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16/02/2023 | FRANCE | N°22/01772

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 16 février 2023, 22/01772


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 16/02/2023





****





N° de MINUTE : 23/53

N° RG 22/01772 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UG6V



Jugement (N° 15/01788) rendu le 07 Février 2018 par le tribunal de grande instance d'Arras





APPELANTE



SA SNCF Voyageurs Venant aux droits de SNCF Mobilités, anciennement dénommée « Société nationale des chemins de fer français » (SNCF)


[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Vincent Domnesque, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



INTIMÉE



SA ACM IARD

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Marc-Antoin...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 16/02/2023

****

N° de MINUTE : 23/53

N° RG 22/01772 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UG6V

Jugement (N° 15/01788) rendu le 07 Février 2018 par le tribunal de grande instance d'Arras

APPELANTE

SA SNCF Voyageurs Venant aux droits de SNCF Mobilités, anciennement dénommée « Société nationale des chemins de fer français » (SNCF)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Vincent Domnesque, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

SA ACM IARD

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Marc-Antoine Zimmermann, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Me Elisabeth Fleury-Rebert, avocat au barreau de Strasbourg, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 01 décembre 2022 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Yasmina Belkaid, conseiller

Carole Van Goetsenhoven, conseiller désignée par ordonnance en date du 28 novembre 2022

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 février 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 28 novembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

Le 10 septembre 2009, Mme [P] [J], assurée auprès de la SA ACM-Iard venant aux droits de la SA Assurances du Crédit Mutuel du Nord Iard (les ACM), a mis fin à ses jours sur une voie de chemin de fer.

L'Epic SNCF, nouvellement dénommé SNCF Mobilités et aux droit duquel vient la SA SNCF Voyageurs, a assigné les ACM en indemnisation des préjudices qu'elle impute au suicide de leur assurée.

Par jugement du 7 février 2018, le tribunal de grande instance d'Arras :

a constaté l'intervention volontaire de SNCF Réseau ;

a débouté SNCF Mobilités et SNCF Réseau, intervenante volontaire, de leurs demandes ;

les a condamnées à payer aux ACM la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

La SNCF Mobilités et la SNCF Réseau (anciennement dénommée Réseau Ferré de France) ont formé appel de l'intégralité de ce jugement, par déclaration du 9 mars 2018.

Par arrêt du 7 novembre 2019, la cour d'appel de Douai a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant a condamné in solidum SNCF Mobilités et SNCF Réseau aux dépens et à payer in solidum la somme de 3 000 euros aux ACM au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.

A la suite du pourvoi en cassation interjeté par SNCF voyageurs, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a par arrêt en date du 20 janvier 2022, cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Douai en toutes ses dispositions, et a renvoyé l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée.

La cassation est intervenue au visa de l'article L. 113-1 du code des assurances à la fois pour défaut de base légale, en ce que la cour n'a pas caractérisé la conscience que l'assurée avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son acte, et pour violation de loi, en ce que la cour d'appel a procédé à l'interprétation d'une clause d'exclusion ambigüe, ce dont il résultait qu'elle n'était ni formelle, ni limitée.

Par déclaration du 11 avril 2022, SNCF Voyageurs a saisi la cour d'appe1 de renvoi.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 16 septembre 2022, SNCF Voyageurs demande à la cour, au visa de l'article L. 124-3 du code des assurances, d'infirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions critiquées par la déclaration d'appel et statuant à nouveau de ces chefs, de :

- dire que les dommages matériels et immatériels qu'elle a subis entrent dans le champ de la garantie des ACM ;

- dire qu'il ne peut être reproché aucune faute dolosive à Mme [J] ;

- dire que les dommages en cause n'entrent dans le champ d'application d'aucune exclusion de garantie légale ou conventionnelle ;

- subsidiairement, dire et juger nulle et ne pouvant recevoir application la clause d'exclusion de garantie stipulant que sont exclus de toute prise en charge les dommages « intentionnellement causés ou provoqués directement » par l'assuré. Une telle clause ne pouvant être considérée ni comme formelle ni comme limitée et ne permettant pas à l'assuré de connaître exactement l'étendue de sa garantie ;

- très subsidiairement, dire nulle et ne pouvant recevoir application la clause précitée, soit que celle-ci vide la police d'assurance de toute substance soit qu'elle viole l'article L. 112-4 du code des assurances ;

- débouter par voie de conséquence les ACM de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- les condamner à lui payer la somme en principal de 15 671,51 euros avec intérêts au taux légal à dater du 02 janvier 2013 date de l'ultime mise en demeure ;

- ordonner la capitalisation des intérêts échus pour plus d'une année entière dans les

termes de l'article 1154 du code civil devenu 1343-2 du code civil ;

- condamner les ACM aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel ;

- les condamner au paiement d'une indemnité d'un montant de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et en cause d'appel ;

- autoriser, s'il en a fait l'avance sans en avoir reçu provision, Maître Pierre-Nicolas Decat, avocat constitué devant le tribunal de grande instance d'Arras, à recouvrer les dépens de première instance, Maître Vincent Domnesque, avocat constitué, à recouvrer les dépens d'appel conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, SNCF Voyageurs fait valoir que :

la garantie des ACM est due dès lors que :

* le suicide de leur assurée a entraîné un « dommage matériel » ayant engendré un dommage immatériel au sens du contrat d'assurance, qui est constitué (i) d'une part, par l'endommagement du purgeur du système de freinage, (ii) par la perforation d'un coupon numéroté lors de l'émission d'une alerte radio, (iii) par le bris du scellé équipant le bouton pressoir nécessaire au freinage d'urgence causé par la présence de Mme [J] sur la voie ferrée (iv) et enfin par le dommage causé au matériel roulant et aux voies ferrées par les débris de la victime : sur ce dernier point, la définition pénale des « dégradations » permet de retenir une telle qualification même lorsqu'un simple « nettoyage » suffit pour remettre en état le bien ; de même, en matière de réparation locative, la notion de « dégradation » renvoie à de simples nettoyages des biens loués ;

* son préjudice matériel, dont elle justifie l'existence, a été évalué conformément au protocole conclu entre la SNCF et les groupements d'assurances et de mutuelles ;

* la clause d'exclusion conventionnelle invoquée par les ACM est nulle, dès lors que (i) elle n'est pas formelle et limitée en ce qu'elle vise une notion ambiguë de dommages « intentionnellement causés ou provoqués directement » par l'assuré ; (ii) elle vide la police d'assurance de toute substance ; (iii) elle n'est pas rédigée en caractères très apparents, en violation de l'article L. 112-4 du code des assurances, dès lors qu'elles figurent dans des conditions générales du contrat comportant 74 pages, non signées et non paraphées ;

* la clause d'exclusion conventionnelle n'est pas applicable.

* Mme [J] n'a pas commis une faute dolosive, constitutive d'une exclusion légale de la garantie ; l'assureur n'en rapporte pas la preuve, dès lors qu'il n'est pas démontré que le comportement de l'assurée a fait purement et simplement disparaître l'aléa et que la suicidée avait conscience des conséquences dommageables de ses actes pour la SNCF.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 22 novembre 2022, les ACM demandent à la cour de :

=$gt; à titre principal :

- juger l'appel recevable mais mal fondé, en conséquence, en débouter SNCF Voyageurs ;

- juger qu'elles sont fondées à opposer l'absence de toute garantie due au vu :

* de l'absence de dommages matériels avérés subis par SNCF Voyageurs au sens de sa police,

* de l'absence de prise en charge, aux termes de la police, de dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel avéré,

* de la faute dolosive commise par Mme [J] en ce que celle-ci a supprimé l'aléa inhérent au contrat d'assurance,

* de l'exclusion, en application de l'article 3 des conditions générales de la police, de toute prise en charge de dommages directement provoqués par l'assuré,

en conséquence,

- débouter SNCF Voyageurs de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions,

- confirmer le jugement entrepris en tout son dispositif,

=$gt; avant dire droit, pour l'obtention des éléments factuels et de contexte contenus au dossier d'enguéte : inviter, respectivement enjoindre à SNCF Voyageurs d'avoir à verser aux débats l'entier dossier d'enquête intéressant le suicide de feue Mme [J],

=$gt; à titre infiniment subsidiaire, pour le cas où par impossible la cour serait conduite à faire droit en tout ou partie aux prétentions de l'appelante :

- dire et juger qu'elles sont fondées à opposer la franchise contractuelle de 75 euros prévue par la police souscrite par feue Mme [J] auprés d'elles ;

=$gt; en tout état de cause,

- condamner SNCF Voyageurs à lui verser une indemnité identique à celle qu'elle a sollicitée pour elle-même en application de l'article 700 du code de procédure civile soit 6 000 euros ;

- condamner SNCF Voyageurs à supporter les entiers frais et dépens de l'instance.

A l'appui de leurs prétentions, les ACM font valoir que :

- aucun « préjudice matériel » au sens de la police n'est établi : les éléments invoqués par SNCF Voyageurs ne sont pas prouvés, alors qu'il résulte de sa propre expertise privée qu'en l'absence de tout cliché photographique et de conservation des biens endommagés conformément aux prévisions du protocole assureurs / SNCF, il n'a pas été possible de confirmer la matérialité des atteintes invoquées au purgeur ou à la membrane du SAR, ainsi que leur lien de causalité avec le suicide de l'assurée ; le protocole n'a dès lors pas vocation à s'appliquer ; à l'inverse, les propres pièces produites par SNCF Voyageurs prouvent l'absence de dommage subi par le matériel roulant de cette dernière, alors qu'aucun élément ne démontre que le corps de Mme [J] ait été déchiqueté ; plus spécifiquement, ne constituent pas une dégradation au sens contractuel (i) le seul nettoyage d'un bien exclut une atteinte à sa structure même, qui définit la dégradation garantie par la police d'assurance ; (ii) une simple visite de contrôle des organes de freinage d'urgence (iii) un remplacement d'un scellé et d'un coupon, lequel n'est pas établi et n'est invoqué qu'après cassation, ne présente qu'un coût de quelques centimes et procèdent d'une procédure interne à la SNCF, et non directement du comportement de leur assurée, de sorte que de telles « pertes » ne sont jamais réclamées par cette dernière : il en résulte que SNCF Voyageurs invoque exclusivement des pertes immatérielles non consécutives à un sinistre matériel, de sorte que la garantie ne s'applique pas ;

- la cause légale d'exclusion de garantie qui s'attache à la faute dolosive de l'assuré n'est pas appréciée subjectivement par rapport à son auteur. La deuxième chambre de la Cour de cassation n'a pas tranché dans ses arrêts du 20 mai 2020 entre une conception objective et subjective de la faute dolosive. L'assureur n'a pas l'obligation de répondre des conséquences dommageables d'un acte délibéré, même suicidaire, alors qu'exiger la démonstration que la suicidée avait conscience des dommages que son suicide occasionnerait à la SNCF « procède d'une vue de l'esprit », dès lors qu'une telle personne se désintéresse totalement de ces dommages et des conséquences de son geste pour les autres ; alors que la preuve d'une telle conscience de causer un dommage est quasi-impossible, SNCF Voyageurs n'a au surplus pas fourni les éléments de l'enquête permettant d'apprécier l'état d'esprit de Mme [J], alors qu'aucun élément ne permet de conclure que cette dernière n'aurait pas réfléchi son acte. Dans une conception dualiste, il appartiendra à la cour de caractériser la conscience de Mme [J] lorsqu'elle disposera des éléments d'enquête ; à cet égard, le seul procès-verbal produit fait ressortir qu'elle avait déjà réfléchi les modalités de son suicide par collision ferroviaire, alors qu'aucun élément n'établit qu'elle souffrait de troubles psychiques d'une telle ampleur qu'elle n'aurait pu mesurer les conséquences de son acte pour la SNCF ;

- la clause d'exclusion de garantie comporte une référence implicite à la faute dolosive visée par l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances et n'implique par conséquent aucune interprétation, étant observée qu'elle a été antérieurement validée en jurisprudence et que le conseiller rapporteur désigné dans l'instance de cassation était d'avis qu'elle était valable dès lors qu'elle est formelle et limitée ; elle figure en outre en caractères apparent dans les conditions générales du contrat, auxquelles les conditions particulières ont valablement renvoyé ;

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les conditions de la garantie :

Il appartient au tiers lésé de prouver que sont remplies les conditions de la garantie souscrite par l'auteur de son dommage auprès de son assureur de responsabilité civile.

En l'espèce, le contrat souscrit par Mme [J] subordonne la prise en charge par les ACM d'un dommage causé par leur assuré à la preuve d'un dommage matériel subi ou, lorsque les dommages sont de nature immatérielle, à la preuve d'un dommage immatériel consécutif à un dommage matériel garanti.

La clause 31.13 de la police stipule en effet que « outre les exclusions générales reprises à l'article 3, nous ne prenons pas en charge [...] Les dommages immatériels non consécutifs à un dommage corporel ou matériel garanti ou non ».

La clause 31.2 du contrat stipule en outre au titre de la garantie souscrite : «nous prenons en charge les conséquences financières de la Responsabilité Civile que vous, ou les autres personnes assurées, pouvez encourir au cours de la vie privée en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés à autrui et résultant d'un accident».

SNCF Voyageurs fait valoir qu'elle a subi des dommages matériels et des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel. Il lui appartient par conséquent de démontrer que le sinistre s'analyse comme un « accident » et qu'il lui causé un dommage matériel dont a résulté le dommage immatériel dont elle sollicite la prise en charge par les ACM.

Sur l'existence d'un « accident » au sens contractuel :

Les conditions générales du contrat fournissent la définition suivante :

« accident : au sens de l'assurance de responsabilités : tout événement soudain, imprévu et extérieur à la victime ['] à l'origine des dommages corporels, matériels et immatériels ».

La recherche d'une extériorité de l'évènement à la victime conduit toutefois à rechercher exclusivement la cause du dommage (en l'espèce, le choc entre le matériel roulant et Mme [J]), et non la cause de l'accident lui-même (en l'espèce, la dépression de Mme [J] ayant conduit à son suicide).

La cause des dommages qu'invoque SNCF Voyageur étant constituée par ce choc, ce dernier évènement répond ainsi à la définition contractuelle de l'accident, à la fois soudain, imprévu et extérieur à la victime, étant précisé qu'à l'inverse, la cause de l'évènement dommageable ne peut être écartée que par une exclusion de garantie.

Sur l'existence de « dommages matériels » au sens contractuel :

Les conditions générales du contrat fournissent la définition suivante:

« dommages matériels : la destruction, détérioration d'un bien et/ou atteinte à l'intégrité physique des animaux ».

Il en résulte que :

- la question de la valeur du bien affecté par la destruction ou la détérioration ne constitue pas un élément de la définition contractuelle des 'dommages matériels' : la circonstance que le coupon ou le scellé dont SNCF Voyageurs invoque la dégradation présente une valeur économique très faible et par conséquent indifférente ;

- la qualification de 'dommages matériels' n'implique pas que la victime en sollicite par ailleurs l'indemnisation, alors que seule leur existence est requise pour permettre que soient pris en charge les dommages immatériels qui sont consécutifs à leur survenance.

- à défaut de précision apportée par la clause litigieuse, la détérioration d'un bien s'étend à sa salissure, qui implique une altération de ce bien. A cet égard, la circonstance que des résidus humains puissent se trouver sur le matériel roulant ou sur les voies ferrées constituent une telle détérioration, laquelle ne renvoie pas exclusivement à une attente matérielle du bien, mais englobe les atteintes à ses fonctionnalités et à son usage habituel, dès lors que de telles salissures nécessitent une remise en état de ce matériel.

- la circonstance qu'un dommage ne figure pas parmi les éléments susceptibles d'être indemnisés au titre du protocole conclu le 1er juillet 2005 entre la FFSA et la SNCF est indifférence, dès lors que son existence est établie au cours de la présence instance judiciaire et que ce protocole ne s'impose pas à la juridiction.

L'expert d'assurance CPA-experts indique dans son rapport du 13 janvier 2012 qu'un remplacement de purgeur a été intégré dans la réclamation présentée par la SNCF, mais en conteste la réalité. Dans la procédure d'escalade prévue par le protocole précité, les parties ont également échangé sur le « remplacement du SAR » (signal d'alerte radio) (pièces 6 et 7 SNCF voyageurs).

La seule circonstance que ce rapport indique qu'« aucune explication, aucune photographies, aucune fiche d'intervention du personnel n'a été transmise permettant la vérification de la matérialité des faits et l'ampleur des coûts réclamés » est toutefois indifférente, dès lors qu'une telle considération ne concerne que la phase pré-contentieuse de règlement du sinistre selon les conditions prévues par le protocole signé entre la SNCF et la FFSA à laquelle ont adhéré les ACM. Le rapport précité précise d'ailleurs que son analyse est « provisoire et porte sur les pièces transmises à la date de [sa] rédaction ».

A l'inverse, l'existence de « dommages matériels » constitue un fait juridique, dont la preuve est librement administrée par SNCF Voyageurs dans le cadre de la présente instance judiciaire.

=$gt; sur la détérioration d'un purgeur du système de freinage :

Aucune pièce produite par SNCF Voyageurs n'établit qu'un purgeur du système de freinage a été endommagé à l'occasion du sinistre. A défaut de fournir des constatations immédiatement effectuées sur le matériel roulant ou une documentation technique expliquant qu'un tel freinage d'urgence implique une telle détérioration de cette pièce, SNCF Voyageurs ne prouve pas l'existence d'un tel dommage matériel résultant du choc avec Mme [J].

=$gt; Sur la détérioration du coupon et du scellé :

La circonstance que la détérioration d'un coupon et d'un scellé résulte d'une procédure interne à la SNCF est indifférente, dès lors que seule l'existence d'un dommage matériel provoqué par le sinistre est requise au titre des conditions de garantie. Au surplus, alors que l'obligation pour l'exploitant des voies ferrées de procéder à l'arrêt des trains et d'alerter les agents susceptibles d'être concernés par l'urgence constituée par la « présence d'un obstacle sur la voie » résulte de l'article 111 de l'arrêté du 19 mars 2012 fixant les objectifs, les méthodes et les indicateurs de sécurité et la réglementation technique de sécurité et d'interopérabilité applicables sur le réseau ferré national, cette même disposition réglementaire renvoie expressément à la formalisation par consigne opérationnelle des mesures d'alerte qu'il appartient à chaque exploitant ferroviaire d'établir. L'arrêté précité précise à cet égard que la documentation d'exploitation doit ainsi préciser les moyens permettant d'obtenir l'arrêt des trains en cas de risques grave ou imminent pour la sécurité, leurs modalités d'utilisation, ainsi que les dispositions à prendre pour arrêter les trains avant un obstacle.

Il en résulte que SNCF Voyageurs produit valablement les consignes qu'elle a établies concernant le « remplacement du coupon perforé et du scellé coupé ou manquant du dispositif de contrôle de l'utilisation de l'alerte radio » (sa pièce 25).

Alors qu'il n'est pas contesté que l'alerte radio a été activée lors du sinistre, il en résulte que l'agent de conduite a nécessairement « perforé » le coupon pendant son service, dans des conditions impliquant le remplacement du coupon et du scellé du cache porte-coupons, alors qu'une telle action est confirmée par le procès-verbal de constatations immédiates mentionnant « SAR perforé ». La perforation de ce coupon implique en effet son remplacement, conformément aux consignes précitées.

L'alerte radio ayant été directement causée par la présence de Mme [J] sur la voie ferrée, un tel dommage matériel est ainsi imputable au comportement de l'assurée.

=$gt; Sur la détérioration du matériel roulant et de la voie ferrée :

La circonstance que le suicide de Mme [J] soit réalisé par un choc avec un matériel roulant implique concrètement des lésions corporelles importantes sur la victime dont découle la survenance de salissures, sans qu'il soit nécessaire à l'exploitant ferroviaire de démontrer que le corps de la victime a été « déchiqueté » à cette occasion ou de produire des photographies établissant l'importance des résidus humains sur le matériel, dont l'existence résulte nécessairement d'un tel choc entre un train n'ayant pu stopper sa marche avant l'impact et la victime circulant sur la voie elle-même.

Sur ce point, le schéma établi dans le « procès-verbal de constatations immédiates » révèle que le corps de la victime se situait au niveau de la voie n°2 (pièce 34/4), alors que l'agent de conduite « a déclaré que la personne marchait dans la voie vers le train », alors que le train circulait à 85 km/h lors de l'activation du freinage d'urgence (pièce 34/6). Il en résulte clairement qu'un impact direct entre la victime et le matériel roulant s'est produit au milieu de la voie n°2 où le corps a ensuite été découvert, dans des conditions impliquant la présence minimale de restes humains sur l'ensemble de ces matériels.

L'existence de telles « traces biologiques » est enfin constatée par les services de gendarmerie eux-mêmes, tant sur « la bouteille d'air située sous le poste de conduite » que sur « les pièces métalliques côté gauche » (pièce 35/1), alors qu'au titre de leur relevé des côtes, les gendarmes observent des traces de sang et de chair sur une distance allant de 61,8 mètres (séparant l'arrière du TER du corps) à 98 mètres à partir de ce même repère.

La nécessité d'une telle remise en état du matériel est d'ailleurs confirmée par l'intégration d'une main-d'oeuvre en charge d'un tel « nettoyage » (pièce 10 SNCF Voyageurs).

Dans ces conditions, SNCF Voyageurs établit valablement la preuve que le suicide de Mme [J] lui a directement causé des dommages matériels.

Sur l'exclusion légale de garantie au titre d'une faute dolosive :

Après que l'assuré a démontré que les conditions de la garanties sont réunies, il appartient à l'assureur de prouver que les exclusions qu'il oppose au tiers victime sont valables et que leurs conditions sont remplies.

Aux termes de l'article L. 113-1 du code des assurances, les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

Constitue une faute dolosive excluant la garantie de l'assureur le comportement délibéré de l'assuré, qui a rendu inéluctable la réalisation du dommage et fait disparaître le caractère aléatoire du risque garanti. Elle se distingue de la faute intentionnelle par l'absence de volonté délibérée de créer le dommage tel qu'il est survenu, dès lors qu'elle implique exclusivement la conscience des conséquences dommageables.

Il appartient ainsi aux ACM de démontrer que Mme [J] a causé des dommages en mettant fin à ses jours de manière volontaire tout en ayant conscience que ce choix délibéré rendait inéluctables les conséquences dommageables de son geste, faisant ainsi disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque assuré.

Dès lors que la charge d'une telle preuve leur incombe, les ACM ne peuvent valablement invoquer l'absence de communication par SNCF Voyageurs des « éléments factuels et de contexte contenus au dossier d'enquête » et solliciter qu'il soit enjoint à l'autre partie de « verser aux débats l'entier dossier d'enquête intéressant le suicide de feue Mme [J] ». À cet égard, les ACM disposaient notamment de la faculté de solliciter la délivrance d'une copie de la procédure diligentée par le service de gendarmerie, conformément à l'article R. 156 du code de procédure pénale en vigueur à l'époque du sinistre.

Alors que les ACM admettent ainsi elles-mêmes qu'à défaut d'une telle production des pièces de la procédure pénale, la caractérisation de l'état psychologique de la victime ne peut être établie, il en résulte qu'elles n'apportent pas la preuve qui leur incombe des conditions d'application de l'exclusion légale invoquée. A défaut de prouver que Mme [J] avait conscience que son suicide rendait inéluctables les conséquences dommageables de son geste, les ACM ne peuvent par conséquent valablement opposer à SNCF Voyageurs l'existence d'une faute dolosive de son assurée.

Sur l'exclusion conventionnelle de garantie :

Pour être valable, une exclusion conventionnelle doit être non seulement «formelle» et «limitée», mais encore «être contenue dans la police», aux termes de l'article L. 113-1 du code des assurances, et être rédigée en caractères «très apparents», en application de l'article L. 112-4, dernier alinéa, du même code.

En l'espèce, les conditions particulières du contrat « Essentiel habitat » signées le 21 juillet 2009 par Mme [J] comportent valablement une clause de renvoi à ses conditions générales, dont la clause 3 stipule :

«3. Exclusions générales :

Indépendamment des exclusions particulières prévues au titre de chaque garantie reprises aux articles 17 à 32 ci-après, nous ne prenons jamais en charge les dommages ci-dessous.

Sauf application de l'article L. 121-2 du code, les dommages intentionnellement causés ou provoqués directement, ou avec complicité, par :

- vous, votre conjoint ou concubin, les colocataires ainsi que les personnes vivant habituellement à votre foyer» [...],

que les ACM opposent à SNCF Voyageurs, étant observé que l'opposabilité des conditions générales n'est pas elle-même contestée par cette dernière.

En application de l'article L. 112-4 précité, les clauses d'exclusion de garanties doivent être rédigées en termes très apparents de manière à attirer spécialement l'attention de l'assuré sur l'exclusion qu'elle édicte.

Une différence matérielle doit ainsi exister entre les caractères adoptés pour les exclusions et ceux utilisés pour les autres clauses. En effet, alors que l'article L. 112-3 du code des assurances dispose que le contrat d'assurance doit être rédigé en caractères « apparents », l'article L. 112-4 prévoit que les exclusions de garantie de la police doivent quant à elles figurer en caractères « très apparents ». Ce degré supérieur d'apparence se traduit par une présentation générale qui attire l'attention de l'assuré. Les exclusions qui ne figurent pas en caractères très apparents sont réputées non écrites.

En l'espèce, si la clause litigieuse ne ressort pas spécifiquement par rapport à l'ensemble des stipulations figurant dans les conditions générales du contrat, avec lesquelles elle partage une identité de police, de taille, de justification et de couleur des caractères employés, ce moyen n'est toutefois invoqué qu'à titre « très subsidiaire » par SNCF Voyageurs, de sorte qu'il convient de respecter la hiérarchie des moyens invoqués par cette dernière dans la détermination de l'objet du litige.

Il résulte de l'article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elles doivent être interprétées et qu'elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées.

Une clause peut par conséquent être qualifiée de formelle et limitée lorsqu'elle réunit trois conditions cumulatives :

d'une part, l'assuré doit avoir une connaissance exacte de l'étendue de la garantie, la clause ne devant pas être interprétée.

L'ambiguïté des termes d'une clause d'exclusion ou celle née du rapprochement de cette clause avec d'autres stipulations du contrat d'assurance a pour conséquence l'invalidité de l'exclusion au sens de l'article L. 113-1, alinéa 1er, du code des assurances.

d'autre part, la clause doit être précise : il importe qu'elle se réfère à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées afin de délimiter de façon particulièrement nette le champ dans lequel la garantie n'est pas due.

enfin, la clause ne doit pas vider la garantie de sa substance afin de pouvoir être considérée comme « limitée », la cour étant tenue de vérifier l'étendue de la garantie subsistant après application de la clause litigieuse.

Le caractère limité d'une exclusion ne s'apprécie pas au regard de ce que la clause exclut, mais au regard de ce qui reste couvert malgré elle.

En l'espèce, l'absence de définition contractuelle des termes « causés » et «directement provoqués » nécessite une interprétation des termes de la clause d'exclusion litigieuse en raison de leur généralité et de l'ambiguïté qui en résulte, de sorte que leur emploi ne permet pas aisément d'avoir une connaissance exacte de l'étendue de la garantie : il en résulte que cette clause ne présente pas un caractère formel et limité et n'est ainsi pas valable, de sorte qu'elle ne peut être opposée par l'assureur au tiers lésé.

En définitive, il ressort de l'ensemble de ces énonciations que les ACM doivent garantir le sinistre résultant du suicide de Mme [J] et indemniser le tiers lésé des conséquences dommageables de son acte.

Dès lors, SNCF Voyageurs justifiant avoir subi des dommages matériels du fait du suicide et des dommages immatériels consécutifs aux dommages matériels subis, il convient d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes.

Sur l'indemnisation de SNCF Voyageurs :

Le montant de chaque poste de préjudices invoqués par SNCF Voyageurs n'est pas discuté par les ACM, qui se limitent à lui opposer la franchise contractuelle prévue par le contrat d'assurance.

Sur ce dernier point, la franchise dont est assortie une garantie de responsabilité civile est opposable aux tiers lésés exerçant l'action directe à l'encontre de l'assureur.

Concernant le dommage immatériel, SNCF Voyageurs justifie de l'arrêt de la circulation de ses trains le temps de l'intervention des autorités puis de la remise en état de la voie. Les perturbations ferroviaires ont provoqué le dommage immatériel subi par la Sncf, lequel est constitué par le coût engendré par les retards de ses trains, les inspections rendues nécessaires par le choc contre le train et les substitutions routières mises en place ainsi que le coût des services à la cliente.

Dans son dernier décompte des dommages subis, SNCF Voyageurs sollicite la somme totale de 15 671,51 euros (sa pièce 10). La preuve d'une détérioration du purgeur n'étant toutefois pas établie, il convient d'en déduire les sommes de 277,04 euros et 113,96 euros, correspondant respectivement à la main-d'oeuvre et aux fournitures facturés à ce titre.

En matière d'assurance de responsabilité, l'indemnité d'assurance porte intérêts moratoires à compter de la condamnation prononcée à l'égard de l'assureur, dès lors que son montant résulte de l'évaluation du préjudice établie par la juridiction au jour où elle statue.

Il en résulte que les ACM sont condamnées à payer à SNCF Voyageurs la somme de 15 205,51 euros, portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur la capitalisation annuelle des intérêts

La capitalisation annuelle des intérêts étant de droit lorsqu'elle est judiciairement sollicitée, il y a lieu de l'ordonner en application de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

et d'autre part, à condamner les ACM, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer à SNCF Voyageurs la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorise Me Pierre-Nicolas Decat et Me Vincent Domesque à recouvrer directement les dépens dont ils ont fait l'avance, respectivement au titre de la première instance et au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Réforme le jugement rendu le 7 février 2018 par le tribunal de grande instance d'Arras en toutes ses dispositions critiquées par la déclaration d'appel ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la SA ACM-Iard venant aux droits de la SA Assurances du Crédit Mutuel du Nord Iard doit garantir le sinistre résultant du suicide de son assurée, Mme [X] [J] ;

Condamne SA ACM-Iard venant aux droits de la SA Assurances du Crédit Mutuel du Nord Iard à payer à SNCF Voyageurs la somme de 15 205,51 euros, ladite somme portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, après déduction de la franchise contractuelle ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne SA ACM-Iard venant aux droits de la SA Assurances du Crédit Mutuel du Nord Iard aux dépens de première instance et d'appel et autorise Me Pierre-Nicolas Decat et Me Vincent Domesque à recouvrer directement les dépens dont ils ont fait l'avance, respectivement au titre de la première instance et au titre de l'instance d'appel ;

Condamne SA ACM-Iard venant aux droits de la SA Assurances du Crédit Mutuel du Nord Iard à payer à SNCF Voyageurs la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en premier instance et en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le Président

[N] [B]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/01772
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;22.01772 ?
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