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31/03/2023 | FRANCE | N°21/01430

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 31 mars 2023, 21/01430


ARRÊT DU

31 Mars 2023







N° 441/23



N° RG 21/01430 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TZ7J



MLBR/AL





























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'avesnes sur helpe

en date du

30 Juillet 2021

(RG 19/00167 -section )



































GROSSE :


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le 31 Mars 2023



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [T] [R]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Mickaël ANDRIEUX, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



S.A.S. BURG WACHTER FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 3]

...

ARRÊT DU

31 Mars 2023

N° 441/23

N° RG 21/01430 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TZ7J

MLBR/AL

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'avesnes sur helpe

en date du

30 Juillet 2021

(RG 19/00167 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 31 Mars 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [T] [R]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Mickaël ANDRIEUX, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A.S. BURG WACHTER FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Laurent CRUCIANI, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Valérie DOIZE

DÉBATS : à l'audience publique du 24 Janvier 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 Janvier 2023

EXPOSÉ DU LITIGE':

M. [T] [R] a été embauché par la société Balsa au sein de son établissement situé à [Localité 3] à compter du 21 juin 2004 en qualité de directeur du développement technique, statut cadre, position III A indice 135 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la mettallurgie.

Par courrier du 9 novembre 2006, son poste a été renommé 'responsable d'usine'. M. [R] a en outre bénéficié d'une délégation de pouvoir du gérant de la société Balsa dans les domaines de la production, des ressources humaines et de l'hygiène et sécurité.

En février 2012, la société Balsa ayant fait l'objet d'un rachat par la SAS Burg Wachter France, son gérant est devenu directeur de site, avant de quitter l'entreprise en janvier 2016.

C'est M. [U], jusqu'alors responsable commercial, qui a été nommé directeur de site en février 2016.

M. [R] a fait l'objet le 20 février 2017, d'un avertissement disciplinaire qu'il a contesté en raison d'une erreur de commande de poinçons.

Il a fait l'objet d'un nouvel avertissement le 23 mars 2017 pour ne pas avoir validé un ordre de fabrication.

Le 25 octobre 2017, M. [R] a été convoqué à un entretien fixé au 6 novembre suivant, préalable à un éventuel licenciement pour motif économique. Il lui a été parallèlement notifié de n'effectuer des travaux de bureau ou d'atelier que sous la direction exclusive de M. [U].

Par courrier recommandé du 20 novembre 2017, il s'est vu notifier son licenciement pour motif économique. M. [R] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et son contrat a été rompu dans le cadre de ce dispositif à compter du 27 novembre 2017.

Par requête du 23 octobre 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avesnes-sur-Helpe afin que son licenciement soit jugé en raison du harcèlement moral dont il dit avoir été victime et d'obtenir diverses indemnités.

Par jugement contradictoire du 30 juillet 2021, le conseil de prud'hommes d'Avesnes-sur-Helpe a notamment':

- débouté M. [R] de sa demande tendant à juger qu'il avait été victime de harcèlement moral ainsi que de sa demande de dommages-intérêts à ce titre,

- débouté M. [R] de sa demande tendant à voir juger son licenciement nul ainsi que de sa demande de dommages-intérêts à ce titre,

- constaté le bien-fondé de la rupture du contrat de travail pour motif économique de M. [R],

- débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 24 août 2021, M. [R] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Burg Wachter France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 12 novembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [R] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ses dispositions critiquées,

- juger qu'il a été victime de faits de harcèlement moral et condamner la société Burg Wachter France à lui payer la somme de 40 000 euros nets à titre de dommages-intérêts,

- juger son licenciement nul et de nul effet et condamner la société Burg Wachter France à lui payer la somme de 57 128,50 euros de dommages-intérêts à ce titre,

- condamner la société Burg Wachter France à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens d'instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions déposées le 8 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Burg Wachter France demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement rendu sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens,

A titre subsidiaire,

- réduire le quantum de la demande de dommages-intérêts au titre du prétendu harcèlement moral afin de le ramener à de plus justes proportions,

- réduire le quantum de la demande de dommages-intérêts au titre du prétendu licenciement nul afin de le ramener à de plus justes proportions soit au montant minimal prévu par les dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail soit 6 mois de salaires ce qui correspond à la somme de 26'367 euros,

A titre reconventionnel,

- condamner M. [R] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

- sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, pour dénoncer le harcèlement moral qu'il dit avoir subi, M. [R] invoque dans ses conclusions les faits suivants :

- un déclassement professionnel,

- un contrôle au quotidien de ses activités,

- la suppression du véhicule d'entreprise,

- des sanctions disciplinaires répétées et injustifiées,

- l'absence d'évolution de sa rémunération.

* sur le déclassement professionnel et le contrôle quotidien de ses activités :

M. [R], qui rappelle qu'il exerçait les fonction de responsable d'usine, prétend que depuis le rachat de la société Saba par la société Burg Wachter France, ses missions d'encadrement ont été progressivement supprimées pour finalement être rétrogradé aux fonctions de responsables des achats et de la production en décembre 2016 sous la subordination directe du responsable commercial, M. [U], devenu directeur de site, le souhait de ce dernier de lui faire suivre une formation de cariste et de pontier, tâches habituellement confiées à un agent de production, étant selon lui une illustration de l'intention de la direction de le déclasser.

Il fait également état d'une perte de toute autonomie à compter de février 2017, devant d'une part justifier de tout ce qu'il fait à M. [U] et obtenir la validation préalable de la société Burg Wachter France, et recevant d'autre part à compter d'avril 2017 comme n'importe quel salarié, une planification quotidienne des tâches à réaliser heure par heure.

Il précise qu'à partir de ce moment et jusqu'à son licenciement, il a été contraint de passer principalement son temps en atelier, 80% de son activité étant consacrée à remplacer le personnel absent, à savoir le chef d'atelier et le monteur d'outillage, ce qui revenait à lui faire exercer des fonctions d'agent de production et à supprimer dans les faits toutes les responsabilités inhérentes à son emploi de responsable d'usine.

Par son contrat de travail, M. [R] justifie de son embauche en tant que cadre dans les fonctions de 'directeur du développement technique', renommé suivant avenant du 9 novembre 2006 'responsable de l'usine' avec des missions précisées en annexe du contrat, à savoir :

- assumer en toute autonomie la gestion de la production dans son ensemble tout en conservant, voir améliorant, les objectifs quantitatifs et qualitatifs,

- développer les nouveaux produits selon les objectifs de la société,

- mener à bien les missions individuelles ou collectives qui lui seront confiées,

- participer à la vie de la société et à sa gestion,

son autonomie dans l'exercice de ses fonctions s'illustrant également par la mise en place d'une convention de forfait jours.

Il justifie également de la délégation de pouvoirs effective depuis le 1er août 2013 dans le domaine de la production (gestion du calendrier de production, préparation de la planification globale de la production, veiller à ce que les commandes de travail soient émises) ainsi que le domaine des ressources humaines et de l'hygiène et la sécurité.

Pour étayer ses allégations concernant son déclassement professionnel, M. [R] produit notamment :

- la demande de M. [U], nouveau directeur de site, datée du 20 février 2017 de lui faire passer les CACES 1 et 3 ainsi qu'une formation de 'pontier commande au sol', formations que M. [R] a refusées au motif qu'elles n'étaient pas liées à ses fonctions de directeur d'usine,

- son intégration dans des plannings hebdomadaires de production au cours des mois d'avril à août 2017 précisant pour certains jours les tâches à effectuer (ses pièces 21 et 31),

- le courrier de la société Burg Wachter France du 6 novembre 2017 lui donnant les directives suivantes : 'vous ne devez effectuer aucun travail de mise en opération/modifications d'outils ou de machines/presses. Du travail de bureau et/ou des activités de fabrication manuelle vous serez assigné par M. [U]. Vous travaillez exclusivement suivant les instructions de M. [U]. Cette directive de travail est d'abord illimitées et débute ce 6.11.2017",

- les attestations de M. [F], ancien responsable d'atelier, et de M. [P], ancien salarié, certifiant en substance que depuis mai 2016, M. [R] n'avait plus aucun pouvoir de décision et a vu son champ d'intervention se réduire (à titre d'exemple :retrait du choix des transporteurs) et qu'il a effectué à la demande de la direction, des tâches étrangères à ses fonctions de cadre de direction telles que par exemple, ranger des palettes, réparer des casses en bois ou encore nettoyer des outils de presse.

A travers ces différentes pièces, est établie la matérialité des faits allégués, à savoir l'accomplissement de tâches étrangères à ses fonctions de responsable d'usine et la perte d'autonomie et de responsabilité.

* sur la suppression de son véhicule de service :

Il est acquis aux débats et donc matériellement établi que M. [R] s'est vu retirer le bénéfice du véhicule Kangoo mis à sa disposition, la dénonciation de cet usage ayant été officialisée par courrier du 16 décembre 2016.

* sur les sanctions disciplinaires répétées :

Il est constant que M. [R] a fait l'objet de 2 avertissements écrits les 20 février et 23 mars 2017, tous 2 contestés par l'intéressé.

Il justifie également de la réception d'un 'rappel à l'ordre' daté du 13 décembre 2016 par la direction de la société Burg Wachter France, en réponse à son courrier du 12 décembre 2016 relative à sa rémunération et au retrait du véhicule de service.

A travers ce courrier, il lui a été fait le reproche d'une mauvaise gestion des achats à plusieurs reprises dans l'année et les 5/6 décembre 2016 du recrutement d'interimaires, contraire à la décision de M. [U], l'ensemble ayant généré des coûts supplémentaires. La société Burg Wachter France conclut, conformément à la traduction du courrier faite par l'intimée en page 20 de ses conclusions, que ces incidents sont évoqués à titre d'information mais qu'ils pourront faire l'objet d'avertissement écrit s'ils se renouvellent.

Par ailleurs, ce rappel à l'ordre, même s'il n'a pas la valeur d'un avertissement disciplinaire, a nécessairement pour effet malgré tout, au vu de son contenu, de mettre une pression certaine sur celui qui le reçoit.

Il est ainsi matériellement établi qu'en à peine 4 mois, M. [R] a fait l'objet d'un rappel à l'ordre et de 2 sanctions disciplinaires, alors qu'il n'avait jusqu'à présent, été destinataire d'aucun reproche.

* sur l'absence d'évolution salariale :

Il est acquis aux débats que M. [R] n'a bénéficié d'aucune augmentation salariale depuis son embauche en 2006. Le fait est donc matériellement établi.

Enfin, M. [R] produit aux débats 2 certificats médicaux des 10 novembre et 5 décembre 2017 contemporains à la procédure de licenciement par lesquels le médecin généraliste évoque un état d'anxiété généralisé secondaire ' semble-t-il, à des difficultés liées à son travail depuis plusieurs mois'.

Au regard de leur nature et de leur incidence négative sur les conditions de travail et la rémunération de M. [R], l'ensemble de ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, complété par les pièces médicales susvisées, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe dès lors à l'employeur de prouver que les agissements dénoncés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est acquis aux débats que la société Saba avant même son rachat par la société Burg Wachter France a connu des difficultés financières qui ont d'ailleurs entraîné une vague de licenciements ainsi qu'en atteste le procès-verbal de réunion de délégué du personnel du 10 juillet 2013 (pièce 30 de l'intimée). M. [R], qui ne conteste pas la réalité de cette situation, évoque lui-même une seconde vague de licenciements en début d'année 2016 'suite à la perte de clients importants et du chiffre d'affaires associé', les pièces comptables, au demeurant non critiquées par M. [R], attestant d'un résultat d'exploitation déficitaire en aggravation entre 2015 et 2017, avec en outre la perte annoncée pour 2018 d'un client représentant 41% du chiffre d'affaires. La société Burg Wachter France justifie également de l'abandon par sa société mère allemande d'une créance d'un montant de 550 000 euros au 31 décembre 2017 au regard de ses pertes comptables (pièce 16 de l'intimée).

Par les pièces susvisées qui établissent la réalité de cette situation économique fragile depuis plusieurs années et jusqu'en fin d'année 2017, la société Burg Wachter France justifie que l'absence d'augmentation de la rémunération de M. [R] est étrangère à toute situation de harcèlement, étant observé que l'intéressé ne prétend pas que d'autres salariés ont pour leur part bénéficié d'une augmentation.

La société Burg Wachter France produit par ailleurs les courriers datés du 16 décembre 2016 adressés à M. [R] mais également aux délégués du personnel concernant la suppression de l'usage relatif à l'utilisation des véhicules de service. Il en ressort que cela a concerné les 2 véhicules de la société et pas seulement celui mis à la disposition de M. [R]. Dans la note économique et sociale d'octobre 2017 présentée aux représentants du personnel, cette mesure apparaît en outre dans les dispositions prises au titre des efforts de gestion pour pallier les difficultés financières.

A travers l'ensemble de ces pièces objectives dans le contexte économique rappelé plus haut, la société Burg Wachter France justifie que le retrait du véhicule de service de M. [R] est une décision étrangère à toute situation de harcèlement à son égard.

S'agissant des sanctions et rappel et à l'ordre notifiés à M. [R] en à peine 4 mois, et moins d'un an après la nomination de M. [U] comme directeur du site, la société Burg Wachter France les estime fondés compte tenu des manquements qu'aurait commis l'appelant, liés selon elle à 'un désinvestissement croissant de la part de l'intéressé dans le cadre de ses fonctions'.

Toutefois, les pièces produites sont insuffisantes pour justifier qu'ils sont étrangers à tout harcèlement.

En effet, aucune pièce n'est produite pour justifier de la réalité des manquements, au demeurant contestés par M. [R], qui sont évoqués dans la lettre de rappel à l'ordre du 13 décembre 2016, à savoir plusieurs retards de commande de matières premières et l'utilisation le 5/6 décembre 2016 de personnel interimaire sans la validation de M. [U], étant observé que ce rappel à l'ordre apparaît avoir été envoyé en réaction aux revendications salariales de M. [R] par courrier de la veille auxquelles il fait précisément renvoi.

De même, si la société Burg Wachter France produit la facture de l'outil de découpe cassé le 13 février 2017, elle ne produit aucune pièce pour établir le niveau d'implication de M. [R] en sa qualité de responsable d'usine chargé de la validation des achats, et ainsi justifier par des éléments objectifs que l'avertissement du 20 février 2017 fait suite à un incident le mettant directement en cause, étant noté qu'il a été notifié le jour même du refus de M. [R] de suivre la formation CACES et pontier.

Un mois après, soit le 23 mars 2017, l'intéressé s'est vu notifier un nouvel avertissement écrit au motif que 'certains documents 'ordre de fabrication' ont été mal complétés' alors qu'ils auraient dû être approuvés par lui et M. [F], ainsi que cela lui aurait été rappelé plusieurs fois oralement par M. [U], notamment lors de formations.

La société Burg Wachter France qui produit l'ordre de fabrication qui aurait dû être validé par M. [R], fait valoir que cet incident a aussi donné lieu à la notification d'un avertissement au chef d'atelier et à M. [N], ouvrier de production, et que M. [R] connaissait parfaitement le processus de validation dans lequel il devait intervenir.

Cela ressort effectivement du courrier de contestation rédigé par M. [R] le 13 avril 2017 mais celui-ci prétend cependant sans être contredit sur ce point par les pièces adverses, que la procédure de validation, qui s'avérait trop lourde, était à l'époque en test avant diffusion de consignes.

Aussi, dans ce contexte, en l'absence d'élément plus circonstancié sur l'incident allégué, au demeurant sans conséquence sur la production, et sur son imputabilité directe à M. [R] dès lors que 2 autres salariés, sanctionnés d'ailleurs pour ces mêmes faits, devaient intervenir dans le process de validation de l'ordre de fabrication avant lui, la société Burg Wachter France échoue à établir par des éléments objectifs que cet avertissement du 23 mars 2017 était justifié.

Il se déduit de ce qui précède que la société Burg Wachter France ne démontre pas que le rappel à l'ordre de décembre 2016 d'une part et les 2 avertissements de février et mars 2017 d'autre part, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S'agissant enfin des faits tirés du déclassement de M. [R] et de sa perte d'autonomie, la société Burg Wachter France prétend en produisant les organigrammes que celui-ci a toujours été au même niveau hierarchique sous l'autorité directe du directeur de site, qu'il s'agisse de M. [C] puis, après son départ, de M. [U], son poste, sous la dénomination de responsable d'usine, ayant toujours eu pour objet la gestion de l'usine uniquement dans sa partie production et achats.

En s'appuyant sur les attestations de 3 salariés, elle entend aussi démontrer que M. [R] a pu réaliser ponctuellement et spontanément des tâches en atelier en cas de pic de production ou d'absence de salariés, insistant sur son effectif réduit composé de 8 ouvriers de production, de 2 employés administratifs et de 3 cadres, en ce compris M. [U], qui lui-même serait fréquemment intervenu en atelier pour participer à l'effort de production.

Elle produit aussi le contrat de travail de M. [P], technicien méthodes, pour expliquer qu'il était cohérent avec ses attributions que M. [R] le forme aux procédures d'achat dont il avait jusqu'alors seul la charge.

Il sera cependant observé sur ce dernier point que M. [P] avait pour mission, aux termes de son contrat, 'd'optimiser les processus de fabrication' et plus particulièrement de procéder à l'ordonnancement des commandes reçues et au lancement des ordres de fabrication ainsi que de planifier, avec l'administrateur des ventes, les commandes à livrer.

Ainsi, les missions de M. [P], qui portent sur la réalisation des commandes des clients, apparaissent sans lien avec le suivi de ' tout ce qui concerne les achats', soit le suivi des approvisionnements en matériaux de l'entreprise, qui lui a été confié à l'issue de la réunion du 15 février alors que cela relevait jusqu'alors des missions de M. [R]. Dans son courrier du 23 avril 2017, ce dernier s'est d'ailleurs étonné de ce transfert de tâches en demandant à son employeur 'que me restera-t-il à faire', sans que la société Burg Wachter France ne justifie de la réponse apportée à cette interpellation.

En outre, les 3 attestations de salariés, qui évoquent la présence et l'aide apportées parfois par M. [R] en atelier 'de manière volontaire', cette appréciation ou ce ressenti n'étant sous tendu par aucun élément objectif, sont insuffisantes à expliquer pourquoi l'intéressé, toujours officiellement responsable d'usine avec une totale autonomie, s'est vu intégrer à partir d'avril 2017 aux plannings hebdomadaires destinés à attribuer aux salariés travaillant à la production, les tâches quotidiennes à accomplir.

Au vu du nombre de plannings produits par M. [R] à titre d'exemple, pour les semaines 16, 19, 21, 24, 25, 30, 35 de l'année 2017, auxquels la société Burg Wachter France n'oppose aucune pièce en dehors des 3 attestations, celle-ci ne peut sérieusement prétendre qu'il s'agissait d'une aide ponctuelle, et ce d'autant plus qu'elle reconnaît elle-même en page 14 de ses conclusions que M. [R] a bien été amené à remplacer le chef d'atelier, M. [F], à compter de mai 2017.

Alors que ce remplacement sur plusieurs mois a correspondu, au vu des plannings produits, à près de 80% du temps de travail de M. [R], celle-ci ne produit aucun élément de nature à établir que le salarié a pris l'initiative ou exprimé explicitement son accord à se voir confier les activités de son adjoint aux lieu et place des siennes, M. [W] dont la société Burg Wachter France produit l'attestation, confirmant bien que jusqu'alors M. [R], qui pouvait être présent en atelier, n'intervenait pas au niveau de la production.

Par ailleurs, le jour de l'entretien préalable à son licenciement, soit le 6 novembre 2017, la société Burg Wachter France a notifié officiellement à M. [R] par courrier du même jour et sans explication particulière, comme directive de travail que du travail de bureau et/ou des activités de fabrication manuelle lui seraient assignés par M. [U], sous les instructions duquel il devait exclusivement travailler, cette nouvelle directive de travail mettant à néant toute l'autonomie et le niveau de responsabilité dont il bénéficiait en tant que responsable d'usine en vertu de son contrat de travail.

Ainsi, alors que les pièces produites par M. [R] établissent à la fois la réduction du périmètre de ses activités par la perte notamment du suivi des achats, l'accomplissement de tâches ne correspondant pas à son niveau de responsabilité et la perte progressive puis totale de son autonomie, la société Burg Wachter France ne produit aucun élément objectif pour en justifier les raisons et démontrer que cela est étranger à toute situation de harcèlement.

Dès lors, eu égard à ce qui a été retenu s'agissant des sanctions disciplinaires répétées en une période limitée et à ce qui précède concernant l'évolution des missions de M. [R] et sa perte d'autonomie, il sera retenu que celui-ci a fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de son employeur.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

A travers les 2 certificats médicaux produits dont il ne résulte pas cependant de périodes d'arrêt de travail, et au regard de la durée et de la nature des agissements subis, M. [R] justifie d'un préjudice moral qu'il convient de réparer par l'octroi d'une somme de 15 000 euros de dommages et intérêts.

- sur le licenciement de M. [R] :

M. [R] sollicite l'annulation de son licenciement au motif qu'il serait directement lié au harcèlement moral dont il a fait l'objet pour l'inciter à quitter l'entreprise, l'employeur ne voulant plus de lui dans ses effectifs. Il fair valoir que sous couvert de difficultés économiques, la décision de le licencier était déjà acquise.

La société Burg Wachter France répond que le licenciement économique de M. [R] a été motivé par la nécessité de sauvegarder la compétitivité et la pérennité de l'entreprise qu'elle dit justifier à travers les pièces financières produites. Elle explique avoir procédé à la réorganisation des fonctions supports, en supprimant le poste occupé par M. [R] et en répartissant ses fonctions entre le directeur de site et le département méthode/qualité, le délégué du personnel consulté sur ce projet, ayant donné un avis favorable.

La société Burg Wachter France précise également avoir tenté en vain de reclasser M. [R].

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

(...)

3° à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Aux termes de la lettre de licenciement de M. [R] qui fixe les limites du litige, la société Burg Wachter France évoque la concurrence très rude, ses pertes financières et le retrait d'un de ses 2 plus gros clients à horizon 2018, représentant 41% de son chiffre d'affaires, et ce en dépit des efforts de gestion réalisés pour réduire les frais fixes et les précédentes vagues de licenciements.

Elle y explique vouloir rationnaliser er réorganiser les services supports et ce faisant, supprimer le poste de M. [R] pour le répartir entre le directeur de site et le département méthode-qualité.

M. [R] ne discute pas la réalité des difficultés économiques de la société Burg Wachter France, parfaitement établies par les pièces produites évoquées plus haut, l'intimée justifiant que l'usine de production de [Localité 3] est la plus impactée par ces pertes. L'appelant ne prétend pas non plus que la réorganisation alléguée n'était pas justifiée et n'aurait pas été mise en oeuvre.

D'ailleurs, il exposait déjà dans son courrier du 23 avril 2017 'qu'avoir 3 cadres pour un effectif de 14 salariés est un surcoût pour une unité de production'.

Il est également acquis aux débats que ce plan de licenciement a concerné 3 personnes et pas seulement M. [R], la suppression du poste de responsable développement technique industriel et d'un poste d'ouvrier polyvalent étant également prévue.

Etant le seul responsable de la production, il était nécessairement visé par ce plan présenté au délégué du personnel en octobre 2017, sans qu'il y ait lieu d'appliquer des critères d'ordre de licenciement.

Au regard de l'ensemble de ces éléments et du fait que M. [R] n'a pas été le seul concerné par cette vague de licenciements, il n'est pas établi que la rupture de son contrat de travail soit directement lié au harcèlement moral dont il a fait l'objet.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le licenciement de M. [R] fondé.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, il convient d'infirmer le jugement en ses dispositions sur les dépens de première instance qui devront être supportés par la société Burg Wachter France.

M. [R] étant accueilli en partie en ses demandes, la société Burg Wachter France devra également supporter les dépens d'appel.

Il est en outre inéquitable de laisser à M. [R] la charge des frais irrépétibles exposés en appel. La société Burg Wachter France est condamnée à lui payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 30 juillet 2021 sauf en ses dispositions relatives au harcèlement moral et aux dépens de première instance ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

CONDAMNE la société Burg Wachter France à payer à M. [T] [R] une somme de 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par le harcèlement moral dont il a fait l'objet ;

CONDAMNE la société Burg Wachter France à payer à M. [T] [R] une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que la société Burg Wachter France supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Séverine STIEVENARD

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/01430
Date de la décision : 31/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-31;21.01430 ?
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