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02/02/2023 | FRANCE | N°21/01456

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 02 février 2023, 21/01456


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 02/02/2023





****





N° de MINUTE :

N° RG 21/01456 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TQDZ



Jugement n° 20/02269 rendu le 11 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Lille





APPELANTE



SCI la Tannerie prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]
r>représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée par Me Anne-Sophie Gabriel, avocat au barreau d'Arras, avocat plaidant





INTIMÉ



Maître [I] [Z] ès qualités d...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 02/02/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/01456 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TQDZ

Jugement n° 20/02269 rendu le 11 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTE

SCI la Tannerie prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée par Me Anne-Sophie Gabriel, avocat au barreau d'Arras, avocat plaidant

INTIMÉ

Maître [I] [Z] ès qualités de mandataire liquidateur judiciaire de la SARL Eden Bistro

ayant son siège social [Adresse 3]

représenté par Me Catherine Camus -Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assisté de Me Eric Delfly, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant, substitué par Me Jacques-Eric Martinot, avocat au barreau de Lille

INTERVENANTE VOLONTAIRE

SELARL Miquel [C] & Associés représentée par Me [L] [C] agissant en sa qualité de mandataire ad'hoc de la société Eden Bistrot

ayant son siège social [Adresse 3]

représentée par Me Catherine Camus -Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Eric Delfly, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant, substitué par Me Jacques-Eric Martinot, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 30 novembre 2022 tenue par Clotilde Vanhove magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Clotilde Vanhove, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 02 février 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 9 novembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

Aux termes d'un bail commercial établi le 1er novembre 2010, la SCI La Tannerie a loué à la société Eden bistro des locaux situés [Adresse 1], moyennant un loyer de 26 400 euros HT par an, pour une durée de neuf ans.

La société Eden bistro exploitait une activité de restauration traditionnelle au rez-de-chaussée, les locaux comprenant également un appartement à usage d'habitation au premier étage, le tout pour une surface d'environ 430 m2.

Le 18 juillet 2011, un des murs porteurs de l'immeuble s'est affaissé.

Par jugement du 26 mai 2016, le tribunal de grande instance de Lille a notamment :

dit qu'il revenait au bailleur d'assumer la charge financière de la consolidation ou reconstruction du mur objet du sinistre du 18 juillet 2011,

avant dire droit, ordonné une expertise confiée à M. [Y] avec notamment pour mission de décrire le sinistre, en décrire les causes, donner son avis sur la nature et la consistance des travaux de démolition et de reconstruction ou de consolidation qui étaient alors nécessaires, donner son avis sur le coût des travaux de démolition et de reconstruction ou de consolidation qui ont été engagés.

En parallèle, la SCI La Tannerie a fait délivrer le 14 avril 2016 à la société Eden bistro un commandement de payer les loyers et charges, à l'encontre duquel la société Eden bistro a formé opposition.

Une jonction de ces deux instances a été refusée par le juge de la mise en état par ordonnance du 30 janvier 2017.

L'expert a déposé son rapport le 17 avril 2017.

D'autres sinistres sont apparus et, dans l'intervalle, la cour d'appel de Douai a, par un arrêt du 12 avril 2018 infirmant une ordonnance du juge des référés, fait droit à la demande de la société Eden bistro en désignant à nouveau M. [Y] aux fins notamment d'examiner les désordres survenus les 21 juillet 2014 et 21 septembre 2015 concernant la palissade de la toiture, les infiltrations d'eau au niveau de la toiture arrière, les fuites des skydômes et en toiture terrasse. Le rapport de l'expert a été déposé le 25 avril 2019.

Par jugement du 12 juin 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'encontre de la société Eden bistro et désigné M. [Z] en qualité de mandataire liquidateur, lequel a résilié le bail et restitué les clés au bailleur.

Par jugement contradictoire du 11 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Lille, statuant après retour des expertises, a :

condamné la SCI La Tannerie à verser au liquidateur judiciaire de la société Eden bistro la somme de 55 640,62 euros, TTC au titre des frais de remise en état du mur porteur,

débouté le liquidateur judiciaire de la société Eden bistro de ses demandes au titre de ses autres chefs de préjudice,

condamné la SCI La Tannerie aux dépens et aux frais d'expertise de M. [Y],

condamné la SCI La Tannerie à verser au liquidateur judiciaire de la société Eden bsitro la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 9 mars 2021, la SCI La Tannerie a relevé appel du jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté le liquidateur de ses demandes au titre de ses autres chefs de préjudice.

Par jugement du 29 mars 2022, le tribunal de commerce de Douai a clôturé pour insuffisance d'actif la liquidation judiciaire de la société Eden bistro et la SELARL Miquel & [C], prise en la personne de M. [C], a été nommée en qualité de mandataire ad hoc de la société Eden bistro.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 9 mai 2022, le mandataire ad hoc est intervenu volontairement à la procédure.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 7 novembre 2022, la SCI La Tannerie demande à la cour de :

déclarer l'appel recevable et bien fondé,

réformer le jugement, sauf en ce qu'il a débouté le liquidateur de ses demandes au titre de ses autres chefs de préjudice,

statuant à nouveau :

constater qu'elle détient à l'égard de la société Eden bistro une créance de 78 540,55 euros,

ordonner la compensation entre la somme due par elle à la société Eden bistro au titre des frais de remise en état du mur porteur, soit 55 640,62 euros et sa créance envers la société Eden bistro qui s'élève à 78 540,55 euros,

en conséquence de cette compensation, débouter le liquidateur de toutes ses demandes,

débouter le liquidateur de ses demandes de condamnation au titre de l'impossibilité d'exploiter l'immeuble au cours des travaux de remise en état du mur porteur et au titre du trouble de jouissance subi lors de l'apparition des infiltrations en toiture et de l'effondrement de la palissade de l'immeuble,

condamner le liquidateur, ès qualité, aux entiers dépens de l'instance et aux frais d'expertise.

Elle fait valoir qu'à compter de mai 2015, la société Eden bistro ne s'est plus acquittée des loyers, ni de la taxe foncière, l'obligeant à délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 14 mars 2016. Elle ajoute que suite à la liquidation judiciaire de la société Eden bistro, elle a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur pour un montant total de 78 540,55 euros et que cette somme n'a pas fait l'objet de contestations. Elle indique ne pas contester la somme retenue par l'expert pour le coût des réparations mais reprocher au premier juge de ne pas avoir tenu compte du fait qu'elle détient une créance supérieure, opéré compensation et en conséquence débouté la SCI La Tannerie de sa demande.

S'agissant du trouble de jouissance lié aux infiltrations et à l'effondrement de la palissade, elle souligne que le rapport d'expertise de M. [Y] a considéré que l'effondrement de la palissade n'avait pas eu de conséquences sur l'activité économique de la société Eden bistro et que les infiltrations ne généraient pas une gêne permanente à l'exploitation. La société Eden bistro ne rapporte dès lors pas la preuve d'un trouble de jouissance.

Enfin, s'agissant du préjudice de jouissance lié à la reconstruction sollicité par la société Eden bistro, elle relève que le rapport d'expertise a retenu que celle-ci projetait des travaux importants de transformation, aménagement et mise aux normes car les lieux loués abritaient auparavant un marchand de meubles et que le sinistre a eu lieu avant ces travaux d'aménagement, ce qui a eu pour conséquence que les travaux d'aménagement se sont mêlés aux travaux de reconstruction. Elle soutient que le premier juge a à juste titre de ce fait retenu que la société Eden bistro ne démontrait pas avoir eu à souffrir de la durée des travaux du fait du bailleur.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 4 novembre 2022, le liquidateur judiciaire de la société Eden bistro et son mandataire ad hoc demandent à la cour de :

donner acte au mandataire ad hoc de la société Eden bistro de son intervention volontaire,

la juger recevable et bien fondée,

mettre hors de cause le liquidateur judiciaire,

réformer le jugement en ce qu'il a débouté le liquidateur de ses demandes au titre des chefs de préjudice autres que la reconstruction du mur porteur,

statuant de nouveau, juger que la SCI La Tannerie a manqué à son obligation de délivrance à défaut d'avoir procédé à la remise en état des toitures au titre des infiltrations de 2014 et 2015 et de la palissade située au premier étage de l'immeuble,

en conséquence, condamner la SCI La Tannerie à payer au mandataire ad hoc les sommes de :

* 31 680 euros TTC au titre de l'impossibilité d'exploiter l'immeuble au cours des travaux de remise en état du mur porteur,

* 5 780 euros TTC au titre du trouble de jouissance subi par le preneur lors de l'apparition des infiltrations en toiture et de l'effondrement de la palissade de l'immeuble,

le confirmer pour le surplus, notamment en ce qu'il a :

* condamné la SCI La Tannerie au paiement de la somme de 55 640,62 euros TTC au mandataire ad hoc au titre des frais de remise en état du mur porteur exposés par la société Eden bistro,

* condamné la SCI La Tannerie aux dépens, et notamment ceux des procédures de référé ayant conduit à la désignation de l'expert [Y] aux fins de donner son avis sur les causes des infiltrations et de l'effondrement de la palissade bois, en ce compris le coût des deux expertises de M. [Y],

débouter la SCI La Tannerie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

condamner la SCI La Tannerie à payer au mandataire ad hoc la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

la condamner aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel.

Ils font valoir que la condamnation du bailleur au paiement des frais de reconstruction du mur ne peut faire l'objet d'aucune compensation, dès lors que la procédure en opposition au commandement de payer dans laquelle le bailleur sollicite reconventionnellement la condamnation du preneur au paiement des loyers et charges a été radiée dans l'attente de la justification de la déclaration de créance du bailleur.

Ils soutiennent que le preneur a également subi un trouble de jouissance consécutif à la reconstruction du mur porteur, ces travaux ayant entraîné un report des délais de chantier pour ses propres travaux.

Ils soulignent que l'expert M. [Y] a retenu que l'effondrement de la palissade et les infiltrations avaient pour cause un vice de construction imputable au bailleur, qui doit donc être condamné à réparer les troubles de jouissance. Le bailleur, aux termes de l'article 1719 du code civil, est obligé de faire jouir paisiblement le preneur du local pendant la durée du bail. L'affirmation selon laquelle les infiltrations ne seraient qu'exceptionnelles, localisées à quelques mètres carrés sans entraîner de gêne permanente à l'exploitation est inopérante, le preneur étant tenu, de par son activité de restauration traditionnelle, de respecter les règles d'hygiène et de sécurité, qui ne sont pas compatibles avec l'apparition des infiltrations, les écoulements ayant en outre entraîné la présence de moisissures au plafond. Ils ajoutent qu'entre juillet 2014 et avril 2015, date à laquelle l'expert mandaté par la compagnie d'assurance a autorisé le preneur à retirer la palissade, ce dernier a été privé de la jouissance de la terrasse de l'immeuble.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 novembre 2022. Plaidé à l'audience du 30 novembre 2022, le dossier a été mis en délibéré au 2 février 2023.

MOTIVATION 

Le clôture des opérations de liquidation pour insuffisance d'actif privant le liquidateur du droit de représenter le débiteur, il convient de le mettre hors de cause et de recevoir le mandataire ad hoc, désigné par jugement du 29 mars 2022, en son intervention volontaire.

Sur la demande relative aux travaux de reconstruction du mur porteur

La SCI La Tannerie ne remet pas en cause le jugement en ce qu'il a considéré qu'il lui revenait d'assumer la charge financière des travaux de reconstruction du mur et en ce qu'il a retenu une somme de 55 640,62 euros TTC pour ces frais de remise en état. Elle sollicite néanmoins que cette somme fasse l'objet d'une compensation avec celle qu'elle estime lui être due par la société Eden bistro au titre des loyers et charges impayés, soit une somme de 78 540,55 euros, ce qui entraîne en conséquence le débouté de la demande de la SCI La Tannerie.

Aux termes de l'article 1347 du code civil, la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes. Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies. L'article 1347-1 du même code ajoute que la compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles.

L'article L.621-24 du code de commerce prévoit que le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture. Cette interdiction ne fait pas obstacle au paiement par compensation de créances connexes.

En l'espèce, l'instance dans laquelle la SCI La Tannerie sollicite la condamnation du preneur au paiement des loyers et charges restés impayés est toujours en cours, ayant fait l'objet d'une radiation. Dès lors, le fait que la SCI La Tannerie ait déclaré dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Eden bistro une créance d'un montant de 78 540,55 euros au titre des loyers et charges impayés ne saurait suffire à rendre cette créance certaine et exigible, rien ne démontrant que cette créance ait fait l'objet d'une vérification et d'une admission au passif de la liquidation judiciaire de la société Eden bistro. Cette créance ne peut donc faire l'objet d'une compensation avec la créance de la société Eden bistro à l'égard de la SCI La Tannerie.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la SCI La Tannerie à payer la somme de 55 640,62 euros TTC au titre des frais de remise en état du mur porteur, en modifiant toutefois le bénéficiaire du paiement, qui n'est plus le liquidateur judiciaire de la société Eden bistro, mais son mandataire ad hoc.

Sur la demande relative au préjudice de jouissance pendant les travaux de remise en état du mur

L'expert judiciaire a relevé dans son rapport du 17 avril 2017 qu'« afin de transformer les lieux, à l'origine magasin de meubles, en restaurant, la SARL Eden bistro se devait de réaliser d'importants travaux d'adaptation, d'aménagement et de mises aux normes pour pouvoir y exploiter un restaurant. ['] Avant que ces travaux ne puissent être réalisés, un important sinistre s'est produit affectant la solidité des murs d'une extension arrière destinée à être réaménagée en salle de restaurant. Ce sinistre a nécessité la réalisation d'important travaux supplémentaires consistant notamment en la démolition et reconstruction des murs affectés par le sinistre. ['] Les travaux de reconstruction ont été réalisés et pris en charge par la SARL Eden bistro ; ces travaux se sont mêlés aux travaux d'agencement que la SARL avait programmés pour y exploiter un commerce de restauration en lieu et place du commerce de vente de meubles précédent ». L'expert a également relevé, répondant ce faisant à un dire que « lorsqu'on examine les plans par exemple, on constate que la plupart des cloisons existantes devaient être démolies ou encore que l'aménagement des sanitaires était prévu dans la zone concernée par le sinistre (donc que cette zone devait être rénovée). En conséquence, cette zone, au même titre que le reste de l'immeuble, devait, sinistre ou pas, subir des travaux d'agencement comprenant des plâtreries, des embellissements et l'électricité (dont le marché est du 8 juin 2011, donc avant sinistre) ».

Compte tenu de ces éléments, les travaux de réfection du mur s'étant déroulés en même temps que les travaux de rénovation prévus par le preneur, c'est de façon pertinente que le premier juge a retenu que la société Eden bistro ne démontrait pas avoir subi un préjudice de jouissance de son local du seul fait des travaux imputables au bailleur. Le mandataire ad hoc ne peut se contenter d'indiquer que les travaux de reconstruction ont entraîné un report des délais du chantier de ses propres travaux sans en apporter aucune preuve.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé un débouté de la demande de réparation du préjudice de jouissance pendant la durée des travaux de reconstruction du mur, la cour modifiant toutefois la partie déboutée qui n'est plus le liquidateur mais le mandataire ad hoc.

Sur la demande relative au préjudice de jouissance en raison des infiltrations en toiture et de l'effondrement de la palissade de l'immeuble

Aux termes de l'article 1719 1° du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au locataire la chose louée. Cette obligation suppose que le bailleur remette au locataire le local, mais également que le bien soit conforme à sa destination contractuelle (ce qui suppose que le bailleur s'assure que le locataire puisse exercer son activité).

a) Sur la palissade de la terrasse

S'agissant en premier lieu de la palissade, elle se trouvait sur une terrasse privative aménagée sur le toit d'une extension, accessible depuis la partie habitation. Il n'est pas contesté par les parties qu'elle préexistait lors de la conclusion du contrat de bail.

L'expert relève dans son rapport du 25 avril 2019 que « la destruction de l'ouvrage est due à une mise en 'uvre non conforme aux règles de l'art en ce qui concerne le support et les fixations de la structure de l'ouvrage ».

La SCI La Tannerie ne conteste pas que le désordre lié à la palissade lui incombe dans le cadre de son obligation de délivrance, se contentant de contester l'existence d'un préjudice de jouissance subi par la société Eden bistro en raison de ce désordre.

L'expert, s'agissant du préjudice de jouissance, a retenu que « la détérioration de la palissade a pu avoir un impact sur l'agrément d'usage de la partie habitation, la terrasse n'étant plus utilisable après l'évènement survenu le 21 juillet 2014. On peut estimer à ce sujet un trouble de jouissance de ladite terrasse au moins pour la fin de l'année 2014 ; notre avis est que ce trouble peut être estimé à 500 euros. ['] la détérioration de la palissade n'a pas eu de conséquence sur l'activité économique, les éléments éventuellement tombés dans la cour du restaurant ayant pu être ramassés rapidement et les restes de palissade également rapidement démontés ou mis en sécurité ».

Il existe donc un préjudice de jouissance de la terrasse subie par le preneur du fait du désordre de la palissade, qui est néanmoins limité dès lors que c'est la terrasse de la partie habitation qui était inutilisable en raison du désordre de la palissade et que l'expert a relevé, sans que cela ne soit contesté par le preneur, que la partie habitation n'était pas exploitée.

En l'absence de tout élément permettant de remettre en cause l'évaluation faite par l'expert, ce préjudice de jouissance doit être fixé à 500 euros. Le jugement sera donc réformé en ce qu'il a débouté le liquidateur de cette demande et la SCI La Tannerie sera condamnée à payer au mandataire ad hoc la somme de 500 euros à ce titre.

b) Sur les infiltrations

L'expert a conclu dans son rapport au fait que les infiltrations (au droit du chéneau encaissé de la plateforme zinc couvrant une partie du restaurant et au pourtour des trois skydômes du 1er étage dans la partie habitation) sont dues à des vices de construction.

Ces désordres sont donc imputables au bailleur, l'existence de vices de construction entraînant des infiltrations n'étant pas compatible avec la délivrance d'un local devant servir à l'usage de restaurant.

S'agissant de l'existence d'un préjudice de jouissance subi du fait de ces désordres, l'expert a relevé les éléments suivants :

les infiltrations dans les salles du restaurant et les WC « ne se produisent pas à chaque pluie et n'interviennent que lorsque les pluies sont abondantes à très abondantes. Il n'existe donc pas de gêne permanente à l'exploitation. Par ailleurs, la zone concernée par ces infiltrations est très limitée et ne concerne que quelques mètres carrés et, exceptionnellement (pluies diluviennes) la totalité de la salle 3. Nous relevons que le restaurant dispose de 144 places. En cas d'infiltrations, +/- 24 places et au maximum 44 places devenaient inutilisables. En aucun cas ces infiltrations n'imposaient la fermeture du restaurant ».

les traces d'infiltrations constatées dans le logement « ne sont pas négligeables et ont nécessairement entraîné un trouble de jouissance. Néanmoins, tout comme les infiltrations du restaurant, le phénomène n'est pas permanent et ne se produit qu'à l'occasion de très fortes pluies. Notre avis est que le trouble de jouissance résultant de ces infiltrations peut être estimé tout au plus à 50 euros par mois. On observera que les documents assuranciels font état, à ce sujet, de locaux non exploités ».

Ces éléments démontrent l'existence d'un préjudice de jouissance subi par le preneur en raison des infiltrations, celui-ci ne pouvant, par temps de pluie, jouir complètement du bien loué.

L'expert a retenu, pour les seules infiltrations du logement, une somme de 50 euros par mois au titre du préjudice de jouissance, sans toutefois préciser la période au cours de laquelle s'étendait ce préjudice. Le mandataire ad hoc sollicite la somme de 5 280 euros, qu'il indique correspondre à deux mois de loyer pour son préjudice de jouissance relatif aux infiltrations. Le préjudice de jouissance pouvant être fixé à 100 euros par mois, compte tenu de la gêne subie par temps de pluie, sur une période qui s'étend de la prise à bail le 1er novembre 2011 jusqu'au départ de la société Eden bistro, en 2018, il convient de retenir la somme de 5 280 euros réclamée par le mandataire ad hoc.

Le jugement sera réformé en ce qu'il a débouté le liquidateur de sa demande à ce titre et la SCI La Tannerie sera condamnée à payer au mandataire ad'hoc la somme de 5 280 euros.

Sur les prétentions annexes

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SCI La Tannerie aux dépens, en ce compris les frais d'expertises de M. [Y] et en ce qu'il a statué sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à remplacer la condamnation au profit du liquidateur en une condamnation au profit du mandataire ad hoc.

La SCI La Tannerie sera également condamnée aux dépens de la procédure d'appel et, en équité, à payer au mandataire ad hoc la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Met hors de cause le liquidateur judiciaire de la société Eden bistro ;

Reçoit la Selarl Miquel [C] et associés, prise en la personne de M. [C], en qualité de mandataire ad hoc de la société Eden bistro, en son intervention volontaire ;

Réforme le jugement en ce qu'il a débouté M. [Z], ès qualités, de ses demandes au titre du préjudice de jouissance en raison des infiltrations en toiture et de l'effondrement de la palissade de l'immeuble ;

Statuant à nouveau sur ces points,

Condamne la SCI La Tannerie à payer à la Selarl Miquel [C] et associés, ès qualités, la somme de 500 euros au titre du préjudice de jouissance lié au désordre de la palissade de la terrasse ;

Condamne la SCI La Tannerie à payer à la Selarl Miquel [C] et associés, ès qualités, la somme de 5 280 euros au titre du préjudice de jouissance lié aux infiltrations ;

Confirme le jugement pour le surplus, sauf à remplacer l'intervention de M. [Z], ès qualités, par celle de la Selarl Miquel [C] et associés, ès qualités ;

Emendant en conséquence le jugement,

Condamne la SCI La Tannerie à verser à la Selarl Miquel [C] et associés, ès qualités, la somme de 55 640,62 euros TTC au titre des frais de remise en état du mur porteur ;

Déboute la Selarl Miquel [C] et associés, ès qualités, de ses demandes au titre des autres chefs de préjudice ;

Condamne la SCI La Tannerie à verser à la Selarl Miquel [C] et associés, ès qualités, la somme de 3 000 euros au de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Condamne la SCI La Tannerie aux dépens de la procédure d'appel ;

Condamne la SCI La Tannerie à payer à la Selarl Miquel [C] et associés, ès qualités, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 21/01456
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;21.01456 ?
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