République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 09/02/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/01943 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TALK
Jugement n° 2016002712 rendu le 05 février 2020 par le tribunal de commerce de Douai
APPELANT
Maître [K] [T], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Service Assistance Sécurité (SAS) nommé à cette fonction en remplacement de la SELARL MJ Valem Associés prise en la personne de Me [R] [I] par ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Valenciennes en date du 4 mai 2022
ayant son siège social [Adresse 1]
représenté par Me Vincent Speder, avocat constitué, substitué par Me Pauline Maillard, avocats au barreau de Valenciennes
INTIMÉES
SAS EPC France agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
Societé Anonyme d'Explosifs et de Produits Chimiques agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 3]
représentées par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistées de Me Aurélie D'Hieux-Lardon, avocat plaidant, substituée par Me Béatrice Billiard, avocats au barreau de Paris
DÉBATS à l'audience publique du 30 novembre 2022 tenue par Clotilde Vanhove magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 09 février 2023 après prorogation du délibéré du 2 février 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 09 novembre 2022
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EXPOSE DU LITIGE
La SA d'Explosifs et de produits chimiques (ci après SA EPC) est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'explosifs industriels.
La SAS EPC France (anciennement dénommée Nitrochimie) est spécialisée dans la fabrication et le négoce de poudres et d'explosifs en France et à l'étranger.
Par acte sous seing privé du 14 février 2011, la SARL Service assistance sécurité (ci-après SARL SAS) s'est engagée à réaliser des prestations de sécurité sur un site situé à [Localité 4], chemin du halage, appartenant à la SA EPC.
Ce contrat prévoyait la mise à disposition de personnel qualifié, des agents de prévention et de sécurité du lundi au dimanche pour une durée d'un an à compter du 1er juin 2011.
Par courrier daté du 9 novembre 2015, que la SARL SAS indique avoir reçu le 12 novembre 2015, le contrat a été résilié par M. [H].
Par jugement du 23 mai 2016, la SARL SAS a bénéficié d'un plan de redressement.
Estimant la rupture à la fois nulle, brutale et abusive, par acte d'huissier de justice du 24 août 2016, la SARL SAS et M. [O], son commissaire à l'exécution du plan, ont fait assigner la SAS EPC France devant le tribunal de commerce de Douai.
Par acte d'huissier de justice du 21 décembre 2016, les mêmes parties ont fait assigner la SA EPC devant le tribunal de Douai.
Après jonction des procédures, par jugement du 11 décembre 2017, le tribunal de commerce de Douai a reçu la SA EPC et la SAS EPC France en leur fin de non-recevoir et déclaré irrecevables les demandes de la SARL SAS à l'encontre de la SAS EPC France, déclaré irrecevables les exceptions d'incompétence soulevées par la SA EPC, s'est déclaré compétent pour connaître du litige et a renvoyé l'affaire pour conclusions et plaidoiries au fond.
Ce jugement a été frappé d'appel et par arrêt du 23 mai 2019, la cour d'appel de Douai a :
confirmé le jugement en ce qu'il a dit que le tribunal de commerce de Douai était compétent pour connaître du litige,
infirmé le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la SARL SAS formées à l'encontre de la SAS EPC France et condamné la SARL SAS à payer à chacune des sociétés EPC et EPC France la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
statuant à nouveau de ces chefs,
déclaré recevables les demandes de la SARL SAS formées à l'encontre de la SAS EPC France,
dit n'y avoir lieu à évocation des points non jugés par le tribunal,
renvoyé les parties devant le tribunal de commerce de Douai pour qu'il soit jugé sur le fond du litige,
rejeté toutes autres demandes,
condamné la SA EPC et la SAS EPC France aux dépens.
Par jugement du 29 avril 2019, le redressement judiciaire dont bénéficiait la SARL SAS a été converti en liquidation judiciaire et M. [I] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement contradictoire du 5 février 2020, le tribunal de commerce de Douai a :
pris acte de l'intervention de M. [I], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL SAS,
pris acte de la fin de la mission de commissaire à l'exécution du plan de la SARL SAS de M. [O],
jugé que la résiliation du contrat de gardiennage était justifiée,
jugé que la rupture n'était pas abusive car correspondant aux termes du contrat,
jugé que la rupture n'a pas été brutale,
rejeté toutes les demandes fins et conclusions de la SARL SAS,
débouté la SAS EPC France et la SA EPC des autres demandes,
dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné le liquidateur judiciaire de la SARL SAS aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 29 mai 2020, le liquidateur judiciaire de la SARL SAS a relevé appel du jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a pris acte de l'intervention du liquidateur et de la fin de mission du commissaire à l'exécution du plan.
Par ordonnance du 4 mai 2022, M. [T] a été désigné en qualité de liquidateur de la SARL SAS en remplacement de M. [I], en raison de son départ en retraite.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 19 octobre 2022, M. [T], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL SAS, demande à la cour de :
réformer le jugement,
débouter la SAS EPC France et la SA EPC de l'ensemble de leurs demandes et moyens,
dire la résiliation du contrat en date du 14 février 2011 la liant à la SAS EPC France frappée de nullité,
en conséquence, condamner la SAS EPC France à lui verser la somme de 67 784,65 euros pour la période d'exécution du contrat du mois de novembre 2015 au mois de mai 2016 puis 9 800 euros par mois à compter du mois de juin 2016 jusqu'à la date d'effet d'une notification valable de la rupture,
subsidiairement, la condamner à lui verser la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
la condamner à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture particulièrement brutale,
la condamner à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
la condamner à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
la condamner aux dépens,
à titre subsidiaire, si la cour estimait que la SA EPC et la SAS EPC France étaient ses cocontractants, elle formule les mêmes demandes à l'encontre des deux sociétés dont elle demande la condamnation solidaire,
à titre infiniment subsidiaire, si la cour estimait que la SA EPC était son cocontractant, elle formule les mêmes demandes à l'égard de cette société.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 9 novembre 2022, la SAS EPC France et la SA EPC demandent à la cour de les recevoir en leurs conclusions et appel incident, les en dire bien fondées et en conséquence, réformer partiellement le jugement, à savoir :
infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la SAS EPC France était également cocontractante de la SARL SAS et, en conséquence, juger que seule la SA EPC était cocontractante de la SARL SAS,
quel que soit le cocontractant retenu :
* confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la rupture ne peut souffrir de nullité, que la résiliation du contrat de gardiennage est justifiée par la faute de la SARL SAS, que la rupture en application du contrat n'est pas abusive et que la gravité des fautes reprochées à la SARL SAS justifiait une résiliation sans préavis, que la rupture n'a pas été brutale et en ce qu'il a débouté la SARL SAS et son liquidateur de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, et en conséquence, rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la SARL SAS et subsidiairement, juger qu'aucune des demandes financières faites par la SARL SAS n'est justifiée et en conséquence, les rejeter,
* infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutées de leurs autres demandes, et en conséquence, statuant à nouveau fixer leurs créances à l'encontre de la SARL SAS et du liquidateur à la somme de 3 000 euros pour abus de droit, et 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamner la SARL SAS et le liquidateur aux dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens. L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 novembre 2022. Plaidé à l'audience du 30 novembre 2022, le dossier a été mis en délibéré au 2 février 2023, prorogé au 9 février 2023.
MOTIVATION
Sur la demande de nullité de la résiliation
Il convient en premier lieu, au vu des pièces produites par les parties, de préciser les liens existants entre la SA EPC et la SAS EPC France. Il ressort des documents produits (extrait K bis de la société Les Dépôts d'explosifs du 8 décembre 2011, fiche de synthèse du 8 mars 2016 concernant la SAS EPC France, tableau des filiales et participations de la SA EPC, procès-verbal des décisions de l'associé unique de la SAS EPC France en date du 31 mai 2013 et extrait K bis de la SAS EPC France du 18 janvier 2011) que la SA EPC est l'associée unique de la SAS EPC France depuis novembre 2011. Auparavant, la SAS EPC France avait pour associé unique la société Les Dépôts d'explosifs, qui était détenue en totalité par la SA EPC et a fait l'objet d'une dissolution par transmission universelle de son patrimoine à son associé unique le 24 novembre 2011.
Il doit également être précisé, contrairement à ce que soutient la SARL SAS, qu'il ne résulte pas de l'arrêt de la présente cour du 23 mai 2019 que la question de savoir qui est son cocontractant ait été tranchée. La cour s'est contentée de déclarée recevables les demandes de la SARL SAS formées à l'encontre de la SAS EPC France.
Cette question du cocontractant de la SARL SAS dans le cadre du contrat de gardiennage doit ainsi être tranchée, la SARL SAS soutenant que la résiliation est nulle comme ayant été faite par une personne, M. [H], qui n'avait rien à voir avec son cocontractant, la SAS EPC France, alors que la SA EPC et la SAS EPC France soutiennent que le cocontractant de la SARL SAS était la SA EPC et que M. [H] était dûment habilité par cette société pour résilier le contrat.
En effet, il résulte des informations contenues dans les avis de taxes foncières de 2011 à 2015 que produit la SA EPC, qu'elle est propriétaire du site situé chemin du halage à [Localité 4], qui était exploité pendant un temps par la SAS EPC France. Le contrat conclu le 14 février 2011 pour le gardiennage de ce site contient les informations suivantes concernant le cocontractant de la SARL SAS :
la première page du contrat mentionne l'entreprise « EPC » et comme interlocuteur M. [J],
la troisième page contient la description de la mission confiée, qui est ainsi faite « mise à disposition de personnel qualifié pour l'exécution des missions suivantes : agent de prévention et de sécurité du lundi au dimanche en fonction du planning demandé par la direction EPC France. Notre mission est la sécurité des biens et des personnes sur le site de Nitrochimie (EPC France) de [Localité 4]. Eviter les intrusions et faire respecter le règlement intérieur tout comme les directives exceptionnelles de la direction d'EPC France »,
la sixième page précise l'adresse de facturation « EPC [Adresse 3] »,
la septième page prévoit un paragraphe relatif au cahier des charges « pour la bonne marche de la mission qui est confiée à SAS, le personnel de EPC France devra se conformer au cahier des charges ci dessous : pour les besoins de la sécurité cette liste n'est pas restrictive et peut faire l'objet d'avenants complémentaires avec l'accord de M. [J] de EPC France »,
enfin la dernière page contenant les signatures mentionne « EPC Le directeur général du groupe Monsieur [A] [U] ».
Il en résulte que, bien que la SAS EPC France soit mentionnée à de nombreuses reprises dans le contrat, le cocontractant est la SA EPC. En effet, M. [U] est le directeur général de la SA EPC. S'il était également le directeur général de la société Les Dépôts d'explosifs qui, ainsi qu'il l'a été précédemment évoqué, était l'associé unique de la SAS EPC France au moment de la signature du contrat, cette société n'est jamais évoquée. En outre, l'adresse de facturation mentionnée est le siège social de la SA EPC et n'était plus celui de la SAS EPC France depuis le 12 janvier 2011, celui-ci ayant été transféré à [Localité 5] ainsi qu'en justifient les intimées. Il sera également relevé que le contrat fait une distinction entre la SA EPC et la SAS EPC France puisqu'il vise EPC en tant que contractant mais précise EPC France pour certains éléments du contrat, ce qui conforte le fait que si le signataire du contrat avait été la SAS EPC France, son nom aurait été mentionné en totalité en première page du contrat et au niveau de la signature. Les intimées relèvent à juste titre que la SAS EPC France n'est mentionnée que pour l'organisation sur place.
De plus, les factures établies par la SARL SAS que produisent les intimées pour les mois de novembre et décembre 2011 ont été adressées à « EPC [Adresse 3] » et la SA EPC justifie par la production de ses relevés de comptes et des factures correspondantes, qu'elle a effectué les paiements des prestations pour les mois de février et mars 2014 et février et mars 2015.
Il résulte de tout ce qui précède que le cocontractant de la SARL SAS dans le cadre du contrat de gardiennage litigieux était la SA EPC.
En conséquence, la résiliation du contrat qui a été effectuée par M. [H] était valable dès lors qu'il est démontré qu'il était habilité pour ce faire par M. [U], en sa qualité de directeur général du groupe la SA EPC, selon la note interne du 16 septembre 2015 produite, étant précisé que la lettre de résiliation est faite sur un papier à entête de la SA EPC. En outre, il résulte des échanges produits par les parties que M. [H] était l'interlocuteur de la SARL SAS sur le site pour l'exécution du contrat, peu important que M. [H], après avoir été salarié de la SAS EPC France soit par la suite salarié de la société Sonouvex, autre filiale de la SA EPC qu'elle avait chargée de gérer le site de [Localité 4].
En outre, le moyen invoqué par la SARL SAS est inopérant dès lors que seul celui qui a donné un pouvoir pourrait se prévaloir de sa nullité.
La SARL SAS sera ainsi déboutée de sa demande de nullité de la résiliation du contrat de gardiennage et de la demande indemnitaire en découlant. Elle sera également déboutée de toutes ses demandes en ce qu'elles sont formées à l'encontre de la SAS EPC France.
Sur les demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive et brutale
Le liquidateur soutient que la rupture du contrat est abusive puisque les manquements qui lui sont reprochés par la SAS SA EPC ne sont pas fondés, qu'il n'y a eu aucune mise en demeure préalable et que la clause résolutoire permettant la résiliation du contrat sans préavis ne vise que le cas où le personnel n'est pas maintenu en poste dans des conditions de sécurité, de qualité et de quantité. Il précise que la rupture est également brutale puisqu'elle n'a été précédée d'aucune mise en demeure et que le contrat a été confié à une nouvelle société avant même que la SARL SAS ne reçoive la notification de la rupture.
La SA EPC soutient que la rupture du contrat était justifiée en raison de la faute du prestataire et que la rupture immédiate et sans préavis est justifiée par l'application de l'article 3 du contrat de gardiennage et par les fautes de la SARL SAS. Elle précise que la rupture n'est pas non plus brutale, compte tenu de la gravité du comportement de la SARL SAS et des risques potentiels que sa négligence lui faisait courir.
Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable à la date de signature du contrat, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elle ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
En l'espèce, le contrat conclu le 14 février 2011 entre les parties l'a été pour une durée d'un an à compter du 1er juin 2011. Aucune précision sur le devenir du contrat à l'issue de son terme ne figure dans la clause relative à sa durée. Il s'est poursuivi après son terme par tacite reconduction, ce dont conviennent les parties, étant précisé que la tacite reconduction n'entraîne pas la prorogation du contrat primitif mais donne naissance à une convention nouvelle.
Sauf disposition ou volonté contraire, la tacite reconduction d'un contrat de durée déterminée, dont le terme extinctif a produit ses effets, donne naissance à un nouveau contrat, de durée indéterminée.
Le droit de résilier un contrat à durée indéterminée est un aspect de la liberté contractuelle, laquelle a une valeur constitutionnelle. Il en résulte que dans les contrats à exécution successive pour lesquels aucun terme n'est prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l'alinéa 3 de l'article 1134 précité, ouverte aux deux parties. La résiliation doit cependant être exempte de brusquerie et donc accompagnée d'un délai de préavis. La partie qui résilie le contrat peut néanmoins se dispenser du préavis en cas de faute grave ou de force majeure.
En l'espèce, par lettre recommandée datée du 9 novembre 2015, que la SARL SAS indique avoir reçue le 12 novembre 2015, la SA EPC, par l'intermédiaire de M. [H], a résilié le contrat indiquant à la SARL SAS « je fais suite à nos échanges téléphoniques et à notre rencontre du 22 septembre dernier sur le site de [Localité 4]. Lors de ces échanges, je vous ai demandé de pallier aux différents dysfonctionnements constatés depuis quelques temps dans l'organisation du gardiennage référencé, à savoir :
véhicule inutilisable depuis le 22 septembre dernier, en raison de pneus crevés (rondes non exécutées depuis cette date),
dysfonctionnement du PTI,
absence de planning mensuel (envoi prévu chaque début de mois),
absence de main courante depuis le 17 octobre 2015, malgré les relances de votre personnel,
absence totale de communication et de remontées d'informations, notamment en ce qui concerne les récents changements de personnel. A la suite de notre entretien du 22 septembre, vous vous êtes engagé à corriger sans délai l'ensemble de ces carences; depuis ce jour, aucun changement n'a été constaté et aucune nouvelle de votre part, malgré ma relance téléphonique le 8 octobre. Vous comprendrez que cette situation n'est plus acceptable dans la mesure où elle compromet fortement la sécurité du site qui vous est confié. En conséquence, vos engagements contractuels n'étant plus respectés, nous vous confirmons par la présente la résiliation de votre contrat à dater de ce jour, conformément au dernier alinéa de l'article 3 de ce contrat ».
Pour prouver le manquement contractuel dont elle se prévaut, la SA EPC produit deux photographies d'un véhicule aux pneus crevés. Ces photographies ne sont cependant pas datées et aucun élément ne permet de déterminer qu'il s'agirait du véhicule utilisé pour faire les rondes sur le site objet du contrat. En tout état de cause, même si c'était le cas, cela ne saurait signifier que les pneus du véhicules sont restés crevés pendant une période importante sans aucune action de la SARL SAS, empêchant de ce fait la réalisation des rondes.
La SA EPC produit également une attestation établie par M. [H], désormais retraité, qui détaille la relation contractuelle et les dysfonctionnements qui lui ont été rapportés. Cette attestation n'est cependant pas probante s'agissant des dysfonctionnements allégués, dès lors que M. [H] ne relate pas de faits qu'il a personnellement constatés mais se contente de rapporter les dires de M. [P], salarié de la SARL SAS travaillant sur le site de [Localité 4], sur lesquels il s'est basé, selon ce qu'il indique dans l'attestation, pour contacter la SARL SAS et évoquer des dysfonctionnements.
Si la SA EPC soutient que les éléments qu'elle produits sont corroborés par le courrier que la SARL SAS a adressé à M. [P] le 13 novembre 2015 et par le courrier de contestation que la SARL SAS indique lui avoir adressé le même jour, ces éléments ne sont cependant pas suffisants pour établir la preuve de manquements contractuels de la SARL SAS.
Le courrier adressé par la SARL SAS à M. [P] le 13 novembre 2015 porte sur un litige qui oppose la société à ce salarié, qui travaillait sur le site de la SA EPC à [Localité 4]. Ce courrier fait état d'un entretien entre ce salarié et le directeur général de la société intervenue le 23 septembre précédent et des faits qui lui ont été reprochés (« nous vous avons demandé de justifier de vos passages comme indiqué dans votre contrat : une obligation de passage à SAS Anzin 9 fois dans le mois pour une rémunération de 627,30 euros pour les frais occasionnés ») et de l'absence de justificatifs produits. Ce courrier indique également « notre client nous informe de la résiliation de notre contrat de gardiennage et ce suite à vos manquements ». Le contenu de ce courrier ne peut être interprété comme valant reconnaissance par la SARL SAS des manquements qui lui sont imputés par la SA EPC, les manquements qu'elle reproche à son salarié ne sont en effet pas détaillés de façon à permettre de confirmer les dires de la SA EPC.
Quant à la lettre de contestation de la résiliation rédigée par la SARL SAS le 13 novembre 2015, que la SA EPC indique n'avoir jamais reçue tout en s'en prévalant pour corroborer les manquements dont elle se prévaut, elle ne peut pas plus être considérée comme corroborant les dires de M. [H] sur l'existence de manquements contractuels, dès lors que si elle confirme que des entretiens sont intervenus entre son directeur général et M. [H], la teneur de ces entretiens telle qu'évoquée dans ce courrier est très différente de celle évoquée par la SA EPC. La SARL SAS évoque un entretien du 22 septembre 2015 portant sur la réintégration de M. [P] pour éviter un licenciement pour faute grave, le fait d'avoir été interpellée le 8 octobre pour des pneus crevés, qui ont été changés et qu'aucune difficulté n'a ensuite été remontée, l'absence de changement de personnel dès lors que la personne prévue en remplacement des trois salariés pour leurs congés a été désignée pour remplacer M. [P] pendant sa mise à pied conservatoire, l'absence de dysfonctionnement du PTI... Elle ne confirme donc aucunement les manquements allégués par la SARL SAS.
En conséquence, la SA EPC ne justifie pas de l'existence de manquements contractuels de la part de la SARL SAS, alors même qu'elle invoque ce motif à la résiliation du contrat. Ainsi, les circonstances qui accompagnent la résiliation prononcée révèlent un usage excessif de la possibilité dont elle bénéficie de résilier le contrat. En outre, ne justifiant pas d'une faute grave de la SARL SAS, elle était tenue de respecter un préavis, ce qu'elle n'a pas fait, sans pouvoir se prévaloir de l'article 3 du contrat initial qui, outre le fait qu'une nouvelle convention lui a succédé à l'issue de son terme, ne vise que le cas de l'inexécution de l'engagement de la SARL SAS de maintenir en poste le personnel dans des conditions de sécurité, de qualité et de quantité.
La rupture du contrat est donc abusive et brutale.
La SARL SAS sollicite la somme de 60 000 euros de dommages et intérêts pour la rupture abusive, qu'elle indique correspondre à environ six mois de prestations et la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts en raison de la rupture brutale du contrat « en réparation du préjudice causé ».
Si la rupture brutale et abusive du contrat a nécessairement causé un préjudice moral à la SARL SAS, pour lequel il convient de lui allouer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts, elle ne justifie aucunement du préjudice économique dont elle se prévaut, alors même que ses salariés ont vu leur contrat de travail repris par la nouvelle entreprise en charge du gardiennage, qu'elle ne justifie d'aucun frais qu'elle aurait engagé en vue de l'exécution du contrat et que, si elle a perdu le contrat de gardiennage pour l'avenir, il doit être rappelé le principe de liberté de rompre un contrat précédemment évoqué, la seule perte du contrat ne pouvant entraîner un préjudice économique indemnisable.
Le jugement sera réformé en toutes ses dispositions.
La SA EPC sera condamnée à payer à la SARL SAS la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral. La SARL SAS sera déboutée du surplus de ses demandes.
Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Le comportement de la SA EPC dans le cadre du litige entre les parties ne révèle aucune résistance abusive.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le liquidateur de la SARL SAS de sa demande sur ce fondement.
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts
En vertu des textes sus-visés, l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.
Le liquidateur de la SARL SAS n'a fait qu'exercer une action en justice pour faire valoir les droits de cette société.
Aucun abus du liquidateur de la SARL SAS dans son droit d'agir en justice n'est donc démontré et il doit être débouté de sa demande à ce titre.
Sur les prétentions annexes
Le jugement sera réformé en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civil.
La SA EPC sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
Réforme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la SARL SAS de sa demande de nullité de la résiliation et de la demande indemnitaire qui en découlait ;
Déboute la SARL SAS de ses demandes formées à l'encontre de la SAS EPC France ;
Condamne la SA EPC à payer à la SARL SAS la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Déboute la SARL SAS du surplus de ses demandes ;
Déboute la SA EPC et la SAS EPC de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la SA EPC aux dépens ;
Condamne la SA EPC à payer à la SARL SAS la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile concernant la procédure d'appel.
Le greffier Le président,
Valérie Roelofs Dominiques Gilles