la recherche d'un opticien diplômé pour assurer la fonction de directeur de magasin, que M. [V] a rencontré Mme [O] de la société Lafayette Conseil puis M. [T] le 3 octobre 2017, que dès l'origine M. [V] a été informé que son contrat de travail ne serait signé qu'au début du mois de décembre, qu'il a pris l'initiative de demander des informations pour commencer quelques démarches administratives alors que la société Focrea ne lui avait rien demandé et qu'il n'avait reçu aucune directive, que les seules démarches prises à l'initiative de M. [V] portées à la connaissance de M. [T] ont pour objet l'obtention d'un numéro finess (fichier national des établissements sanitaires et sociaux) et d'une carte CPS (carte professionnel de santé) pour le magasin de [Localité 7] auprès de la CPAM, qu'il apparaît que c'est M. [V] qui donne des directives à M. [T] quand il lui demande de compléter les documents pour la CPAM, et non l'inverse, qu'il n'a jamais été demandé à M. [V] d'entrer en contact avec les fournisseurs, de solliciter des devis, de signer des commandes de produits, de s'occuper de l'agencement de la boutique, de procéder au recrutement des salariés et de réaliser des études de marché, que ces différentes fonctions sont prévues au contrat d'affiliation au profit de la société Lafayette Conseil, que la seule démarche dont M. [V] a pris l'initiative et que M. [T] a acceptée et celle en vue d'obtenir le numéro finess et la carte CPS, que les quelques démarches que M. [V] a proposé de commencer ne constituent en rien l'exécution du contrat de travail d'un directeur de magasin d'optique, qu'entreprendre quelques démarches ne constituent pas un travail, que c'est M. [V] qui a proposé de demander un devis informatique, que M. [T] lui a répondu qu'il pouvait le faire et non pas qu'il devait le faire, que la plupart des échanges de mails ont eu lieu directement entre M. [V] et la société Lafayette Conseil, qu'il n'y a rien de fautif et d'illogique que de faire visiter un local et d'évoquer des démarches administratives lorsqu'on est pressenti pour un emploi, qu'il n'a jamais été demandé à M. [V] de recruter des collaborateurs et de réaliser une étude de marché chez les concurrents, que les factures produites sont postérieures à la « relation » et sont des commandes passées par le directeur embauché en décembre 2017, que la copie de l'agenda manuscrit et non daté de M. [V] produite en cause d'appel est dépourvue de valeur, que les parties ne s'étaient pas accordées sur le montant de la rémunération, que le salaire initialement envisagé était de 2 700 euros brut, que M. [V] ne justifie pas avoir interrogé la société Focrea sur le non paiement de son salaire fin octobre, qu'il n'apporte aucune précision sur le nombre d'heures travaillées, que seule une promesse d'offre d'emploi devant se concrétiser en décembre 2017 avec l'ouverture du magasin a été faite à l'appelant, que la société Focrea qui venait de s'inscrire au registre du commerce avait la volonté de ne s'engager qu'au moment où elle disposerait de toutes les informations utiles et d'un bail commercial signé lui permettant l'ouverture du fonds de commerce, qu'il n'y a aucun élément démontrant un début d'activité de M. [V] le 3 octobre 2017.
Les intimés produisent, outre quelques mails déjà détaillés ci-dessus, le mail du 27 septembre 2017 par lequel M. [T] a indiqué à M. [V], après que ce dernier a rencontré Mme [O], vouloir le rencontrer pour discuter du poste proposé de directeur de magasin, le curriculum vitae de M. [V], les mails échangés pour la fixation d'un rendez-vous le 3 octobre 2017, le contrat d'affiliation signé le 12 octobre 2017 avec la société Lafayette Conseil, le mail de M. [V] du 30 octobre 2017 indiquant à M. [T] qu'il a vu Mme [O] qui l'a informé que son « contrat sera début décembre Ok pour moi », le mail de Mme [O] transmettant aux associés de la société Focrea le 19 novembre 2017 « les CV des deux candidats [qu'elle a] retenus », le formulaire complété à nouveau avec la caisse primaire d'assurance maladie le 14 décembre 2017.
L'ouverture d'un magasin d'optiques impliquait nécessairement la mise en 'uvre de démarches administratives et commerciales préalables. Il ressort des pièces ci-dessus que M. [C] [V] a incontestablement participé à ces démarches auprès notamment de la CPAM et des fournisseurs, en relations étroites avec les associés de la société Focrea et les représentants de la société Lafayette Conseil avec qui il échangeait par mails et aux rencontres desquels il participait.
L'examen du contrat d'affiliation entre la société Focrea et la société Lafayette Conseil montre que la seconde s'engageait à proposer à la société Focrea les offres et produits des fournisseurs avec lesquelles elle négociait mais que, contrairement à ce qu'indiquent les intimés, il appartenait à la société Focrea de s'approvisionner directement auprès desdits fournisseurs. Les seules démarches dont il est justifié en la matière émanent non pas du gérant de la société Focrea mais de M. [V]. Par ailleurs, la société Focrea proposait son assistance et ses services à la société Focrea « sur simple demande » dans le domaine de l'implantation du concept Lafayette, le domaine administratif et de gestion, en matière commerciale et de management, mais il n'était pas prévu qu'en dehors d'une telle demande, la société Lafayette Conseil se charge des démarches avec la caisse primaire d'assurance maladie, l'ARS, les mutuelles, les prestataires. Au demeurant, les seules démarches justifiées vis-à-vis de la caisse primaire d'assurance maladie émanent de M. [V].
M. [T] a régulièrement été tenu informé des démarches de M. [V], dont les intimés reconnaissent qu'il devait bénéficier de la signature d'un contrat de travail au début du mois de décembre 2017. Les pièces ci-dessus montrent en effet que M. [T] n'a pas eu connaissance que des démarches faites par M. [V] pour l'obtention d'un numéro finess et d'une carte CPS mais également qu'il a été informé de ses démarches en vue de rechercher un prestataire informatique (mail du 2 novembre 2017), en vue de débuter les achats et les demandes de tiers payant au niveau des mutuelles (mail du 2 novembre 2017), en vue d'obtenir des devis (mail du 10 novembre 2017).
Ainsi que le souligne l'appelant, le gérant de la société Focrea n'a à aucun moment manifesté sa surprise à l'égard de ce que les intimés qualifient de simples initiatives de M. [V] ni ne lui a demandé de cesser ses diverses démarches préparatoires à l'ouverture du magasin. Ces démarches n'ont d'ailleurs été rendues possibles qu'en raison de la remise à M. [V] par la société Focrea d'un certains nombre d'éléments, tels que le RIB, le Kbis de la société, le CDO, l'adresse, le plan et le facing du magasin, ainsi que la demande d'adhésion à la convention nationale optique signée par M. [T] le
4 novembre 2017.
De plus, il résulte des éléments ci-dessus que M. [T] a lui-même sollicité M. [V] à plusieurs reprises, particulièrement pour qu'il fasse établir un devis informatique en vue qu'ils puissent comparer et prendre l'option la plus économique (mail du 2 novembre 2017) et pour qu'ils se rencontrent pour remplir ensemble les documents exigés par la CPAM (mail du 2 novembre 2017).
La transmission par la société Focrea d'éléments et de documents permettant à M. [V] de faire des démarches en vue de l'ouverture du magasin, l'absence d'étonnement vis-à-vis des démarches effectuées, dont M. [V] rendait compte à la société Focrea au fur et à mesure, et les sollicitations qui lui ont été adressées montrent qu'il exerçait déjà ses fonctions de directeur du magasin à ouvrir dans le cadre fixé par la société Focrea et sous sa subordination, quand bien même il n'avait été envisagé de ne régulariser un contrat de travail par écrit qu'à compter de l'ouverture du magasin.
M. [V] et la société Focrea étaient donc bien liés par un contrat de travail. En revanche, les intimés font justement valoir que la date du 3 octobre 2017 correspond à la date de la première rencontre de M. [C] [V] et des associés de la société Focrea et qu'il n'est pas justifié que M. [V] a commencé son activité pour la société Focrea à compter de ce jour. Le début d'activité de M. [V] pour la société Focrea doit être fixé au 18 octobre 2017, date à laquelle M. [T] lui a transmis les documents nécessaires pour qu'il fasse la demande de numéro finess et de carte CPS.
M. [V] prétend que le salaire convenu était de 2 700 euros net (3 600 euros brut) mais n'en justifie pas, tandis que le prévisionnel produit par les intimés mentionne un salaire brut mensuel de 2 700 euros brut pour le directeur. Ce montant sera retenu comme ayant été celui sur lequel la société Focrea s'était engagée.
Il résulte des conclusions concordantes des parties que la société Focrea a mis fin verbalement à la relation entre les parties le 17 novembre 2017, ce qui résulte du mail de protestation adressé par M. [V] à M. [T] ce jour. Ce n'est que le lendemain que M. [T] a exposé à M. [C] [V] par mail les raisons pour lesquelles sa « candidature » n'était pas retenue, en se référant à son activité professionnelle passée.
La relation de travail ayant d'ores et déjà débuté, cette éviction verbale constitue un licenciement qui est nécessairement privé de cause réelle et sérieuse pour ne pas satisfaire à l'exigence légale de motivation prévue par l'article L.1232-6 du code du travail.
Le rappel de salaire dû à M. [V] s'élève pour un mois d'activité à 2 700 euros brut et les congés payés afférents à 270 euros.
Le poste de directeur d'établissement relevait selon l'annexe classification attachée à la convention collective de l'optique-lunetterie de détail du statut cadre. Par conséquent, M. [V] avait droit à un préavis de trois mois en application de l'article 12 de la convention collective, soit 8 100 euros, outre les congés payés afférents pour 810 euros.
Compte tenu du montant du salaire et de la période travaillée, l'indemnité compensatrice de congés payés s'élève, en reprenant la méthode de calcul de M. [V], à la somme de 311,53 euros.
Compte tenu de ce que l'entreprise employait habituellement moins de onze salariés, de l'ancienneté de M. [V] et de sa capacité à retrouver un emploi, il convient de fixer à 500 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail.
En application de l'article L.1235-2 du code du travail, en l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, M. [V] ne peut prétendre à une indemnité distincte pour licenciement irrégulier.
En application de l'article L.8221-5 du code du travail, l'intention de la société Focrea de dissimuler l'activité du salarié se déduit de l'emploi de M. [V] pour les travaux et formalités préparatoires à l'ouverture du magasin d'optique sans accomplir la formalité de déclaration préalable à l'embauche ni délivrer un bulletin de salaire mentionnant les heures de travail effectuées et de sa décision assumée de ne signer un contrat de travail et de ne régulariser la situation qu'à l'ouverture du magasin en décembre 2017. En application de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié a droit au paiement d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, soit 16 200 euros.
Il sera ordonné au liquidateur judiciaire de la société Focrea de remettre à M. [V] le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi et les bulletins de salaire d'octobre et novembre 2017, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les sommes de nature salariale portent intérêts de retard au taux légal à compter du jour de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière et précision faite que le jugement d'ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts, conformément aux articles L.622-28, L.631-14 et L.641-3 du code de commerce.
L'Unedic devra procéder aux avances dans les limites de sa garantie et des plafonds résultant des articles L.3253-8, L.3253-15 à L.3253-17 du code du travail et dans les conditions prévues par les articles L.3253-19 à L.3253-21 dudit code, sur présentation par le mandataire d'un relevé de créance.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [C] [V] de ses demandes, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement irrégulier, et en ce qu'il l'a condamné à payer la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau :
Dit que M. [C] [V] et la société Focrea ont été liés par un contrat de travail du 18 octobre 2017 au 17 novembre 2017.
Fixe la créance de M. [C] [V] à l'état des créances salariales de la société Focrea aux sommes suivantes :
2 700 euros brut à titre de rappel de salaire
270 euros brut au titre des congés payés y afférents
8 100 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis
810 euros au titre des congés payés y afférents
311,53 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés
500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
16 200 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Ordonne à la SCP BTSG² Hauts de France prise en la personne de Maître [P], en qualité de liquidateur de la société Focrea, de remettre à M. [C] [V] le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi et les bulletins de salaire d'octobre et novembre 2017.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que les sommes de nature salariale portent intérêts de retard au taux légal à compter du jour de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière, précision faite que le jugement d'ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts, conformément aux articles L.622-28, L.631-14 et L.641-3 du code de commerce.
Déclare l'arrêt opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA de Lille et dit qu'elle procéder aux avances dans les limites de sa garantie et des plafonds résultant des articles L.3253-8, L.3253-15 à L.3253-17 du code du travail et dans les conditions prévues par les articles L.3253-19 à L.3253-21 dudit code, sur présentation par le mandataire d'un relevé de créance.
Met les dépens au passif de la liquidation judiciaire de la société Focrea.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK