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02/02/2023 | FRANCE | N°22/04750

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 02 février 2023, 22/04750


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 02/02/2023





****





N° de MINUTE : 23/39

N° RG 22/04750 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UQ6L



Jugement (N° 19/00786) rendu le 22 Avril 2021 par le tribunal judiciaire de Douai







APPELANT



Monsieur [P] [U]

né le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 1]

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Représenté par Me Rodolphe Piret, avocat au barreau de Douai, avocat constitué





INTIMÉS



Monsieur [W] [K]

né le [Date naissance 4] 1992 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 6]



Repré...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 02/02/2023

****

N° de MINUTE : 23/39

N° RG 22/04750 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UQ6L

Jugement (N° 19/00786) rendu le 22 Avril 2021 par le tribunal judiciaire de Douai

APPELANT

Monsieur [P] [U]

né le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Rodolphe Piret, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [W] [K]

né le [Date naissance 4] 1992 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représenté par Me Emmanuel Masson, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 13] [Localité 11] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 9]

[Localité 11]

Défaillante à qui déclaration d'appel a été signifiée le 18 août 2021 à personne morale

SA Allianz Iard prise en la personne de son représentant légal domiclié en cette qualité dudit siège

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Me Emmanuel Masson, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 24 novembre 2022 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 02 février 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 novembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

Le 12 septembre 2016, M. [P] [U] a été victime d'un accident de la circulation impliquant la motocyclette de M. [W] [K], assurée auprès de la SA Allianz Iard, alors qu'il circulait dans un carrefour.

M. [U] a saisi le tribunal judiciaire de Douai en indemnisation de ses préjudices corporels sur la base d'un rapport d'expertise réalisé par le docteur [N].

Par jugement rendu le 22 avril 2021, le tribunal judiciaire de Douai a :

1- débouté Allianz et M. [K] de leur demande tendant à l'exclusion de toute indemnisation au profit de M. [U] ;

2- dit y avoir lieu de limiter l'indemnisation de M. [U] à hauteur de 50 % ;

3- condamné in solidum Allianz et M. [K] à payer à M. [U] les sommes de

* 515 euros en réparation de son déficit fonctionnel temporaire ;

* 2 000 euros en réparation des souffrances endurées ;

4- dit que les sommes mises à la charge d'Allianz produiront intérêts au double du taux légal à compter du 12 mai 2017 et jusqu'au jour où son jugement sera définitif ;

5- débouté M. [U] de sa demande tendant à ce que les sommes mises à la charge de M. [K] produisent intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation ;

6- dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts, s'ils sont dus au moins pour une année entière ;

7- débouté M. [U] de sa demande présentée au titre d'un déficit fonctionnel permanent ;

8- débouté Allianz et M. [K] de leur demande de déduction par le tribunal des sommes déjà allouées à M. [U] ;

9- condamné in solidum Allianz et M. [K] aux dépens ;

10- condamné in solidum Allianz et M. [K] à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

11- déclaré son jugement commun et opposable à la caisse primaire d'assurance-maladie de [Localité 13]-[Localité 11].

Par déclaration du 15 juin 2021, M. [U] a formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 2, 3, 5, et 7 ci-dessus.

L'affaire a été radiée par ordonnance du 3 octobre 2022. Sa réinscription a été autorisée sur justification des diligences requises.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 septembre 2021, M. [U] demande à la cour d'infirmer le jugement critiqué en ses dispositions visées par la déclaration d'appel et statuant à nouveau de :

- condamner in solidum Allianz et M. [K] à réparer l'intégralité de son préjudice ;

- condamner in solidum Allianz et M. [K] à lui payer la somme de 22 125 euros en principal, majorée des intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation ;

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

- dire qu'Allianz est redevable des intérêts au double du taux légal à compter du 12 mai 2017 jusqu'au jour où la décision à intervenir deviendra définitive sur l'ensemble des indemnités qui seront allouées ;

- condamner in solidum Allianz et M. [K] aux dépens de première instance et d'appel et à lui payer 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter Allianz et M. [K] de l'ensemble de leurs demandes.

A l'appui de ses prétentions, M. [U] fait valoir que :

il n'a commis aucune faute de nature à limiter son droit à indemnisation : en application de l'article 4 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, seul le comportement de la victime conducteur doit être apprécié pour rechercher une telle faute, sans prendre en compte le comportement du conducteur de l'autre véhicule impliqué ; en l'espèce, il n'a commis aucune faute, ayant mis son clignotant, vérifié son rétroviseur et ayant manoeuvré conformément aux règles applicables à ce carrefour ; M. [K] n'était pas prioritaire, en dépit de la motivation du premier juge ;

- la cause exclusive de l'accident réside dans les fautes commises par les deux cyclomotoristes qui circulaient très vite, de front et sur une voie réservée à la circulation des bus, alors que M. [K] n'a effectué aucune man'uvre d'évitement ou de freinage. De telles fautes excluent toute indemnisation des préjudices subis par M. [K] ;

- le rapport d'expertise vise un déficit fonctionnel permanent de 1% qu'il a simplement omis de mentionner dans ses conclusions : il sollicite une indemnisation à hauteur de 3 000 euros ;

le déficit fonctionnel temporaire doit être réparé à hauteur de 9 125 euros correspondant à une période du 12 septembre 2016 au 12 septembre 2017 moyennant un taux journalier de 25 euros ;

les souffrances endurées et le préjudice moral doivent être fixés à  

10 000 euros.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 25 novembre 2021, Allianz et M. [K], intimés et appelants incidents, demandent à la cour, au visa de l'article 4 loi n°85-677 du 5 juillet 1985, de :

=$gt; à titre principal : infirmer le jugement critiqué et de débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes ;

=$gt; à titre subsidiaire : confirmer le jugement uniquement en ce qu'il a ordonné la réduction de moitié de l'indemnisation de M. [U] et en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande au titre du déficit fonctionnel permanent ;

en conséquence, réformer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau :

- limiter l'indemnisation des préjudices de M. [U] aux propositions suivantes :

déficit fonctionnel temporaire : 441,5 euros

souffrances endurées : 1 000 euros

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes contraires ;

- débouter M. [U] de sa demande de doublement des intérêts au taux légal ; subsidiairement, limiter le doublement à la période comprise entre le 12 mai 2017 et le 3 janvier 2020 ;

- déduire de l'indemnisation à intervenir les sommes déjà versées par l'assureur de M. [U] ;

=$gt; à titre infiniment subsidiaire : si la cour retient un droit à indemnisation intégral de M. [U],

- prendre acte des propositions suivantes :

déficit fonctionnel temporaire : 823 euros ;

souffrances endurées : 2 000 euros ;

- débouter M. [U] de ses demandes contraires ;

réformer le jugement sur le surplus et statuant à nouveau :

- déduire de l'indemnisation à intervenir les sommes déjà versées par l'assureur de M. [U] ;

- ramener les postes de préjudice de M. [U] à de plus justes proportions ;

- débouter M. [U] de sa demande de doublement des intérêts au taux légal ; subsidiairement, limiter le doublement à la période comprise entre le 12 mai 2017 et le 3 janvier 2020 ;

=$gt; en tout état de cause : débouter M. [U] du surplus de ses demandes et ordonner que chacun conservera à ses charges les frais irrépétibles et les dépens engagés.

A l'appui de leur prétentions, ils font valoir que :

- la faute commise par M. [U] est de nature à exclure son droit à indemnisation ; il a positionné son véhicule en travers de la voie de bus et s'y est arrêté ; il n'a pas pris les précautions nécessaires pour vérifier l'arrivée d'autres usagers de la route ; M. [K] ne circulait pas à une vitesse excessive ; la zone de damier matérialisée dans un carrefour ne peut être encombrée ; le comportement de M. [U] constitue une violation des articles R. 415-2 et R 417-11 du code de la route et constitue la cause exclusive de l'accident ;

subsidiairement, l'indemnisation des préjudices doit s'effectuer comme suit : (i) un déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 %, puis 10 %, sur la période visée moyennant un taux journalier de 20 euros ; (ii) souffrances endurées évaluées 2/7 qui justifient une indemnisation intégrale de 2 000 euros, ou réduite à 1 000 euros ; (iii) l'expert n'a retenu aucun déficit fonctionnel permanent, alors que M. [U] n'a pas contesté par dire le rapport ; (iv) les sommes versées par l'assureur de M. [U], la GMF, doivent être justifiées, dès lors que cet assureur sollicitera le remboursement des indemnités payées à la victime ; (v) la GMF est l'assureur mandaté dans le cadre de la convention IRCA dont la mise en oeuvre a été interrompue par l'assignation en justice, de sorte qu'il appartenait à cet assureur de respecter les dispositions de l'article L. 211-13 du code des assurances ; en outre, Alllianz a été diligente, alors que les dispositions invoquées ne sont pas d'ordre public, de sorte que la cour peut débouter M. [U] d'une telle demande de doublement du taux d'intérêt légal au regard des circonstances ; en tout état de cause, une offre satisfactoire a été présentée le 3 janvier 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'obligation d'indemnisation :

L'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dispose que lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice.

Toute faute quelconque d'une victime elle-même conductrice ayant eu un rôle causal dans la survenance du dommage peut lui être opposée non seulement pour réduire son droit à indemnisation, mais également, selon l'appréciation de la force causale de sa faute, pour le priver totalement de ce droit, quand bien même sa faute ne revêtirait pas les caractères de la force majeure.

La faute de la victime ayant contribué à la réalisation de son préjudice doit être appréciée en faisant abstraction du comportement de tout autre conducteur d'un véhicule impliqué dans l'accident. L'absence de rôle causal de sa faute ne peut ainsi être déduite de la gravité de la faute du conducteur responsable. Il n'y a dès lors pas lieu de rechercher si la faute du conducteur victime est la cause exclusive de l'accident mais seulement d'examiner si cette faute a contribué à la réalisation de son préjudice et d'apprécier sa gravité afin de réduire ou exclure son droit à indemnisation. Pour autant, il est loisible de déduire la faute du conducteur victime de la position du véhicule du conducteur défendeur.

La charge de la preuve de la faute commise par le conducteur victime incombe à celui qui lui oppose.

En l'espèce, il est constant que l'accident litigieux est survenu alors que M. [U] était arrêté dans un carrefour et qu'il s'apprétait à faire demi-tour pour emprunter la voie de circulation opposée à la sienne. La particularité de cette avenue est constituée par la présence d'une troisième voie centrale, réservée aux bus, que M. [U] devait par conséquence traverser pour rejoindre la voie de circulation inverse ouverte aux autres véhicules que les bus.

Pour s'opposer à tout droit à indemnisation de la victime, M. [K] et son assureur reprochent à M. [U] d'avoir positionné son véhicule en travers de la voie centrale, sans avoir vérifié que cette man'uvre ne présentait aucun risque pour les autres usagers de la route.

Cette faute se subdivise en deux phases :

=$gt; s'agissant des vérifications lors du changement de direction :

** D'une part, l'omission d'actionner les clignotants est invoquée :

L'article R. 412-10 du code de la route dispose à cet égard que « tout conducteur qui s'apprête à apporter un changement dans la direction de son véhicule ou à en ralentir l'allure doit avertir de son intention les autres usagers, notamment lorsqu'il va se porter à gauche, traverser la chaussée, ou lorsque, après un arrêt ou stationnement, il veut reprendre sa place dans le courant de la circulation ».

Si M. [U] prétend avoir actionné son clignotant avant même d'avoir redémarré son véhicule, M. [K] et son assureur citent toutefois valablement le témoignage de Mme [F], dont il résulte que M. [U] a démarré lorsque le feu s'est mis au vert et n'a déclenché son clignotant gauche que lorsqu'il s'est avancé vers le centre du carrefour. Une telle information adressée aux autres usagers de la route n'a été ainsi fournie que concomitamment à la man'uvre, et non préalablement à sa réalisation.

Pour autant, l'accident est survenu lorsque le véhicule de M. [U] avait déjà atteint la zone centrale où il attendait de pouvoir procéder à un demi-tour après avoir cédé la priorité aux véhicules circulant dans l'autre voie de circulation et que M. [K] indique lui-même qu'il avait « vu le véhicule dans le carrefour qui tournait à gauche ». Il en résulte que la faute résultant d'un tel retard à actionner le clignotant n'a pas rempli un rôle causal dans l'accident.

** D'autre part, si la vérification des rétroviseurs par la victime n'est pas contestée par M. [K] et son assureur, ils font en revanche valoir que M. [U] n'a pas procédé à la vérification des « angles morts » avant de procéder à sa manoeuvre. Sur ce point, ils invoquent l'absence de mention par M. [U] d'une telle vérification lors de son audition par les services de police : alors qu'aucune question ne lui a été posée sur ce point, une telle absence de précision ne constitue toutefois pas un aveu de l'inexistence d'une telle vérification.

Alors que les témoins de l'accident indiquent avoir observé préalablement à l'accident que les deux cyclomotoristes circulaient sur la voie de circulation réservée aux bus, M. [U] ne peut avoir pu légitimement ignorer leur présence, étant observé que M. [H] a précisé qu'ils empruntaient cette voie depuis plusieurs centaines de mètres.

Le choc sur le côté gauche du véhicule de M. [U] ayant entraîné ses lésions est intervenu alors qu'il était à l'arrêt dans l'attente de céder la priorité aux véhicules qui circulaient sur la voie de circulation inverse à la sienne qu'il projetait de rejoindre à l'issue de son demi-tour complet. Alors que M. [H] a attesté que M. [U] lui avait déclaré « n'avoir pas eu le temps de les voir au moment de sa manoeuvre », il s'en déduit qu'à cette occasion, M. [U] n'a pas procédé à des vérifications suffisantes pour s'assurer de l'absence de tout usager de la route circulant sur la voie centrale qu'il traversait, y compris dans le même sens de circulation que le sien. Sa seule allégation selon laquelle « il ne pouvait imaginer en aucun cas que deux cyclomoteurs auraient pu circuler sur cette voie » n'est à l'inverse pas démontrée.

La faute de M. [U] est ainsi établie de ce chef.

=$gt; s'agissant de l'arrêt en travers de la voie centrale de circulation réservée aux bus :

Le code de la route ne mentionne pas les marquages en damiers blancs.

Sur ce point, la 7ème partie de l'instruction ministérielle de la signalisation routière indique, s'agissant des « marques relatives aux transports en commun » qu'au titre du franchissement des carrefours par des voies réservées (article 118-3 section D) : «dans un carrefour, on peut matérialiser le passage d'une voie réservée aux transports en commun par un marquage en damier (carrés blancs de 0,80 m à 1,20 m de cote), lorsqu'il y a ambiguïté sur la trajectoire des véhicules. Ce marquage constitue une information pour l'ensemble des usagers de la route, mais ne modifie en rien les règles de priorité du carrefour.»

Ce marquage n'apporte par conséquent aucune modification des règles habituelles de circulation. Si une telle zone ne s'analyse pas comme l'endroit désigné pour s'y arrêter dans une intersection, aucune norme n'interdit à l'inverse à un automobiliste d'y circuler ou d'y marquer un arrêt, sous réserve de l'application des règles de circulation applicables en matière d'intersection.

A cet égard, l'article R. 415-2 du code de la route dispose que « tout conducteur ne doit s'engager dans une intersection que si son véhicule ne risque pas d'y être immobilisé et d'empêcher le passage des véhicules circulant sur les autres voies ». Outre les règles de priorité applicable à toute intersection, un conducteur doit par conséquent ne pas obstruer la circulation lorsqu'il s'engage sur un carrefour. Cette disposition est complétée par l'article R. 412-33 du même code, qui autorise le passage des véhicules lorsqu'un feu de signalisation est vert sous réserve, dans les intersections, que le conducteur ne s'engage que si son véhicule ne risque pas d'être immobilisé et d'empêcher le passage des autres véhicules circulant sur les voies transversales. Enfin, est considéré comme très gênant pour la circulation publique l'arrêt ou le stationnement d'un véhicule sur les chaussées et voies réservées à la circulation de transport public de voyageurs.

En l'espèce, M. [U] ne conteste pas s'être arrêté sur la zone de damiers, de sorte que l'existence d'une faute est établie à son encontre de ce chef.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les fautes commises par M. [U] ont contribué à la réalisation de son propre dommage, dès lors que ses lésions résultent pour partie de son propre comportement imprudent ou négligent, notamment s'agissant de son arrêt en travers de la voie centrale de circulation. Au regard de leur gravité, le droit à indemnisation de M. [U] doit être réduit de 30 %. Le jugement critiqué est par conséquent infirmé de ce chef.

Sur les préjudices corporels

Les parties s'accordent sur l'évaluation médico-légale à laquelle a procédé l'expert [N].

Cet expert a notamment conclu, concernant le préjudice de M. [U], à :

un déficit fonctionnel de classe II du 12 septembre 2016 au 12 octobre 2016 soit 31 jours ;

un déficit fonctionnel de classe I du 13 octobre 2016 au 11 septembre 2017 , soit 334 jours ;

une consolidation fixée à la date du 12 septembre 2017 ;

des souffrances endurées à hauteur de 2/7.

Le droit de la victime d'un accident de la circulation à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est résulté n'a été provoquée ou révélée que du fait de l'accident. En l'espèce, la douleur que conserve M. [U] après consolidation n'a été révélée que par l'accident dont doivent répondre M. [K] et son assureur, de sorte qu'elle est indemnisable par ces derniers.

Sur le déficit fonctionnel temporaire :

Il s'agit d'indemniser l'aspect non économique de l'incapacité temporaire jusqu'à la consolidation de la victime.

Le déficit fonctionnel temporaire regroupe non seulement le déficit de la fonction qui est à l'origine de la gêne mais également les troubles dans les conditions d'existence, les gênes dans les actes de la vie courante, le préjudice d'agrément temporaire et le préjudice sexuel temporaire.

Une indemnité égale de 25 euros par jour est de nature à réparer la gêne dans les actes de la vie courante, lorsque ce déficit fonctionnel temporaire est total.

Cette indemnisation est proportionnellement diminuée lorsque le déficit fonctionnel temporaire est partiel.

À cet égard, M. [U] sollicite une indemnisation sur la base exclusive d'un déficit fonctionnel temporaire total sur l'ensemble de la période, alors que l'expert a exclusivement retenu des déficits de classe I et II.

L'indemnisation de ce poste s'élève à ce titre aux sommes suivantes :

* au titre du déficit fonctionnel temporaire de classe II :

31 jours X 25,00 euros X 25 % = 193,75 euros

* au titre du déficit fonctionnel de classe I = 10 %

334 jours X 25 euros X 10 % = 835,00 euros

L'évaluation totale du déficit fonctionnel temporaire s'élève en conséquence à la somme de 1 028,75 euros

Après application de la réduction du droit à indemnisation de M. [U], il convient de condamner M. [K] et son assureur à lui payer la somme de : 1 028,75 x 70 % = 720,12 euros.

Sur le déficit fonctionnel permanent

Le déficit fonctionnel permanent inclut, pour la période postérieure à la consolidation, les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.

Au-delà du préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel de la victime, ce poste vise également l'indemnisation des douleurs subies après la consolidation et l'atteinte à la qualité de vie de la victime.

Les conclusions de l'expertise comportent la mention : « taux d'atteinte à l'intégrité physique et psychique (AIPP) : nul (0 %) ». A l'inverse, le corps de l'expertise mentionne que « tenant compte des précédents éléments de discussion, on estimera qu'il en résulte une AIPP de 1 % selon le barême du droit commun ».

Outre que la cour n'est pas tenue par les conclusions de l'expert, il résulte d'une telle divergence entre les conclusions et la discussion qu'une erreur matérielle affecte en réalité la fixation d'un taux nul en conclusion du rapport. En effet, l'expert énonce clairement et spécifiquement qu'à une année des faits, les doléances de M. [U] font ressortir, après consolidation, « douleurs mécaniques avec mouvements limités dans un cadre de craquement ressentis ». S'il existait un état antérieur dégénératif lié à l'âge, l'accident a toutefois révélé cet état latent, « par décompensation sur un mode algique ».

Au regard du taux ainsi fixé par l'expert et de l'âge de la victime à la date de consolidation (61 ans comme étant né le [Date naissance 2] 1956), une indemnisation à hauteur de 1.210,00 euros du point sera retenue en sorte que le préjudice subi par sur ce poste sera évalué à la somme de 1 210 euros.

M. [K] et son assureur sont par conséquent condamnés à payer à M. [U] une somme de 1 210 x 70 % = 847 euros.

Le jugement attaqué sera infirmé de ce chef.

Sur les souffrances endurées :

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime entre la naissance du dommage et la date de la consolidation, du fait des blessures subies et des traitements institués.

Ce poste inclut ainsi le retentissement émotionnel résultant de l'appréhension par M. [U] d'être à nouveau victime d'un accident de la circulation.

Le montant du préjudice subi par la victime sur ce poste sera évalué à la somme de 3.000,00 euros en raison du ratio de 2/7 retenu par l'expert.

M. [K] et son assureur sont par conséquent condamnés à lui payer la somme de 3 000 x 70 % = 2 100 euros.

Le jugement attaqué sera infirmé de ce chef.

L'assurance obligatoire de responsabilité en matière automobile est une assurance de dommages, de sorte que le principe indemnitaire posé par l'article L. 121-1 du code des assurances s'oppose à ce que la victime déjà totalement ou partiellement indemnisée par son propre assureur puisse demander au conducteur de l'autre véhicule impliqué et à son assureur une double indemnisation des mêmes préjudices.

En l'espèce, si l'assureur de M. [U] n'est pas partie à l'instance, M. [K] et son assureur ne prouvent toutefois pas qu'une indemnisation de la victime soit intervenue du chef de ce sinistre. Leur demande aux fins de déduire une telle indemnisation est par conséquent rejetée.

Sur les dispositions annexes :

Sur le doublement des intérêts au taux légal :

Allianz estime que l'obligation de présenter une offre d'indemnisation à M. [U] incombait exclusivement à la GMF Assurances, assureur de ce dernier, de sorte que la sanction du doublement du taux de l'intérêt légal ne peut lui être appliquée.

L'article L. 211-9 du code des assurances, dernier alinéa, dispose certes qu' « en cas de pluralité de véhicules, et s'il y a plusieurs assureurs, l'offre est faite par l'assureur mandaté par les autres ». La convention d'indemnisation et de recours corporel automobile (IRCA) permet de déterminer l'assureur mandaté par les autres assureurs, prévoyant que ce mandataire conserve à sa charge les pénalités dues à la victime en raison des articles L. 211-13 et suivants du code des assurances.

Pour autant, cette convention organise exclusivement la charge finale du doublement des intérêts entre les assureurs en fonction de la détermination de l'assureur mandaté, dans le cadre d'un recours en contribution entre ces derniers, et ne concerne pas en revanche l'obligation faite à l'assureur de présenter une offre dans les délais requis à son assuré.

Les victimes, parties tierces à la convention IRCA, ont en effet le droit de se voir proposer, sous les sanctions légales, une offre d'indemnité par tout assureur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans l'accident.

Il en résulte que M. [U] peut valablement agir contre tout assureur de l'un des véhicules impliqués, et notamment contre Allianz, et réclamer à son encontre la sanction prévue par l'article L. 211-13 précité, même s'il n'est pas celui désigné selon les critères de la convention IRCA.

Le jugement ayant mis à la charge d'Allianz la sanction de l'article L. 211-13 du code des assurances est par conséquent confirmé.

Alors que le point de départ du doublement du taux de l'intérêt légal n'est pas contesté, son point d'arrivée est en revanche critiqué par Allianz à titre subsidiaire : cet assureur sollicite en effet de limiter au 3 janvier 2020 la sanction, dès lors qu'elle a adressé à cette date des conclusions de première instance qui comportent une offre indemnitaire satisfactoire.

Sur ce point, alors que Allianz ne produit pas les conclusions qu'elle allègue avoir notifiées le 3 janvier 2020, il ressort en revanche de l'exposé des prétentions respectives des parties par le premier juge que cet assureur a offert, à titre subsidiaire, d'indemniser M. [U] à hauteur de :

s'agissant du déficit fonctionnel temporaire : 823 euros en cas de droit intégral à indemnisation et 441,50 euros à défaut ;

s'agissant des souffrances endurées : 2 000 euros en cas de droit intégral à indemnisation et 1 000 euros à défaut ;

s'agissant du déficit fonctionnel permanent : aucune indemnisation proposée.

Il en résulte que cette offre ne porte pas sur l'intégralité des postes de préjudices subis par la victime, alors que les montants proposés sont en outre manifestement insuffisants dans le cadre d'une réduction du droit à indemnisation de la victime, de sorte qu'une telle offre équivaut à une absence d'offre.

La sanction a par conséquent vocation à s'appliquer jusqu'au jour où le présent arrêt deviendra définitif, alors que son assiette est constituée par l'indemnité fixée par la cour, en raison du caractère manifestement insuffisant de l'offre, valant absence d'offre.

Sur la capitalisation des intérêts

La capitalisation annuelle des intérêts est de droit lorsqu'elle est judiciairement sollicitée, dès lors qu'elle répond aux conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil.

L'anatocisme n'étant pas contesté par M. [K] et son assureur, la cour précisera exclusivement qu'au titre de la demande formulée par M. [U], cette capitalisation annuelle des intérêts produira ses effets à compter du 28 janvier 2021, date des conclusions récapitulatives notifiées par ce dernier devant le premier juge.

Sur le point de départ des intérêts :

En application de l'article 1231-7 alinéa 2 du code civil, dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 en cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance.

Il n'y a pas lieu de déroger en l'espèce à l'application de cette règle.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Alors que les dépens et les frais irrépétibles de première instance n'ont pas été contestés par les parties, le sens du présent arrêt conduit à condamner in solidum M. [K] et son assureur, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à M. [U] la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement rendu le 22 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Douai en ce qu'il a

- dit y avoir lieu de limiter l'indemnisation de M. [U] à hauteur de 50 % ;

- condamné in solidum Allianz et M. [K] à payer à M. [U] les sommes de

* 515 euros en réparation de son déficit fonctionnel temporaire ;

* 2 000 euros en réparation des souffrances endurées ;

- débouté M. [U] de sa demande présentée au titre d'un déficit fonctionnel permanent ;

Le confirme en ce qu'il a :

- débouté Allianz et M. [K] de leur demande tendant à l'exclusion de toute indemnisation au profit de M. [U] ;

- dit que les sommes mises à la charge d'Allianz produiront intérêts au double du taux légal à compter du 12 mai 2017 et jusqu'au jour où son jugement sera définitif ;

- débouté M. [U] de sa demande tendant à ce que les sommes mises à la charge de M. [K] produisent intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation ;

- dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts, s'ils sont dus au moins pour une année entière ;

- débouté Allianz et M. [K] de leur demande de déduction par le tribunal des sommes déjà allouées à M. [U] ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

- dit que le droit à indemnisation de M. [P] [U] est réduit de 30 % ;

- condamne par conséquent M. [W] [K] et la SA Allianz Iard, in solidum, à payer à M. [P] [U], les sommes de :

* 720,12 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

* 847 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

* 2 100 euros au titre des souffrances endurées ;

- dit qu'à l'égard de la SA Allianz Iard, ces sommes porteront intérêts au double du taux d'intérêt légal à compter du 12 mai 2017 et jusqu'au jour où le présent arrêt sera définitif ;

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à l'encontre de M. [W] [K] à compter du présent arrêt ;

- dit que la capitalisation annuelle des intérêts légaux échus interviendra à compter du 28 janvier 2021 ;

- condamne M. [W] [K] et la SA Allianz Iard, in solidum, aux dépens d'appel;

Condamne M. [W] [K] et la SA Allianz Iard, in solidum, à payer à M. [P] [U] la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/04750
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;22.04750 ?
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