République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 16/03/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/01891 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TAGY
Jugement n° 2018018963 rendu le 27 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTS
SARL Sound Light Evenement - en liquidation judiciaire -
représentée par Me Amaury Lammens, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assistée de Me Valère Gaussen, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTERVENANT VOLONTAIRE
Maître [E] [W] désigné ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Sound Light Evenement, en liquidation judiciaire, par jugement du tribunal de commerce d'Evry en date du 27 juillet 2020
sis [Adresse 1]
représenté par Me Amaury Lammens, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assisté de Me Valère Gaussen, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉE
SA Allianz IARD prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 2]
représentée par Me Emmanuel Masson, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 14 décembre 2022 tenue par Dominique Gilles magistrat chargé d'instruire le dossier et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 novembre 2022
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Le véhicule Porsche 718 immatriculé [Immatriculation 3] loué avec option d'achat auprès de la société Compagnie de location d'équipements (CGLE) par la SARL Sound light événement et assuré « tous risques » par celle-ci auprès de la société Allianz IARD a été gravement endommagé. Par un jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 11 septembre 2019, le loueur a obtenu la condamnation de la société Sound light événement à lui payer 72 092,14 euros en principal, correspondant à la valeur résiduelle non indemnisée du véhicule, au titre de la résiliation du contrat. Dans cette instance, l'assureur a également agi à titre personnel en dommages-intérêts contre le dirigeant de la société locataire, pour sa faute résultant de la fausse déclaration intentionnelle à l'occasion de la déclaration de sinistre. L'assureur ayant, en effet, refusé sa garantie pour fausse déclaration intentionnelle de l'assurée à l'occasion de l'accident déclaré du 22 octobre 2017, la SARL Sound light événement a fait assigner l'assureur en intervention forcée, aux fins de garantie en vertu du contrat d'assurance, par acte extrajudiciaire du 16 novembre 2018. Le tribunal de commerce saisi des deux instances ne les a pas jointes. Dans le jugement déjà mentionné, le tribunal a sursis à statuer à l'égard du dirigeant, dans l'attente du jugement à l'égard de l'assureur.
Vu le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 27 novembre 2019 rendu sur l'appel en garantie de la SARL Sound light événement contre la SA Allianz IARD, qui a débouté l'assurée de ses demandes, et qui l'a condamnée à payer à la société Allianz IARD 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;
Vu la déclaration d'appel de la SARL Sound light événement contre ce jugement, reçue au greffe le 15 mai 2020 et déférant expressément à la cour chacun de ses chefs ;
Vu la liquidation judiciaire de la société Sound light événement, prononcée par jugement du tribunal de commerce d'Evry du 27 juillet 2020 et désignant M. [E] [W], mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur ;
Vu les dernières conclusions d'appelant du liquidateur ès qualités, déposées et notifiées par la voie électronique valant signification le 9 février 2021, demandant à la cour, au visa des articles 1101,1102 et 1103 du code civil, de :
- prendre acte de son intervention volontaire et constater la reprise d'instance ;
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déboutée la société en liquidation de ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée ;
- statuant à nouveau :
- dire que l'assurée ne peut se voir opposer aucune cause de déchéance de garantie ;
- dire que celle-ci n'a ni personnellement ni volontairement procédé à une fausse déclaration, que les conditions de la garantie sont acquises et que la société Allianz IARD doit garantir le préjudice causé par cette assurée ;
- en conséquence, condamner l'assureur à payer 72 092,14 euros à la société Compagnie Générale de Location d'Equipements, en qualité d'assureur de la société en liquidation assurée ;
- condamner l'assureur à payer au liquidateur ès qualités concluant 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens en sus ;
Vu les dernières conclusions de la SA Allianz IARD intimée, déposées et notifiées par la voie électronique valant signification le 12 novembre 2020 qui, au visa de l'article 1315 du code civil, prie la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter le liquidateur ès qualités de ses demandes et de le condamner à lui payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel, dépens en sus ;
L'ordonnance de clôture est du 23 novembre 2022.
SUR CE
LA COUR
Il est constant que l'intervention à l'instance du liquidateur ès qualités est recevable et emporte reprise de l'instance interrompue par la procédure collective.
Dès lors que l'appel en garantie simple ne créée pas de lien juridique entre le demandeur à l'action principale (CGLE) et le garant (l'assureur), la société Allianz IARD fait valoir à juste raison que la demande de condamnation formée par l'assurée et lui demandant de payer une somme au loueur qui n'est pas dans la cause doit être rejetée, étant observée que cet assureur s'abstient de mentionner quelque irrecevabilité que ce soit dans le dispositif de ses écritures qui seul lie la cour, alors que dans le corps de celles-ci, il se prévaut notamment d'un défaut d'intérêt tiré de l'adage « nul ne plaide par procureur ».
Reste que le liquidateur ès qualités demande également de juger que l'exception de garantie soulevée par l'assureur est mal fondée, et que cette demande n'encourt pas la critique d'impossibilité admise pour la précédente.
Il est constant que l'article 39 des dispositions générales du contrat d'assurance, dont l'assurée a reconnu qu'il lui était opposable mais que ses conditions n'étaient pas réunies, mentionne :
« ['] vous perdrez tout droit à indemnité, si volontairement, vous faites de fausses déclarations sur la date, la nature, les causes, circonstances ou conséquences du sinistre, la date et la valeur d'achat, l'état général ou le kilométrage du véhicule, ou sur l'existence d'autres assurances pouvant garantie le sinistre. »
Cependant et en droit, il appartient à la cour de veiller à ce que l'assureur qui prétend à l'application d'une clause prévoyant la déchéance de garantie en cas de fausse déclaration relative au sinistre établisse la mauvaise foi de l'assuré (cf. Cass.civ.2ème, 5 juillet 2018 N° : 17-20.491). Cette règle, qui est issue de celle qui impose à celui qui se prétend libéré d'une obligation, de prouver le fait qui l'a éteinte, est contraire à ce que soutient l'assureur, qui méconnaît que la bonne foi est toujours présumée et qui considère à tort qu'un « faisceau d'indices laissant penser à une fraude entraîne un renversement de la charge de la preuve ».
En présence d'une déclaration d'accident mensongère effectuée par l'assuré sur la base d'informations données par un conducteur autorisé, la mauvaise foi suppose la connaissance par l'assuré déclarant le sinistre de la fausseté de ces informations.
Or, l'assurée fait valoir essentiellement en l'espèce qu'elle n'a pas fait volontairement de fausse déclaration dans la déclaration du sinistre, dès lors qu'elle avait prêté le véhicule à un tiers qui est à l'origine des informations par elle transmises à l'assureur dans le constat amiable que ce tiers a établi.
Cependant, l'assureur lui-même ne considère pas avoir démontré la mauvaise foi de l'assuré ; il se borne à faire valoir que les faits de l'espèce, dont les revirements de position de l'assuré en cours de procès, en particulier sur son lien avec le signataire du constat amiable, M. [F], « interrogent d'autant plus sur la bonne foi de l'assuré ».
En particulier, la circonstance que dans des conclusions devant le tribunal de commerce l'assurée ait présenté M. [F] comme un salarié avant de le présenter comme un tiers ne prouve pas sa mauvaise foi dans la déclaration de sinistre.
Le liquidateur ès qualités représentant l'assurée expose, dans ses conclusions, que le 20 octobre 2017 vers 23 heures 30 alors qu'un tiers, M.[F], à qui elle avait prêté le véhicule litigieux le conduisait sur l'autoroute A15, un autre véhicule a percuté l'arrière gauche du premier, occasionnant un lourd dommage.
Elle écrit encore : « Peu après l'accident, la société Sound light événement, qui était assurée tous risques, appelait son assureur en garantie afin que ce dernier prenne en charge les frais de remise en état du véhicule. »
Sans réponse, elle indique avoir relancé l'assureur, notamment par un courriel du 8 novembre 2017 ; ce document produit mentionne qu'elle avait envoyé auparavant l'original du constat.
Ce constat amiable d'accident, qu'elle produit également, mentionne avoir été établi le 22 octobre 2017 à 23 heures 30 par MM. [F], conducteur du véhicule Porsche, et Ben Abdallah, mentionné comme étant le conducteur d'un véhicule adverse Renault Clio assuré auprès de Groupama.
Il est établi que le contrat d'assurance indiqué dans le constat amiable comme étant celui du véhicule Renault adverse n'existe pas et que cette compagnie n'assure aucun véhicule correspondant à cette immatriculation.
Cependant, la mauvaise foi de la société Sound light événement ne résulte pas non plus des motifs du jugement entrepris, qui s'est également borné à indiquer que bon nombre d'indices autorisent une mise en question de la vérité des déclarations faites, et ainsi des circonstances suivantes :
- le premier expert d'assurance mandaté par la société Allianz n'a relevé aucune trace d'un véhicule tiers sur le véhicule litigieux ;
- le conducteur du véhicule, M.[F], a été entendu par l'enquêteur privé missionné également par l'assureur et n'a fourni aucune explication sur les incohérences relevées ;
- l'adresse du conducteur du véhicule tiers est celle de quelqu'un d'autre qui ne le connaît pas et qui a dit avoir été interrogé par une autre compagnie d'assurance pour des faits similaires ;
- l'immatriculation du véhicule tiers correspond à celui d'une autre personne qui indique ne pas connaitre le conducteur du véhicule tiers et avoir été interrogé pour des faits similaires par une autre compagnie d'assurance ;
- le fichier Sidexa confirme qu'aucun sinistre n'a été déclaré pour un véhicule portant cette immatriculation ;
- l'exploitation du traqueur du véhicule est compatible avec une course-poursuite au cours d'un aller-retour très rapide juste avant l'accident, qui pourrait expliquer l'abandon du véhicule sur les lieux de l'accident, sans qu'aucun autre véhicule ait été retrouvé sur les lieux de l'accident et sans que le conducteur ait pris le soin d'appeler lui-même un dépanneur, comportement irresponsable pour un conducteur qui n'aurait rien à se reprocher ;
- la similitude des écritures de part et d'autre du constat permet de penser qu'il s'agit du même auteur, d'autant que le constat n'est pas signé ;
- la société Sound light événement n'apporte pas la preuve formelle de la vérité des déclarations qui ont été faites pour son compte dans le constat.
L'assureur soutient que l'assurée devait vérifier qu'il ne s'agissait pas de déclarations mensongères alors qu'au contraire il les a reprises, relayées et prises pour son propre compte et en est devenue « tributaire », tandis qu'il est peu probable que cette assurée n'ait posé aucune question au conducteur, de sorte que selon l'assureur, il n'est nullement certain que l'assurée ignorait réellement le caractère mensonger des informations.
L'assureur soutient également que si l'assuré n'était pas « tributaire » des éventuelles fausses informations des personnes autorisées à conduire, cela rendrait les fraudes à l'assurance bien trop faciles.
L'assureur soutient que rien ne prouve que M. [F] a véritablement conduit le véhicule, ni qu'il était autorisé à conduire ni même qu'il disposait du permis de conduire avant de se voir confier la garde du véhicule.
L'assureur fait valoir que l'assurée n'a jamais appelé M. [F] en la cause.
L'assureur fait également valoir que l'assurée avait intérêt à déguiser les circonstances de l'accident, en présence de suspicion de conduite sous l'empire d'un état alcoolique ou de produits stupéfiants susceptibles de constituer des exclusions de garantie, suspicion d'autant plus forte que le conducteur a fui les forces de l'ordre malgré la violence du choc subi.
L'ensemble de ces arguments sont inopérants car ils tendent à rendre vaine la règle selon laquelle l'assureur doit prouver la mauvaise foi de l'assuré.
En outre, la propre enquête de l'enquêteur privé missionné par l'assureur confirme que M. [F], entendu par cet enquêteur, a bien conduit le véhicule litigieux. S'il est acquis que l'assurait devait vérifier que le tiers autorisé était bien titulaire du permis de conduire, alors que le constat d'accident mentionne les références de permis de conduire de M. [F], transmis par l'assurée, et que ni l'enquête ni les autres diligences de l'assureur ne fournissent d'élément laissant penser à une fraude sur ce point, la mauvaise foi de l'assurée ne peut découler d'une prétendue carence de sa part, non établie, pour vérifier que ce conducteur était bien titulaire du permis de conduire.
La mauvaise foi de l'assuré ne découle pas non plus du fait qu'il n'ait pas appelé M. [F] en la cause, alors que la charge de la preuve ne lui incombe pas.
Aucun élément tiré des pièces invoquées par l'assureur ne démontre la mauvaise foi de l'assurée.
La mauvaise foi de l'assurée ne peut donc pas être retenue en l'espèce.
Si l'assureur soutient encore qu'il y a lieu de débouter le liquidateur ès qualités de ses demandes au moyen que la preuve n'est pas rapportée d'une déclaration de sinistre dans les cinq jours, comme stipulé dans les conditions générales à l'article 39 des conditions générales, d'une part l'examen de ces conditions générales ne révèle pas l'indication claire d'un risque de déchéance dans le contrat d'assurance ; l'article 39 invoqué ne le mentionne d'ailleurs pas. D'autre part, en présence d'une déclaration de sinistre, l'assureur qui a la charge de prouver qu'elle est tardive, ne démontre pas que l'assuré a eu connaissance du sinistre plus de cinq jours ouvrés avant la déclaration de sinistre qu'il a instruite, étant établi par ailleurs que le constat amiable d'accident, qui est un écrit, a été transmis à l'assureur dans les jours qui ont suivi le 22 octobre 2017, puisque l'assuré a fait une relance écrite le 8 novembre 2017 auprès de l'assureur, mentionnant le défaut de réponse à la transmission préalable de l'original du constat, étant encore observé que le technicien d'assurance indique que sa mission est du 9 novembre 2017.
Il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris sera entièrement réformé, l'assureur étant dans l'obligation de garantir l'assurée.
En équité, l'assureur versera au liquidateur ès qualités une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
L'assureur sera également condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme le jugement entrepris ;
Dit que la société Allianz IARD doit, en vertu du contrat d'assurance, prendre en charge le préjudice subi par la société Sound light, découlant de l'accident du véhicule ;
Condamne la société Allianz IARD à payer à M. [E] [W], en sa qualité de liquidateur de la société Sound light événement, 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Allianz IARD aux entiers dépens ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles