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17/02/2023 | FRANCE | N°21/01222

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 17 février 2023, 21/01222


ARRÊT DU

17 Février 2023







N° 255/23



N° RG 21/01222 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TXRP



MLBR/VDO

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

07 Juillet 2021

(RG 20/00013 -section )






































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GROSSE :



aux avocats



le 17 Février 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-



APPELANT :



M. [B] [V]

[Adresse 1]

représenté par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BETHUNE





INTIMÉE :



SOCIETE WOLF GROUPE FRANCE anciennement dénommée S.A.R.L. KRIM...

ARRÊT DU

17 Février 2023

N° 255/23

N° RG 21/01222 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TXRP

MLBR/VDO

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

07 Juillet 2021

(RG 20/00013 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 17 Février 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [B] [V]

[Adresse 1]

représenté par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BETHUNE

INTIMÉE :

SOCIETE WOLF GROUPE FRANCE anciennement dénommée S.A.R.L. KRIMELTE FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI, assistée de Manuella FULLANA, avocat au barreau de LILLE,

DÉBATS : à l'audience publique du 10 Janvier 2023

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaetan DELETTREZ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 décembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SARL Olivé Quimica devenue la SARL Krimelte France puis la SARL Wolf Group, est une entreprise de négoce de produits chimiques pour le bâtiment.

M. [B] [V] a été embauché à compter du 1er mai 2017 en qualité d'agent technico-commercial coefficient 270 niveau IV échelon B du statut technicien de la convention collective des matériaux de construction (négoce ETAM), suivant un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à raison de 8,75 heures par semaine.

Par avenant du 1er septembre 2017, les parties sont convenues qu'outre le fixe, un système de rémunération variable sera appliqué.

M. [V] a fait l'objet de 3 avertissements datés du 25 mai 2018.

Le 31 mai 2018, il a été convoqué à un entretien fixé au 15 juin 2018, préalable à une éventuelle mesure de licenciement.

Par courrier du 19 juin 2018, M. [V] s'est vu notifier son licenciement, son employeur lui reprochant notamment son absence injustifiée depuis le 25 avril 2018 à son poste malgré l'avertissement du 25 mai 2018, son refus de venir dans les locaux pour faire procéder à la mise à jour de son ordinateur, l'usage sans son accord de sa messagerie personnelle pour communiquer avec la clientèle, la tenue de propos dénigrants concernant des salariés et le directeur commercial, et son refus régulier de rendre compte de son activité à celui-ci.

Par requête du 23 août 2018, M. [B] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille aux fins de requalification de son temps partiel en temps complet, de paiement de rappel de salaire et de contestation de son licenciement, l'intéressé se prétendant victime d'un harcèlement moral.

Par jugement contradictoire rendu le 7 juillet 2021, le conseil de prud'hommes de Lille a :

- jugé le licenciement pour cause réelle et sérieuse prononcé à l'encontre de M. [V] fondé ;

- débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné M. [V] à verser à la SARL Krimelte France la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [V] aux entiers frais et depens.

Par déclaration reçue au greffe le 13 juillet 2021, M. [V] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 13 septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [V] demande à la cour de :

- reformer et infirmer la décision rendue ;

- requalifier le contrat en un contrat à temps complet et condamner la partie defenderesse à lui payer un rappel de salaire d'un montant de 18 896,62 euros ;

- subsidiairement, pour le cas où la cour ne retiendrait que le paiement des heures complémentaires, condamner la partie defenderesse à lui payer une somme de 7 219,70 euros,

- annuler les 3 avertissements du 25 mai 2018 ;

- juger que l'employeur s'est rendu coupable de harcèlement moral et le condamner à lui payer une somme de 10 000 euros au titre de dommages intérêts ;

- subsidiairement, pour le cas où la cour estimerait qu'il n'y a pas de harcèlement moral, juger que l'employeur s'est rendu coupable d'une exécution déloyale et de mauvaise foi du contrat de travail et le condamner à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts,

- juger que le licenciement est abusif et dénué de cause réelle et sérieuse et dire que le plafonnement des indemnités prévu par l'ordonnance du 22 septembre 2017 n'est pas applicable,

- juger que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévue par l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Chartes sociale européenne, des articles 4 et 10 de la Convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable ;

- déplafonner l'indemnité et lui octroyer des dommages intérêts à hauteur de 15 000 euros et non à hauteur des dix mois de salaire, tel que préconisé par les ordonnances à savoir 5 250 euros ;

- En outre et pour le cas où le plafonnement serait retenu, juger qu'en dehors des préjudices prévus par le code du travail, il a également subi un préjudice moral sanctionnable au visa de l'article1382 du code civil devenu l'article 1240 du code civil ;

- condamner également la société défenderesse à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil devenu l'article 1240 ;

- condamner la partie défenderesse à lui payer les sommes suivantes :

* indemnités kilométriques : 869,024 euros,

* frais de repas 17,40 + 8,55 euros : 25,95 euros,

* dommages intérêts pour discrimination : 5 000 euros ;

- condamner la partie défenderesse à lui payer une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 24 mai 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la Société Wolf Group France demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner en tous les dépens ;

- à titre infiniment subsidiaire, ramener les demandes de M. [V] à de plus justes proportions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- observations liminaires :

L'employeur de M. [V], initialement dénommée la SARL Olivé Quimica, étant devenu en 2020, la SARL Krimelte France puis la SARL Wolf Group, il convient pour une meilleure lisibilité de l'arrêt de le désigner sous sa dénomination actuelle.

- sur la requalification du temps partiel de M. [V] en temps complet :

Reprenant en son intégralité le contenu des conclusions de première instance dans le corps de ses conclusions d'appel, M. [V] sollicite à nouveau la requalification de son temps partiel en temps complet, en synthétisant ensuite les moyens pour faire valoir en substance que contrairement à ce qui a été prévu à son contrat, il n'a jamais eu communication à l'avance de planning hebdomadaire de travail alors que les horaires figurant au contrat n'étaient qu'indicatifs. Il en déduit qu'il a été dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il pourrait travailler et se trouvait dans l'obligation de se tenir à la disposition de son employeur.

Il affirme qu'il travaillait en dehors des jours définis au contrat, en alléguant d'un pleind'essence de la voiture de fonction effectué le vendredi 8 juin 2018, ou encore de mails échangés un mercredi après-midi en février 2018.

Toutefois, ainsi que la société Wolf Group France le fait justement observer, le contrat de travail de M. [V] stipule expressément que sa durée hebdomadaire de travail est de 8,75 heures répartie comme suit :

- mardi : de 9h00 à 12h00,

- mercredi : de 9h00 à 12h00,

- jeudi : de 9h00 à 11h45,

avec la mention que 'ces heures de travail sont à titre indicatif et à défaut de planning transmis chaque semaine pour la semaine suivante'.

La société Wolf Group France rapporte ainsi la preuve que la répartition de ses horaires de travail était clairement annoncée et stable dans la mesure où elle n'était susceptible de varier qu'après réception d'un planning avec le respect d'un délai de prévenance d'une semaine. Or, le salarié ne produit aucun document établissant qu'il aurait reçu de la part de son employeur des directives ou plannings modifiant de manière régulière ses horaires de travail sans respecter un délai de prévenance, la société Wolf Group France justifiant au contraire à travers les attestations de plusieurs salariés non contredites par les pièces adverses que M. [V] était présent à l'entreprise aux jours fixés au contrat, en dehors d'éventuels rendez-vous clients.

En outre, le fait que M. [V] ait pris l'initiative de faire le plein d'essence du véhicule mis à sa disposition toute la semaine le vendredi 8 juin 2018 et qu'il ait adressé un courriel le mercredi 14 février 2018 pour dire 'coucou, tu peux imprimer'' ne peuvent suffire à établir que son employeur n'a pas respecté ces stipulations contractuelles, l'intimée relevant à raison que le plein d'essence a été fait dans la commune où le salarié réside et que le mail n'apparaît répondre à aucune sollicitation de son employeur.

Ainsi, en l'absence de pièce tendant à étayer ses dires et au vu de la clarté du contrat concernant la répartition de ses horaires de travail, M. [V] ne peut se prévaloir de la présomption d'un contrat à temps complet au sens de l'article L. 3123-6 du code du travail, son employeur justifiant qu'il pouvait prévoir son rythme de travail et ne se tenait pas en permanence à sa disposition.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de requalification de son temps partiel en temps complet.

- sur l'accomplissement d'heures complémentaires :

En vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande de rappel de salaire, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.

Il est en l'espèce constant que le contrat de M. [V] prévoyait l'exécution possible d'heures complémentaires selon les modalités suivantes : 'dans la limite de 3 heures. Les heures complémentaires effectuées au-delà de 10% de la durée habituelle de travail seront payées à un taux horaire majoré de 25%', étant précisé que sa durée de travail mensuelle est de 37,92 heures.

M. [V] produit le courriel adressé à son employeur le 31 mai 2018, à l'attention de Mme [D], aux termes duquel il fait état de l'exécution de 622 heures de travail en 2017 (pour 304 heures réglées) et 296 heures en 2018 (pour 152 heures réglées) dont il donne la répartition mensuelle.

S'appuyant sur ce décompte et sur un second courrier adressé par son assureur protection juridique le 4 juin 2018 formalisant en son nom la demande de régularisation de ces heures complémentaires, il sollicite un rappel de salaire de 7 219,70 euros à raison de 318 heures complémentaires en 2017 et 144 heures en 2018, avec l'application de la majoration de 25% prévue au contrat pour certaines d'entre elles.

Au vu du premier décompte, M. [V] soutient notamment avoir réalisé des heures complémentaires tous les mois sauf en août 2017 ainsi qu'en février et mai 2018, la plupart du temps à hauteur de 43 heures par mois.

Contrairement à ce que soutient la société Wolf Group France, les décomptes ainsi versés par le salarié apparaissent suffisamment précis pour permettre à son employeur d'y répondre, et ce d'autant plus que l'intimée affirme que M. [V] travaillait exclusivement dans les locaux de l'entreprise, ce qui devait rendre plus aisé le décompte des heures de travail accomplies.

Pour s'opposer à la demande de M. [V], la société Wolf Group France produit les attestations de 3 salariés qui confirment que l'intéressé n'était présent au bureau qu'aux heures prévues à son contrat, le quittant après la pause déjeuner. Mme [S], assistante de direction, précise également que celui-ci ne lui a jamais remis de relevé d'heures supplémentaires.

Il ressort toutefois à la fois de l'attestation de M. [F] et de la lettre de licenciement que M. [V] pouvait aussi être amené à participer à des rendez-vous chez des clients.

Elle ne présente aucun document concernant le contrôle des heures réalisées par M. [V], et ne produit pas non plus les planning de rendez-vous ou les rapports d'activité dont certains lui ont pourtant été bien remis par M. [V] pour tenter de démontrer que son travail a pu être effectué dans la limite des 3 matinées de travail, nonobstant les rendez-vous extérieurs.

La société Wolf Group France échouant ainsi à utilement discuter le décompte de M. [V] par les seules attestations produites, il sera retenu que M. [V] a accompli des heures complémentaires non rémunérées.

Tenant compte des seuls mois où la durée mensuelle de travail a été dépassée, il convient d'accorder à M. [V] à titre de rappel de salaire pour les heures complémentaires ainsi accomplies, une somme de 6 527,70 euros.

- sur l'annulation des 3 avertissements :

M. [V] sollicite l'annulation des 3 avertissements notifiés le 25 mai 2018, chacune de ces sanctions visant des faits différents, à savoir:

- avertissement n°1 : un dénigrement des collègues à plusieurs reprises et notamment le 12 avril et le 3 mai 2018,

- avertissement n°2 : l'absence de retour sur son activité et les dossiers en cours ainsi que l'absence de réponse aux mails du chef de vente depuis janvier 2018, en dehors du rapport d'activité de la semaine 16, la communication de rapport sur son activité hebdomadaire lui ayant été réclamée à cette occasion,

- avertissement n°3 : absence injustifiée au poste de travail depuis le 25 avril 2018, à l'exception d'un entretien le 3 mai 2018, avec conservation du véhicule, de l'ordinateur et du téléphone qui doivent pourtant être restitués à la société en cas d'absence prolongée.

Toutefois, comme le rappelle la société Wolf Group France, la demande de rapport d'activité sur le suivi des affaires en cours est inhérente aux missions d'un agent technico-commercial et pouvait aussi se justifier au regard de l'absence de M. [V] depuis le 3 mai 2018.

En outre, malgré des demandes en ce sens produites aux débats des 22 février 2018 et 9 avril 2018 de M. [O], responsable distribution France, M. [V] ne justifie pas l'avoir recontacté pour faire le point sur les actions en cours auprès de la clientèle comme demandé le 22 février 2018 à lui et aux autres salariés, ce qui justifie l'avertissement n°2 délivré pour l'absence de retour sur son activité et les dossiers en cours.

Il est enfin acquis aux débats que M. [V] ne s'est plus présenté sur le lieu de travail depuis le 25 avril 2018, et a minima le 3 mai 2018 à l'issue d'un entretien avec son employeur, sans justifier de ses absences alors qu'en vertu de son contrat de travail, il doit être présent 3 matinées par semaine. Est sans portée l'explication donnée dans ses courriers consistant à dire qu'il attendait sa lettre de licenciement, alors qu'il n'avait fait l'objet d'aucune mise à pied à titre conservatoire.

Il ressort de ce qui précède que les avertissements n°2 et n°3 sont parfaitement fondés au vu des pièces produites par la société Wolf Group France, de sorte qu'ils n'encourent pas l'annulation.

S'agissant de l'avertissement n°1, M. [V] conteste avoir tenu des propos dénigrants à l'égard de ses collègues et ses responsables hierarchiques, notamment le 12 avril et le 3 mai 2018.

Force est de constater que la lettre d'avertissement ne donne aucune précision sur les propos tenus pour en apprécier le caractère dénigrant et 'limite'. Par ailleurs, pour justifier du bien fondé de cette sanction, la société Wolf Group France s'appuie sur des attestations de salariés qui sont très générales et imprécises, celle de M. [O] plus circonstanciée étant par ailleurs susceptible de manquer d'objectivité dans la mesure où il est lui-même concerné en tant que responsable hierarchique.

A défaut d'élément plus circonstancié, l'employeur ne rapporte pas la preuve de la faute alléguée dans cet avertissement n°1. Il convient de l'annuler conformément à l'article L. L.1333-2 du code du travail et d'infirmer le jugement en ce sens.

- sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du même code, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.

En application de l'article L. 1152-3 qui suit, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions susvisées est nulle.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [V] fait état des faits suivants :

- il a été humilié à plusieurs reprises et qualifié de 'minable stupide',

- il a été privé d'accès à la messagerie de l'entreprise et sa carte carburant a été volontairement bloquée par la société Wolf Group France,

- son employeur a abusé de son pouvoir disciplinaire en lui notifiant 3 avertissements infondés et en lui réclamant des rapports d'activité.

Si la société Wolf Group France admet dans ses conclusions et dans un courrier du 25 mai 2018 que l'accès à la messagerie professionnelle a pu être rendue difficile en raison d'une mise à jour de sécurité des mots de passe et de 'Seafile', elle justifie cependant par les pièces produites que ce problème a concerné l'ensemble des agents qui ont tous été invités par courriel du 25 avril 2018, ainsi qu'en atteste Mme [S] et d'autres salariés, à se présenter dans les locaux pour permettre l'intervention des informaticiens, de sorte que la matérialité d'un bloquage volontaire de sa messagerie n'est pas établi par M. [V] qui ne présente aucun élément autre que la lettre d'explication que lui a adressé la société Wolf Group France.

De même, s'agissant du bloquage de sa carte carburant, M. [V] produit la copie d'un ticket client faisant apparaître l'échec d'une transaction le 8 juin 2018 avec pour motif 'transaction refusée'. Ce seul échec susceptible de s'expliquer par un dysfonctionnement ou une mauvaise connexion ne suffit cependant pas à établir la matérialité du bloquage allégué.

Enfin, les écrits rédigés par lui-même, notamment sa lettre du 3 mai 2018, ne peuvent suffire à établir la matérialité des faits de dénigrement qu'il y dénonce.

Seul demeure matérialement établie l'existence des 3 avertissements du 25 mai 2018.

Il s'ensuit que M. [V] dénonce des faits qui, pour certains ne sont pas matériellement établis, et qui, pour ceux qui le sont, à savoir les 3 avertissements prononcés le 25 mai 2018, ne permettent pas, pris dans leur ensemble, de laisser présumer un harcèlement moral dans la mesure où ils ne peuvent être qualifiés d'actes répétés au sens de l'article L. 1152-1 précité, puisqu'ils sont intervenus dans le même trait de temps et auraient parfaitement pu figurer dans un seul et même courrier d'avertissement.

De surcroît, au vu de ce qui a été précédemment statué, les avertissements n°2 et n°3 notifiés à l'intéressé le 25 mai 2018 sont en outre fondés sur des éléments objectifs étrangers à tout fait de harcèlement.

Ainsi, en tout état de cause, le seul avertissement n°1, objet de l'annulation, ne peut suffire à caractériser une situation de harcèlement moral dès lors qu'il s'agit d'un acte isolé.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [V] concernant le harcèlement allégué.

Pour les mêmes motifs, M. [V], qui ne développe pas d'autres moyens que ceux ci-dessus évoqués, échoue à rapporter la preuve de l'exécution déloyale par son employeur de ses obligations contractuelles, la supposée mauvaise foi n'étant établie par aucune pièce de l'appelant et ne se déduisant pas de l'annulation de l'avertissement du fait de l'insuffisance des éléments de preuve.

Il sera aussi relevé qu'aux termes du dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour, M. [V] ne formule pas de demande indemnitaire au titre d'un manquement de son employeur à 'son obligation de santé au travail' évoqué dans la partie discussion de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer de ce chef.

- sur le licenciement de M. [V] :

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

Selon l'article L. 1235-1 du même code, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe l'objet du litige, la société Wolf Group France

reproche notamment à M. [V] les fautes suivantes :

- son absence injustifiée depuis le 25 avril 2018 à son poste malgré l'avertissement du 25 mai 2018, notamment à la réunion commerciale du 29 mai 2018,

- la réclamation de paiement d'heures complémentaires injustifiées,

- son refus de venir dans les locaux pour faire procéder à la mise à jour de son ordinateur,

- la tenue de propos dénigrants concernant des salariés et le directeur commercial,

- son refus rendre compte de son activité.

Si, au vu de ce qui a été précédemment statué et des pièces de l'intimée pour la période postérieure au 25 mai 2018, les griefs tirés de la tenue de propos dénigrants et de la réclamation d'heures complémentaires indues n'apparaissent pas fondés, il est en revanche établi par la société Wolf Group France qu'en dépit de l'avertissement n°3 du 25 mai 2018, M. [V] n'est pas revenu à son poste de travail, aux jours et heures prévues à son contrat de travail.

Dans un courrier du 21 juin 2018, M. [V] reconnaît lui-même cette absence 'peu après le 3 mai', en tentant de l'expliquer par 'l'impossibilité d'utiliser mon véhicule de fonction, mes cartes de carburant étant rendues à votre initiative inopérantes'.

Or, son absence prolongée ne peut être justifiée par un tel motif dès lors que l'utilisation du véhicule de fonction, conformément aux stipulations contractuelles, est réservée aux besoins du service ce dont il ne peut alléguer à défaut d'être venu travailler depuis le 3 mai 2018.

Il lui appartenait à la suite de l'avertissement du 25 mai 2018 de se présenter à son poste par ses propres moyens pour reprendre son activité professionnelle, étant relevé par ailleurs qu'il ne justifie pas d'avoir éventuellement travaillé depuis son domicile.

L'absence d'accès à sa messagerie ne peut pas non plus justifier son absence à son poste de travail dès lors qu'il avait été informé par courrier du 15 mai 2018 que la mise à jour informatique ne pouvait s'effectuer que dans les locaux de la société, et qu'il ne s'y est pas rendu. Le grief à ce titre est donc établi.

La société Wolf Group France justifie également de la convocation adressée à tous les salariés dont M. [V], le 25 avril 2018, soit avant qu'il dise ne plus avoir accès à sa messagerie, en vue d'une réunion commerciale fixée au 29 mai 2018 à [Localité 2]. A travers les attestations de plusieurs salariés, il est établi que l'appelant ne s'est pas présenté à cette réunion de travail, l'intéressé ne prétendant d'ailleurs pas le contraire. Il ne justifie de l'envoi d'aucun message antérieurement à cette réunion pour obtenir les informations concernant son organisation et confirmer sa venue.

A travers l'ensemble de ces éléments, il est établi que M. [V] a persisté à ne pas se rendre à son poste de travail de manière injustifiée après avoir reçu notification de l'avertissement n°3 du 25 mai 2018.

En outre, alors qu'aux termes de l'avertissement n° 2, il lui a été demandé d'envoyer les rapports d'activité manquants depuis la semaine 16, il ne justifie pas s'être soumis à cette injonction légitime de son employeur, de sorte que celui-ci lui a fait grief à raison dans la lettre de motivation 'd'avoir toujours refusé, sauf une fois, de faire un retour votre activité à M. [O]'.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le licenciement de M. [V] est fondé, 3 des manquements visés dans la lettre de licenciement, et plus particulièrement l'absence prolongée à son poste et l'absence de retour sur son activité malgré les avertissements du 25 mai 2018, étant établis et suffisamment sérieux pour justifier la rupture de la relation de travail.

Le jugement sera confirmé en ce sens et en ce qu'il a débouté M. [V] de ses demandes financières en lien avec la rupture de la relation de travail, en ce compris sa demande indemnitaire de 10 000 euros sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

- sur les autres demandes de M. [V] :

M. [V] sollicite le versement des sommes suivantes :

- indemnités kilométriques : 869,024 euros,

- frais de repas 17,40 + 8,55 euros : 25,95 euros,

- dommages intérêts pour discrimination : 5 000 euros.

Toutefois, ainsi que le relève à raison la société Wolf Group France, les pièces de l'appelant ne peuvent valoir preuve des frais engagés. Il ne présente aucun justificatif de frais de repas et s'il a fait la demande le 31 mai 2018 de remboursement de frais kilométriques, il ne produit aucune pièce justificative à ce titre.

Enfin, s'agissant de la discrimination dont il aurait été victime, il prétend en page 14 de ses conclusions, en reprenant le contenu de ses conclusions de première instance 'qu'il a été également placé sur un plan inégalitaire puisqu'il lui était alloué des avantages en nature de 266 euros mensuellement alors que ses collègues [Y] [F] et [A] [C] ne payaient pas cette somme'.

Or, M. [V] ne produit aucun élément pour étayer ses dires, sachant que la société Wolf Group France justifie par la production des bulletins de salaire de [Y] [F] et [A] [C] que ces derniers bénéficiaient également d'un avantage en nature de 266 euros pour la voiture mise à leur disposition, comme M. [V]. La discrimination alléguée ne peut ainsi être retenue.

Les premiers juges ayant omis de statuer sur ces 3 demandes, il convient par ajout au jugement de les rejeter.

- sur les demandes accessoires :

M. [V] ayant été accueilli en une de ses demandes, il convient d'infirmer le jugement en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Il convient de laisser à chaque partie la charge des dépens qu'elle aura exposés tant en première instance et qu'en appel.

L'équité commande par ailleurs de débouter les parties de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 7 juillet 2021 sauf en ses dispositions sur la demande de rappel de salaire au titre des heures complémentaires, sur l'avertissement du 25 mai 2018, les frais irrépétibles et les dépens de première instance ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Wolf Group France à payer à M. [B] [V] la somme de 6 527,70 euros au titre des heures complémentaires ;

ANNULE l'avertissement n°1 en date du 25 mai 2018 ;

DÉBOUTE M. [B] [V] du surplus de ses demandes ;

DÉBOUTE les partie de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle aura exposés tant en première instance et qu'en appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/01222
Date de la décision : 17/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-17;21.01222 ?
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