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27/01/2023 | FRANCE | N°21/00906

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 27 janvier 2023, 21/00906


ARRÊT DU

27 Janvier 2023







N° 177/23



N° RG 21/00906 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TURC



MLBR/NB

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

30 Avril 2021

(RG 18/01090)







































GROSSE : r>


aux avocats



le 27 Janvier 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [O] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Aurélie VAN LINDT, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



S.A. SOCIETE D'EXPLOITATION DES ETABLISSEMENTS J. VEYNAT T

[...

ARRÊT DU

27 Janvier 2023

N° 177/23

N° RG 21/00906 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TURC

MLBR/NB

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

30 Avril 2021

(RG 18/01090)

GROSSE :

aux avocats

le 27 Janvier 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [O] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Aurélie VAN LINDT, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A. SOCIETE D'EXPLOITATION DES ETABLISSEMENTS J. VEYNAT T

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Charlotte VUEZ, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me Pierre-Louis DUCORPS avocat au barreau de BORDEAUX

DÉBATS : à l'audience publique du 06 Décembre 2022

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 15 novembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SA Veynat est une entreprise spécialisée dans le transport des liquides alimentaires dont le siège social est à [Localité 4] (33) et qui a plusieurs sites d'exploitation en France.

Les dispositions de la convention collective des transports routiers sont applicables à l'entreprise.

Le 30 janvier 2012, elle a engagé M. [O] [Y] par contrat à durée déterminée afin d'occuper un poste de conducteur grand routier.

A l'issue de ce premier contrat d'une durée de 4 mois, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée suivant avenant ayant effet au 1er -juin 2012.

M. [Y] effectuait des déplacements dans toute l'Europe. Au mois d'octobre 2013, il a eu un malaise avec perte de connaissance et a été placé quelques mois en arrêt pour accident du travail.

Entre 2014 et avril 2017, M. [Y] a fait l'objet de plusieurs avertissements, notamment pour non-respect du temps de conduite.

Par courrier daté du 30 octobre 2017, le salarié a notifié à son employeur sa démission. Les documents de fin de contrat ont été établis par celui-ci à la date du 4 novembre 2017.

Par requête du 2 novembre 2018, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille afin de requalifier de sa démission en prise d'acte ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir le paiement de diverses indemnités et rappels de salaire.

Par jugement contradictoire rendu le 30 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Lille a :

-débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

-condamné M. [Y] à verser à la Société Transports Veynat la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-laissé les parties à leurs éventuels frais et dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 26 mai 2021, M. [Y] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 10 août 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [Y] demande à la cour de :

-infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

-dire et juger que sa demande relative à la requalification de sa démission n'est pas prescrite,

-dire et juger que sa démission doit être requalifiée en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur puis en un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

-dire et juger que l'employeur a manqué à ses obligations d'exécution de bonne foi du contrat et de sécurité,

-dire et juger que l'employeur a omis volontairement de le rémunérer pour l'ensemble de ses heures de travail,

En conséquence,

-condamner la société Veynat au paiement des sommes suivantes :

* 16 873,80 euros nets à titre de dommages intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

* 4 042,67 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

* 5 624,60 euros bruts à titre d'indemnité de préavis, et 562,46 euros bruts à titre de congés payés sur le préavis,

* 4 647,51 euros bruts à titre de rappel de salaire et 464,75 euros bruts sur les congés payés afférents,

* 1086,83 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les jours fériés travaillés et 108,68 euros bruts à titre de congés payés afférents,

* 618,99 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les dimanches travaillés et 61,89 euros bruts à titre de congés payés afférents,

* 4 290,54 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les heures de coupure et 429,05 euros bruts à titre de congés payés afférents,

* 16 873,80 euros nets à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

* 8 400 euros nets à titre de dommages intérêts pour manquement de l'employeur àson obligation de sécurité de résultat,

* 8 400 euros nets à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

-ordonner la rectification des bulletins de paie et des documents de fin de contrat sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir, la cour se réservant la possibilité de liquider ladite astreinte,

-condamner l'employeur à la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles issus de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 10 novembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Veynat demande à la cour de :

- in limine litis, dire et juger que l'action de M. [Y] relative à la rupture de son contrat de travail est prescrite en application de l'article L. 1471-1 du code du travail et par conséquent de l'en débouter,

subsidiairement,

- dire et juger que la rupture du contrat de travail résulte de la démission claire et non équivoque de M. [Y] et non pas de sa prise d'acte,

encore plus subsidiairement,

-dire et juger que M. [Y] ne rapporte pas la preuve de manquements suffisamment graves de son employeur qui rendaient impossible la poursuite du contrat de travail,

-dire et juger en tout de cause que les demandes relatives aux heures supplémentaires, à la violation de l'obligation de sécurité de résultat et à la violation du principe d'exécution de bonne foi du contrat de travail sont infondées ;

- dire et juger que le travail dissimulé n'est pas qualifié,

- constater qu'elle a pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et, par conséquent, dire et juger qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

en conséquence,

- débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- le condamner aux dépens et au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de

l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- sur la prescription des demandes en lien avec la rupture de la relation de travail :

Aux termes de l'article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

M. [Y] fait grief aux premiers juges d'avoir retenu comme prescrite, son action visant à requalifier sa démission en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail et se faisant, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

S'il admet que sa lettre de démission est bien datée du 30 octobre 2017, il fait cependant valoir que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au 4 novembre 2017, date retenue par l'employeur sur l'ensemble des documents de fin de contrat ainsi que sur son dernier bulletin de salaire comme date de notification de la rupture du contrat, de sorte que sa requête du 2 novembre 2018 est intervenue avant l'expiration du délai d'un an défini par l'article L. 1471-1 du code du travail.

Toutefois, la société Veynat fait à raison observer que le 4 novembre 2017 n'est que le terme du contrat après expiration du délai de préavis dû par le salarié démissionnaire.

La date de notification de la rupture du contrat au sens de l'article L. 1471-1 du code du travail est bien la date de la lettre de démission, soit le 30 octobre 2017, comme l'ont justement retenu les premiers juges, ou en tout état de cause au plus tard le 31 octobre 2017, date de réception par la société Veynat de cette lettre ainsi qu'en atteste le cachet qui y a été apposé.

Ainsi, au jour du dépôt de sa requête devant le conseil de prud'hommes, soit le 2 novembre 2018, le délai de prescription de douze mois était expiré, de sorte que M. [Y] est irrecevable en ses demandes portant sur la requalification de sa démission en prise d'acte puis en licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'en ses demandes financières subséquentes.

Il convient toutefois d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] desdites demandes alors qu'il aurait dû les déclarer irrecevables.

- sur les demandes de rappels de salaire au titre des heures travaillées :

M. [Y] sollicite le paiement de divers rappels de salaire au titre d'heures supplémentaires selon lui non rémunérées, de la majoration pour les dimanches et jours fériés travaillés, ainsi qu'au titre des temps de coupure.

* sur les heures supplémentaires :

M. [Y] reproche aux premiers juges de l'avoir débouté de sa demande de rappel de salaire à hauteur d'une somme de 4 647,51 euros au titre d'heures supplémentaires non rémunérées, en ayant fait uniquement reposer sur lui la charge de la preuve de leur accomplissement.

Il prétend que la société Veynat limitait sa rémunération à un forfait mensuel de 207 heures et s'exonérait du paiement des heures excédant ce forfait.

Au soutien de sa demande, il produit des tableaux de synthèse établis par ses soins qui, selon lui, ne sont pas utilement contredits par les pièces adverses, reprochant en substance à la société Veynat de se prévaloir de certaines régularisations d'heures accomplies les mois précédents pour gonfler artificiellement le temps de travail ayant donné lieu à rémunération.

En réponse, la société Veynat affirme en s'appuyant sur l'analyse comparative des bulletins de salaire de M. [Y], des synthèses d'activité du salarié établis par le logiciel SOLID sur la base des disques chronotachygraphes ou des enregistrements numériques, qu'entre novembre 2014 et novembre 2017, l'appelant a été payé pour un cumul de 7 906,39 heures alors qu'il n'en a effectué en réalité que 7 712,04 heures, de sorte qu'il ne peut se prévaloir de l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées.

Elle précise que ce décalage s'explique par le fait qu'elle paye ses salariés à hauteur d'un forfait mensuel de 186 heures par mois incluant les heures normales et les heures majorées de 25%, quel que soit le temps effectif fourni, afin de leur permettre d'avoir une rémunération mensuelle minimum lissée, forfait auquel s'ajoute les éventuelles heures excédant le forfait et payés à 150%, d'éventuelles compensations étant susceptibles d'être faites en cas de trop perçu à régulariser.

Sur ce,

En vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande de rappel de salaire, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.

Au soutien de sa demande, M. [Y] produit pour certains mois des années 2015, 2016 et 2017 les tableaux de temps de service édités par la société Veynat (sa pièce 27), et pour chacune de ces années, un tableau récapitulatif (pièce 28) sur douze mois du nombre d'heures effectuées, du nombre d'heures payées et du différentiel éventuel constituant selon lui des heures supplémentaires non rémunérées, soit :

2015 : 42,36 heures non payées,

2016 : 115,26 heures non payées,

2017 : 142,22 heures non payées.

Toutefois, la société Veynat produit en réponse, pour justifier des heures effectivement accomplies et rémunérées au cours de ces 3 années, l'ensemble des bulletins de salaire de M. [Y], les récapitulatifs mensuels d'activité particulièrement détaillés issus du logiciel SOLID qui par jour, par semaine et par mois, précisent notamment le nombre d'heures de conduite et le nombre d'heures de mise à disposition/travail dont le cumul constitue le nombre d'heures de travail effectif.

Elle produit également en sa pièce 31 un tableau récapitulatif sur 3 ans et par mois, des données issues desdits documents, à savoir le temps de service (temps de travail effectif), le nombre d'heures payées telles que figurant sur les bulletins de salaire et le delta éventuel.

Il résulte de la lecture des bulletins de salaire que M. [Y] a systématiquement reçu chaque mois, ce qu'il admet, une rémunération correspondant a minima à 152 heures normales (salaire de base) et 34 heures majorées à 125%, soit les 186 heures mensuelles visées dans le contrat de travail, outre 21 heures d'heures supplémentaires majorées à 150%, et ce même si le nombre total d'heures de temps de service mensuel est inférieur. Par ailleurs, certains bulletins de salaire font en plus mention d'autres heures supplémentaires majorées à 150% et de régularisation de mois précédents.

Ainsi, si M. [Y] a pu certains mois percevoir une rémunération correspondant à un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement exécuté, il en a été autrement d'autres mois, notamment au cours de l'été.

Plus précisément, il résulte de l'analyse comparative des documents présentés les éléments suivants pour chacune des années concernées que pour certains mois, M. [Y] a majoré de manière erronée le nombre d'heures de travail accomplies.

Ainsi, pour l'année 2015, il résulte des fichiers SOLID de l'employeur et du bulletin de salaire qu'il a eu en juillet 2015 un temps de travail effectif d'environ 125 heures et non de 207 heures comme il le mentionne par erreur dans son tableau sans pièce pour expliquer cette différence, soit un différentiel en sa défaveur de 82 heures environ dès lors qu'il a perçu l'équivalent de 207 heures de travail rémunérées, étant précisé qu'il a bénéficié de l'indemnité de congés payés en plus.

En août 2015, ce différentiel est a minima de 69 heures en sa défaveur : un temps de travail effectif de 138 heures (non 207 heures comme déclaré dans son tableau), pour une rémunération de 207 heures.

Il s'en déduit pour 2015, sans qu'il soit nécessaire de reprendre le détail de chaque mois, qu'il n'est pas établi qu'il aurait effectué 42,36 heures supplémentaires non rémunérées dès lors que les pièces de l'employeur établissent qu'il a travaillé moins d'heures que mentionnées en sa pièce 28 et qu'il n'a été en réalité payé.

Il sera fait les mêmes constatations sur l'année 2016 concernant plus précisément les mois d'août (différentiel en sa défaveur de 85 heures) et décembre 2016 (26 heures). En outre, en mai 2016, il a perçu l'équivalent de 207 heures et non 202 comme prétendu, de sorte qu'il n'est pas établi l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées à cours de l'année.

S'agissant de 2017, l'étude des fichiers SOLID permettent de constater que son temps de travail effectif a été inférieur à celui qu'il déclare pour les mois d'août et septembre.

En outre, en juillet 2017, il a perçu l'équivalent de 207 heures pour un temps de travail effectif de 148,55, soit 59 heures qu'il n'a pas déduit de son décompte.

En revanche, les pièces justificatives de l'employeur confortent le surplus du tableau établi par M. [Y] pour l'année 2017, de sorte qu'il est établi que celui-ci a, malgré les constatations susvisées, effectué des heures supplémentaires non intégralement rémunérées en 2017.

Contrairement à ce que soutient la société Veynat, il ne peut être tenu compte de l'éventuel trop perçu au titre des années précédentes.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, et après prise en compte cependant d'autres compléments horaires non majorés perçus au cours de l'année 2017, il convient de condamner la société Veynat à verser à M. [Y] à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires non rémunérées une somme de 695,21 euros, outre 69,52 euros de congés payés y afférents.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

* sur les dimanches et jours fériés :

M. [Y] sollicite d'une part le versement de l'indemnité prévue dans la convention collective pour le travail du dimanche, soit une somme globale de 618,99 euros pour 27 dimanches travaillés entre 2015 et 2017, et d'autre part la majoration de 100% des jours fériés travaillés comme également prévu par les dispositions conventionnelles pour un montant total sur la même période de 1 086,83 euros pour 11 jours fériés.

En réponse, la société Veynat fait observer que cette dernière majoration n'est en principe pas cumulable avec celle appliquées aux heures supplémentaires sauf disposition contraire de la convention collective et que celle applicable à la relation de travail prévoit uniquement une indemnité qui pour les 38 dimanches et jours fériés travaillés, ne saurait être supérieure à un montant global de 876,61 euros, rappelant qu'elle a aussi versé des primes spécifiques pour chaque jour de l'an travaillé.

Pour dénier l'existence de toute créance, la société Veynat se prévaut à nouveau du fait qu'elle a versé à M. [Y] une rémunération globale nettement supérieure aux heures travaillées, de sorte qu'aucune somme ne lui serait due.

Sur ce,

Il sera d'abord relevé que M. [Y] ne vise dans sa demande et dans sa pièce 28 que les 27 dimanches et 11 jours fériés travaillés entre novembre 2015 et novembre 2017, et dont la société Veynat ne conteste pas l'existence, ceux-ci apparaissant d'ailleurs sur les fichiers SOLID produits aux débats.

Les parties s'accordent également sur le fait que s'agissant des dimanches, la convention collective prévoit une indemnité de 23,42 euros ou 10,07 euros selon que la durée de travail est supérieure ou pas à 3 heures.

Or, les bulletins de salaire de M. [Y] ne font nullement mention du versement d'une telle indemnité, qui est à distinguer des sommes éventuelles versées à titre de majoration des heures supplémentaires effectuées ces jours-là dont se prévaut la société Veynat.

Ainsi, à défaut pour la société Veynat de justifier qu'elle s'est conformée aux dispositions conventionnelles concernant les dimanches travaillés, il convient de la condamner à payer à M. [Y] une somme globale de 618,99 euros à titre de rappel de salaire, outre 61,89 euros de congés payés y afférents.

S'agissant des jours fériés, il résulte de l'article 7 ter de l'annexe I de la convention collective des transports routiers, dans sa version applicable à l'espèce que le personnel ouvrier mensualisé justifiant d'au moins 1 année d'ancienneté dans l'entreprise, comme c'est le cas pour M. [Y], bénéficie d'une indemnité pour chaque jour férié légal travaillé dont le calcul s'aligne sur celle de l'indemnité pour le 1er mai, soit une majoration de 100%.

Si cette indemnité ne se cumule pas avec celle déjà accordée à ce titre par l'entreprise, elle l'est en revanche avec les sommes versées au titre des heures supplémentaires, la convention collective restant taisante à ce sujet.

Or, seule figure sur les bulletins de salaire de M. [Y], l'indemnité spécifique versée pour les 25 décembre 2015, 1er janvier 2016 et 2017.

Dès lors, déduction faite de ces 3 versements, il convient d'allouer à M. [Y] un rappel de salaire d'un montant de 886,83 euros au titre des jours fériés, outre 88,63 euros de congés payés y afférents.

* sur les temps de coupure :

M. [Y] dénonce le fait que ses heures de coupure n'étaient ni payées, ni récupérées, alors qu'au cours de ces temps d'attente, notamment lors des chargements et déchargements de camion, il était astreint conformément aux directives de son employeur à rester dans le camion et ne pouvait vaquer à ses occupations personnelles.

Il sollicite pour la période comprise entre novembre 2015 et août 2017 une somme globale de 4 290,54 euros à ce titre qu'il détaille mois par mois en sa pièce 28.

En réponse, la société Veynat fait d'abord valoir que dans son camion, le salarié a une totale latitude pour positionner le sélecteur du chronotachygraphe sur la position 'repos' ou 'travail'selon l'activité à effectuer et que M. [Y] échoue à démontrer qu'il a été contraint de se positionner en 'repos' pendant des périodes d'attente au cours desquelles il serait demeuré à sa disposition.

Elle entend d'ailleurs démontrer qu'il s'agissait bien de temps de repos, expliquant que les temps de chargement et déchargement proprement dits n'incombent pas au chauffeur dont le travail se limite à mettre le véhicule sur le quai et à brancher et débrancher les tuyaux, ce qui est déjà compté en temps de travail, certains de ses clients attestant que la totalité de la manipulation est faite par leurs propres salariés.

Elle donne les mêmes explications concernant les opérations de lavage des citernes.

Sur ce,

Selon l'article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Aux termes de l'article 5 du décret du 26 janvier 1983 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport routier de marchandises, dans sa version applicable à l'espèce, il est notamment précisé que le temps de coupure est exclu du temps de travail effectif sauf à démontrer que le salarié n'a pas pu vaquer librement à des occupations personnelles, en raison de directives de son employeur.

Selon l'article 3-1 de l'accord du 23 novembre 1994 dans sa version applicable à l'espèce, sont pris en compte comme du travail effectif 'les temps à disposition tels que surveillance des opérations de chargement et déchargement, sans y participer, et/ou temps d'attente, durant lesquels, bien que n'étant pas tenu de rester à son poste, le conducteur ne peut disposer librement de son temps. En revanche, ne sont pas pris en compte au titre du temps de service l'ensemble des interruptions, repos, temps pendant lesquels le conducteur n'exerce aucune activité et dispose librement de son temps'.

Il résulte en l'espèce des feuillets d'activité issus du logiciel SOLID que sont bien distingués les temps de conduite, les temps autres de service (dispo/travail) et les temps de repos, étant précisé que ces temps sont déterminés en fonction de la position selectionnée par M. [Y] lui-même sur le chronotachygraphe. Il ressort également des bulletins de salaire que les temps de service autre que conduite ont systématiquement donné lieu à rémunération.

M. [Y] prétend qu'en réalité certains temps d'attente déclarés comme repos auraient dû être comptabilisés comme temps de travail, notamment lors des chargements et déchargements du camion, dans la mesure où il serait contraint de rester à disposition.

Force est cependant de constater qu'il ne produit aucune pièce pour étayer ses dires, évoquant les contraintes chez certains clients comme SAIPOL ou encore CARGILL, sans aucun élément précis à l'appui.

Il ne présente pas non plus de note de service ou tout autre écrit émanant de son employeur lui donnant consigne de se positionner en mode 'repos' pendant la surveillance des chargements ou déchargement, après avoir branché les tuyaux.

Si effectivement, dans une des attestations produites par la société Veynat (sa pièce 39), le client Cacolac atteste qu'il est demandé au chauffeur de rester dans son camion 'pendant le dépotage' car il a interdiction de rentrer dans l'usine sans autorisation, il n'est cependant pas fait état de mission de surveillance particulière pendant ce temps d'attente.

M. [Y] ne contredit d'ailleurs pas la société Veynat lorsque celle-ci dit que s'agissant des 'grands routiers', les tracteurs de leur camion sont aménagés pour se détendre, manger ou se reposer, de sorte qu'il peut occuper librement ce temps d'attente.

Elle justifie par ailleurs du système de liaisons Transics qui permet aux chauffeurs d'être informés de l'heure de présentation au lieu de chargement ou déchargement afin d'éviter d'attendre, ainsi qu'à travers l'attestation de clients (pièces 36 et 37) que ces opérations ne nécessitent pas la présence du chauffeur en dehors de l'ouverture et fermeture de la vanne de la citerne.

Ainsi, au regard de l'ensemble des pièces produites, il n'est pas établi qu'en raison de consignes de son employeur, M. [Y] ne pouvait pas librement vaquer à des occupations personnelles, le cas échéant, dans son camion, pendant les temps d'attente de chargement, déchargement et lavage de citernes, aucune pièce n'étant de nature à démontrer qu'il était tenu de surveiller le bon déroulement de l'opération.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande financière au titre des temps de coupure.

- sur le travail dissimulé :

M. [Y] reproche à son employeur d'avoir volontairement dissimulé des heures de travail qu'il savait pourtant effectives à travers les relevés mensuel de ses temps de service.

Toutefois, l'intention frauduleuse de la société Veynat n'est pas démontrée dans la mesure où il ressort de ce qui précède que la majorité des heures accomplies, y compris les heures supplémentaires, ont figuré sur ses bulletins de salaires, l'omission d'heures supplémentaires sur l'année 2017 ou de certaines majorations et indemnités pour les jours fériés et dimanches, pouvant relever d'une négligence administrative, d'une erreur de calcul ou encore d'une mauvaise compréhension des textes en vigueur.

A défaut d'élément de nature à caractériser l'intention frauduleuse de la société Veynat, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande indemnitaire de ce chef.

- sur l'exécution déloyale du contrat de travail:

M. [Y] fait grief à la société Veynat d'avoir abusé de ses pouvoirs de direction et d'organisation en lui imposant des horaires de travail excessifs et des déplacements lointains à une fréquence importante, et de surcroît de l'avoir sanctionné pour des dépassements de durée maximale de travail générés par les déplacements qu'elle lui imposait.

Il convient de rappeler qu'à travers son contrat de travail, M. [Y] a consenti à une durée mensuelle de travail pouvant aller jusqu'à 207 heures, en ce compris des week-end et jours fériés, sans que ne soient exclues d'autres heures supplémentaires.

Par ailleurs, alors que lui incombe la charge de la preuve de la déloyauté de son employeur, il a été précédemment retenu que le salarié ne démontre pas la volonté délibérée de celui-ci de lui imposer une charge de travail non respectueuse de la réglementation en matière de temps de travail des transporteurs routiers, et de surcroît incompatible avec la réglementation des temps de conduite, les avertissements qu'il a reçus attestant surtout de l'attention portée par la société Veynat au respect par son salarié de cette réglementation.

Il ne produit par exemple aucun planning des transports qu'il a eu l'occasion de réaliser sur une période précise pour illustrer l'importance du kilométrage à parcourir et la nécessité d'enfreindre la réglementation des temps de conduite et de repos pour parvenir à destination.

En outre, les écrits par lesquels il a contesté certains des avertissements (pièces 8,11,13) ne peuvent avoir valeur de preuve des faits dénoncés.

M. [Y] échoue ainsi à démontrer la déloyauté dont la société Veynat aurait fait preuve dans l'exécution du contrat.

- sur le manquement à l'obligation de sécurité :

M. [Y] se fonde sur les mêmes griefs pour dénoncer un manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat, ajoutant que le rythme de travail conséquent qui lui a été imposé a eu des conséquences sur sa santé, comme en 2013 lors de son malaise vagal chez un client, reconnu comme accident du travail.

Il sera rappelé qu'il incombe à l'employeur de justifier du respect de son obligation de sécurité de résultat à l'égard de son salarié.

A ce titre, la société Veynat produit la note de service rappelant les règles de conduite applicables remis à M. [Y] lors de son embauche ainsi qu'en annexe de chacun des avertissements prononcés à son encontre en raison d'une infraction à la réglementation en vigueur, outre le manuel du conducteur remis à chaque chauffeur concernant les règles à respecter et les consignes de sécurité.

Elle présente également un exemplaire du DUERP existant au sein de l'entreprise.

En outre, il a été précédemment statué qu'aucun élément n'était de nature à établir que les plannings de travail étaient impossible à respecter sans enfreindre les dispositions conventionnelles en matière de temps de travail des transporteurs routiers et la réglementation du temps de conduite.

Enfin, s'il est constant que M. [Y] a été placé en arrêt de travail pendant plusieurs mois à la suite du malaise avec perte de connaissance dont il a fait l'objet le 16 octobre 2013 et que les médecins ont rattaché à un manque de sommeil, l'intimée fait justement valoir que le médecin du travail l'a déclaré apte sans réserve à reprendre son poste notamment lors de la visite de mai 2014.

Or, depuis cette date, il ne fait état d'aucun autre problème de santé malgré la reprise de son travail, de sorte qu'il ne peut prétendre au vu de ce seul fait ponctuel que ses conditions de travail ont provoqué une dégradation de son état de santé.

En outre, en dehors des certificats médicaux qui reprennent ses déclarations, il ne produit aucune pièce contemporaine de cet accident pour établir le lien entre sa charge de travail et son malaise, aucune pièce médicale postérieure à sa reprise pour illustrer la persistance éventuelle de ses problèmes de santé et enfin, aucun écrit par lequel il aurait éventuellement dénoncé à son employeur sa surcharge de travail et ses effets sur sa santé.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le manquement de la société Veynat à son obligation de sécurité n'est pas établi et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande indemnitaire de ce chef.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, la société Veynat est condamnée à transmettre à M. [Y] un bulletin de salaire récapitulatif et une attestation pôle emploi rectifiés conformes au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

M. [Y] étant accueilli en certaines de ses demandes de rappel de salaire, il convient de faire supporter à la société Veynat la charge des dépens de première instance et d'appel. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Pour les mêmes raisons, l'équité commande d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [Y] à payer à la société Veynat une indemnité au titre de ses frais irrépétibles, de débouter celle-ci de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [Y] sur ce même fondement une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance et appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en date du 30 avril 2021 sauf en ses dispositions déboutant M. [O] [Y] de ses demandes indemnitaires au titre du travail dissimulé, de l'exécution déloyale de son contrat de travail et d'un manquement à l'obligation de sécurité et de sa demande de rappel de salaire au titre des temps de coupure ;

Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DECLARE irrecevables comme étant prescrites, les demandes de M. [O] [Y] en lien avec la rupture de son contrat de travail ;

CONDAMNE la société Veynat à payer à M. [O] [Y] les rappels de salaire suivants :

- la somme de 695,21 euros pour les heures supplémentaires non rémunérées, outre 69,52 euros de congés payés y afférents,

-la somme de 618,99 euros au titre des dimanches travaillés, outre 61,89 euros de congés payés y afférents,

- la somme de 886,83 euros au titre des jours fériés, outre 88,63 euros de congés payés y afférents,

CONDAMNE la société Veynat à transmettre à M. [O] [Y] un bulletin de salaire récapitulatif et une attestation pôle emploi rectifiés conformes au présent arrêt ;

CONDAMNE la société Veynat à payer à M. [O] [Y] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance et appel ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société Veynat supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Annie LESIEUR

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/00906
Date de la décision : 27/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-27;21.00906 ?
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