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09/03/2023 | FRANCE | N°20/01954

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 09 mars 2023, 20/01954


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 09/03/2023





****





N° de MINUTE :

N° RG 20/01954 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TAME



Jugement n° 2019008010 rendu le 21 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Valenciennes





APPELANTE



Madame [O] [D] épouse [K]

née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 4], de nationalité française

demeurant [Adresse 2]

re

présentée par Me Vincent Speder, avocat constitué, substitué par Me Pauline Maillard, avocats au barreau de Valenciennes





INTIMÉE



SA Intrum Debt Finance AG (anciennement dénommée Intrum Justitia Debt Fina...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 09/03/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 20/01954 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TAME

Jugement n° 2019008010 rendu le 21 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Valenciennes

APPELANTE

Madame [O] [D] épouse [K]

née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 4], de nationalité française

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Vincent Speder, avocat constitué, substitué par Me Pauline Maillard, avocats au barreau de Valenciennes

INTIMÉE

SA Intrum Debt Finance AG (anciennement dénommée Intrum Justitia Debt Finance AG), de droit suisse, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités de droit audit siège, venant aux droits de la société LCL - Le Crédit Lyonnais suivant acte sous seing privé de cession de créance en date du 6 juillet 2017, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice ayant pour mandataire de gestion la société Intrum Corporate, dûment représentée par ses dirigeants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social à [Adresse 5]

représentée par Me Anne Champagne, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Marie-Josèphe Laurent avocat au barreau de Lyon, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 07 décembre 2022 tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Clotilde Vanhove, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 09 mars 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 16 novembre 2022

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 20 janvier 2010 la société Crédit Lyonnais (LCL) a consenti à la société Inedit un prêt professionnel d'un montant de 120 000 euros pour financer l'acquisition d'un fonds de commerce de coiffure, garanti par le cautionnement solidaire de Mme [O] [D] (épouse [K]), gérante et associée de la société Inedit, dans la limite de 138 000 euros et pour une durée de 108 mois.

Le 7 janvier 2011 la société LCL a consenti à la société Inedit un autre prêt d'un montant de 5 000 euros également garanti par le cautionnement solidaire de Mme [D] dans la limite de 5 750 euros et pour une durée de 84 mois.

Le 8 juillet 2013 la société Inedit a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde ouverte par jugement du tribunal de commerce de Valenciennes, puis une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte par jugement du 10 octobre 2016 qui sera clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 4 février 2019.

La société LCL a déclaré ses créances à la procédure collective de la société Inedit.

Par acte du 6 juillet 2019 la société Intrum Debt Finance AG, indiquant venir aux droits de la société LCL suite à une cession de créance, a assigné en paiement Mme [D] en sa qualité de caution.

Par jugement réputé contradictoire du 21 janvier 2020, le tribunal de commerce de Valenciennes a :

- accueilli la SA de droit suisse Intrum Debt Finance AG en sa demande,

- condamné Mme [D], ès qualités de caution des engagements de la société Inedit, ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, à lui payer, en deniers ou quittances :

- la somme de 60 817,19 euros outre intérêts au taux légal à compter du 20 août 2019, date du décompte,

- la somme de 2 527,50 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 20 août 2019, date du décompte,

- la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ladite indemnité n'ayant pas à supporter la TVA,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- dit n'y avoir lieu, en raison de la nature de l'affaire, d'ordonner l'exécution provisoire.

- condamné Mme [D] aux dépens, les frais de greffe étant liquidés à la somme de 64,64 euros.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 28 mai 2020 Mme [D] a relevé appel du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de 60 817,19 euros avec intérêts, de 2 527,50 euros avec intérêts et de 600 euros et a ordonné la capitalisation des intérêts.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 mai 2021 Mme [D] demande à la cour de :

- réformer en tous points le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes,

Statuant à nouveau :

- déclarer irrecevable la société Intrum Debt Finance AG en son action,

- l'en débouter,

à titre subsidiaire,

- déclarer irrecevable la société Intrum Debt Finance AG en son action,

- constater le caractère disproportionné du cautionnement,

- prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la société Intrum Debt Finance AG,

- la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 mars 2021, la société Intrum Debt Finance AG (anciennement dénommée Intrum Justicia Debt Finance AG) demande à la cour de :

- déclarer comme irrecevable car nouvelle la demande de Mme [D] visant à solliciter la déchéance du droit aux intérêts,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes,

- débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et de toutes ses suites.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.

La clôture de l'instruction est intervenue le 16 novembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 7 décembre suivant.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes de la société Intrum Debt Finance AG

En premier lieu, Mme [D] conclut à l'irrecevabilité des demandes considérant que la société Intrum Debt Finance AG est dépourvue d'intérêt à agir faute de justifier d'une cession de créance à son profit.

La société Intrum Debt Finance AG verse aux débats un bordereau de cession de créances en date du 6 juillet 2017 relatif à la cession de créances de la société LCL au titre de 'compte bancaire(s) et/ou crédit(s) et/prêt(s)', un extrait de la liste des créances concernées mentionnant deux contrats de la SARL Inedit avec un numéro de dossier qui est le même que celui apparaît sur les lettres de mise en demeure adressées le 27 octobre 2016 par la société LCL à Mme [D], ainsi que les deux contrats de prêt et les engagements de caution, la déclaration de créances de la société LCL à la procédure collective et les ordonnances d'admission de ces créances rendues par le juge commissaire de Valenciennes le 19 septembre 2014. L'ensemble de ces éléments permet d'établir la cession des créances portant sur les deux prêts cautionnés par Mme [D] au profit de la société Intrum Debt Finance AG. Le moyen tiré du défaut d'intérêt à agir sera en conséquence écarté.

Mme [D] conclut en second lieu à la prescription de l'action de la société Intrum Debt Finance AG en application de l'article 2224 du code civil, faisant valoir que la société a assigné le 19 novembre 2019 alors qu'elle pouvait agir à son encontre bien avant le 19 novembre 2014.

Selon l'article 2224, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'appelante se borne à soutenir que l'action en paiement aurait pu être engagée avant le 19 novembre 2014 sans toutefois préciser le point de départ du délai de prescription applicable en l'espèce et, par conséquent, sans démontrer que l'action était prescrite à la date de l'assignation le 19 novembre 2019, notamment au regard des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce.

Le moyen sera en conséquence écarté et les demandes de la société Intrum Debt Finance AG seront déclarées recevables.

Sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution

En vertu de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa version applicable aux cautionnements litigieux (devenu L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation, abrogés par ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021), un créancier ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Il appartient à la caution, qui se prévaut du caractère manifestement disproportionné du cautionnement lors de sa souscription, d'en rapporter la preuve. La banque n'a pas, à ce titre, l'obligation de solliciter une déclaration de patrimoine et de revenus de la caution, Mme [D] faisant ici une confusion avec les obligations de la banque au titre de son devoir de mise en garde qui se traduit, en cas de manquement, par l'octroi de dommages-intérêts.

Au regard des déclarations faites par la caution sur la fiche de renseignements établie pour la société LCL le 22 juillet 2009, dont la banque n'avait pas à vérifier l'exactitude en l'absence d'anomalie apparente, ainsi que des autres pièces communiquées mettant en évidence des éléments dont la banque LCL avait nécessairement connaissance même s'il n'était pas mentionné dans la fiche de renseignements, la situation de Mme [D] à la date de l'engagement de janvier 2010, et telle que connue par la banque, était la suivante :

- Mme [D] est mariée, sans précision de son régime matrimonial, et a un enfant a charge,

- elle perçoit des revenus annuels à hauteur de 39 700 euros pour une charge d'impôt de 500 euros et un remboursement d'emprunt de 8 400 euros,

- elle est propriétaire d'un immeuble évalué à 220 000 euros, pour un endettement à hauteur de 129 000 euros,

- elle dispose d'une épargne de 10 000 euros,

- elle est propriétaire de 90 % des parts de la société BSL Coiffure elle-même propriétaire d'un fonds de commerce exploité à [Localité 3] dont la valeur nette peut être estimée à 25 000 euros,

- Mme [D] est engagée en qualité de caution du prêt de 110 000 euros souscrit par la société BSL Coiffure auprès de la banque LCL (pour l'acquisition du fonds de commerce de [Localité 3]), pour un montant de 126 500 euros selon acte du 22 août 2007.

Il convient de relever que Mme [D] n'a pas précisé son régime matrimonial sur la fiche de renseignements, ce qui laisse entendre qu'elle était mariée sous le régime de communauté légal, et, en tout état de cause, même si le patrimoine déclaré est composé de biens communs avec son époux, ils doivent être pris en compte intégralement, la disproportion manifeste devant s'apprécier au regard de tous les biens de la caution, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les biens propres et communs.

Au regard des éléments exposés ci-dessus il apparaît que le cautionnement de 138 000 euros était manifestement disproportionné aux biens et revenus de Mme [D] au moment de son engagement signé en 2010. Il en est de même s'agissant du cautionnement souscrit un an plus tard pour un montant de 5 750 euros, d'autant qu'à cette date l'endettement de la caution s'était encore aggravé en raison du cautionnement de 2010 ainsi que d'un autre engagement de caution donné le 18 mars 2013 pour un montant de 5 750 euros en garantie d'un prêt de 5 000 euros consenti par la banque LCL à la société BSL.

La société Intrum Debt Finance AG soutient que l'engagement n'est pas disproportionné au jour où la caution est appelée relevant que Mme [D] a vendu en 2017 l'immeuble dont elle était propriétaire au prix de 223 000 euros, lui permettant de faire face à son engagement à hauteur de 63 344,69 euros.

Le relevé de renseignements hypothécaires afférent à l'immeuble acquis par Mme [D] et son époux en mai 2005 mentionne en effet une vente intervenue le 23 décembre 2016 et un prix de 223 000 euros.

Mme [D] démontre de son côté que ses deux sociétés ont été liquidées en 2019 (clôtures pour insuffisance d'actif), qu'elle est depuis salariée et perçoit pour seules ressources un salaire mensuel de 1 000 euros environ, supporte un loyer de l'ordre de 755 euros par mois et était redevable à l'égard de l'URSSAF en 2021 d'une dette de 31 102,39 euros.

La cour constate en outre que la vente de l'immeuble est intervenue plus de deux ans avant que la caution ne soit appelée, en juillet 2019, alors que le capital restant dû du prêt souscrit pour l'acquisition de l'immeuble à la date de la vente s'élevait à 89 933,66 euros (selon tableau d'amortissement versé aux débats).

Au regard de ces considérations et des changements intervenus dans la situation financière de Mme [D], la seule circonstance qu'elle ait procédé à la vente de l'immeuble est insuffisante à démontrer qu'elle était en mesure de faire face à ses engagements au moment où elle était appelée.

En conséquence, la société Intrum Debt Finance AG ne peut, en vertu des dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation, se prévaloir des engagements de caution et il convient de réformer le jugement qui prononce des condamnations à son encontre à ce titre et de débouter la banque de ses demandes.

Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il convient de réformer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [D] aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure, de mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge de l'intimée et d'allouer à l'appelante une indemnité de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Réforme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ses dispositions relatives à l'exécution provisoire ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevables les demandes de la société Intrum Debt Finance AG ;

Dit que la société Intrum Debt Finance AG ne peut se prévaloir des engagements de caution du 20 janvier 2010 et du 7 janvier 2011 ;

Déboute la société Intrum Debt Finance AG de toutes ses demandes ;

Condamne la société Intrum Debt Finance AG aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne Intrum Debt Finance AG à payer à Mme [O] [D] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 20/01954
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;20.01954 ?
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