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02/03/2023 | FRANCE | N°22/05095

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 02 mars 2023, 22/05095


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 02/03/2023





****





N° de MINUTE : 23/71

N° RG 22/05095 - N° Portalis DBVT-V-B7G-USIL



Jugement (N° 21/01117) rendu le 18 Octobre 2022 par le Juge de la mise en état de SaintOmer





APPELANTS



Monsieur [M] [Z]

né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 8] en Grande Bretagne

de nationalité Britanique

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[Localité 5]



Madame [L] [F]

née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représentés par Me Guy Lenoir, avocat au barreau de Saint-Omer, avocat cons...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 02/03/2023

****

N° de MINUTE : 23/71

N° RG 22/05095 - N° Portalis DBVT-V-B7G-USIL

Jugement (N° 21/01117) rendu le 18 Octobre 2022 par le Juge de la mise en état de SaintOmer

APPELANTS

Monsieur [M] [Z]

né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 8] en Grande Bretagne

de nationalité Britanique

[Adresse 3]

[Localité 5]

Madame [L] [F]

née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentés par Me Guy Lenoir, avocat au barreau de Saint-Omer, avocat constitué

INTIMÉ

Maître [Y] [P]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Gilles Grardel, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant substitué par Me Antoine Hivet, avocat au barreau de Lille,

DÉBATS à l'audience publique du 04 janvier 2023 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 02 mars 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

M. [M] [Z] et Mme [L] [F] ont confié à M. [Y] [P], avocat au barreau de Boulogne-sur-mer, une procédure judiciaire à l'encontre d'un garage automobile.

M. [P] a mené cette procédure civile devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer, lequel les a déboutés de leur demande.

Sur les conseils de leur avocat, ils ont relevé appel de cette décision.

La cour d'appel de Douai, par arrêt du 14 septembre 2017, a confirmé le jugement querellé.

Pour respecter les dispositions de l'article 47 du code de procédure civile, M. [Z] et Mme [F] ont choisi de faire assigner M. [P] devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer, juridiction limitrophe de celle de Boulogne-sur-mer, par acte du 8 novembre 2021 afin d'engager sa responsabilité civile professionnelle.

M. [P] a déposé des conclusions d'incident devant le juge de la mise en état, sollicitant sur le fondement de l'article 47 précité que le dossier soit renvoyé devant un tribunal judiciaire situé en dehors de la cour d'appel de Douai, proposant le tribunal judiciaire d'Amiens.

2. L'ordonnance dont appel :

Par ordonnance d'incident rendue le 18 octobre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Omer a :

renvoyé l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Amiens ;

dit qu'à défaut d'appel dans le délai, le dossier de la procédure serait transmis par le greffe, avec une copie de la décision au tribunal judiciaire d'Amiens, devant lequel la procédure se poursuivrait dans les conditions prévues par l'article 82 du code de procédure civile ;

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

réservé les dépens ;

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Cette ordonnance a été notifiée à la diligence du greffe le 21 octobre 2022.

3. Les déclarations d'appel :

Par déclaration du 3 novembre 2022, M. [Z] et Mme [F] ont formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de cette ordonnance en limitant leur contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 3, 4 ci-dessus.

Par déclaration du 4 novembre 2022, M. [Z] et Mme [F] ont de nouveau formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de la même ordonnance en limitant leur contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 3, 4 ci-dessus.

4. La procédure :

Par requête du 4 novembre 2022, M. [Z] et Mme [F] ont saisi le premier président de la cour d'appel de Douai d'une requête aux fins d'être autorisés à assigner M. [P] à jour fixe.

Par ordonnance du 9 novembre 2022, le président de la 3ème chambre civile de la cour, par délégation du premier président, les a autorisés à assigner M. [P] à jour fixe à l'audience de ladite chambre le 4 janvier 2023 à 14 heures.

Par ordonnance du 10 novembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction de la seconde procédure inscrite au répertoire général sous le numéro RG n°22-05119 à la procédure précédemment inscrite au répertoire général sous le numéro RG n°22-05095.

5. Les prétentions et moyens des parties :

5.1. Aux termes de leurs conclusions d'appelant notifiées le 28 novembre 2022, M. [Z] et Mme [F] demandent à la cour de :

- infirmer l'ordonnance querellée ;

- rejeter la demande de M. [P] tendant au renvoi de la procédure devant le tribunal judiciaire d'Amiens, ainsi que l'ensemble de ses autres demandes ;

- condamner M. [P] à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés pour l'incident de compétence ;

- condamner M. [P] aux dépens de l'incident, tant en première instance qu'en appel.

A l'appui de leurs prétentions, M. [Z] et Mme [F] font valoir que :

- l'ensemble des parties sont domiciliées dans le ressort du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer, et M. [P] est avocat inscrit au barreau de Boulogne-sur-mer, de sorte qu'ils ont choisi de saisir le tribunal judiciaire limitrophe de Saint-Omer de leur litige conformément aux dispositions de l'article 47 du code de procédure civile ;

- lorsqu'un auxiliaire de justice est partie à un litige, celui-ci est jugé par un tribunal judiciaire limitrophe de celui dans lequel il exerce son activité ; puis si l'affaire est portée devant la cour d'appel, chacune des parties peut demander le renvoi de celle-ci devant une cour limitrophe ;

- en application de l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971, les avocats peuvent plaider sans limitation territoriale sur le territoire national devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, et peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d'appel dans laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle, et devant la cour elle-même ;

- l'article 47 du code de procédure civile ne fait pas référence à la postulation par l'avocat, laquelle constitue en tout état de cause une activité résiduelle voire inexistante de l'auxiliaire de justice ;

- leur litige n'a aucun lien de rattachement avec [Localité 7], où ils ne connaissent personne et n'ont aucune raison d'aller faire un procès ;

- la délocalisation du litige occasionne pour eux des obstacles et un surcoût du procès contraires au principe de libre accès à un tribunal prévu par les articles 6 alinéa 1er et 13 de la convention européenne des droits de l'Homme, et l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- il n'y a pas lieu d'interpréter l'article 47 du code de procédure civile dont les termes sont clairs ;

- la seule juridiction dans laquelle l'avocat exerce nécessairement ses fonctions est celle dans le ressort duquel il est inscrit au barreau.

5.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 12 décembre 2022, M. [P], intimé et appelant incident, demande à la cour, au visa des articles 31, 32, 47 et 789 du code de procédure civile, de :

à titre principal,

- confirmer l'ordonnance querellée ;

à titre subsidiaire,

- renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire de Béthune en application de l'article 47 du code de procédure civile ;

en tout état de cause,

- débouter M. [Z] et Mme [F] de leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamner M. [Z] et Mme [F] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux entiers dépens d'appel.

A l'appui de ses prétentions, M. [P] fait valoir que :

- il souhaite que l'affaire soit dépaysée en dehors du ressort de la cour d'appel de Douai, une telle demande de dépaysement n'étant nullement conditionnée à l'accord des parties ;

- le choix de la juridiction appelée à connaître du litige relève du pouvoir discrétionnaire du juge, qui n'est pas tenu par la revendication d'un tribunal déterminé par le demandeur ;

- il exerce ses fonctions d'avocat postulant devant l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de la cour, et notamment devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer, et ne peut être justiciable de ces juridictions ;

- la notion de ressort dans lequel la partie exerce ses fonctions au sens de l'article 47 précité s'entend du ressort où l'avocat peut postuler, ce qui inclut la multipostulation devant les tribunaux judiciaires de l'ensemble de la cour d'appel.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article 47 du code de procédure civile, lorsqu'un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d'une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe.

Le défendeur ou toutes les parties en cause d'appel peuvent demander le renvoi devant une juridiction choisie dans les mêmes conditions. A peine d'irrecevabilité, la demande est présentée dès que son auteur a connaissance de la cause de renvoi. En cas de renvoi, il est procédé comme il est dit à l'article 82.

Pour l'application de l'article 47 précité, le ressort dans lequel l'avocat exerce ses fonctions est celui du tribunal judiciaire auprès duquel est constitué le barreau où il est inscrit.

L'article 47 ne comporte aucune restriction quant au choix de la juridiction ; il suffit que le ressort de cette dernière soit limitrophe de celui du tribunal qui eût été compétent ; le ressort limitrophe est celui qui présente une frontière commune avec le ressort du lieu d'exercice de l'auxiliaire de justice, autrement dit qui a un ressort contigu à celui du juge devant être saisi.

Le juge ne peut pas rejeter une demande de renvoi formée en vertu de l'article 47 dès lors que les conditions d'application en sont remplies, et c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'il procède à la désignation de la juridiction limitrophe compétente. Pour autant, le renvoi ordonné en application de ce texte ne peut être fait que devant une juridiction située dans un ressort limitrophe de celui de la juridiction initialement saisie.

Aux termes de l'article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l'article 4.

Ils peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle, et devant ladite cour d'appel.

Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l'aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l'affaire chargés également d'assurer la plaidoirie.

En l'espèce, il ne peut être contesté que M. [P], avocat inscrit au barreau de Boulogne-sur-mer, exerce ses fonctions dans le ressort territorial du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer, mais peut valablement postuler dans l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d'appel de Douai.

Si M. [Z] et Mme [F] ont choisi d'intenter leur action en responsabilité civile contre leur ancien conseil devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer, juridiction limitrophe du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer en principe compétent, le défendeur, M. [P], s'est opposé à ce choix et a saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant à voir ordonner le renvoi de l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Amiens.

La carte judiciaire enseigne que le ressort du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer est limitrophe des ressorts des tribunaux judiciaires de Saint-Omer, Amiens et Arras, et que le ressort de la cour d'appel d'Amiens est limitrophe du ressort de la cour d'appel de Douai.

Comme l'a exactement retenu le premier juge, les règles de la multipostulation confèrent aux avocats l'autorisation de postuler sur l'ensemble du ressort de la cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle.

Il s'ensuit que M. [P] peut postuler et exercer ses fonctions d'avocat, au sens de l'article 47 précité, devant les tribunaux judiciaires de Boulogne-sur-mer, Saint-Omer, Arras, Lille, Béthune, Douai, Avesnes-sur-Helpe, Valenciennes, Dunkerque, Cambrai, et également devant la cour d'appel de Douai.

Dès lors, les règles édictées par l'article 47 précité impliquent que la juridiction potentiellement saisie à la suite du dépaysement soit située dans le ressort d'une cour limitrophe de celle où l'avocat exerce habituellement l'ensemble de ses fonctions.

Dans un souci de bonne administration de la justice, et afin de préserver la neutralité, l'impartialité et le désintéressement de la juridiction de jugement saisie, l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a ordonné le renvoi de l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Amiens, lequel est situé dans un ressort limitrophe de celui du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer et de la cour d'appel de Douai.

L'ordonnance critiquée sera confirmée en toutes ses dispositions.

M. [Z] et Mme [F] qui succombent seront condamnés aux entiers dépens d'appel.

L'équité commande de les condamner à payer à M. [P] une somme de 1 200 euros à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 18 octobre 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Omer ;

Y ajoutant,

Condamne M. [M] [Z] et Mme [L] [F] aux dépens d'appel ;

Les condamne en outre à payer à M. [Y] [P] la somme de 1 200 euros à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les débiteurs de cette somme étant eux-mêmes déboutés de leur demande indemnitaire à cette fin.

Le greffier

Harmony POYTEAU

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/05095
Date de la décision : 02/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-02;22.05095 ?
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