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06/04/2023 | FRANCE | N°22/01673

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 06 avril 2023, 22/01673


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 06/04/2023





****





N° de MINUTE : 23/128

N° RG 22/01673 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UGR4



Jugement (N° 21/00285) rendu le 22 Février 2022 par le tribunal judiciaire de Béthune





APPELANTS



Madame [Y] [H]

née le [Date naissance 7] 1947 à [Localité 24]

de nationalité Française

[Adresse 6]

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Monsieur [J] [H]

né le [Date naissance 4] 1967 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adresse 22]

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Monsieur [X] [H]

né le [Date naissance 12] 1969 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adres...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/04/2023

****

N° de MINUTE : 23/128

N° RG 22/01673 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UGR4

Jugement (N° 21/00285) rendu le 22 Février 2022 par le tribunal judiciaire de Béthune

APPELANTS

Madame [Y] [H]

née le [Date naissance 7] 1947 à [Localité 24]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Monsieur [J] [H]

né le [Date naissance 4] 1967 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adresse 22]

[Adresse 22]

Monsieur [X] [H]

né le [Date naissance 12] 1969 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Adresse 9]

Monsieur [T] [H]

né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adresse 15]

[Localité 14]

Monsieur [M] [H]

né le [Date naissance 11] 1975 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adresse 16]

[Adresse 16]

Madame [B] [H] épouse [Z]

née le [Date naissance 8] 1979 à [Localité 18]

de nationalité Française

[Adresse 13]

[Localité 14]

Madame [U] [H] épouse [L]

née le [Date naissance 5] 1983 à [Localité 26]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentés par Me Denisselle Gilka, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué

INTIMÉES

Etablissement [17]

[Adresse 25]

[Adresse 25]

Représenté par Me Segard, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substitué par Me Bavay, avocat au barreau de Lille

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 21]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 27 mai 2022 à personne habilitée

DÉBATS à l'audience publique du 11 janvier 2023 tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 avril 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 décembre 2022

****

Exposé du litige

[E] [H], initialement admis aux urgences pour la prise en charge d'une escarre au pied, est décédé le [Date décès 10] 2017 dans le service de gériatrie de la polyclinique de [Localité 23].

Par acte des 6, 8 et 9 août 2018, son épouse, Mme [Y] [H] et les six enfants du couple, [J], [X], [T], [M], [B] et [U] [H] ont assigné l'[17] (ci-après l'[17]), la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 21] (ci-après la CPAM de [Localité 21]) et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections (l'ONIAM) saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Béthune aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise et de production par l'[17] de l'entier dossier médical de [E] [H].

Par ordonnance du 23 janvier 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Béthune a fait droit à ces demandes et a désigné le docteur [P], remplacé par le docteur [O], en qualité d'expert, aux fins notamment de dire si les soins et actes médicaux prodigués étaient indiqués et ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale à l'époque des faits, de déterminer la cause du décès et le cas échéant de déterminer les préjudices subis par la victime et ses ayants-droits.

L'expert a déposé son rapport le 17 octobre 2019, concluant à l'absence de tout manquement dans la prise en charge de [E] [H].

Par acte d'huissier de justice du 7 janvier 2021, les consorts [H] ont fait assigner l'[17] devant le tribunal judiciaire de Béthune en responsabilité et réparation.

Par un jugement rendu le 22 février 2022, le tribunal judiciaire de Béthune a :

débouté les consorts [H] de l'ensemble de leurs demandes,

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

condamné les consorts [H] aux dépens de l'instance

déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 21]

dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit de la décision.

Par déclaration au greffe du 6 avril 2022, les consorts [H] ont formé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai non contestées, dans toutes ses dispositions.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 19 octobre 2022, les consorts [H] demandent à la cour, au visa des articles 1240 du code civil et 6, 9, 32-1 du code de procédure civile de :

infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Béthune du 22 février 2022 en ce qu'il les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes et condamnés in solidum aux dépens

statuant à nouveau :

juger l'[17] responsable du préjudice subi par M. [H]

condamner l'[17] à indemniser le préjudice subi par M. [H]

condamner l'[17] à payer aux ayants droits agissant au nom de M. [H] les sommes suivantes :

975 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire subi par M. [H]

30 000 euros au titre des souffrances endurées par M. [H]

10 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire subi par M. [H]

Condamner l'[17] à payer à Mme [Y] [R] veuve [H] la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'affection

Condamner l'[17] à payer à la somme de 5 000 euros à chacun au titre du préjudice d'affection

A titre subsidiaire :

Ordonner une contre-expertise et désigner un expert à l'exclusion du docteur [O]

Juger que l'[17] devra faire l'avance des frais

Renvoyer l'affaire à une audience après dépôt du rapport d'expertise

En toute hypothèse :

Débouter l'[17] de ses demandes

Déclarer l'arrêt opposable à la CPAM de [Localité 21]

Condamner l'[17] à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'huissier de justice et les frais d'expertise.

Les consorts [H] considèrent que l'[17] a été défaillante dans la surveillance et la prise en charge de [E] [H]. Ils exposent en effet, qu'alors que l'état de grande fragilité de ce dernier aurait dû justifier une prise en charge très attentive, l'expert judiciaire a déploré un manque d'empathie et un manque d'humanité de la part des soignants. Ils évoquent également une erreur de posologie de la coumadine.

Ils reprochent par ailleurs à l'[17] un défaut d'information et un manque de consentement aux soins alors que la victime ne pouvait plus parler et qu'il convenait dans ce cas d'interroger son épouse.

Ils se prévalent du rapport du docteur [V] qui indique que les actes de prévention n'ont pas été prodigués au patient qui a été victime d'une fausse route ayant entrainé une pneumopathie basale droite, son hospitalisation puis sa dénutrition sévère et enfin son décès alors qu'il avait été hospitalisé à l'origine pour la prise en charge d'une escarre et qu'une hospitalisation à domicile aurait dû être préconisée.

Ils sollicitent l'indemnisation des préjudices subis par la victime directe sur la base des conclusions de l'expert [V] et la réparation de leur préjudice d'affection.

Dans ses conclusions notifiées le 27 juillet 2022, l'[17] demande à la cour de :

confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Béthune le 22 février 2022 en toutes ses dispositions

y ajoutant : condamner les consorts [H] à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

A titre subsidiaire, si la cour ne s'estimait pas suffisamment informée par les éléments versés aux débats :

ordonner une nouvelle mesure d'expertise judiciaire avec mission habituelle et notamment visant à se prononcer sur l'existence d'une éventuelle perte de chance en lien avec l'éventuel manquement reproché, quantifier cette dernière et évaluer le préjudice éventuel subi par [E] [H]

surseoir à statuer sur les demandes indemnitaires des consorts [H] dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise.

statuer comme de droit sur les dépens

L'[17] demande de confirmer l'appréciation en première instance de l'absence de faute sur la base des investigations sérieuses et circonstanciées du rapport d'expertise judiciaire, Elle conteste en effet sa responsabilité en faisant valoir qu'elle n'a commis aucune faute en lien avec le décès de la victime. Elle soutient en effet que la preuve d'un prétendu défaut dans la prise en charge et d'une absence alléguée d'une surveillance adaptée, notamment dans la prévention d'une fausse route, n'est pas rapportée.

Elle affirme que si [E] [H] a été hospitalisé pour la prise en charge d'une escarre, son examen clinique a révélé qu'il présentait également des difficultés respiratoires et pulmonaires ajoutant que cet état antérieur important était à l'origine de troubles de la déglutition avec la survenue de fausses routes. A cet égard, elle affirme que la fausse route survenue le 26 avril n'est pas constitutive d'une faute et ne présente aucun lien de causalité direct et certain avec le décès de la victime compte tenu de son état antérieur et qu'au contraire la prise en charge de cette fausse route a permis une amélioration de son état.

Elle ajoute que le seul reproche formulé par l'expert, relatif au manquement à l'obligation d'information et de consentement aux soins compte tenu de l'incapacité de la victime à s'exprimer, n'est pas constitutif d'une faute à l'origine du décès.

Elle s'en remet sur la demande de contre-expertise qui devra toutefois porter sur l'existence d'une éventuelle perte de chance et tenir compte, s'agissant de l'évaluation des préjudices, de l'état antérieur de la victime.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 12 décembre 2022.

MOTIFS

Sur la responsabilité de l'[17]

Les consorts [H] recherchent la responsabilité pour faute de l'[17] sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Aux termes de ce texte, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

La faute est caractérisée lorsque le comportement n'est pas celui attendu d'un médecin diligent, c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas donné au patient des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science à la date à laquelle les soins ont été prodigués. Cette obligation légale de moyen concerne également le diagnostic du médecin, ses investigations ou mesures préalables, le traitement et le suivi du traitement.

Il incombe aux consorts [H] de rapporter la preuve, d'une part, d'une faute imputable à l'[17] et d'autre part, d'un lien de causalité entre cette faute et le décès de leur auteur.

Il résulte de la chronologie des faits non contestée par les parties et reprise par l'expert judiciaire, qui a analysé l'ensemble des éléments des dossiers médicaux d'hospitalisation aux services des urgences de la polyclinique de [Localité 20] et de la polyclinique de [Localité 23] que :

le 25 mars 2017, [E] [H] se présente aux urgences de la polyclinique d'[Localité 20] pour la prise en charge d'une escarre au pied gauche avec syndrome inflammatoire. Il rentre à son domicile avec prescription d'un antibiotique

le 21 avril 2017, [E] [H] est de nouveau aux urgences du même hôpital pour la prise en charge d'une escarre du talon gauche. L'examen clinique révèle une respiration bruyante de type encombrement bronchite et des 'dèmes au niveau des membres inférieurs, le protocole de soins étant modifié et [E] [H] placé sous antibiothérapie

- le 24 avril 2017, à la suite d'un pic de température avec encombrement pulmonaire et l'apparition d'une rougeur au niveau de l'escarre, une radiographie est prescrite ainsi qu'une analyse d'urine et une hémoculture

le 25 avril 2017, le médecin fait intervenir un kinésithérapeute compte tenu des difficultés de [E] [H] à cracher et s'interroge sur une éventuelle prise en charge en hospitalisation à domicile

le 26 avril 2017, est survenue une fausse route qui est prise en charge par aspiration, [E] [H] étant placé sous assistance respiratoire compte tenu de la persistance d'un encombrement avec sifflement respiratoire

le 27 avril 2017, il est constaté des sécrétions pulmonaires purulentes avec passage en arythmie cardiaque rapide sur encombrement et manque d'oxygène

le 28 avril 2017, la radiographie des poumons met en évidence une cardiomégalie caractéristique d'une insuffisance cardiaque

entre le 29 avril et le 3 mai 2017, la situation du patient s'améliore

le 5 mai 2017, est constatée une rétraction des membres inférieurs (début de grabatisation clinique)

le 6 mai 2017, le traitement antibiotique est interrompu

le 7 mai 2017, un pic fébrile est survenu

Le 8 mai 2017, la situation clinique se dégrade notamment au niveau de l'escarre de sorte que des antibiotiques seront prescrits

Le 10 mai 2017, une dénutrition sévère est révélée

Le 11 mai 2017, un scanner met en évidence une pneumopathie droite

Le 12 mai 2017, [E] [H] est transféré dans le service de gériatrie de la polyclinique de [Localité 23] et son état clinique continue de se dégrader

Le [Date décès 10] 2017, [E] [H] décède à l'âge de 77 ans.

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que [E] [H] est décédé des suites d'une sclérose latérale primitive et d'une escarre du talon gauche sur sténose artérielle poplitée.

L'expert conclut que l'étude des différentes hospitalisations ne laissent pas apparaître d'erreur technique ayant participé au processus morbide ayant entraîné le décès de [E] [H].

Il a relevé, s'agissant de l'hospitalisation du 21 avril au 12 mai 2017, un défaut d'information et un manque de consentement aux soins lesquels selon lui ne sont pas constitutifs d'une perte de chance, précisant que l'évolution de l'état de santé de [E] [H] était inéluctable compte tenu de ses antécédents de morbidité.

Sur l'information du patient et le consentement aux soins

En application des dispositions de l'article L 1111-2 du code de la santé publique toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de préventions qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

Toutefois, si le patient n'est pas en mesure de s'exprimer, le médecin doit, hors situation d'urgence, notamment consulter les directives anticipées si le patient les a rédigées et que la situation l'impose, sa personne de confiance, ou sa famille ou ses proches afin de rechercher les manifestations de volonté qu'il aurait antérieurement exprimées conformément aux dispositions de l'article L. 1111-6 du code de la santé publique.

Il est constant que [E] [H] était dans l'incapacité totale de s'exprimer et il n'est pas contesté que le dossier médical de celui-ci ne comporte aucune mention relative à la recherche de directives anticipées ou de consentement aux soins de sa part et de la personne digne de confiance avant le 25 avril 2017, date à laquelle le dossier mentionne un contact direct médical avec la famille alors que les soins ont débuté le 21 avril 2017.

Si le manquement à l'obligation d'information et de recueil du consentement aux soins est avéré, force est de constater que Mme [Y] [H], voire les enfants de celle-ci, ne sollicitent pas la réparation du préjudice spécifique d'impréparation.

Dans ces conditions, seule la perte de chance d'échapper à un risque qui s'est réalisé est indemnisable au titre d'un tel défaut d'information.

À cet égard, alors que le fait dommageable reproché est constitué par le décès de la victime, il convient d'observer que ce préjudice final ne présente aucun lien de causalité avec le défaut d'information, alors que l'expert a noté que la prise en charge médicale a été régulièrement assurée et que les soins ont été apportés consciencieusement sur le plan médico-légal durant l'hospitalisation du 21 avril au 12 mai 2017 au service d'UHCD de la polyclinique de [Localité 20], [E] [H] ayant été vu tous les jours par un médecin et parfois plusieurs fois par jour en fonction de la nécessité de son état de santé.

Sur l'erreur de dosage

Il ressort de l'expertise que pendant la deuxième hospitalisation, [E] [H] s'est vu administrer une surdose de Coumadine (5 mg au lieu de 2 mg) sans que l'origine de ce surdosage n'ait pu être déterminée en l'absence de document de traçabilité.

Si l'administration de ce médicament dans des proportions inadéquates est constitutive d'une faute, celle-ci n'a pas été à l'origine du décès de [E] [H] alors qu'il résulte du rapport d'expertise que la coagulation s'est normalisée dès le lendemain avec un INR réalisé le 5 mai 2017 à 2,75.

Sur la qualité de la prise en charge

Sur la faute d'humanité 

Si comme l'invoquent les consorts [H], au cours de la période d'hospitalisation du 21 avril au 12 mai 2017, le manque d'empathie et d'humanité de la part du personnel hospitalier, en particulier à l'égard de l'épouse de la victime, peut être déploré, il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas constitutif d'un acte médical fautif et n'est assurément pas à l'origine du décès de leur auteur. Alors que le préjudice allégué n'intègre pas le préjudice d'affection de la veuve, il est en outre observé que les consorts [H] agissent exclusivement en réparation du préjudice subi par [E] [H], à l'égard duquel n'est pas directement administrée la preuve d'un tel manquement à une obligation d'humanité.

Sur le défaut de prise en charge médicale 

En toute hypothèse, l'expert a précisé que l'hospitalisation du 21 avril au 12 mai 2017 au service UHCD de la polyclinique d'[Localité 20] était conforme aux données acquises de la science après avoir relevé que la prise en charge médicale a été régulièrement assurée et que les soins ont été apportés consciencieusement sur le plan médico-légal.

Aux termes de son rapport non contradictoire du 7 novembre 2019, M. [A] [V], médecin généraliste, indique que la fausse route dont a été victime [E] [H] a été à l'origine de la pneumopathie basale droite puis de l'hospitalisation de celui-ci et sa dénutrition sévère puis son décès. Il considère que l'absence de mise en place d'une mesure de prévention des fausses routes compte tenu de l'état préexistant de la victime est constitutif d'un défaut de surveillance de la part du personnel soignant, ajoutant qu'à son domicile, la victime était sous surveillance continue.

A titre liminaire, si la cour ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, elle ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties. A cet égard, les consorts [H] n'apportent aucun complément à ce rapport, qui en corroborerait les termes, notamment s'agissant du lien de causalité entre la fausse route et le décès de [E] [H].

En outre, il résulte des pièces médicales du dossier et du rapport d'expertise que [E] [H] présentait, avant ses  hospitalisations, une sclérose latérale primitive, définie par l'expert comme une maladie neurologique à l'évolution inexorable se manifestant par l'amoindrissement et la disparition progressive des fonctions motrices, ce qui explique en particulier les troubles de la déglutition à l'origine des fausses routes et des troubles respiratoires infectieux du simple encombrement à la pneumopathie de la base pulmonaire droite. Il présentait également une arthrite oblitérante des membres inférieurs avec une sténose au niveau de l'artère poplitée rendant difficile l'afflux de sang dans les jambes et à l'origine de l'escarre au niveau du talon du pied gauche.

Il est constant que [E] [H] bénéficiait alors de soins à domicile en particulier de son épouse et de kinésithérapie à visée respiratoire.

Il n'est toutefois nullement démontré que la mise en 'uvre d'une hospitalisation à domicile aurait permis d'éviter tout fausse route alors que d'une part, il est établi que dès le 25 avril 2017, le médecin s'interrogeait sur une éventuelle prise en charge en hospitalisation à domicile alors que l'escarre était au stade maximal et que d'autre part, la fausse route survenue le 26 avril 2017 a été rapidement prise en charge par l'aspiration du corps étranger et la vérification par laryngoscopie de l'absence de tout résidu. En outre, la radiographie des poumons, réalisée trois jours plus tard, n'a révélé aucun foyer infectieux.

Il n'est pas davantage établi que la fausse route a été à l'origine de la pneumopathie.

En effet, si, le 21 avril 2017, la victime a été admise pour une escarre au pied, l'examen clinique initial a permis de détecter un encombrement bronchique avec des 'dèmes importants des membres inférieurs. L'expertise met en exergue que la situation clinique au niveau pulmonaire de la victime a évolué favorablement jusqu'au 6 mai 2017 puis s'est de nouveau aggravée avec l'apparition d'un nouveau syndrome infectieux au départ de l'escarre.

Il ressort également du rapport d'expertise que ce type d'escarre évolue vers la surinfection et que cette situation est fortement consommatrice d'énergie pour l'organisme de sorte que même si l'alimentation est poursuivie, le développement d'une dénutrition est fréquent.

Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que la preuve d'une faute médicale à l'origine du décès de [E] [H] n'est pas rapportée de sorte que la responsabilité de l'[17] sera écartée.

La cour confirme donc le jugement querellé qui a débouté les consorts [H] de leurs demandes indemnitaires au titre des préjudices de la victime directe et de leur action successorale.

Sur la demande subsidiaire de contre-expertise

La demande de contre-expertise est présentée à titre subsidiaire par les consorts [H], dans l'hypothèse où aucune condamnation ne serait prononcée à l'encontre de l'établissement de santé. Elle n'a toutefois aucune raison d'être dès lors que son préalable est constitué par le rejet de la demande principale en reconnaissance de la responsabilité de l'Anah.

Au surplus, le recours à une contre-expertise judiciaire est justifiée s'il est démontré que le rapport établi par l'expert initialement commis présente des lacunes, des erreurs manifestes ou des incohérences, étant précisé que le seul désaccord d'une partie avec ses conclusions ne constitue pas une cause suffisante pour y recourir.

Les seules conclusions contraires à l'avis de l'expert judiciaire du rapport de M. [V], ne constituent pas un motif justifiant une contre-expertise et ce d'autant plus que ce dernier se contente d'affirmer que l'absence d'actes de prévention des fausses routes du fait de l'état antérieur de [E] [H] est la cause exclusive et directe du décès de ce dernier, sans procéder à une analyse complète des pièces du dossier médical qui précisent l'état de santé de la victime au moment de chacune des hospitalisations et alors que le rapport établi par l'expert judiciaire, au contradictoire de l'ensemble des parties, fournit un avis complet, clair et documenté sur les circonstances des hospitalisations, du suivi médical et du décès.

Par suite, la demande de contre-expertise sera rejetée.

Le jugement critiqué sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les consorts [H], qui succombent, doivent supporter la charge des dépens d'appel.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA CPAM de [Localité 21], étant dans la cause, il n'y a pas lieu de déclarer le présent arrêt opposable à celle-ci.

PAR CES MOTIFS

La cour 

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal judiciaire de Béthune ;

Y ajoutant :

Condamne in solidum Mme [Y] [H] née [R], M. [J] [H], M. [X] [H], M. [T] [H], M. [M] [H], Mme [B] [H] et Mme [U] [H] épouse [L] aux dépens d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/01673
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;22.01673 ?
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