ARRÊT DU
31 Mars 2023
N° 424/23
N° RG 20/01017 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S5TC
MLB/CH
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DUNKERQUE
en date du
21 Janvier 2020
(RG 19/00148 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 31 Mars 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [Z] [O]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Marc DEBEUGNY, avocat au barreau de DUNKERQUE
INTIMÉE :
S.A.R.L. CHEVAL NOIR
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Jean-Pierre MOUGEL, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS : à l'audience publique du 01 Février 2023
Tenue par Muriel LE BELLEC
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Angelique AZZOLINI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11 janvier 2023
EXPOSE DES FAITS
M. [Z] [O], né le 25 janvier 1998, a été embauché par la société au Cheval Noir en qualité d'aide cuisinier, niveau I échelon 1 de la convention collective des hôtels, cafés restaurants, par contrats à durée déterminée du 16 février au 31 mars 2018, du 11 mai au 11 août 2018 et du 1er février au 31 mars 2019, ce dernier contrat étant renouvelé du 1er avril au 29 septembre 2019.
Les deux premiers contrats de travail étaient à temps plein, le dernier à temps partiel de 104 heures par mois. M. [Z] [O] percevait en dernier lieu un salaire mensuel moyen de 1 063,93 euros.
Par lettre du 7 avril 2019 à son employeur ayant pour objet «demande de fin contrat», M. [Z] [O] a déclaré mettre fin à son contrat de travail à effet du 15 avril 2019, à l'issue d'un préavis de deux semaines.
Il a confirmé sa volonté de mettre fin au contrat de travail par lettre recommandée du 24 avril 2019.
Les documents de rupture ont été établis le 21 avril 2019 et portent cette date comme date de la fin de la relation contractuelle.
Par requête reçue le 16 mai 2019, M. [Z] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Dunkerque pour obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 16 février 2018, sa classification au niveau IV échelon 1, des rappels de salaire et que la rupture du contrat de travail soit imputée à la société.
Par jugement en date du 21 janvier 2020, notifié le 28 janvier 2020, le conseil de prud'hommes a requalifié les contrats à durée déterminée conclus entre la société au Cheval Noir et M. [Z] [O] en un contrat de travail à durée indéterminée et condamné la société au Cheval Noir à payer à M. [Z] [O] la somme de 1 254,31 euros à titre d'indemnité de requalification et la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il a débouté M. [Z] [O] du surplus de ses demandes et la société au Cheval Noir de ses demandes reconventionnelles.
Le 26 février 2020, M. [Z] [O] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 25 septembre 2020, le conseiller chargé de la mise en état a déclaré recevable la déclaration d'appel.
Par ses conclusions reçues le 31 mars 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [Z] [O] sollicite de la cour qu'elle déclare son appel recevable et confirme le jugement en ses seules dispositions ayant requalifié le contrat à durée déterminée et condamné la société au Cheval Noir à lui payer une indemnité de requalification de 1 254,31 euros, outre la somme de 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et, sur appel,
qu'elle juge que la requalification interviendra dès le 1er contrat à compter du 16 février 2018 et condamne la société aux sommes de :
- 1 890,48 euros à titre d'indemnité de requalification sur la base de la classification niveau IV échelon 1, subsidiairement 1 690,20 euros sur le coefficient niveau I échelon 1
- 891,51 euros à titre de rappel de salaire sur la base de la classification niveau IV échelon 1
- 89,15 euros au titre des congés payés afférents
- 2 245,15 euros à titre de rappel de salaire et 224,51 euros au titre des congés payés afférents, subsidiairement 1 993 euros et 199,30 euros au titre de la période interstitielle du 1er avril 2018 au 10 mai 2018
- 5 064,26 euros à titre de rappel de salaire et 506,42 euros au titre des congés payés afférents, subsidiairement 4 495,50 euros et 449,55 euros au titre de la période interstitielle du 1er septembre 2018 au 5 décembre 2018
- 3 376,16 euros à titre d'indemnité au titre de la rupture du contrat de travail imputable à la société au Cheval Noir
- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 24 avril 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société au Cheval Noir sollicite de la cour à titre principal qu'elle déclare l'appel irrecevable et à titre subsidiaire qu'elle confirme le jugement, en conséquence déboute «la société au Cheval Noir» de ses demandes et condamne M. [Z] [O] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 11 janvier 2023.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel
La demande de la société au Cheval Noir tendant, à titre principal, à voir l'appel interjeté par M. [Z] [O] déclaré irrecevable en raison de l'encaissement par lui des fonds en exécution du jugement du conseil de prud'hommes, non assorti de l'exécution provisoire, a d'ores et déjà été rejetée par ordonnance du 25 septembre 2020 du conseiller chargé de la mise en état.
Sur la requalification en contrat de travail à durée indéterminée
La société au Cheval Noir ne critiquant pas le jugement à titre subsidiaire mais sollicitant sa confirmation, il convient de constater que la décision déférée est définitive en ce qui concerne la requalification des contrats à durée déterminée conclus entre la société au Cheval Noir et M. [Z] [O] en un contrat de travail à durée indéterminée.
M. [Z] [O] demande toutefois à la cour de préciser le point de départ de la requalification à la date du 1er contrat au motif que l'accroissement temporaire du volume d'activité de l'entreprise n'est pas justifié. Il ajoute que ce contrat a été signé en dehors de toute période de saison estivale et de toute «activité saisonnière».
En application des articles L.1242-12, L.1242-1 et L.1242-2, du code du travail, le premier contrat de travail, conclu pour la période du 16 février 2018 au 31 mars 2018, est motivé par un accroissement temporaire du volume d'activité de l'entreprise, sans autre précision.
En cas de litige sur le motif du recours, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée.
La société au Cheval Noir se borne à faire valoir que le motif de recours a bien été mentionné dans les deux premiers contrats, qu'elle n'avait pas l'intention de recruter M. [Z] [O] pour lui confier des missions relevant de l'activité normale et permanente de l'entreprise et qu'il était affecté à une activité saisonnière.
Ce faisant, elle ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée du 16 février 2018. La relation de travail doit en conséquence être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 février 2018 en application de l'article L.1245-1 du code du travail. Le jugement sera précisé en ce sens.
M. [Z] [O] demande tout à la fois la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société au Cheval Noir à lui payer une indemnité de requalification de 1 254,31 euros et que la cour condamne la société au Cheval Noir à lui payer à ce titre la somme de 1 890,48 euros ou subsidiairement celle de 1 690,20 euros.
Il convient d'interpréter cette demande contradictoire comme une demande de confirmation du jugement sur le principe du paiement d'une indemnité de requalification et d'infirmation sur le montant de cette indemnité.
Au soutien de sa demande, M. [Z] [O] fait valoir qu'il relevait du niveau IV échelon 1. Il précise qu'il est titulaire du baccalauréat professionnel cuisine et qu'il occupait un poste de responsable de cuisine puisqu'il était seul en cuisine avec un apprenti à ses côtés, tandis que M. [F] [U], par ailleurs gérant de la société, M. [V] X et la serveuse [W] se trouvaient en salle. Il ajoute qu'il avait en cuisine une totale autonomie, ce que l'employeur a reconnu dans son mail du 25 avril 2019 en évoquant ses propositions de nouvelles recettes et autres idées, et que M. [F] [U], anciennement boucher, limitait son intervention dans le cadre de la préparation de certains plats à la découpe de viande livrée en gros.
M. [Z] [O] était certes titulaire du niveau de diplôme requis pour être classé au niveau IV qu'il revendique mais la classification conventionnelle à ce niveau suppose en outre et de façon cumulative :
- au titre du contenu de l'activité : la réalisation de travaux d'exploitation complexe faisant appel au choix des modes d'exécution, à la succession des opérations, et nécessitant des connaissances professionnelles développées ou étendues en raison du nombre et de la complexité des produits et/ou des services vendus et/ou des moyens et méthodes employés
- au titre du degré d'autonomie : des instructions à caractère général portant sur le domaine d'activité. Un pouvoir de décision défini, mais concernant des modes d'exécution, les moyens et les méthodes, l'organisation du travail, la succession et le programme des activités, y compris pour des collaborateurs. Situations de travail qui font souvent appel à l'initiative
- au titre des responsabilités : responsabilité de l'organisation du travail de ses collaborateurs. Responsabilité étendue à une participation à la gestion du matériel, des matières et du personnel.
Dans son mail du 24 avril 2019, M. [U] indique au salarié : «il aurait tout simplement fallu nous dire franchement votre souhait catégorique de départ et non pas nous faire miroiter un désir d'évolution dans la société en nous proposant de nouvelles recettes et autres idées...». Il ne peut se déduire de l'initiative de M. [Z] [O] consistant à proposer des recettes et autres idées, à l'occasion du préavis selon l'intimée, que le salarié remplissait l'ensemble des conditions ci-dessus. Au demeurant, son affirmation qu'il était seul en cuisine avec un apprenti sous sa responsabilité est contredite par le témoignage de M. [B]. Ce dernier indique que le seul chef en cuisine était et reste M. [U], qu'il ne travaillait pas sous les directives de M. [Z] [O], que M. [U] préparait toutes les viandes, s'agissant d'un restaurant qui ne propose que des grillades et pierrades, que M. [Z] [O] et lui-même travaillaient tous les deux sous les directives de M. [U] et l'assistaient en cuisine dans les préparations (dressage sur assiettes, épluchage des légumes). Mme [W] [Y], serveuse, atteste que le chef de cuisine est M. [U], qui supervise l'ensemble de l'établissement avec son épouse, et que M. [Z] [O] n'était pas chef de cuisine mais aidait en cuisine, cuisait parfois les grillades à la cheminée et exécutait les ordres que M. [U] lui donnait.
Au vu de ces éléments, il ne peut être retenu que M. [Z] [O] exerçait les fonctions de chef de cuisine. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de classement au niveau IV échelon 1.
L'indemnité de requalification en contrat de travail à durée indéterminée à laquelle le salarié a droit en application de l'article L.1245-2 du code du travail ne peut être inférieure au dernier mois de salaire perçu avant la saisine de la juridiction. Le calcul de l'employeur, repris par les premiers juges, ne tient pas compte du dernier salaire horaire de M. [Z] [O] ni de l'indemnité compensatrice de nourriture. Il convient d'évaluer l'indemnité de requalification à la somme de 1 586,41 euros.
Sur la demande de rappel de salaire
Il a été jugé que M. [Z] [O] ne pouvait prétendre au niveau IV échelon 1. Par conséquent, sa demande de rappel de salaire fondée sur cette classification a été à juste titre rejetée par les premiers juges.
Sur la demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles
Il résulte de l'effet combiné des articles L.1245-1 du code du travail et 1315, devenu 1353, du code civil que le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles séparant les contrats que s'il prouve s'être tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.
M. [Z] [O] se borne à affirmer qu'il s'est tenu à la disposition de la société au Cheval Noir du 1er avril au 10 mai 2018 et du 1er septembre au 5 décembre 2018 et qu'il n'a travaillé que ponctuellement du 5 au 22 décembre 2018 pour l'Auberge du [Localité 5], sans fournir aucun élément au soutien de ses dires. Il ne prouve pas s'être tenu à disposition de la société au Cheval Noir pendant les périodes ci-dessus.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] [O] de ce chef de demande.
Sur l'imputabilité de la rupture
En application de l'article L.1231-1 du code du travail, le courrier par lequel le salarié a mis fin au contrat de travail est dépourvu d'une volonté claire et non équivoque. M. [Z] [O] a confirmé son courrier du 7 avril 2019 dès le 24 avril 2019 en faisant état de griefs et il a saisi le conseil de prud'hommes dès le 16 mai 2019 pour voir imputer la rupture à son employeur. La décision de M. [Z] [O] s'analyse en conséquence en une prise d'acte.
Au soutien de sa demande tendant à ce que la rupture du contrat de travail soit imputée à l'employeur et que la société au Cheval Noir soit condamnée à l'indemniser, M. [Z] [O] invoque le manque de fair play de l'intimée, l'irrégularité des contrats à durée déterminée, le non-paiement des périodes interstitielles, le non règlement d'heures supplémentaires et l'application d'un coefficient ne correspondant pas à son diplôme et ses fonctions réelles.
Toutefois, M. [Z] [O] ne réclame pas le paiement d'heures supplémentaires et il résulte de ce qui précède que le seul manquement établi a trait au recours non justifié au contrat à durée déterminée.
Ce manquement de l'employeur n'était pas d'une gravité telle qu'il empêchait la poursuite du contrat de travail. Au demeurant, M. [Z] [O] a proposé à son employeur d'accomplir un préavis, ce qu'il a fait, même au-delà de ce qu'il avait annoncé. Sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail ne peut en conséquence produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] [O] de sa demande d'indemnité.
Sur les autres demandes
L'issue du litige justifie de confirmer le jugement du chef de ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société au Cheval Noir à verser à M. [Z] [O] la somme complémentaire de 1 800 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré, sauf à préciser que la relation de travail est requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 février 2018 et sauf sur le montant de l'indemnité de requalification.
Statuant à nouveau de ce chef :
Condamne la société au Cheval Noir à verser à M. [Z] [O] la somme de 1 586,41 euros à titre d'indemnité de requalification.
Condamne la société au Cheval Noir à verser à M. [Z] [O] la somme complémentaire de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Condamne la société au Cheval Noir aux dépens.
LE GREFFIER
Séverine STIEVENARD
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK