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16/02/2023 | FRANCE | N°22/00163

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 16 février 2023, 22/00163


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 16/02/2023





****





N° de MINUTE : 23/55

N° RG 22/00163 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UBPN



Jugement (N° 20/01605) rendu le 02 Décembre 2021par le tribunal judiciaire de Valenciennes







APPELANTE



Madame [R] [J]

née le 21 Juin 1968 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]




Représentée par Me Alexia Navarro, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



INTIMÉES



Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Hainaut pris en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège

[...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 16/02/2023

****

N° de MINUTE : 23/55

N° RG 22/00163 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UBPN

Jugement (N° 20/01605) rendu le 02 Décembre 2021par le tribunal judiciaire de Valenciennes

APPELANTE

Madame [R] [J]

née le 21 Juin 1968 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Alexia Navarro, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉES

Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Hainaut pris en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Défaillante à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 14 mars 2022 à persone habilitée

Union Nationale des Mutualités Socialistes de Tournai, Mutualité Solidaris

[Adresse 3]

[Localité 7] - Belgique

Défaillante à qui la déclaration d'appel a été signifiée, PV d'accomplissement des formalités CE le 11 mars 2022

SA Axa France Iard

(intimée dans le RG 22/00261)

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Pierre Vandenbussche, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 07 décembre 2022 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT RENDU PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 février 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 21 novembre 2022

****

 

RAPPEL DE LA PROCEDURE

Les faits et la procédure antérieure :

Le 19 décembre 2016, Mme [R] [J] a été percutée et blessée par un véhicule assuré par la SA Axa france iard (AXA).

Le 28 septembre 2017, le docteur [Y] [H], expert mandaté par AXA, a procédé à une expertise médicale de Mme [J].

En désaccord avec les conclusions de cet expert, Mme [J] a saisi le tribunal de grande instance de Lille dans le cadre d'un référé expertise.

Par ordonnance du 2 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Lille a ordonné une expertise médicale de Mme [J] et confié la mission d'expertise au docteur [X] [U].

Le 15 novembre 2019, le docteur [U] a déposé son rapport d'expertise aux termes duquel il indique notamment que :

Mme [J] a été victime d'un accident de la voie publique lui ayant causé :

des cervicalgies et des lombalgies avec contractures musculaires ;

des douleurs à l'épaule droite ;

la consolidation est fixée au 11 septembre 2019 ;

Mme [J] est en arrêt de travail médicalement justifié jusqu'au 30 juin 2020 ;

il est probable qu'à cette date une reconversion professionnelle soit nécessaire afin de l'orienter vers un métier ne comportant pas de manutention lourde ;

déficit fonctionnel permanent évalué à 15%.

Par actes du 15 et 18 juin 2020, Mme [J] a fait assigner la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut (la Cpam) et AXA devant le tribunal judiciaire de Valenciennes aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Par courrier reçue au greffe le 4 août 2020, l'Union nationale des mutualités socialistes de Tournai (UNMS), exerçant sous le nom de Solidaris mutualité (Solidaris), a communiqué ses débours.

Par acte du 7 janvier 2021, elle a également fait assigner Solidaris, aux fins de déclaration de jugement commun.

Le jugement dont appel :

Par jugement du 2 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Valenciennes a notamment :

entériné les conclusions du rapport d'expertise judiciaire déposé le 16 juillet 2019 par M. [U], telles qu'éclairées par les observations complémentaires de l'expert du 4 janvier 2020 ;

liquidé les préjudices corporels de Mme [J] à titre patrimonial et extra-patrimonial, ainsi que les parts revenant à la victime et Solidaris comme suit  :

Date de consolidation : 11 septembre 2019

Âge à la date de consolidation : 51 ans

Préjudices corporels patrimoniaux

Préjudices corporels patrimoniaux temporaires

Postes d'indemnisation

Préjudice

Part de la victime

Part du tiers payeur

Dépenses de santé actuelles

1 207,41 €

1 150,41 €

57,00 €

Frais divers :

- assistance par tierce personne temporaire

- autres frais

4 120,00 €

4 849,00 €

4 120,00 €

4 849,00 €

0,00 €

Pertes de gains professionnels actuels

59 135,44 €

33 131,66 €

26 003,78 €

Préjudices corporels patrimoniaux permanents

Dépenses de santé futures

néant

Frais de logement ou véhicule adaptés

66 547,00 €

66 547,00 €

0,00 €

Assistance par tierce personne

125 132,00 €

125 132,00 €

0,00 €

Pertes de gains professionnels futurs

39 732,00 €

20 554,30 €

19 177,70 €

Incidence professionnelle

40 000,00 €

40 000,00 €

0,00 €

Préjudices corporels extra-patrimoniaux

Préjudices corporels extra-patrimoniaux temporaires

Déficit fonctionnel temporaire

4 959,93 €

4 959,93 €

0,00 €

Souffrances endurées

20 000,00 €

20 000,00 €

0,00 €

Préjudice esthétique temporaire

2 621,92 €

2 621,92 €

0,00 €

Préjudices corporels extra-patrimoniaux permanents

Déficit fonctionnel permanent 15%

23 550,00 €

23 550,00 €

0,00 €

Préjudice d'agrément

5 000,00 €

5 000,00 €

0,00 €

Préjudice esthétique permanent

1 200,00 €

1 200,00 €

0,00 €

Préjudice sexuel

3 000,00 €

3 000,00 €

0,00 €

Total

401 054,70 €

355 816,22 €

45 238,48 €

Provisions

-212 000,00 €

0,00 €

Solde

143 816,22 €

45 238,48 €

débouté Mme [J] de sa demande de liquider une perte de droits à la retraite au titre, substitué à la qualification improprement invoquée d'incidence professionnelle, de perte de gains professionnels futurs ;

condamné AXA à payer à Mme [J] un solde d'indemnité de 143 816,22 euros en réparation de ses préjudices corporels ;

déclaré le jugement commun à la Cpam et à Solidaris ;

condamné AXA à payer à Mme [J] une somme de 1 500 euros et à lui rembourser les dépens de l'instance de référé au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné AXA aux dépens.

La déclaration d'appel :

Par déclaration du 11 janvier 2022, Mme [J] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a liquidé ses préjudices corporels à titre patrimonial et extra-patrimonial, ainsi que les parts revenant à Solidaris et à elle-même ainsi :

perte de gains professionnels futurs : 39 732 euros ; 20 554,30 euros ;

19 177,10 euros ;

incidence professionnelle : 40 000 euros ;

l'a déboutée de sa demande de liquider une perte de droits à la retraite au titre, substitué à la qualification improprement invoquée d'incidence professionnelle, de perte de gains professionnels futurs ;

condamné AXA à lui payer un solde d'indemnité de 143 816,22 euros en réparation de ses préjudices corporels.

Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er septembre 2022, Mme [J] demande à la cour de :

=$gt; infirmer le jugement rendu le 2 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en ce qu'il a :

liquidé ses préjudices corporels à titre patrimonial et extra-patrimonial, ainsi que la part qui lui revient et la part qui revient à Solidaris ainsi :

pertes de gains professionnels futurs : 39 732 euros ; 20 554,30 euros ; 19 177,10 euros ;

incidence professionnelle : 40 000 euros ;

l'a déboutée de sa demande de liquider une perte de droits à la retraite au titre, substitué à la qualification improprement invoquée d'incidence professionnelle, de perte de gains professionnels futurs ;

condamné AXA à lui payer un solde d'indemnité de 143 816,22 euros en réparation de ses préjudices corporels ;

statuant à nouveau,

condamner AXA à lui verser, en deniers et quittances, la somme de 333 383 euros en réparation des postes de préjudices suivants :

pertes de gains professionnels futurs (arrérages échus et à échoir incluant les pertes de droit à la retraite) : 283 435 euros ;

incidence professionnelle 49 948 euros ;

=$gt; confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valenciennes le 2 décembre 2021 en toutes ses autres dispositions ;

condamner AXA à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens d'appel.

Elle fait valoir que :

1- sur la réparation des pertes de gains professionnels futurs :

l'expert a retenu qu'une reconversion professionnelle était nécessaire ;

elle a été reconnue invalide à plus de 66% par le conseil médical d'invalidité de l'UNMS ;

l'expert a retenu un arrêt de travail imputable jusqu'au 30 juin 2020 mais il convient de préciser que celui-ci a déposé son rapport le 15 novembre 2019 et qu'il ne pouvait donc prévoir avec certitude l'évolution de son état de santé ;

elle a toujours justifié du renouvellement de ses arrêts de travail et de son invalidité et la cour devra nécessairement statuer sur la base des éléments versés aux débats ;

il ne fait aucun doute que la prolongation de son arrêt de travail initialement retenu par l'expert est en lien direct et certain avec l'accident, en effet, la médecine du travail a conclu le 23 mars 2022 que « le travailleur mentionné ci-dessus est définitivement inapte à reprendre le travail convenu et n'est en état d'effectuer chez l'employeur aucun travail adapté ni un autre travail » ;

contrairement à ce que prétend AXA, le tribunal judiciaire a évalué ses pertes de gains professionnels futurs jusqu'au 31 août 2021 uniquement en raison de l'absence de nouveaux justificatifs lors du prononcé du délibéré, or, sa situation a évolué au point qu'elle ne pourra plus reprendre son activité professionnelle puisqu'elle a été licenciée pour inaptitude médicale le 1er avril 2022 ;

depuis cette date, elle ne perçoit que l'invalidité de sa caisse et le médecin conseil de Solidaris a notamment confirmé que son incapacité actuelle était bien en lien avec son accident et sa pension d'invalidité lui sera versée jusqu'à son départ à la retraite, soit 65 ans ;

depuis le jugement querellé, Solidaris a imputé le taux de déficit fonctionnel permanent sur les sommes versées au titre de l'invalidité et de ce fait, elle ne perçoit plus que 33,89 euros par jour au lieu de 42,01 euros, ce qui correspond à une indemnité de 881,14 euros par mois ;

ses pertes de gains professionnels futurs doivent être évaluées à compter du 12 septembre 2019, date de consolidation, jusqu'à ses 65 ans ;

elle percevra des indemnités d'invalidité par l'UNMS jusqu'au 30 juin 2035 et sera alors âgée de 67 ans, âge de départ à la retraite en Belgique ;

son médecin traitant a confirmé que son état de santé ne permettait pas sa présence au travail jusqu'au 30 juin 2022 ;

avant son accident, elle percevait un salaire mensuel moyen de 1 830 euros et en 2019, elle aurait dû percevoir un salaire mensuel de 2 014 euros avec la revalorisation de son salaire conformément à l'évolution du Smic horaire belge ;

les arrérages échus, tenant compte du revenu annuel de référence revalorisé se calculent de la manière suivante : 2 014 euros X 40 mois = 80 560 euros ' 39 368 euros (indemnités d'invalidité versés par Solidaris jusqu'au 31 décembre 2022) = 41 192 euros ;

les arrérages à échoir, soit à compter du 1er janvier 2023, se calculent de la manière suivante : 2 014 euros ' 881,14 euros (indemnités invalidité versées par Solidaris) = 1 132,86 euros ; 1 132,86 euros x 12 mois = 13 594 euros de perte annuelle ; 13 594 euros x 12,392 (valeur du point selon le barème GP 2020 pour un départ à la retraite à 67 ans) = 168 456 euros ;

les pertes de gains professionnels futurs échues et à échoir s'élèvent ainsi à la somme de 209 648 euros ;

il convient d'ajouter la perte de droits à la retraite qui sera calculée de la manière suivante :

arrérages échus entre la date de consolidation (12 septembre 2019) et la date de liquidation (31 décembre 2022) : 12 573 (pertes de revenus annuelles moyennes) x 3,3 ans = 41 490 euros ;

capitalisation : 12 573 x 20,175 (GP 2020 en viager pour un départ à la retraite à 67 ans) = 253 660 euros ;

total du préjudice (arrérages + capitalisation) : 41 490 euros + 253 660 euros = 295 150 euros ;

calcul de la perte de retraite au titre de l'incidence professionnelle = 1/4 de la somme totale : 295 150 euros x 1/4 = 73 787 euros ;

2- sur la réparation de l'incidence professionnelle :

l'expert a retenu la nécessité d'une reconversion professionnelle pour éviter tout métier avec manutention lourde et comme rappelé précédemment, la médecine du travail belge a conclu qu'elle est définitivement inapte à reprendre le travail convenu et n'est pas en état d'effectuer chez l'employeur aucun travail adapté ni un autre travail ;

ainsi, contrairement à ce qu'affirme AXA, elle est dans l'impossibilité définitive de reprendre une activité professionnelle ;

le poste d'incidence professionnelle vise à réparer « les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle » et vise notamment à réparer le préjudice lié à l'impossibilité de reprendre un emploi, préjudice spécifique et distinct de la perte de revenus ;

elle rencontre ainsi nécessairement une dévalorisation professionnelle en plus d'une pénibilité dans son travail ;

l'incidence professionnelle se calcule en fonction du taux de déficit fonctionnel permanent retenu par l'expert : 15% x 21 962 euros (revenu de référence) x 15,162 (valeur du point à 51 ans selon la barème de la Gazette du Palais 2020 pour un départ à la retraite légal à 67 ans en Belgique) = 49 948 euros ;

le tribunal judiciaire n'a néanmoins alloué qu'une indemnité forfaitaire de 40 000 euros, alors même que la jurisprudence de la Cour de cassation juge que le principe de la réparation intégrale des préjudices fait obstacle à la forfaitisation de l'incidence professionnelle.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 juillet 2022,

AXA demande de :

à titre principal,

=$gt; confirmer le jugement en ce qui concerne les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ;

débouter Mme [J] du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;

à titre subsidiaire,

liquider les pertes de gains professionnels futurs à la somme de 50 690,17 euros ;

débouter Mme [J] du surplus de ses demandes, fins et conclusions.

Axa fait valoir que :

1- Sur la perte des gains professionnels futurs :

le tribunal judiciaire a liquidé ce préjudice à la somme de 20 554,30 euros en tenant compte du fait que Mme [J] justifiait d'un statut d'invalidité jusqu'au 31 août 2021 ;

l'avis du conseil médical d'invalidité de l'UNMS ne s'impose pas à la cour, et l'imputabilité entre cette importante prolongation et l'accident n'est pas démontrée ;

de même, les attestations du médecin traitant ne peuvent prévaloir sur le rapport d'expertise judiciaire ;

l'expert judiciaire a retenu un arrêt de travail imputable jusqu'au 30 juin 2020 ;

son accord pour une prise en charge jusqu'au 31 décembre 2020 était motivé par le fait que Mme [J] était toujours en arrêt de travail au cours de la première instance ;

rien ne justifie une indemnisation jusqu'en 2035 faute de pièce médicale justificative ;

aucun justificatif n'est produit concernant la perte de droits à la retraite ;

à titre subsidiaire, l'expert judiciaire a retenu la nécessité d'une reconversion professionnelle de sorte que Mme [J] ne pourra être indemnisée pour une impossibilité définitive de travailler ; elle accepte de prendre en charge la perte de gains professionnels futurs jusqu'à la date du licenciement de Mme [J] le 1er avril 2022, soit du 12 septembre 2019 au 1er avril 2022, soit 932 jours ;

la perte brute s'élève donc à la somme de 56 078,44 euros (932 jours x 60,17 euros) ;

il convient ensuite de déduire de cette sommes les sommes perçues par les organismes sociaux du 12 septembre 2019 au 31 janvier 2022, soit la somme de 27 350,32 euros, de sorte qu'il revient à Mme [J] la somme de 28 728,12 euros ;

elle accepte de prendre en charge une année supplémentaire pour permettre à Mme [J] de se reconvertir professionnellement, ce qui représente une somme de 21 962,05 euros (365 jours x 60,17 euros) dont il conviendra de déduire les sommes perçues par les organismes sociaux pour la période du 2 avril 2022 au 1er avril 2023 ;

le total des pertes de gains professionnels futurs s'élève ainsi à la somme de 50 690,17 euros ;

2 Sur l'incidence professionnelle :

l'indemnisation de ce poste de préjudice ne doit pas aboutir à une double indemnisation des pertes de gains professionnels futurs et a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle ;

la méthode de calcul de Mme [J] est aléatoire et il convient de liquider ce préjudice conformément à la jurisprudence habituelle par une somme forfaitaire ;

en l'espèce, il existe une pénibilité accrue, une nécessité de reconversion professionnelle et une dévalorisation sur le marché du travail ;

contrairement à ce qu'affirme Mme [J], rien ne justifie une reconversion vers un travail à temps partiel ;

pour l'évaluation de ce préjudice, il est proposé de tenir compte de la catégorie de l'emploi exercé par Mme [J], de la nature et de l'ampleur de l'incidence et des perspectives professionnelles eu égard à l'âge de la victime ;

il convient ainsi de confirmer le jugement en ce qu'il a liquidé ce préjudice à la somme de 40 000 euros.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour constate qu'AXA ne conteste pas son obligation d'indemniser les préjudices subis par Mme [J]. Seules les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle font l'objet d'une discussion.

I. Sur les pertes de gains professionnels futurs

Les pertes de gains professionnels futurs résultent de la perte de l'emploi ou du changement d'emploi directement imputable au dommage ; ce poste de préjudice correspond à la perte où à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente et est évalué à partir des revenus antérieurs afin de déterminer la perte annuelle.

Lorsque l'inaptitude, consécutive à l'accident, est à l'origine du licenciement, il suffit de constater que la victime n'est pas apte à reprendre ses activités dans les conditions antérieures, et la victime n'a pas à justifier de la recherche d'un emploi compatible avec les préconisations de l'expert.

La victime n'étant pas tenue de minimiser son dommage dans l'intérêt du débiteur de son indemnisation, il ne peut ainsi lui être reproché de ne pas exercer une activité professionnelle depuis la consolidation de son état, quand bien même elle conserverait une capacité résiduelle de travail théorique.

En l'espèce, dans son rapport déposé le 15 novembre 2019, l'expert judiciaire fixe la date de consolidation au 11 septembre 2019, fait état d'une limitation douloureuse des amplitudes articulaires de l'épaule droite de la victime, et retient ainsi un déficit fonctionnel permanent de 15% ; il indique ensuite que Mme [J] était en arrêt de travail « médicalement justifié jusqu'au 30 juin 2020 par rapport à sa profession. Il est probable qu'à cette date une reconversion professionnelle soit nécessaire afin de l'orienter vers un métier ne comportant pas de manutention. ».

En outre, Mme [J] justifie avoir été reconnue invalide à plus de 66% par le Conseil médical d'invalidité de l'UNMS du 11 janvier 2018 jusqu'au 31 août 2021 puis jusqu'au 30 juin 2035 comme l'indique notamment le courrier de l'UNMS du 2 août 2021. L'avis du médecin-conseil de Solidaris permet de conclure au lien de causalité existant entre cette invalidité et l'accident. De plus, le 23 mars 2020, la médecine du travail a évalué qu'elle était « définitivement inapte à reprendre le travail convenu et n'est en état d'effectuer chez l'employeur aucun travail adapté ni un autre travail ». Par ailleurs, dans plusieurs certificats médicaux, le médecin traitant de Mme [J] atteste que l'état de santé de celle-ci ne lui permet pas de reprendre le travail.

Enfin, il est justifié du licenciement pour inaptitude médicale de Mme [J] au 1er avril 2022.

Il en résulte que l'invalidité de Mme [J] a perduré au-delà de la date du 30 juin 2020 retenue par l'expert alors que son invalidité et son inaptitude à reprendre le travail sont imputables à l'accident.

En vertu de l'article 246 du code de procédure civile, la cour n'est pas lié par les constatations ou conclusions du technicien et reste seule compétente pour apprécier leurs incidences, quant à l'existence des fautes alléguées, à la nature et à l'étendue du dommage indemnisable. Ainsi, bien que le jugement querellé ait entériné les conclusions de l'expert judiciaire et que ce chef ne soit pas visé dans la déclaration d'appel, la cour peut se fonder sur les éléments recueillis postérieurement à l'expertise judiciaire pour apprécier l'impossibilité pour Mme [J] de reprendre toute activité professionnelle.

Il s'ensuit que l'inaptitude, consécutive à l'accident du 19 décembre 2016, est à l'origine du licenciement de Mme [J], de sorte qu'elle n'est pas apte à reprendre son activité professionnelle dans les conditions antérieures et n'a pas à justifier d'une reconversion professionnelle préconisée par l'expert judiciaire, étant encore précisé que l'indemnité de licenciement versée à un salarié licencié pour inaptitude médicale n'a pas à être prise en compte pour évaluer sa perte de gains professionnels futurs.

Il résulte du principe de la réparation intégrale du préjudice que si la perte éprouvée ne peut être fixée qu'en fonction des pertes de gains professionnels perçus à l'époque du déficit fonctionnel partiel ou total, la cour doit procéder si elle est demandée, à l'actualisation au jour de leur décision de l'indemnité allouée en réparation de ce préjudice en fonction de la revalorisation du SMIC.

Sur ce point, les parties critiquent pas le jugement en ce qu'il a retenu comme base de revenus pour l'année 2019, année de la consolidation, la somme de 24 178 euros tenant compte de l'évolution du salaire minimum en Belgique pour l'évaluation des pertes de gains professionnels actuels et futurs.

Dans ces conditions, il convient d'indemniser intégralement Mme [J] du préjudice résultant de la privation de ses revenus professionnels antérieurs causée par l'accident, tant au titre de ses pertes de gains échues qu'au titre de celles à échoir.

Sur les pertes de gains professionnels futurs échus :

Jusqu'au présent arrêt, Mme [J] justifie n'avoir pu retravailler, de sorte qu'elle doit être indemnisée de l'intégralité des pertes de revenus qu'elle a subies par comparaison à sa situation antérieure à l'accident médical.

L'indemnisation de la victime d'un accident doit s'effectuer, déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice, dès lors qu'elles présentent un caractère indemnitaire et qu'elles ont été effectivement versées à la victime.

En l'état des relevés d'indemnités produits, Solidaris a versé à Mme [J] une somme de 28 539,48 euros depuis la consolidation.

En conséquence, ses pertes de gains professionnels futurs échus s'établissent sur la période du 12 septembre 2019 au 16 février 2023, soit 1 254 jours à hauteur de :

(1 254 jours x 24 178 euros/365) ' (28 539,48 euros) = 54 526,85 euros.

Sur les pertes de gains professionnels futurs à échoir et les pertes de droits à la retraite :

En premier lieu, l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs à échoir subi par Mme [J] s'effectuera par capitalisation des arrérages à échoir, au regard du quantum du capital en résultant au profit de la victime.

En deuxième lieu, cette capitalisation sera limitée à l'âge légal de départ à la retraite de Mme [J], soit 67 ans, âge légal de départ à la retraite en Belgique.

En effet, si la cour observe que Mme [J] ne produit pas le montant prévisible de sa retraite, notamment par un relevé de carrière, les périodes pendant lesquelles un assuré bénéficie :

d'indemnités journalières ;

d'une pension d'invalidité ;

sont prises en considération en vue de l'ouverture du droit à pension de retraite, que la victime bénéficie du régime de retraite belge ou français.

En effet, s'agissant du régime de retraite français, les périodes trimestrielles de maladie indemnisées, c'est-à-dire celles au titre desquelles Mme [J] a perçu des indemnités journalières ou une échéance du paiement des arrérages de sa pension d'invalidité de la part de la sécurité sociale, sont assimilées à des périodes de cotisations en application de l'article R. 351-12, 1° et 3° du code de la sécurité sociale ; ces périodes d'incapacité de travail sont dès lors comptabilisées :

* pour le calcul des trimestres requis dans le régime de retraite de base géré par sécurité sociale ;

* pour le calcul des points dans le régime complémentaire Agirc-Arrco.

Concernant le droit belge, lorsque la victime atteint l'âge légal de la retraite, sa pension d'invalidité se transforme en pension de retraite pour inaptitude de façon automatique, si elle n'exerce pas d'activité professionnelle.

Quelque soit le régime de retraite dont bénéficie Mme [J], les dispositions belges et françaises prévoient ainsi identiquement la conversion de la pension d'invalidité en pension de retraite. Il en résulte que Mme [J] n'établit aucune perte de droit à la retraite, dès lors qu'elle justifie avoir bénéficié d'une prise en charge de son invalidité par sa mutuelle, et ce quand bien même elle ne produit pas tous les décomptes des indemnités qu'elle a ainsi perçues depuis sa consolidation.

En troisième lieu, alors qu'elle dispose de la faculté de choisir le barème de son choix pour procéder à l'évaluation des préjudices susceptibles de capitalisation, la cour retiendra la table de capitalisation éditée en 2020 par la Gazette du palais qui repose sur une table de mortalité définitive publiée par l'INSEE 2014-2016 France entière, et un taux d'intérêt fixé à 0 %, cette table étant établie à partir de données démographiques récemment publiées par l'INSEE et prenant en compte des données économiques actualisées et objectives concernant le rendement des placements et l'inflation qui affecte ce rendement.

En considération de l'ensemble de ces éléments, il convient de liquider les pertes de gains professionnels futurs à échoir subies par Mme [J] à hauteur de :

24 178 euros x 12,652 = 305 900,06 euros.

Il convient de déduire de cette somme le montant des indemnités qui seront versées à Mme [J] par Solidaris jusqu'au 30 juin 2035, lesquelles s'élèvent à la somme mensuelle de 881,14 euros :

881,14 euros x 148 mois = 130 408,72 euros.

305 900,06 euros ' 130 408,72 euros = 175 491,34 euros.

La perte de gains professionnels futurs de Mme [J], arrérages échus et à échoir, s'élève ainsi à la somme totale de 230 018,19 euros.

Le jugement critiqué est réformé de ce chef et AXA sera condamnée à payer à Mme [J] la somme de 230 018,19 euros en réparation des pertes de gains professionnels futurs. Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a débouté Mme [J] de sa demande au titre d'une perte de droits à la retraite.

II. Sur l'incidence professionnelle

Le cumul de l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs et d'une incidence professionnelle est admis lorsque ces indemnisations réparent des préjudices distincts.

Mme [J] fait valoir qu'elle est dans l'incapacité de reprendre une activité professionnelle et souffre ainsi d'une dévalorisation professionnelle.

Toutefois, l'abandon de toute activité professionnelle est indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel inclut la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales. Il s'ensuit que ce préjudice a déjà fait l'objet d'une indemnisation.

Néanmoins, AXA demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [J] la somme de 40 000 euros au titre de ce préjudice.

Il convient ainsi de confirmer le jugement de ce chef, en application de l'article 4 du code de procédure civile.

Le jugement sera enfin infirmé en ce qu'il a condamné AXA à payer un solde d'indemnitaire de 143 816,22 euro en réparation de ses préjudices corporels, alors que la créance de Mme [J] doit s'évaluer à la somme de 353 280,11 euros.

III. Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

et d'autre part, à condamner AXA, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à Mme [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement rendu le 2 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en ce qu'il a débouté Mme [R] [J] de sa demande au titre d'une perte de droits à la retraite et en ce qu'il a liquidé l'incidence professionnelle à la somme de 40 000 euros,

L'infirme uniquement en ce qu'il a :

liquidé les pertes de gains professionnels futurs à la somme de 39 732 euros et fixé à la somme de 20 554,30 euros la part revenant à Mme [R] [J] ;

condamné la SA Axa france iard à payer à Mme [R] [J] un solde d'indemnité de 143 816,22 euros en réparation de ses préjudices corporels,

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

Fixe le préjudice de Mme [R] [J] en réparation de ses pertes de gains professionnels futurs à la somme de 230 018,19 euros,

Condamne la SA Axa France Iard à payer à Mme [R] [J] un solde d'indemnité de 353 280,11 euros en réparation de ses préjudices corporels,

Condamne la SA Axa France Iard aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la SA Axa France Iard à payer à Mme [R] [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/00163
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;22.00163 ?
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