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17/02/2023 | FRANCE | N°21/01241

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 17 février 2023, 21/01241


ARRÊT DU

17 Février 2023







N° 288/23



N° RG 21/01241 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TXZQ



MLBR/CH













AJ



















Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY

en date du

17 Juin 2021

(RG 20/00078 -section )






































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GROSSE :



aux avocats



le 17 Février 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Société ARMATIS [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Isabelle DELMAS, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉE :



Mme [Z] [F]

[Adresse 1]

[...

ARRÊT DU

17 Février 2023

N° 288/23

N° RG 21/01241 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TXZQ

MLBR/CH

AJ

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY

en date du

17 Juin 2021

(RG 20/00078 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 17 Février 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Société ARMATIS [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Isabelle DELMAS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Mme [Z] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Cyrille DUBOIS, avocat au barreau de VALENCIENNES

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/22/000031 du 13/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)

DÉBATS : à l'audience publique du 10 Janvier 2023

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaetan DELETTREZ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 décembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [Z] [F] a été embauchée suivant contrat à durée déterminée par la SAS LC France le 29 février 2016 en qualité de chargée de clientèle, statut employé. La relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée du 24 août 2016.

A compter de février 2017, elle a été affectée dans le cadre de missions temporaires régulièrement renouvelées, aux fonctions de superviseur d'une équipe de chargés de clientèle.

Aux termes d'un apport partiel d'actif, la société LC-France a cédé la branche de production de son site de [Localité 5] à la SASU Armatis [Localité 5] (la société Armatis) le 1er janvier 2019.

Mme [F] a été titularisée dans les fonctions de superviseur à compter du 1er avril 2019 suivant un avenant contractuel du 29 mars 2019.

Par courrier remis en main propre en date du 11 octobre 2019, Mme [F] a été convoquée à un entretien fixé au 21 octobre 2019, préalable à un éventuel licenciement et mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 30 octobre 2019, la société Armatis a notifié à Mme [F] son licenciement pour faute grave, lui reprochant en substance des agissements déplacés et intimidants à l'encontre de chargés de clientèle placés sous son autorité.

Par requête du 13 mai 2020, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Lannoy afin de contester son licenciement en raison principalement de son caractère discriminatoire et d'obtenir le paiement de diverses indemnités.

Par jugement contradictoire rendu le 17 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Lannoy a notamment :

- dit que le licenciement de Mme [F] est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Armatis à lui verser les sommes suivantes :

*1031,03 euros au titre de la rémunération pour la période du 11 octobre 2019 au 30 octobre 2019,

* 103,10 euros au titre des congés payés afférents,

* 2577,51 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 5754,44 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 575,44 euros au titre des conges payés afférents,

* 8631 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les intérêts courus sur les sommes dues seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

- rappellé qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, la présente décision ordonnant

le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l'article R.1454-14 dudit code est exécutoire de plein droit dans la limite de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des 3 derniers mois, ladite moyenne s'élevant à 2 877,22 euros.

- débouté Mme [F] du surplus de ses demandes,

- ordonné conformément à 1'article L. 1235-4 du code du travail, à l'employeur de rembourser à pôle emploi les allocations de chômage versées à Mme [F] depuis le licenciement dans la limite de six mois d'indemnités,

- débouté la société Armatis de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires,

- condamné la société Armatis aux éventuels dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 16 juillet 2021, la société Armatis a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 8 octobre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Armatis demande à la cour de :

à titre principal :

' infirmer le jugement entrepris sur l'ensemble des condamnations mises à la charge et dire le licenciement pour faute grave fondé,

' débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes, y compris indemnitaires,

à titre subsidiaire :

Si par extraordinaire la cour confirmait le jugement entrepris,

- confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le quantum des condamnations et de faire application du barème «dit Macron»,

en tout état de cause :

' condamner Mme [F] au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' dire que Mme [F] sera condamnée aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 4 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [F] demande à la cour de :

- la recevoir en l'intégralité de ses moyens et prétentions,

à titre principal,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de la nullité du licenciement,

- dire et juger son licenciement nul au regard du caractère discriminatoire,

- condamner la société Armatis à lui payer les sommes suivantes :

* 1 031,03 euros à titre de rémunération pour la période du 11 octobre 2019 au 30 octobre 2019, outre 103,10 euros au titre des congés payés afférents,

* 51 789,96 euros à titre de dommages-intérêts en raison de la nullité du licenciement,

* 2 577,51 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 5 754,44 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 575,44 euros au titre des congés payés afférents,

à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Armatis à lui verser la somme de 8 631 euros à titre de dommages et intérêts,

- dire et juger les barèmes indemnitaires fixés à l'article L. 1235-3 du code du travail inconventionnels et inopposables à la salariée,

- statuant à nouveau de ce chef, condamner la Société Armatis au paiement de la somme de 51 789,96 euros à titre de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

- condamner la société Armatis à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Armatis au paiement des entiers frais et dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- sur la discrimination :

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de son handicap, étant précisé que cette interdiction concerne également le traitement moins favorable infligé à un salarié en raison du handicap de son enfant.

En application de l'article 1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison de la méconnaissance des dispositions susvisées, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Mme [F] soutient que sa convocation à un entretien préalable à son licenciement est intervenue seulement 3 semaines après l'annonce à ses supérieurs de la maladie de sa fille qui est atteinte du syndrome d'Asperger, trouble du spectre autistique, et sa demande d'un aménagement de son temps de travail qu'elle souhaitait voir passer à un mi-temps.

Elle affirme que son employeur a initié et monté de toutes pièces la procédure de licenciement pour se séparer d'elle par crainte d'être confrontée à l'avenir à ses nombreuses absences pour s'occuper de sa fille handicapée, et dénonce ainsi le caractère discriminatoire de son licenciement, ce qui est contesté par la société Armatis.

Pour étayer ses dires, Mme [F] produit l'attestation de Mme [E], qui était directrice de production jusqu'en février 2020 et responsable N+2 de Mme [F], ainsi que celle de M. [V], également superviseur.

Ils confirment tous deux, sans cependant en fixer la date ou à tout le moins la période, que la hiérarchie de Mme [F] avait connaissance de la maladie de sa fille, l'intéressée ayant même décliné une nouvelle mission en août 2019 pour cette raison.

En revanche, seul M. [V] évoque la démarche faite par Mme [F] pour obtenir un aménagement de son temps de travail, sans encore une fois préciser à quelle période elle a été effectuée. Mme [E] demeure pour sa part taisante sur ce point.

Aussi, à défaut d'élément plus circonstancié de nature à établir la concomitance entre la convocation à l'entretien préalable envoyé le 11 octobre 2019 d'une part et l'annonce faite par Mme [F] à sa hiérarchie du handicap de sa fille et sa demande d'un mi-temps d'autre part, ces 2 attestations, même prises dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination à son égard en raison du handicap de sa fille.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il n'a pas retenu l'existence d'une discrimination et débouté Mme [F] de sa demande aux fins de nullité de son licenciement.

- Sur le licenciement de Mme [F] :

Aux termes de la lettre de licenciement pour faute grave qui fixe l'objet du litige, la société Armatis reproche à l'égard de Mme [F] son comportement à l'égard des chargés de clientèle placés sous son autorité directe ou indirecte en ces termes : 'vous avez fait montre ces dernières semaines et plus particulièrement depuis le mois d'août 2019, d'agissements déplacés et intimidants à l'encontre de chargés de clientèle, placées sous votre autorité de fait. Ce comportement est notamment caractérisé par des propos déconsidérants, grossiers et vulgaires tenus à l'encontre directement de chargés de clientèle ou les visant directement'

La société Armatis désigne précisément certains salariés comme ayant subi les attitudes humiliantes, dénigrantes et menaçantes de Mme [F] en insistant sur leur jeunesse, et relate certains propos qui auraient été tenus par Mme [F] tels notamment : 'sortez vous les doigts du cul j'ai des gosses à nourrir', 'je viens de boucher les chiottes, j'avais la chiasse, j'ai fait que pêter', ou encore 'elles ont fait les putes avec les mecs'le 17 août 2019 devant M. [D], également superviseur, en visant Mesdames [Y] et [P], ou début août en demandant à une chargée de clientèle 'si son petit ami l'avait enculé la veille', le courrier reprenant d'autres propos d'une teneur similaire.

L'appelante conclut sa lettre en relevant que 'ce comportement est inacceptable et est préjudiciable aux intérêts de l'entreprise en ce qu'il induit :

- une détérioration des conditions de travail de salariés placés sous votre encadrement direct et indirect,

- un sentiment de peur à votre encontre et des refus exprimés de travailler dans votre équipe,

- un trouble manifeste parmi une partie des équipes de salariés jeunes de l'entreprise.'

Outre le caractère prescrit des faits allégués, Mme [F] dénonce également l'absence de crédibilité des 5 attestations de salariés produites par la société Armatis, en insistant sur le conflit qui l'opposait à son collègue superviseur, M. [D], qui a recueilli les supposés témoignages des chargés de clientèle dont l'une est sa conjointe.

Elle ajoute qu'aucun des témoins n'appartient à son équipe, ce qui selon elle rend impossible le fait qu'ils puissent relater des propos supposés exprimés en réunion de briefing, et produit pour contredire les pièces adverses les attestations de plus d'une dizaine de collègues et personnes ayant appartenu à son équipe et qui confirment au contraire ses qualités humaines et professionnelles.

S'agissant de la prescription des faits fautifs, la société Armatis lui oppose à raison que le dernier fait est survenu le 17 août 2019. Aussi, même si à travers les attestations et ses autres pièces, l'appelante ne rapporte pas la preuve qu'elle n'a eu connaissance de

l'ensemble des agissements fautifs que le 11 septembre 2019, il n'en demeure pas moins que le dernier fait allégué n'étant pas prescrit au jour de la convocation à l'entretien préalable datée du 11 octobre 2019, elle pouvait aussi prendre en considération les faits fautifs de même nature commis antérieurement notamment début août.

Le moyen de contestation tiré de la prescription des faits est donc inopérant.

En revanche, il incombe à la société Armatis de rapporter la preuve des fautes graves retenues pour fonder le licenciement de Mme [F].

En s'appuyant sur les attestations qu'elle verse aux débats, la société Armatis affirme qu'il n'y a aucun doute sur la réalité des propos injurieux tenus par Mme [F] et dont plusieurs salariés ont été personnellement témoins.

Si les 5 attestations sont particulièrement précises quant aux propos qu'aurait tenu Mme [F] et dont la teneur est reprise dans la lettre de licenciement, il sera cependant observé qu'aucun de ces témoins, au demeurant tous salariés de la société Armatis au moment de l'établissement des attestations, n'appartenait à l'équipe de chargées de clientèle supervisée par Mme [F].

Ainsi que le souligne l'intéressée, il apparaît de ce fait difficilement compréhensible que M. [D] d'une part, qui est aussi superviseur, et certains salariés comme M. [L] ou encore Mme [Y], aient pu assister aux briefing de son équipe et l'entendre notamment dire à ses chargés de clientèle à cette occasion 'sortez vous les doigts du cul j'ai des gosses à nourrir'.

Ces attestations font en outre toutes référence à M. [D] à qui certaines auraient notamment confié leur crainte de Mme [F] au cours du mois d'août 2019.

Or, il est manifeste à travers l'échange de correspondance produit par cette dernière, que ses relations avec son collègue, M. [D], étaient particulièrement conflictuelles, ce qui interroge sur l'impartialité de l'attestation de ce dernier et son influence possible sur les chargés de clientèle ayant attesté contre Mme [F].

Il est en outre surprenant que M. [D], présenté pourtant par la société Armatis en page 9 de ses conclusions comme 'supérieur hiérarchique de Mme [F]', n'ait pas rapidement et officiellement informé la direction de la société Armatis des dénonciations de ces agents, compte tenu de la teneur des propos que leur aurait tenu Mme [F], ou ne soit directement intervenu pour y mettre un terme.

Or, aucune des pièces produites par l'appelante n'établit qu'il soit intervenu en ce sens et d'ailleurs, de manière plus générale, la société Armatis ne précise pas de quelle manière et par qui elle a d'une part été officiellement informée des faits reprochés à Mme [F], et d'autre part recueilli les témoignages des salariées.

Mme [X] qui précise que cette dernière était pourtant sous sa responsabilité à compter de septembre 2019, soit au moment où les faits ont été révélés, reste notamment taisante dans son attestation sur la chronologie de cette révélation et les dispositions prises pour en vérifier la véracité.

Enfin, Mme [F] produit les attestations de 12 salariés travaillant sous sa supervision à la même époque qui font tous état de son comportement au quotidien très professionnel et respectueux à leur égard, et de l'absence de propos diffamatoires lors des entretiens collectifs ou individuels.

Pour relativiser la force probante de ces témoignages, la société Armatis fait notamment valoir que ces personnes avaient toutes un lien de subordination avec l'intéressée au jour de l'établissement de leur attestation. Il sera cependant relevé que ce lien était encore plus fort avec l'appelante elle-même qui était leur employeur, ce qui aurait pu les inciter à ne pas attester en faveur de leur superviseur qui venait d'être mise à pied à titre conservatoire, si leurs dires s'avéraient réellement mensongers comme sous entendu par la société Armatis.

Mme [E], ancienne directrice de production, précise aussi que Mme [F] faisait partie de ses meilleurs éléments, expliquant que c'est notamment en raison de ses capacités à gérer une équipe, qu'il lui avait été demandé à plusieurs reprises, notamment en août 2019, de superviser des équipes en difficulté ou en sortie de formation.

Aussi, l'absence d'antécédent et de dénonciation des membres de son équipe peut surprendre dans la mesure où ses prétendues vulgarité et attitudes humiliantes sont présentées à travers les attestations de l'appelante comme un mode d'expression apparemment habituel à l'égard des chargés de clientèle.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, et plus particulièrement de l'absence de garantie d'objectivité des attestations présentées par la société Armatis compte tenu du caractère particulièrement flou des circonstances dans lequel elles ont été recueillies, du conflit opposant Mme [F] à son principal accusateur, et des attestations présentées par l'intimée qui viennent les contredire, étant rappelé que le doute doit bénéficier au salarié, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la faute grave alléguée par la société Armatis n'est pas établie et que le licenciement de Mme [F] est dépourvue d'une cause réelle et sérieuse.

- sur les conséquences financières :

Il sera d'abord constaté que dans leur subsidiaire, les parties concluent à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives au montant du rappel de salaire pour la période de mise à pied, de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité légale de licenciement, Mme [F] formant un appel incident uniquement sur le montant de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur ce dernier point, elle conclut à l'inopposabilité du barême fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail compte tenu de la non-conformité de cette disposition à l'article 24 de la charte sociale européenne et à la convention n° 158 de l'OIT.

Toutefois, la Charte sociale européenne n'ayant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, dès lors que sa mise en oeuvre en droit interne nécessite que soient pris des actes complémentaires d'application, son invocation ne peut conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.

La Convention n° 158 de l'OIT ne requiert en revanche l'intervention d'aucun acte complémentaire pour être applicable en droit interne par le juge français.

Aux termes de son article 10, si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si,

compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estime pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner

ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Le terme «adéquat» visé dans cette disposition signifie selon l'analyse faite par le Conseil d'administration de l'OIT que l'indemnité pour licenciement injustifié doit,

d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Or, les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant notamment en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du

salarié et qui prévoient que, dans le cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.

Ces différentes dispositions sont donc de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT, de sorte que le moyen fondé sur cet article ne peut prospérer.

Au regard de l'ancienneté de Mme [F], de son âge au moment de son licenciement, mais également des justificatifs produits concernant sa période de chômage de 18 mois et sa baisse de rémunération dans l'emploi ultérieurement retrouvé, il convient par voie d'infirmation de porter le montant de son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 11 508,88 euros pour réparer le préjudice tiré de la perte injustifiée de son emploi.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Armatis devra supporter les dépens d'appel.

L'équité commande en outre de la condamner à payer à Mme [F] une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 17 juin 2021 sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

statuant à nouveau sur le chef infirmé,

CONDAMNE la société Armatis [Localité 5] à payer à Mme [Z] [F] une somme de 11 508,88 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Armatis [Localité 5] à payer à Mme [Z] [F] une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que la société Armatis [Localité 5] supportera les dépens d'appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/01241
Date de la décision : 17/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-17;21.01241 ?
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