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23/03/2023 | FRANCE | N°21/06376

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 23 mars 2023, 21/06376


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 23/03/2023





****





N° de MINUTE : 23/110

N° RG 21/06376 - N° Portalis DBVT-V-B7F-UAPR



Jugement (N° 19/02104) rendu le 24 Novembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras





APPELANTS



Monsieur [N] [E]

né le 27 Novembre 1979 à [Localité 8] ([Localité 4])

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité

5]



Madame [K] [J]

née le 22 Février 1982 à [Localité 8] ([Localité 4])

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représentés par Me Christian Delevacque, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué

...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 23/03/2023

****

N° de MINUTE : 23/110

N° RG 21/06376 - N° Portalis DBVT-V-B7F-UAPR

Jugement (N° 19/02104) rendu le 24 Novembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANTS

Monsieur [N] [E]

né le 27 Novembre 1979 à [Localité 8] ([Localité 4])

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Madame [K] [J]

née le 22 Février 1982 à [Localité 8] ([Localité 4])

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentés par Me Christian Delevacque, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué

INTIMÉES

SA CNP Assurances agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Cécile Vasseur, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué

SA Credit Immobilier de France Developpement agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Antoine Le Gentil, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 12 janvier 2023 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 décembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

Selon offre acceptée le 9 mai 2008, Mme [K] [J] et M. [N] [E] ont souscrit auprès du Crédit immobilier de France développement (CIF) un prêt immobilier d'un montant de 118 286 euros remboursable par 300 mensualités de 791,84 euros.

Pour garantir le remboursement de cet emprunt, ils ont adhéré à un contrat d'assurance de groupe en couverture de prêts immobiliers souscrit par le CIF auprès de la SA CNP assurances et garantissant les risques décès, PTIA et ITT.

Mme [J] a été placée en invalidité de 2ème catégorie par la caisse primaire d'assurance-maladie à compter du 1er janvier 2016.

CNP assurances a refusé la prise en charge du sinistre déclaré, invoquant une clause d'exclusion de garantie.

Par jugement du 24 novembre 2021, le tribunal judiciaire d'Arras a :

- rejeté la 'n de non recevoir soulevée par la SA CNP Assurances ;

- déclaré recevables les demandes de M. [N] [E] et Mme [K] [J] ;

- débouté M. [E] et Mme [J] de l'ensemble de leurs demandes ;

- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;

- condamné in solidum M. [E] et Mme [J] aux dépens.

Par déclaration du 22 décembre 2021, M. [E] et Mme [J] ont formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

Vu les conclusions notifiées le 22 mars 2022, par lesquelles M. [E] et Mme [J] demandent à la cour d'infirmer la décision critiquée « en ce qu'elle a : » (sic)

Par suite, statuant à nouveau,

- juger que la société CNP Assurances est tenue de garantir leur emprunt référencé 100086572 pour un montant de 95 000 euros auprès du CIF au titre de la garantie incapacité temporaire totale et ce, à compter du 1er janvier 2016, date du placement de Mme [J] en invalidité 2ème catégorie par la caisse primaire d'assurance-maladie :

- dire et juger que, conformément aux dispositions contractuelles, les échéances d'emprunt, qu'ils ont réglées par M. [E] et Mme [J] du 1er janvier 2016 jusqu'à la date à laquelle l'arrêt à intervenir sera définitif, seront remboursées directement entre les mains de M. [E] et Mme [J] alors que les échéances postérieures seront réglées entre les mains de l'organisme prêteur à savoir le CIF.

- débouter la société CNP Assurances de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- condamner la société CNP Assurances à payer à M. [E] et Mme [J] la somme de 2500 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice financier et moral.

- condamner la société CNP Assurances à payer à M. [E] et Mme [J] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- dire et juger commune et opposable au CIF la décision à intervenir.

- condamner la société CNP Assurances aux entiers dépens.

Vu les conclusions notifiées le 22 juin 2022, par lesquelles la SA Crédit immobilier de France Développement (CIF), demande à la cour de :

- prendre acte de sa position de neutralité dans le cadre du litige opposant M. [N] [E] et Mme [K] [J] à la société CNP Assurances ;

- infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a débouté les parties du surplus de leurs demandes incluant la demande d'indemnité de procédure qu'elle a présentée et statuant à nouveau sur ce point :

- en cas de confirmation du jugement critiqué, condamner solidairement M. [N] [E] et Mme [K] [J] à lui payer la somme de 2 000 euros d'indemnité de procédure au titre de la procédure de première instance et celle de 2 000 euros au titre de la procédure d'appel ;

- en cas d'infirmation du jugement critiqué, condamner la société CNP Assurances à lui payer la somme de 2 000 euros d'indemnité de procédure au titre de la procédure de première instance et celle de 2 000 euros au titre de la procédure d'appel ;

- condamner solidairement M. [N] [E] et Mme [K] [J] et [L], la Société CNP Assurances aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les conclusions notifiées le 25 novembre 2022, par lesquelles la SA CNP Assurances, demande à la cour de confirmer le jugement critiqué et

- de débouter M. [E] et Mme [J] de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions

- débouter le CIF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

=$gt; à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour faisait droit à la demande d'expertise avant dire-droit formulée par M. [E] et Mme [J], préciser qu'il appartiendra à l'expert désigné de :

- se faire communiquer le dossier médical de Mme [J], y compris les documents détenus par des tiers,

- retracer ses antécédents médicaux et les traitements suivis,

- examiner l'assurée,

- dire si l'affection à l'origine de l'arrêt de travail de l'assurée fait partie des risques exclus (affection par affection),

- dire si, d'un point de vue strictement médical, l'assurée s'est trouvée dans l'impossibilité absolue d'exercer une activité professionnelle ou non, même à temps partiel, le cas échéant, pendant quelle(s) période(s),

- établir un pré-rapport afin de permettre aux parties de formuler leurs observations et réclamations éventuelles, en application des dispositions de l'article 276 du code de procédure civile.

=$gt; à titre plus subsidiaire encore, dire et juger que toute éventuelle prise en charge du prêt en cause ne pourra s'effectuer que dans les termes et limites contractuels et au profit de l'organisme prêteur, bénéficiaire du contrat d'assurance, à charge pour ce dernier de restituer à M. [E] et Mme [J] les sommes dont ils auraient fait l'avance.

=$gt; en toute hypothèse.

- débouter M. [E] et Mme [J] de leur demande de dommages et intérêt ;

- débouter le CIF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

Y ajoutant,

- condamner M. [E] et Mme [J] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner M. [E] et Mme [J] aux entiers frais et dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour l'essentiel, les premiers juges ont estimé que CNP assurances n'établit pas l'existence d'une exclusion de garantie, mais que Mme [J] ne prouve pas davantage (i) qu'elle bénéficie d'une garantie au titre d'une invalidité, (ii) qu'elle remplit les conditions contractuelles d'une indemnisation au titre de la garantie « incapacité temporaire de travail », alors que (iii) elle n'a au surplus pas respecté les délai de déclaration d'un sinistre constitué par la survenance d'une telle ITT.

CNP assurances ayant sollicité la confirmation intégrale du jugement critiqué, le chef du jugement ayant rejeté sa fin de non-recevoir tirée d'une prescription biennale de l'action engagée par Mme [J] est par conséquent définitif.

Sur l'opposabilité de la notice d'information aux adhérents :

Lors de l'adhésion à un contrat d'assurance de groupe, l'article L. 141-4 du code des assurances prévoit la remise par le soucripteur à l'adhérent d'une notice

d'information établie par l'asssureur, qui définit les garanties et leurs modalités d'entrée en vigueur, ainsi que les modalités à accomplir en cas de sinistre.

En matière de contrat d'assurance de groupe « emprunteurs » l'information des adhérents est spécifiquement prévue par l'article L. 312-9 du code de la consommation, dans sa rédaction applicables au 9 mai 2008, date du bulletin d'adhésion par Mme [J] au contrat souscrit par le prêteur auprès de CNP assurances : il appartient ainsi obligatoirement au prêteur qui propose à l'emprunteur un contrat d'assurance collective d'annexer au contrat de prêt une notice énumérant les risques garantis et précisant toutes les modalités de la mise en jeu de l'assurance.

En l'espèce, outre qu'il est contradictoire pour Mme [J] d'invoquer d'abord le bénéfice d'une notice d'information au soutien des garanties souscrites (paragraphe IV A de ses conclusions) avant d'en contester l'opposabilité (paragraphe IV B), la cour approuve les premiers juges d'avoir estimé que la notice d'information produite par CNP assurances est opposable à l'adhérente, dès lors que figure dans le bulletin d'adhésion la mention « je reconnais avoir reçu un exemplaire de la notice d'information du contrat auquel j'ai demandé d'adhérer et accepte d'être assurée selon les modalités de cette notice ».

Une telle clause de renvoi est efficace dès lors qu'elle figure dans un document signé de l'adhérent, a été acceptée et est précise. En l'espèce, cette clause est insérée dans le bulletion d'adhésion signé le 27 mars 2008 par Mme [J]. Les premiers juges ont valablement observé que le contrat porte d'une part une référence « 7538T Standard », qui correspond à celle figurant sur la dernière page en marge de l'exemplaire de la notice d'information que produit CNP assurances et que cette notice vise, d'autre part, une version « 01/2007 » applicable à la date d'adhésion par Mme [J].

Le contrat de prêt immobilier signé le 28 avril 2008 par Mme [J] comporte enfin une mention indiquant, en page 20 signée par cette dernière, que « font partie intégrante de l'offre : - les conditions particulières d'assurance figurant sur le bulletin d'adhésion ; - les conditions générales des assurances décès/perte totale et irréversible d'autonomie, et le cas échéant, perte d'emploi décrites dans les notices d'information et bulletins d'adhésion ».

Alors qu'il n'est pas exigé que la notice d'information soit elle-même signée par l'adhérent, il en résulte que CNP assurances prouve valablement que le CIF a remis à Mme [J] un exemplaire de la notice d'information, dont les stipulations lui sont par conséquent opposables.

Sur la garantie :

Si, conformément à l'article 1315 du code civil, devenu l'article 1353 alinéa 1 depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, il appartient d'abord à l'assuré d'établir l'existence du sinistre, objet du contrat, et de prouver par conséquent que les circonstances et les conséquences rentrent dans le champ de la garantie et, le cas échéant, que la ou les conditions de cette garantie sont réunies, c'est à l'assureur, qui entend ensuite s'exonérer de son obligation de garantie, de rapporter la preuve, conformément à l'alinéa 2 du même article, de ce que le sinistre tombe sous le coup d'une clause d'exclusions de risque ou d'une clause de déchéance du droit à indemnisation.

Il en résulte qu'à l'inverse des premiers juges, il convient de statuer d'abord sur l'existence et la mise en oeuvre de la garantie qu'invoque Mme [J] pour solliciter l'indemnisation de son sinistre.

Mme [J] sollicite son indemnisation au titre de son placement en invalidité de 2ème catégorie par la sécurité sociale.

Contrairement à l'appréciation des premiers juges, elle a adhéré à la garantie « PTIA » (perte totale et irréversible d'autonomie), dont la définition contractuelle implique l'existence d'une invalidité. La prise en charge d'un sinistre au titre de cette garantie nécessite que l'adhérente prouve qu'elle remplit les quatre conditions cumulativement prévues par la clause 5.2.1. de la notice d'information.

Pour autant, Mme [J] fonde exclusivement sa demande de prise en charge du sinistre par CNP assurances sur la seule garantie « ITT ». À cet égard, elle indique notamment remplir les conditions de l'incapacité temporaire totale, telle que définie par la notice d'information, avant d'estimer qu'une telle ITT est « appelée communément invalidité » (page 6/13 de ses conclusions).

L'ambiguïté repose en réalité sur la polysémie du terme « invalidité », qui recouvre en matière de sécurité sociale la situation dans laquelle une « pension d'invalidité » est versée à l'assuré social dont la capacité de travail ou de gain est réduite à la suite d'un accident ou d'une maladie professionnelle.

En réalité, Mme [J] sollicite la prise en charge du sinistre au titre d'une impossibilité temporaire, et non permanente, de se livrer à une activité rémunérée.

Dans le corps de ses conclusions, CNP assurances prétend qu'une telle demande fondée sur la garantie ITT présente un caractère nouveau pour en conclure qu'elle est irrecevable en cause d'appel, dès lors que seule une garantie « invalidité » a été invoquée devant les premiers juges. Pour autant, cette prétention ne figure pas dans le dispositif de ses conclusions, de sorte que la cour n'en est pas saisie, alors qu'au surplus, une telle demande n'est pas nouvelle en cause d'appel dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que celle soumise au premier juge, dans la mesure où elle vise identiquement l'indemnisation du sinistre déclaré par Mme [J] à son assureur.

Sa demande relève par conséquent de la clause 5.3. définissant une telle garantie ITT et de la clause 9.3 déterminant les justificatifs à produire en cas de sinistre.

Selon la clause 5.3., l'assuré est en en état d'incapacité temporaire totale (ITT) lorsque, à l'expiration d'une période d'interruption continue d'activité de 90 jours décomptée à partir du 1er jour d'interruption d'activité consécutive à la maladie ou à l'accident, appelé délai de franchise, il se trouve dans l'impossibilité absolue médicalement constatée,

- pour un assuré exerçant une activité professionnelle au jour du sinistre (y compris recherche d'emploi), d'exercer même partiellement son activité professionnelle [...]

Lorsque l'assuré est assuré social, il doit en outre bénéficier de prestations en espèces de l'organisme de protection sociale dont il dépend (indemnités journalières maladie ou accident, pension d'invalidité de 2ème ou 3ème catégorie selon la définition de l'article L. 341-4 du code de la sécurité sociale [...] »

En l'espèce, CNP assurances ne conteste pas que Mme [J] a été placée en arrêt de travail à compter du 7 février 2013 en raison de douleurs rachidiennes lombaires, ainsi qu'il résulte de son courrier adressé le 31 août 2017 à son assurée.

Le certificat médical établi le 25 novembre 2016 par le docteur [Z] indique que Mme [J] souffre d'une « syringomiélie rachis lombaire avec le tronc en avant », qui constitue le motif de l'interruption actuelle de ses activités. Ce certificat mentionne que l'arrêt d'activité est total et que Mme [J] ne pourrait reprendre une autre activité professionnelle.

Mme [J] produit en outre la notification de l'attribution d'une pension d'invalidité de 2ème catégorie à compter du 1er janvier 2016.

Il résulte de l'ensemble de ces pièces que Mme [J] démontre remplir les conditions contractuelles de la garantie ITT.

Au surplus, dans son courrier du 20 février 2017, CNP assurances motive son refus de garantie du sinistre par la circonstance que « l'affection à l'origine de l'arrêt du 1er janvier 2016 fait partie des risques exclus mentionnés aux conditions d'assurance remises lors de [son] adhésion. Ces exclusions contractuelles s'appliquent quelle que soit l'origine de la pathologie, qu'elle soit de nature accidentelle ou non». Invoquer exclusivement une telle exclusion de garantie pour s'opposer à l'indemnisation renvoie implicitement à la reconnaissance par l'assureur que la garantie invoquée est remplie et qu'une indemnisation serait dûe hors du champ de cette exclusion.

Sur la clause d'exclusion :

Il résulte de l'article L. 122-2 du code des assurances qu'une clause d'exclusion de garantie doit avoir été portée à la connaissance de l'assuré au moment de son adhésion à la police ou, à défaut, antérieurement à la réalisation du sinistre pour lui être opposable.

En l'espèce, la clause d'exclusion invoquée par CNP assurances figure dans la clause 7 de la notice d'information, dont les termes sont opposables à Mme [J].

Pour autant, il incombe à l'assureur d'établir que les circonstances particulières visées par la clause d'exclusion qu'elle invoque sont remplies. À cet égard, CNP assurances inverse ainsi la charge de la preuve en estimant que Mme [J] ne prouve pas que son affection n'entre pas dans le champ d'application de l'exclusion.

A l'inverse, la cour observe que :

- la clause d'exclusion prévue par la notice d'information en matière de garantie ITT vise « les atteintes discales, vertébrales, para-vertébrales, intra-vertébrales, et leurs complications neuromusculaires, SAUF si cette affection a nécessité une intervention chirurgicale pendant la période d'incapacité ».

- CNP assurances ne produit toutefois aucun élément médical permettant d'établir que la « syringomiélie » dont est atteinte Mme [J], a vocation à intégrer les hypothèses visées par la clause d'exclusion, en dépit de l'invitation par les premiers juges à les éclairer sur une telle circonstance au regard de leur propre incapacité à apprécier cette question technique. Dans son courrier du 27 mars 2017, l'assureur de protection juridique de Mme [J] invitait déjà CNP assurances à justifier que l'affection de cette dernière intègre la liste des exclusions. La cour n'ayant aucune obligation de suppléer une telle carence probatoire de l'assureur, il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure d'expertise pour déterminer si cette pathologie fait ou non partie des exclusions de garantie.

Sur la déchéance de garantie pour production tardive des pièces justificatives :

La clause 9.3.1. de la notice d'information stipule que l'ensemble des pièces justificatives doivent être présentées par l'assuré à CNP assurances dans les 180 jours qui suivent le 1er jour d'interruption d'activité consécutive à la maladie ou à l'accident pour ITT.

Une telle clause de déchéance ne sanctionne pas un délai de déclaration du sinistre lui-même, mais un défaut de production des pièces à fournir à l'appui d'une telle déclaration ;

Sur ce point, alors que l'assureur indique n'avoir été destinataire d'une déclaration de sinistre qu'au 1er janvier 2017, Mme [J] n'invoque aucun moyen pour écarter l'application d'une telle clause de déchéance de garantie, qui lui est opposable à l'instar des autres clauses figurant dans la notice d'information. Les dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances ne sont notamment pas invoquées par l'assurée.

Alors qu'elle justifie remplir les conditions de la garantie à compter du 1er janvier 2016, date à laquelle la caisse primaire d'assurance-maladie lui a reconnu une invalidité de 2ème catégorie, Mme [J] ne conteste ainsi pas avoir « déclaré son sinistre auprès de la CNP assurances laquelle accusait réception de son dossier en date du 5 janvier 2017 ». Elle ne produit d'ailleurs pas une copie de sa déclaration de sinistre.

Il en résulte qu'une déchéance partielle de garantie est valablement invoquée par CNP assurances à l'encontre de son assurée, de sorte que « la prise en charge débutera au jour de la réception du dossier complet par l'assureur », conformément aux stipulations de la clause 9.3.1., soit à compter du 1er janvier 2017.

Sur les modalités d'indemnisation :

Cette clause 5.3.3. de la notice d'information stipule que : « en cas d'incapacité temporaire totale, ['] l'assureur verse au prêteur, à compter du 91ème jour, une prestation calculée sur la base du montant des échéances, en capital et intérêts, y compris les primes d'assurances définies à l'article 8, au prorata du nombre de jours d'incapacité dûment justifiés et acdeptés par l'assureur ». L'indemnisation par l'assureur n'inclut en revanche pas « les éventuels intérêts de retard et/ou indemnités de retard qui pourraient être réclamés par le prêteur à l'assuré ».

La clause ne distingue pas selon que les échéances sont échues ou non, de sorte que la demande de Mme [J] aux fins de règlement entre ses mains des échéances antérieures au présent arrêt n'est pas fondée.

Si aucune déchéance du terme n'est enfin invoquée par le prêteur, Mme [J] n'invoque ou n'établit toutefois pas l'existence d'une subrogation dans les droits du CIF, bénéficiaire des prestations prévues par le contrat d'assurance de groupe, qui justifierait le versement entre ses mains des échéances qu'elle aurait versées au prêteur depuis le 1er janvier 2017.

Le délai de franchise de 90 jours à compter du premier jour d'arrêt de travail n'a en revanche pas vocation à s'appliquer, dès lors qu'il a couru sur la période visée par la déchéance partielle de garantie et que l'indemnisation débute à compter du 1er janvier 2017.

En définitive, il convient par conséquent de condamner CNP assurances à payer au CIF à compter du 1er janvier 2017 les échéances du prêt, conformément aux stipulations contractuelles au titre de la garantie ITT. Le contrat étant la loi des parties, cette obligation de garantie doit se poursuivre dans les conditions fixées par la clause 5.3.4. de la notice d'information, qui définit la cessation du versement des prestations.

Sur la demande indemnitaire pour « résistance abusive » :

La demande indemnitaire ne vise aucun fondement juridique. Pour autant, dès lors que Mme [J] invoque le préjudice résultant de la « résistance de la CNP assurances à exécuter ses obligations », il s'en déduit qu'elle invoque la responsabilité contractuelle de l'assureur au titre de l'inexécution fautive de ses obligations à son égard. Une telle faute contractuelle peut en outre être invoquée à titre délictuel par M. [E], dès lors qu'elle lui a causé un préjudice personnel.

En l'espèce, l'absence d'indemnisation par l'assureur repose essentiellement sur l'invocation d'une exclusion de garantie, dont CNP assurances n'a jamais apporté la démonstration, en dépit des demandes adressées tant par l'assureur de protection juridique de Mme [J] que par les premiers juges.

Le refus de procéder à une quelconque indemnisation n'est ainsi pas justifié et s'analyse comme une inexécution fautive par l'assureur de ses obligations, qui motive l'allocation de dommages-intérêts au profit de l'assurée.

En raison d'une telle inexécution, Mme [J] et M. [E] ont poursuivi le remboursement du prêt, alors que cette assurée était couverte à 100 % et privée de revenus professionnels : à ce titre, les coemprunteurs ont subi un préjudice moral et financier en relation causale avec une telle faute, et ceci depuis le 1er janvier 2017.

A titre de dommages-intérêts, il convient de condamner CNP assurances à lui payer la somme de 2 000 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

et d'autre part, à condamner CNP assurances, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer respectivement à Mme [J] et à M. [E], d'une part, et au CIF, d'autre part, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

Il n'y a pas lieu de déclarer le présent arrêt opposable et commun au CIF, alors que ce dernier est partie à la présente instance.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Réforme le jugement rendu le 24 novembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras dans toutes ses dispositions critiquées ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Dit n'y avoir lieu à ordonner une expertise ;

Dit que la SA CNP assurances doit garantir à compter du 1er janvier 2017 Mme [K] [J] au titre du risque « incapacité totale temporaire » pour lequel elle est assurée conformément aux stipulations de la clause 5.3. de la notice d'information applicable au contrat d'assurance groupe en couverture de prêts n°7538T auquel elle a adhéré ;

Condamne par conséquent la SA CNP assurances à payer à la SA Crédit immobilier de France développement le montant des échéances du prêt immobilier n°100086572 souscrit le 9 mai 2008 par Mme [K] [J] et M. [N] [E] auprès de cet établissement bancaire, en capital et intérêts, y compris les primes d'assurances, et exclusion faite des éventuels intérêts de retard et/ou indemnités de retard qui pourraient être réclamés par le prêteur à Mme [J], au prorata du nombre de jours d'incapacité dûment justifiés, à compter du 1er janvier 2017 et sous réserve de la cessation du versement en application de la clause 5.3.4 de ladite notice d'information ;

Condamne la SA CNP assurances à payer à Mme [K] [J] et à M. [N] [E] une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour inexécution fautive du contrat d'assurance ;

Condamne la SA CNP assurances aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la SA CNP assurances à payer respectivement à :

- Mme [K] [J] et à M. [N] [E]

- la SA Crédit immobilier de France développement

la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés tant en première instance qu'en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le greffier

Fabienne DUFOSSÉ

Le président

[F] [M]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/06376
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;21.06376 ?
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