République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 16/02/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/00826 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TN42
Jugement n° 2019008297 rendu le 13 octobre 2020 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTE
SAS Brasserie de [Localité 3] BSO prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
représentée par Me Alain Reisenthel, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
INTIMÉE
SAS Middadi prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Julie Fehlmann,, avocat au barreau de Grasse, avocat plaidant
DÉBATS à l'audience publique du 23 novembre 2022 tenue par Dominique Gilles magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 février 2023 après prorogation du délibéré du 9 février 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 novembre 2022
****
Vu le jugement du 13 octobre 2020, par lequel le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- dit recevable la SAS Brasserie de [Localité 3] en ses demandes ;
- débouté la société Middadi de sa demande en résiliation du contrat de fourniture exclusive de bières qui la liait avec la société Brasserie de [Localité 3] ;
- débouté la société Brasserie de [Localité 3] de sa demande en paiement d'une indemnité de rupture de contrat ;
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Vu la déclaration reçue au greffe le 4 février 2021, par laquelle la SAS Brasserie de [Localité 3] a interjeté appel de ce jugement, déférant expressément à la cour les chefs de celui-ci l'ayant débouté de ses prétentions ;
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées par la voie électronique le 2 septembre 2022, par lesquelles la SAS Brasserie [Localité 3] demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris ;
- condamner la société Middadi à lui payer 93 295,51 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat de bières du 9 décembre 2014 avec la SARL Gemama, dont le fonds a été vendu avec le contrat en mai 2015 à la société Middadi, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 mars 2019, subsidiairement de l'assignation et à défaut du jugement entrepris ;
- condamner la société Middadi à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens en sus.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées par la voie électronique le 3 août 2022, par lesquelles la société Middadi demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable la demande de la société Brasserie de [Localité 3], en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en résiliation et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Brasserie de [Localité 3] de sa demande indemnitaire ;
statuant à nouveau :
à titre principal :
vu l'autorité de chose jugée ;
- dire la société Brasserie de [Localité 3] irrecevable en ses demandes ;
- la condamner à lui payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens en sus ;
à titre subsidiaire :
- débouter la société Brasserie de [Localité 3] de ses demandes ;
- prononcer la résiliation du contrat à la date du 31juillet 2015, date à laquelle la société [Localité 3] sciemment entravé les relations contractuelles en assignant son partenaire devant le tribunal de commerce de Nice ;
- en troisième rang :
- débouter la société Brasserie de [Localité 3] de ses demandes, faute de justification du calcul de la clause pénale ;
- en quatrième rang :
- modérer la clause pénale et la fixer à 1euro ;
en tout état de cause :
- condamner la société Brasserie de [Localité 3] à lui payer 3 000 euros au titre de l'article700 du code de procédure civile, dépens en sus.
Vu l'ordonnance de clôture du 2 novembre 2022 ;
SUR CE
LA COUR
A titre liminaire, la cour indique que si les prétentions de la société Middadi apparaissent contradictoires en ce qu'elles sollicite la confirmation du débouté au fond de la demande indemnitaire et, en même temps et par infirmation, l'irrecevabilité de cette même demande, il sera passé outre, dès lors que l'appel ne tend jamais qu'à l'annulation ou à la réformation du jugement entrepris, de sorte que le chef de confirmation des conclusions est sans portée.
En vertu de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées des parties pour l'exposé des faits de la cause, des prétentions et des moyens des parties.
Il sera seulement rappelé que par contrat sous seings privés du 9 décembre 2014, la SARL Gemama, immatriculée à Nice, s'est engagée à se fournir exclusivement en bières auprès de la SAS Brasserie de [Localité 3], pendant la durée de cinq années, le contrat prévoyant une clause attributive de juridiction désignant le tribunal de commerce de Lille. Ce contrat comporte une clause pénale en son article 12, autorisant la brasserie, en cas de manquement du client à ses obligations, à résilier ce contrat par lettre recommandée avec accusé de réception et à exiger une indemnité de 25% hors taxes du tarif à l'hectolitre en vigueur « pour la bière en fût de la brasserie la plus consommée dans l'établissement, par hectolitres manquants, d'après les quantités minimales prévues » au contrat.
Par acte sous seings privés daté du 29 mai 2015 et enregistré le 4 juin 2015, la SARL Gemama a vendu son fonds de commerce à la SAS Middadi, le successeur s'engageant à poursuivre l'obligation du contrat de fourniture exclusive de bières jusqu'au 31 mai 2019, sous la garantie d'un nantissement du fonds de commerce.
Le tribunal de commerce de Nice, dans une instance opposant notamment la SAS Brasserie de [Localité 3] et la SAS Middadi, par un jugement du 29 février 2016, a constaté la résiliation, notamment, du contrat de fourniture exclusive, le dispositif de ce jugement mentionnant que cette résiliation était « du fait de la rupture unilatérale et irrégulière de la part de la SAS Middadi. »
La cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt du 21 juin 2018, a infirmé ce jugement, déboutant la société Brasserie de [Localité 3] de sa demande contre la société Middadi en résiliation fautive du contrat de fourniture de bières du 9 décembre 2014, retenant que la rupture fautive alléguée par la société Brasserie de [Localité 3] n'était pas prouvée au regard du seul élément de preuve produit, consistant en une lettre recommandée adressée le 3 juillet 2015 par celle-ci à la société Middadi et mentionnant : « Nous sommes informés de votre intention de ne pas honorer votre engagement de poursuite du contrat de fourniture de bières à nos marques distribuées par DAB, contrairement aux termes de l'acte d'acquisition de votre fonds de commerce. Nous attirons votre attention sur le fait que le non-respect de cet engagement vous obligerait au paiement d'une indemnité dont le montant ne saurait être inférieur à la somme de 94 640 euros selon la clause pénale du contrat[' ] »
La société Distribution azuréenne de boissons (DAB), grossiste désigné par le contrat de fourniture exclusive litigieux comme distributeur auprès duquel la société Middadi était chargée de s'approvisionner, a attesté le 27 septembre 2018 que la société Middadi avait arrêté tout approvisionnement auprès d'elle depuis le 7 juillet 2015.
Un constat d'huissier du 21 février 2019 démontre que la société Middadi, à cette date, ne distribuait plus les bières de la Brasserie de [Localité 3]. L'huissier instrumentaire relate que lors des opérations de constat, l'employé sur place lui a dit qu'il lui passait son « patron » au téléphone, la personne avec qui la communication annoncée a eu lieu ayant déclaré à l'huissier être M. [K] et ayant dit : « Je vous déclare que je ne me sers absolument pas auprès de la Brasserie [Localité 3], mais que toutes mes bières et boissons de ce type viennent des établissements Heineken. En effet, je considère que mon établissement est libéré de tout contrat commercial avec la Brasserie [Localité 3] depuis environ deux-trois mois ».
Par lettre recommandée datée du 4 mars 2019 mais dont l'accusé de réception produit n'est pas signé par la société Middadi destinataire et ne mentionne pas de date, la société Brasserie de [Localité 3] s'est prévalue de la résiliation fautive du contrat et a mis en demeure la société Middadi de respecter son obligation d'achat exclusif sous peine de résiliation judiciaire avec paiement d'une indemnité prévue au contrat de 94 780,44 euros.
Par acte extrajudiciaire du 7 mai 2019, la société Brasserie de [Localité 3] a assigné la société Middadi en paiement de cette somme en principal, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure.
C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement entrepris.
La société Middadi fait valoir en fait qu'elle a cessé de s'approvisionner auprès de la société DAB depuis le 7 juillet 2015.
S'agissant de la fin de non-recevoir prise de l'autorité de chose jugée, qui est opposée à la société Brasserie de [Localité 3], celle-ci fait valoir que :
- l'admettre reviendrait, après l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à autoriser la société Middadi à violer le contrat en toute impunité jusqu'à son terme, alors que le contrat était toujours en vigueur ;
- le constat d'huissier du 21 février 2019, qui a été demandé au juge des requêtes et obtenu à la suite seulement de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, ne pouvait pas être produit dans l'instance engagée à Nice et poursuivie en appel ;
- les magistrats niçois ont considéré que la résiliation par la faute de la société Middadi était acquise ;
- la cour d'appel d'Aix-en-Provence a seulement jugé qu'au jour des plaidoiries devant elle, le 10 avril 2018, il n'y avait pas résiliation du contrat ;
- une nouvelle action en justice du fait de la nouvelle rupture fautive du client est par conséquent recevable, dès lors que la résiliation invoquée est postérieure au jugement du tribunal de commerce de Nice et à l'arrêt rendu sur l'appel contre celui-ci, comme en matière de délit continu ;
- or, elle fait valoir l'existence d'un fait générateur nouveau, postérieur à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Toutefois, en droit, il convient de rappeler que le jugement rejetant une demande en l'état des justifications produites a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée, de sorte qu'une nouvelle demande identique, fût-elle assortie de nouveaux éléments de preuve, est irrecevable.
En outre, si l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, le caractère nouveau de l'événement permettant d'écarter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée ne peut résulter de ce que la partie qui l'invoque avait négligé d'accomplir une diligence en temps utile.
En l'espèce et en fait, le constat d'huissier du 21 février 2019 ne fait pas foi d'une reprise des relations d'approvisionnement entre la société Middadi et la société DAB après la clôture des débats devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence et dans les « 2-3 mois » ayant précédé le constat.
Il suffit à cet égard de rappeler que la société Middadi le conteste, que l'huissier n'a pu vérifier l'identité ni la qualité de la personne s'étant présentée à lui au téléphone comme étant le « patron » la société Middadi et, surtout, que la déclaration recueillie ne se prononce pas sur la reprise après une première rupture, qui n'est étayée par aucun élément. Au reste, la société Brasserie de [Localité 3] n'allègue pas de reprise après la rupture précédemment invoquée et déjà jugée. La société Brasserie de [Localité 3] prétend uniquement que le constat d'huissier établit par aveu « judiciaire » une « rupture minima trois mois avant le constat », le responsable du bar ayant déclaré qu'il ne s'approvisionnait plus en produits de la brasserie « depuis trois mois s'estimant libre de tout engagement ». La société Brasserie de [Localité 3] mentionne : « Cela veut dire a minima fin novembre 2018. Le gérant de Middadi ne pouvait pas s'estimer libre alors que le terme du contrat était au 31 mai 2019 et que finalement la cour d'appel d'Aix-en-Provence a jugé que le contrat se poursuivait puisqu'il n'était pas résilié ».
Toutefois, la société Brasserie de [Localité 3] allègue en réalité uniquement que les approvisionnements avaient cessés avant que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne statue. La cour d'appel d'Aix-en-Provence n'a pas jugé que le contrat se poursuivait, mais seulement que la preuve de la rupture fautive n'était pas rapportée par la société Brasserie de [Localité 3]. Ce qui oblige celle-ci, pour s'opposer à l'autorité de chose jugé, à alléguer un nouveau manquement à son égard. Ce qu'elle ne fait pas en l'espèce.
En l'absence d'allégation ni de preuve d'une nouvelle rupture, les propres pièces produites par la société Brasserie de [Localité 3] démontrent qu'elle allègue une cessation des approvisionnements de la société Middadi auprès de son grossiste à dater du 7 juillet 2015, selon attestation postérieure à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, datée du 27 septembre 2018.
Si les effets de cette cessation se sont poursuivis après qu'ils ont commencé, il n'en demeure pas moins que le nouvel élément de preuve qu'elle invoque, à savoir le constat d'huissier du 21 février 2019, ne prouve pas de reprise des approvisionnements après la clôture des débats devant la cour d'appel et qu'il ne peut être envisagé, par analogie avec la prescription des délits continus, de déclarer la société Brasserie de [Localité 3] recevable à prouver la résiliation fautive contre l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Force est de reconnaître en l'espèce que la présente demande nouvelle en justice se heurte à l'autorité de chose jugée à l'occasion d'une précédente instance dès lors qu'il existe entre celle-ci et celle ayant été jugée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence une triple identité : identité de parties, identité d'objet et identité de cause. En particulier, l'objet est le même s'agissant de la même résiliation fautive du contrat de fourniture de bières exclusive entraînant l'application de la même pénalité contractuelle prévue à l'article 12 du contrat. Et enfin, la cause est la même, en l'absence d'allégation d'un manquement nouveau comme nouvelle cause de la rupture.
Il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris ne peut pas être approuvé d'avoir accueilli la demande nonobstant l'autorité de chose jugée, au motif que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence n'avait pas résilié le contrat de bières qui devait donc se poursuivre jusqu'à son terme le 9 décembre 2019.
Par conséquent, le jugement entrepris sera réformé et l'action de la société Brasserie de [Localité 3] sera déclarée irrecevable.
En équité, la société Brasserie de [Localité 3] versera à la société Middadi, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
La société Brasserie de [Localité 3] sera condamnée en tous les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris,
Déclare la société Brasserie de [Localité 3] irrecevables en sa demande ;
Condamne la société Brasserie de [Localité 3] à payer 2 000 euros à la société Middadi au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Brasserie de [Localité 3] aux dépens.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles