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17/02/2023 | FRANCE | N°20/02438

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 17 février 2023, 20/02438


ARRÊT DU

17 Février 2023







N° 232/23



N° RG 20/02438 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLLV



MLBR/AL







AJ

























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

24 Novembre 2020

(RG 19/01260 -section )





































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GROSSE :



aux avocats



le 17 Février 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [P] [W]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Ludivine DENYS, avocat au barreau de LILLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 591780...

ARRÊT DU

17 Février 2023

N° 232/23

N° RG 20/02438 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLLV

MLBR/AL

AJ

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

24 Novembre 2020

(RG 19/01260 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 17 Février 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [P] [W]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Ludivine DENYS, avocat au barreau de LILLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 591780022021001482 du 09/02/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)

INTIMÉE :

S.A.R.L. NORD BRODERIE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Dominique GUERIN, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Judith OZUCH, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 03 Janvier 2023

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 Décembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE':

Mme [P] [W] a été embauchée par la SARL Nord Broderie suivant contrat à durée indéterminée à temps plein prenant effet le 21 juin 1999, en qualité d'ouvrière textile.

Au cours de la relation de travail, elle a fait l'objet de 2 avertissements les 17 octobre 2008 et 13 octobre 2010.

Le 12 octobre 2016, Mme [W] a été placée en arrêt maladie et a pris l'initiative de faire une déclaration d'accident de travail.

À l'issue de deux visites de reprise organisées les 2 et 16 janvier 2017, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude de Mme [W] en ces termes': «'inaptitude confirmée au poste de brodeuse. L'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'».

Mme [W] a été convoquée à un entretien fixé au 17 février 2017, préalable à un éventuel licenciement.

Par courrier du 23 février 2017, elle s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude physique et «'un état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi'».

Par requête du 18 juillet 2018, Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille afin de voir juger son licenciement nul et d'obtenir le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement contradictoire rendu le 24 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Lille a':

- dit que le licenciement prononcé à l'encontre de Mme [W] pour inaptitude médicale est parfaitement fondé et l'a déboutée de l'ensemble des demandes formulées à ce titre,

- condamné la société Nord Broderie à payer à Mme [W] la somme de 56 euros à titre de rappel de salaires sur la classification conventionnelle, outre 5,60 euros au titre des congés payés y afférents,

- rappelé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les sommes de nature indemnitaire,

- débouté les parties de leur demande respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement dans la limite des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail,

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 23 décembre 2020, Mme [W] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celles condamnant la société Nord Broderie à lui payer la somme de 56 euros à titre de rappel de salaires sur la classification conventionnelle, outre 5,60 euros au titre des congés payés y afférents.

Dans ses dernières conclusions déposées le 22 mars 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [W] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu en ses dispositions critiquées,

statuant à nouveau,

- constater la méconnaissance de l'obligation de sécurité,

- constater l'existence d'un harcèlement,

- constater l'inertie de la société Nord Broderie suite aux préconisations du médecin du travail,

- constater plus généralement les agissements fautifs de la société Nord Broderie dans l'exécution du contrat de travail,

- constater que son inaptitude prend source dans les manquements susvisés de l'employeur,

- juger que son licenciement est nul,

- condamner la société Nord Broderie à lui payer les sommes suivantes':

*29 903 euros de dommages-intérêts pour le préjudice né de la perte injustifiée de l'emploi,

*9 439,68 euros au titre du rappel d'indemnité spéciale de licenciement,

*3 519,88 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 352 euros au titre des congés payés y afférents,

*5 000 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité,

*2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Nord Broderie aux entiers dépens,

- ordonner la capitalisation des intérêts par voie judiciaire.

Dans ses dernières conclusions déposées le 4 juin 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Nord Broderie demande à la cour de':

- déclarer irrecevables les demandes suivantes de Mme [W]':

- constater l'existence d'un harcèlement,

- constater l'inertie de la société Nord Broderie suite aux préconisations du médecin du travail,

- constater les agissements fautifs de la société Nord Broderie dans l'exécution du contrat de travail,

- condamner la société Nord Broderie à payer à Mme [W] les sommes de 29 903 euros de dommages-intérêts pour le préjudice né de la perte injustifiée de l'emploi et 9'439,68 euros au titre du rappel d'indemnité spéciale de licenciement,

- constater l'acquisition de la prescription s'agissant des faits suivants':

- un avertissement du 17 octobre 2008,

- un avertissement du 13 octobre 2010,

- une surcharge de travail en 2008 (dans ses conclusions de première instance. On précisera que cette surcharge est datée de 2014 en cause d'appel pour les besoins de la cause),

- une problématique relative aux clés de l'entreprise le 3 janvier 2011,

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [W] la somme de 56 euros à titre de rappel de salaires sur la classification conventionnelle, outre 5,60 euros au titre des congés payés y afférents et l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en conséquence,

à titre principal,

- juger que le licenciement pour inaptitude de Mme [W] est fondé,

- débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- à titre subsidiaire, réduire les sommes sollicitées à de plus justes proportions.

Par ordonnance en date du 26 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a rejeté les moyens d'irrecevabilité des demandes adverses soulevés par la société Nord Broderie dans des conclusions d'incident.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

- observations liminaires :

Le conseiller de la mise en état par son ordonnance ayant autorité de chose jugée du 26 novembre 2021 a déjà statué sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Nord Broderie en raison du caractère nouveau en appel des demandes de Mme [W] suivantes :

- constater l'existence d'un harcèlement,

- constater l'inertie de la société Nord Broderie suite aux préconisations du médecin du travail,

- constater les agissements fautifs de la société Nord Broderie dans l'exécution du contrat de travail,

- condamner la société Nord Broderie à lui payer les sommes de 29 903 euros de dommages-intérêts pour le préjudice né de la perte injustifiée de l'emploi et 9'439,68 euros au titre du rappel d'indemnité spéciale de licenciement.

Il n'y a donc pas lieu de statuer à nouveau sur ce moyen d'irrecevabilité qui au surplus, ne pourrait qu'être rejeté dès lors d'une part, que les demandes aux fins de constatation ne sont que l'expression de moyens et non des prétentions, que d'autre part, la demande indemnitaire pour le préjudice né de la perte injustifiée de son emploi tend aux mêmes fins que celle énoncée en première instance en réparation du préjudice tiré de la nullité de son licenciement, et qu'enfin, la demande d'indemnité spéciale de licenciement est le complément nécessaire à celle portant sur la reconnaissance de l'origine professionnelle de son inaptitude.

- sur la classification de l'emploi de Mme [W] :

Dans le cadre de son appel incident, la société Nord Broderie conteste le rappel de salaire accordé à Mme [W] au titre de la classification conventionnelle de son emploi, en faisant valoir que ses attributions correspondaient bien au niveau 3 échelon 2 de la nouvelle classification de son emploi d'ouvrière textile, et que son salaire moyen de 1 641 euros sur une base de 35 heures hebdomadaires était supérieur au salaire minimum conventionnel.

Pour sa part, Mme [W] qui conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il lui a accordé un rappel de salaire pour les mois de janvier et février 2017, explique que son emploi relevait du niveau 4 échelon 3, en invoquant d'une part sa très longue ancienneté dans son métier et d'autre part, son niveau d'expertise approfondie qui lui permettait de terminer ou de refaire le travail de collègues moins expérimentés.

Elle estime n'avoir pas bénéficié du salaire minimal conventionnel lui revenant.

Sur ce,

Il sera rappelé que le salarié qui sollicite l'application de taux relevant d'une classification supérieure à celle visée dans son contrat de travail doit apporter la preuve que la nature des fonctions réellement accomplies relève de la classification qu'il revendique.

Il est en l'espèce constant qu'aux termes de son contrat de travail, Mme [W] s'est vue affectée à un poste d'ouvrière textile coefficient 120 de la convention collective du textile alors en vigueur.

Les premiers juges ont accordé à Mme [W] le rappel de salaire qu'elle réclamait avec pour seul motif que la société Nord Broderie 'ne contestait pas ce fait'. Or, l'absence de contestation formalisée ne vaut pas nécessairement reconnaissance et acquiescement aux prétentions adverses.

Par ailleurs, Mme [W] ne produit aucune pièce concernant la nature réelle des fonctions exercées, pour justifier que son emploi relèverait du niveau 4 échelon 3 de la nouvelle classification conventionnelle.

Enfin, comme le fait remarquer l'intimée, il apparaît au vu de ses bulletin de salaire que son salaire de base hors heures supplémentaires pour les mois de janvier et février 2017(1 641,48 euros) était bien supérieur au minimum conventionnel garanti par la convention collective qu'elle verse aux débats, pour le niveau 3 échelon 2 (1 505 euros), voir aussi pour le niveau 4 échelon 3 qu'elle revendique (1 636 euros), de sorte qu'en l'absence d'autres explications, sa demande apparaît mal fondée.

Il convient donc de l'en débouter et d'infirmer le jugement en ce sens.

- sur le harcèlement moral allégué :

* sur le caractère prescrit de certains faits :

La société Nord Broderie soulève d'abord le caractère prescrit de certains manquements allégués par sa salariée pour tenter de caractériser un harcèlement moral dont elle se dit victime, en faisant valoir que les faits survenus entre 2008 et 2011 étaient déjà prescrits avant la survenance le 25 mars 2016 des derniers manquements allégués, de sorte qu'ils ne peuvent plus être invoqués et ce peu importe que les derniers faits de 2016 ne soient pas prescrits au jour de la requête.

Toutefois, en application de l'article 2224 du code civil, le point de départ du délai de prescription quinquennale court à compter du jour où le salarié a eu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir, soit en matière de harcèlement moral qui implique une pluralité de faits, à la date du dernier fait de harcèlement invoqué, peu importe la date de commission des précédents agissements.

Or, la société Nord Broderie reconnaît que les faits commis en 2016, qui sont les plus récents, n'étaient pas couverts par la prescription au jour de la requête de la salariée. Il convient dès lors d'examiner l'ensemble des faits de harcèlement allégués par Mme [W], même ceux antérieurs à 2011.

* sur la situation de harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du même code, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.

En application de l'article L. 1152-3 qui suit, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions susvisées est nulle.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, pour dénoncer le harcèlement moral qu'elle dit avoir subi et qui serait la cause de son inaptitude, Mme [W] invoque dans ses conclusions des faits qui selon elle constituent des pressions psychologiques et intimidations, des inégalités de traitement et mise à l'écart ainsi qu'un dénigrement de son travail.

Elle prétend ainsi avoir fait l'objet de 2 avertissements selon elle injustifiés les 17 octobre 2008 et 13 octobre 2010 et dont les motivations sont strictement identiques.

Il est effectivement constant que Mme [W] a fait l'objet des 2 avertissements susvisés, les lettres de notification de la sanction signées par M. [L], gérant de la société, ayant une motivation identique libellée comme suit : ' j'ai constaté que vous aviez quitté votre poste de travail sans raison, sur un coup de tête, en laissant votre machine allumée et sans me prévenir de votre décision de quitter la société'.

Mme [W] produit également les lettres de contestation desdites sanctions qu'elle a adressées à son employeur, en lui demandant dans celle du 18 octobre 2010 'de cesser ce harcèlement'.

La matérialité de ces faits est ainsi établie.

Mme [W] allègue également des faits suivants :

- une charge de travail non valorisée et à l'origine d'un accident de travail en 2014,

- le refus de son employeur de lui donner comme à ses collègues les clés de l'atelier,

- les agissements de M. [V], son chef d'atelier, à savoir des reproches et propos désobligeants et brutaux notamment le 11 octobre 2016, une différence de traitement avec ses collègues, des consignes peu claires, l'instruction qui lui est donnée de refaire ou terminer le travail mal confestionné de certains collègues,

- l'imposition de ses dates de congés.

Or, ses seuls courriers à son employeur ou à l'inspection du travail pour dénoncer les faits susvisés ne peuvent suffire à en établir la matérialité. Il en est de même des pièces médicales relatives à son accident du travail de décembre 2014 suite à une tendinite de la main gauche, qui ne font nullement état d'une quelconque surcharge de travail mais uniquement du caractère répétitif des gestes professionnels réalisés.

Par ailleurs, l'ensemble des pièces médicales produites établissent la réalité des difficultés de santé qu'elle a présentées, notamment son syndrome anxio-dépressif en 2016, mais pas leur genèse dès lors que les médecins n'ont connu de sa situation que ce qu'elle a bien voulu leur en dire. Elles ne peuvent donc suffire à elles seules à établir la matérialité desdits agissements.

Il s'ensuit que Mme [W] dénonce des faits qui, pour certains ne sont pas matériellement établis, et qui, pour ceux qui le sont, à savoir les 2 avertissements prononcés en 2008 et 2010, ne permettent pas, pris dans leur ensemble de laisser présumer un harcèlement moral, au regard de leur ancienneté et de l'absence d'autre fait survenu postérieurement au cours de la relation de travail qui s'est poursuivie pendant plusieurs années.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il n'a pas retenu l'existence d'une situation de harcèlement moral et ce faisant, a débouté Mme [W] de sa demande aux fins de nullité de son licenciement.

- sur le manquement à l'obligation de sécurité de la société Nord Broderie et son incidence sur l'inaptitude de Mme [W] :

Mme [W] dénonce l'absence de réaction de son employeur aux signalements qu'elle lui a adressés concernant la situation de harcèlement moral qu'elle a dénoncée, notamment son ultime alerte du 24 octobre 2016, considérant que cette passivité constitue un manquement à l'obligation de prévention et de sécurité imposée à l'employeur en matière de harcèlement moral.

Elle estime que cette défaillance a contribué à dégrader ses conditions de travail, en l'absence de mesure prises pour mettre fin à la situation subie, et qu'elle est au moins en partie à l'origine de son accident du travail du 11 octobre 2016 qui a fait suite à son altercation avec son responsable, M. [V], et ce faisant de son inaptitude qui doit donc être reconnue comme étant d'origine professionnelle.

Outre la réparation du préjudice tiré de la perte injustifiée de son emploi et des indemnités de rupture liées à l'origine professionnelle de son inaptitude, Mme [W] sollicite une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du non-respect par la société Nord Broderie de son obligation de sécurité.

En réponse, la société Nord Broderie conteste tout manquement à ses obligations contractuelles et l'origine professionnelle de l'inaptitude, en faisant valoir en substance qu'elle n'a jamais été rendue destinataire des courriers adressés par l'appelante à l'inspection du travail, ni de son courrier du 25 mars 2016 dont la preuve de l'envoi n'est pas rapportée, et par ailleurs, qu'elle n'a pas été informée de l'accident du travail avant la réception le 18 octobre 2016 de la déclaration à la CPAM qu'en a fait Mme [W].

Elle ajoute sur ce dernier point que l'arrêt s'est poursuivi pour maladie non professionnelle.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 1152-4 du code du travail, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Au titre de son obligation légale de sécurité de résultat et de prévention, l'employeur doit ainsi prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou faire cesser les agissements de harcèlement moral dont il a été informé, sachant que l'absence de situation de harcèlement moral caractérisée ne fait pas obstacle à la mise en cause de l'employeur dès lors que de tels faits lui ont été dénoncés.

Il convient d'abord de relever que la société Nord Broderie ne précise pas, ni ne justifie des mesures prises pour prévenir les agissements de harcèlement moral susceptibles de survenir dans son établissement.

Par ailleurs, elle reconnaît avoir reçu le courrier de contestation de Mme [W] à la suite de l'avertissement prononcé à son égard le 13 octobre 2010 ainsi que la déclaration d'accident du travail du 13 octobre 2016 rédigée par sa salariée et les avis de prolongation.

Mme [W] a en outre adressé à son employeur en recommandé ses courriers des 24 octobre 2016 et 8 décembre 2016 dont la société Nord Broderie ne prétend pas qu'elle ne les aurait pas reçus contrairement à celui du 25 mars 2016.

Or, il résulte de ces différentes correspondances que l'appelante y évoque à chaque fois les faits de harcèlement moral dont elle se dit victime de la part de son responsable, en ces termes :

- lettre du 13 octobre 2010 : 'depuis 1 an, je subis des vexations et je suis sans arrêt harcelée...vous m'avez dit vous-même que c'est pour m'embêter..Je vous demande de cesser ce harcèlement',

- la déclaration d'accident du travail du 13 octobre 2016 : 'harcèlement psychologique- exigence de travail disproportionnée...souffrance psychologique...désignation', Mme [W] y désignant '[S]' responsable d'atelier, comme personne tiers à l'origine de l'accident du travail du 11 octobre 2016,

- courrier du 24 octobre 2016 : '...le 11 octobre 2016, le responsable ([S]) qui est coutumier de pressions à mon endroit, qui ne cesse de me culpabiliser et de me mettre sous pression tout à fait anormale, m'a tenu les propos suivants 'dégage de la société', et ce de manière brutale devant les autres salariés; ...vous n'avez jamais cru bon d'entendre ma parole et les problèmes du fait de conditions de travail dégradées..',

- courrier du 8 décembre 2016 : 'meurtrie par cet accident, et le contexte général qui l'amena, ainsi que par vos indélicatesses,...'.

Si un certain temps s'est effectivement écoulé entre le courrier de 2010 et ceux de 2016, il n'en demeure pas moins que la société Nord Broderie ne justifie pas avoir réagi aux dénonciations de harcèlement moral qui y figurent, et a minima à la souffrance morale exprimée clairement par sa salariée, plus particulièrement après la réception de sa déclaration d'accident du travail pour 'harcèlement psychologique' par le responsable d'atelier qu'elle reconnaît pourtant avoir reçue dès le 17 ou 18 octobre 2016, et du courrier du 24 octobre 2016.

Il relevait pourtant de ses obligations au sens des dispositions précitées, de vérifier sans délai, les dires de l'intéressée concernant l'altercation du 11 octobre 2016 et de faire le point sur ses conditions de travail compte tenu de la souffrance psychologique exprimée, afin de prendre le cas échéant toute mesure pour faire cesser les agissements de harcèlement s'ils s'avéraient établis, et en tout état de cause, pour en prévenir le renouvellement éventuel.

Or, la société Nord Broderie ne justifie ni d'avoir reçu Mme [W] pour l'entendre ainsi que le responsable mis en cause sur les faits dénoncés, ni d'avoir mené une enquête interne pour en vérifier la véracité, ni enfin d'avoir pris d'éventuelles mesures de prévention et de sensibilisation de ses salariés et de son personnel d'encadrement face aux situations de harcèlement susceptibles de survenir à l'avenir.

Par sa carence ainsi établie, la société Nord Broderie a manqué à son obligation de prévention et de sécurité à l'égard de Mme [W].

Peu importe que le harcèlement ait été établi ou pas, un tel manquement a causé un préjudice à Mme [W], l'absence d'écoute et de réaction ayant contribué d'une part à l'émergence, voir au renforcement de son syndrôme anxio-dépressif ainsi que cela résulte des avis médicaux et d'autre part, à rendre impossible son retour au sein de l'entreprise à défaut de prise en compte de la souffrance exprimée.

En effet, les praticiens, sans se prononcer sur les faits dénoncés ainsi que le rappelle justement le docteur [B] dans son attestation produite par l'employeur, font dans leurs avis postérieurs à l'incident du 11 octobre 2016, le lien entre l'anxiété importante de Mme [W] et l'expression par celle-ci de ses difficultés professionnelles, aucune autre cause n'étant envisagée. C'est notamment le cas du médecin du travail le 2 décembre 2016 et du docteur [B], neurologue, le 25 novembre 2016 qui précise que 'la patiente ne sera pas en situation psychologique pour reprendre son activité professionnelle dans l'entreprise et qu'il y a lieu de s'orienter vers une inaptitude'.

L'ensemble de ces éléments suffisant à caractériser le préjudice causé par le manquement de la société Nord Broderie à son obligation de sécurité, il convient de condamner la société Nord Broderie à verser à Mme [W] une somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Mme [W] sollicite par ailleurs le bénéfice des dispositions de l'article L. 1226-14 du code du travail afin d'obtenir le versement d'une indemnité spéciale de licenciement, considérant que l'origine professionnelle de son inaptitude est démontrée et était connue de son employeur.

Il convient de rappeler que peu importe la décision de la CPAM, le régime protecteur des salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle trouve à s'appliquer dès lors qu'il est établi que l'inaptitude, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Il résulte de l'avis initial d'arrêt de travail pris par le médecin traitant de Mme [W] le 12 octobre 2016 qu'il avait pour origine un accident du travail survenu le 11 octobre 2016 qui a d'ailleurs donné lieu à une déclaration d'accident du travail transmise par la salariée à la CPAM le 13 octobre 2016. Les avis de prorogation de l'arrêt pris jusqu'au 15 janvier 2017, soit à une période contemporaine de l'avis d'inaptitude qui date du 16 janvier 2017, portent tous la mention qu'ils sont en lien avec l'accident de travail susvisé.

Ces différents avis précisent que Mme [W] présentait alors une scapulalgie bilatérale sur probable tendinopathie de la coiffe des rotateurs, des cervicalgies avec contracture, un oedème et une anxiété, en cohérence avec les symptomes décrits par la salariée sur la déclaration d'accident du travail, à savoir ' souffrances psychologique, contracture, oedème et anxiété'.

Le docteur [B] dans son avis du 25 novembre 2016 évoque un état anxio-dépressif constitué en lien avec son activité professionnelle et le fait que 'la patiente ne sera pas en situation psychologique pour reprendre son activité professionnelle dans l'entreprise et qu'il y a lieu de s'orienter vers une inaptitude'. Le 7 décembre 2016, le docteur [R], psychiatre a constaté l'intensité de son état d'effondrement dépressif.

Dans un courrier du 4 mai 2017, le docteur [M], rhumatologue indiquait que Mme [W] souffrait de douleurs cervico scapulaires gauches évoluant dans un contexte anxio dépressif certain. Si ce dernier avis médical est postérieur au licenciement, il confirme cependant le lien étroit entre les douleurs et le syndrôme anxio dépressif diagnostiqués dès le début de l'arrêt de travail.

En outre, si dans son avis d'inaptitude du 16 janvier 2017, le médecin du travail a simplement constaté que 'l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi', il sera toutefois relevé que lors du premier examen de reprise du 2 janvier 2017, il a indiqué après avoir émis l'hypothèse d'une inaptitude définitive à confirmer lors d'un second examen, que Mme [W] pourrait effectuer une activité de même type dans un environnement professionnel différent, ce qui confirme le lien entre l'inaptitude envisagée et le contexte professionnel dans lequel elle exerçait son emploi.

Il a enfin été précédemment établi que ces troubles sont en lien avec le manquement de la société Nord Broderie à son obligation de sécurité.

Compte tenu de la persistance des troubles présentés par Mme [W] au jour de son inaptitude et du lien établi au moins en partie avec le manquement de son employeur, l'origine professionnelle de l'inaptitude de Mme [W] sera retenue.

La société Nord Broderie avait en outre parfaitement connaissance que les arrêts faisaient suite à un accident du travail dans la mesure où elle reconnaît avoir été rendue destinataire de la déclaration d'accident et où il résulte des bulletins de salaire que jusqu'en décembre 2016, elle y a mentionné les absences de la salariée pour accident du travail.

Elle a certe régularisé a posteriori lesdites mentions en absences pour maladie sur le bulletin de salaire de janvier 2017, mais ne donne aucune pièce pour en expliquer les raisons, et notamment ne justifie pas de l'éventuelle notification par la CPAM d'un quelconque refus de prise en charge de l'accident du travail. A défaut de preuve d'une telle décision, la société Nord Broderie se devait donc de procéder au licenciement de Mme [W] en faisant application des dispositions protectrice des salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il sera fait droit à la demande d'indemnité spéciale de licenciement formulée par Mme [W] dont le montant est bien identique à l'indemnité légale de licenciement qui lui a déjà été versée.

En vertu de l'article L. 1226-14 précité, Mme [W] a droit également à une indemnité d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis qui, au vu de son ancienneté, sera fixée comme elle le demande à la somme de 3 519,88 euros. En revanche, cette indemnité n'étant pas de même nature que l'indemnité compensatrice de préavis de droit commun, elle n'ouvre pas droit à congés payés de sorte que Mme [W] sera déboutée de sa demande à ce titre.

Enfin, il sera rappelé que le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude trouve sa cause véritable dans un manquement de l'employeur, ce qui, au vu de ce qui précède, est le cas en l'espèce, de sorte que l'intéressée est en droit de demander comme elle l'a fait la réparation du préjudice qui résulte de la perte injustifiée de son emploi.

En application de l'article L1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur au jour du licenciement, si un licenciement n'est pas justifié par une cause réelle et sérieuse, il est octroyé au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. L'indemnité est due au salarié qui justifie de plus de deux ans d'ancienneté au sein d'une entreprise employant au moins onze salariés au moment du licenciement, ce qui est le cas en l'espèce.

Au jour de son licenciement, Mme [W] était âgée de 46 ans et bénéficiait de 17 ans d'ancienneté. Elle justifie de la difficulté de retrouver un emploi et d'une baisse de ses revenus par la perception jusqu'en avril 2018, soit pendant plus d'an, de l'allocation d'aide au retour à l'emploi.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, sachant que la société Nord Broderie ne discute pas le salaire de référence retenu par Mme [W] à hauteur de 1 759,94 euros brut, il convient de lui allouer une somme de 10 559,64 euros en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

- sur les demandes accessoires :

Mme [W] étant accueillie en certaines de ses demandes, il convient par voie d'infirmation de faire supporter les dépens de première instance par la société Nord Broderie.

Pour les mêmes raisons, l'intimée supportera les dépens d'appel.

L'équité commande en outre de condamner la société Nord Broderie à payer à Mme [W] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en date du 24 novembre 2020 sauf en ses dispositions déboutant Mme [P] [W] de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral,

statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DÉBOUTE Mme [P] [W] de sa demande de rappel de salaire au titre de la classification de son emploi,

DIT que le licenciement de Mme [P] [W] est imputable au manquement de la société Nord Broderie ;

CONDAMNE la société Nord Broderie à payer à Mme [P] [W] les sommes suivantes :

- 10 559,64 euros en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi,

- 9 439,68 euros au titre du rappel d'indemnité spéciale de licenciement,

- 3 519,88 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 4 000 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité ;

DIT qu'il sera fait application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil relatives à la capitalisation des intérêts échus ;

CONDAMNE la société Nord Broderie à payer à Mme [P] [W] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société Nord Broderie supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 20/02438
Date de la décision : 17/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-17;20.02438 ?
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