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27/01/2023 | FRANCE | N°21/00896

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 27 janvier 2023, 21/00896


ARRÊT DU

27 Janvier 2023







N° 130/23



N° RG 21/00896 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TUET



MLBR/AL









Article 37























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

21 Avril 2021

(RG 18/00174 -section )




































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GROSSE :



aux avocats



le 27 Janvier 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



S.A.S. CORA

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Hugues MAQUINGHEN, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Pierre LEBRUN, avocat au barreau...

ARRÊT DU

27 Janvier 2023

N° 130/23

N° RG 21/00896 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TUET

MLBR/AL

Article 37

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

21 Avril 2021

(RG 18/00174 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 27 Janvier 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

S.A.S. CORA

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Hugues MAQUINGHEN, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Pierre LEBRUN, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Mme [R] [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Elodie HANNOIR, avocat au barreau de BETHUNE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 591780022021007767 du 21/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)

DÉBATS : à l'audience publique du 06 Décembre 2022

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 15 Novembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

A compter du 13 octobre 2010, Mme [R] [P] a régulièrement été embauchée par la SAS Cora dont le siège social est à [Localité 4] dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs, en qualité d'employée commerciale.

A partir du 15 janvier 2012, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, à raison de 25h30 par semaine.

Le 17 novembre 2014, Mme [P] a été victime d'un accident du travail. C'est dans ce contexte qu'un avenant a été signé entre les parties le 21 novembre 2014 afin de passer la salariée d'un horaire du matin à un horaire de l'après-midi.

Entre le 31 mars 2016 et le 23 juillet 2016, Mme [P] a été placée en mi-temps thérapeutique et deux avenants contractuels ont été signés afin de réduire la durée hebdomadaire de travail à 12h45.

Le 2 août 2016, la médecine du travail a émis un avis d'aptitude à la reprise du travail dans le cadre d'un temps complet avec un jour de repos en milieu de semaine. Les horaires de Mme [P] ont été modifiés en conséquence.

Le 8 octobre 2016, Mme [P] a fait l'objet d'un avertissement écrit en raison de négligences dans le respect des mesures de sécurité au cours de la journée du 6 octobre 2016.

Le 24 avril 2017, la salariée a été victime d'un accident du travail lors de la réalisation de travaux de manutention à l'aide d'un chariot.

La société Cora a convoqué par courrier du 5 mai 2017 Mme [P] à un entretien fixé au 18 mai 2017, préalable à son éventuel licenciement, et lui a notifié par courrier du 24 mai 2017 son licenciement pour faute grave motivé principalement par une insubordination en raison du non-respect des directives en matière de sécurité.

Par requête du 31 juillet 2018 , Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Béthune afin de contester son licenciement selon elle discriminatoire ainsi que l'avertissement du 8 octobre 2016 et d'obtenir diverses indemnités.

Par jugement contradictoire rendu le 21 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Béthune a :

-dit le licenciement de Mme [P] non fondé sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse,

-condamné la société Cora au paiement des sommes suivantes :

*2245,04 euros brut à titre des indemnités compensatrice de préavis,

*224,50 euros brut au titre des congés payés y afférents,

*1 515, 40 euros nets à titre indemnité de licenciement,

*3 333 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail,

*658, 65 euros brut au titre du maintien de salaire,

-condamné la société Cora à remettre une attestation destinée à Pôle Emploi, le certificat de travail et le bulletin de paie conforme à la décision sous astreinte de 30 euros par jour et par document à compter du ler jour du mois suivant la notification de la présente décision et dit qu'il se réserve le droit de liquider l'astreinte ainsi fixée,

*1000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

-débouté Mme [P] et la société Cora de leurs autres demandes,

-condamné la société Cora aux entiers frais et dépens,

-dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision, et en cas d'inexécution par voix extra judiciaire, les sommes retenues par huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par le défendeur en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 20 mai 2021, la société Cora a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions sauf en celle ayant débouté Mme [P] de ses autres demandes.

Dans ses dernières conclusions déposées le 1er février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la SAS Cora demande à la cour de :

-infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes du 21 avril 2021 en ses dispositions critiquées,

Statuant à nouveau sur les chefs de jugement expressément critiqués, de :

-dire et juger bien fondé le licenciement pour faute grave de Mme [P] ;

-débouter Mme [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

-condamner Mme [P] à lui payer la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ;

-condamner Mme [P] à lui payer la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ;

-condamner Mme [P] aux entiers frais et dépens de l'instance d'appel.

Dans ses dernières conclusions déposées le 3 novembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [P] demande à la cour de :

-infirmer le jugement en ce qu'il :

*a dit que son licenciement n'est pas fondé sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse,

* a condamné la société Cora au paiement de 3333 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail et de 1000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

* l'a déboutée de ses autres demande ;

-le confirmer pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

- prononcer la nullité de son licenciement ;

- subsidiairement, dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- annuler son avertissement notifié le 8 octobre 2016 ;

- condamner la société Cora au paiement des sommes suivantes :

*10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la nullité du licenciement et subsidiairement au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*2 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail,

*400 euros nets pour sanction disciplinaire abusive,

*2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi de 1991 pour la procédure de première instance ;

- condamner la société Cora à remettre une attestation destinée à Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour et par document à compter du 1er jour du mois suivant la notification de la décision à intervenir, et dire que le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte ainsi fixée ;

- condamner la société Cora à verser à Maître Elodie Hannoir, son avocat, la somme de 2 000 euros TTC sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 en cause d'appel ;

- la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- la condamner aux frais et dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- sur l'avertissement du 8 octobre 2016 :

En vertu de l'article 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur le prononcé d'une sanction disciplinaire, la juridiction apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur doit fournir les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En application de l'article L.1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Il sera d'abord relevé que contrairement à ce que soutient la société Cora, la demande de Mme [P] aux fins d'annulation de la sanction disciplinaire du 8 octobre 2016 n'est pas prescrite dès lors que le délai de 2 ans imparti pour agir par l'article L. 1471-1 du code du travail a commencé à courir le 8 octobre 2016, de sorte qu'il n'était pas expiré au jour de la requête de la salariée déposée le 31 juillet 2018.

Aux termes de la lettre d'avertissement, la société Cora reproche à Mme [P] d'avoir au cours de la journée du 6 octobre 2016, travaillé sans chaussures de sécurité, pourtant obligatoires, et d'avoir été vue par M. [H], 'Manager surveillance', en train de monter sur une caisse en plastique pour faire de la mise en rayon.

En sa pièce 22, la société Cora produit le réglement intérieur en vigueur depuis le 1er juin 2013 qui liste en son article 18 les sanctions disciplinaires dont les salariés sont susceptibles de faire l'objet, notamment l'avertissement.

Ne peut donc prospérer le premier moyen de contestation avancé par Mme [P] tiré du fait qu'il n'est pas justifié par l'employeur de l'existence de telles dispositions réglementaires internes au jour du prononcé de la sanction d'avertissement.

Aux termes de ses conclusions, Mme [P] reconnaît avoir retiré ses chaussures de sécurité pendant 15 minutes juste avant la fin de sa journée de travail, en raison de douleurs aux pieds, et être montée sur une caisse en plastique pour mettre des produits en rayon, en faisant valoir cependant que nombre de ses collègues travaillent sans chaussures de sécurité et utilisent des caisses en plastique pour accèder aux rayons en hauteur, sans faire l'objet d'observation, à défaut de pouvoir utiliser l'unique escabeau du magasin qui est installé au rayon frais.

La matérialité des faits visés dans l'avertissement est ainsi admise par Mme [P] qui en relativise en revanche l'importance et le caractère fautif.

Force est de constater que pour sa part, la société Cora ne produit aucune pièce relativement aux griefs avancés.

Ainsi, elle ne présente aucun élément pour contredire sa salariée lorsque celle-ci dit qu'il n'existe qu'un seul escabeau pour l'ensemble des salariés et qu'il est installé au rayon frais.

La société Cora ne peut donc lui reprocher un non-respect des consignes de sécurité, s'agissant de ces travaux en hauteur, sans rapporter la preuve que des moyens adaptés ont été mis à sa disposition, en dehors d'une caisse en plastique, pour accéder aux rayons en hauteur en toute sécurité. Le caractère fautif de ces faits n'est donc pas démontré.

En outre, à défaut pour la société Cora de présenter des éléments de nature à établir que Mme [P] a travaillé toute la journée du 6 octobre 2016 sans chaussures de sécurité comme allégué dans la lettre d'avertissement, il sera retenu, sur la base des seules déclarations de la salariée non contredites utilement alors que la charge de la preuve incombe à l'employeur, que l'intéressée n'a retiré ses chaussures de sécurité que pendant 15 minutes, juste avant la fin de sa journée de travail.

Compte tenu de la durée particulièrement courte de l'incident, au demeurant ponctuel, Mme [P] n'ayant jamais fait l'objet d'observations auparavant à ce sujet, et en l'absence d'élément quant aux circonstances de sa survenance pour apprécier la dangerosité éventuelle de la négligence dont Mme [P] a fait preuve pendant ce court laps de temps, l'avertissement apparaît disproportionné et sera en conséquence annulé.

Mme [P] demande une somme de 400 euros en réparation du préjudice moral résultant du caractère abusif de cette sanction. A défaut d'élément sur l'importance du préjudice allégué, il convient de lui allouer une somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

- sur le licenciement de Mme [P] :

La société Cora fait grief aux premiers juges d'avoir requalifié le licenciement de Mme [P] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse, sans retenir la faute grave selon elle parfaitement caractérisée au vu des attestations de témoins produites dans la mesure où il est avéré que Mme [P] n'a pas respecté les consignes de sécurité alors même qu'elles lui avaient précédemment été rappelées, qu'elle bénéficiait d'outils adaptés compte tenu de ses problèmes de santé et avait été formée peu de temps auparavant sur les risques professionnels.

Elle soutient que ce refus selon elle délibéré de Mme [P] d'utiliser le chariot adapté à ses restrictions médicales constitue un acte d'insubordination, en invoquant l'incident du 8 octobre 2016 pour considérer que sa salariée est en outre coutumière de ce type de comportement.

Dans le cadre de son appel incident, Mme [P] fait pour sa part valoir que son licenciement est nul car discriminatoire, la décision de son employeur étant uniquement liée à la dégradation de son état de santé.

Elle nie l'utilisation d'un chariot inadapté, affirmant au contraire avoir le jour de son accident du travail utilisé le chariot à niveau récemment acquis par l'employeur. Elle conteste également la véracité et la crédibilité de l'attestation de M. [L], du service sécurité, dont elle relève la non-conformité aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.

Elle fait aussi observer qu'en dépit de sa demande lors de la procédure de licenciement, son employeur n'a pas vérifié la véracité des faits allégués sur la vidéo surveillance du magasin et qu'en tout état de cause, la société Cora ne produit pas de note de service ou de directive qui lui ferait interdiction d'utiliser les anciens caddies bleus, pour caractériser un quelconque manquement à ses obligations contractuelles.

Mme [P] affirme que son employeur a en réalité pris l'initiative de la licencier lorsqu'il a été informé de son accident du travail susceptible d'aggraver son état de santé qu'il savait déjà fragile et qui constituait pour lui une contrainte en termes d'aménagement des fonctions et du poste de travail.

Sur ce,

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de son état de santé.

En application de l'article 1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison de la méconnaissance des dispositions susvisées, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il convient aussi de rappeler que la faute grave privative du préavis prévu à l'article L1234-1 du même code est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.

II appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d'une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse du licenciement, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.

Il est en l'espèce acquis aux débats que Mme [P] a été confrontée à partir de novembre 2014 à des problèmes de santé au niveau du dos qui ont notamment entraîné des aménagements de son poste et de son temps de travail.

Il est aussi constant que le 24 avril 2017, Mme [P] a déclaré avoir été victime d'un accident du travail après 'avoir ressenti une vive douleur dans le bas du dos qui migre vers la jambe gauche en mettant des shampoings en rayon', cet incident ayant donné lieu à une déclaration d'accident du travail avec des réserves de la part de la société Cora, celle-ci informant la CPAM de Lens dans son courrier de transmission du 4 mai 2017 que 'Mme [P] a des antécédents connus concernant ses problèmes de dos. Elle est équipée d'un chariot à niveau constant et mettait des bouteilles de shampoing en rayon (poids unitaire moyen : 340 g). Elle a bénéficié au mois de mars 2017 d'une formation PRAP'.

Pour dénoncer le caractère discriminatoire de son licenciement eu égard à son état de santé, Mme [P] fait notamment état du fait que son licenciement est consécutif à cet accident du travail susceptible d'aggraver son état de santé.

Il est exact que la convocation de Mme [P] à l'entretien préalable à son éventuel licenciement lui a été envoyé le 5 mai 2017, soit à peine 10 jours après l'incident du 24 avril 2017 et le lendemain du courrier adressé par la société Cora à la CPAM pour à la fois déclarer l'accident du travail et émettre des réserves.

Dans la lettre de licenciement de Mme [P], la société Cora se réfère en outre explicitement à l'accident du travail à travers les termes qui suivent : 'Nous avons été amenés le 4 mai 2017 à contester l'accident du travail survenu le 24 avril 2017 dont vous vous prétendez victime. Or, il apparaît que votre prétendu accident du travail fait suite à de nombreuses négligences de votre part et notamment le fait de ne pas respecter les dispositions de notre règlement intérieur en matière de prévention et de sécurité. Plus précisément, il est admis que compte tenu de vos antécédents relatifs à vos problèmes de vos, vous avez bénéficié en mars 2017 d'une formation PRAP et disposait désormais d'un chariot à niveau constant permettant ainsi une prévention proportionnée et efficace à votre mal de dos. Il s'avère que lors de l'accident du 24 avril 2017, vous utilisiez un ancien matériel pour vos manutentions contrevenant ainsi aux règles en vigueur au sein de notre établissement'.

Après avoir rappelé l'avertissement et les rappels oraux dont Mme [P] a fait l'objet dans le passé, la société Cora fait valoir dans la lettre que 'l'exécution de vos tâches le 24 avril 2017 en dehors des directives et consignes données par votre employeur relèvent de l'insubordination et sont par ailleurs de nature à porter atteinte à votre intégrité physique'.

Dans le contexte rappelé plus haut,ces éléments, à savoir la proximité entre l'accident du travail et la procédure de licenciement ainsi que la référence à cet accident dans la lettre de licenciement comme résultant de la faute alléguée, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination en raison d'une possible aggravation de l'état de santé de Mme [P] à la suite de cet accident.

Il incombe dès lors à la société Cora d'une part de démontrer par des éléments objectifs que la rupture de la relation de travail est étrangère à toute discrimination et ce faisant, de rapporter la preuve de la faute grave qui fonde selon elle ce licenciement ou à tout le moins d'un comportement fautif de sa part constituant une cause réelle et sérieuse, sachant que Mme [P] a toujours contesté, notamment dans son courrier du 18 mai 2017, la matérialité des faits reprochés.

Pour justifier du bien fondé de sa décision, la société Cora produit 3 attestations dont Mme [P] conteste la crédibilité.

Seul M. [L] atteste en réalité avoir été témoin direct de l'utilisation par Mme [P] des anciens chariots en ces termes : 'le 24 avril 2017, de service à Cora, [Localité 4], à la sécurité de 11h00 à 21h15, au cours de mes rondes dans les allées du magasin, j'ai constaté lors de mon passage au rayon hygiène et parfurmerie, une employée [R] [P], qui utilisait un caddie bleu (ancien modèle) pour charger des articles sur les présentoirs. Je précise avoir constaté ces faits à plusieurs reprises cette semaine.'

Il sera relevé que dans cette attestation établie le 24 avril 2017 sur papier libre, M. [L] ne précise pas s'il a ou pas un lien de subordination avec la société Cora, celle-ci ne l'indiquant pas non plus dans ses conclusions, ni qu'il a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales, de sorte que ce document ne présente pas toutes les garanties d'objectivité, Mme [P] faisant par ailleurs observer à juste titre que son auteur dit avoir fait ce même constat 'à plusieurs reprises cette semaine' alors qu'il a rédigé son attestation le 24 avril 2017, soit un lundi, ce point n'étant pas discuté par la société Cora.

Si M. [H] atteste, que M. [L] lui a bien signalé le 24 avril 2017 que '[R] [P] utilise un caddie non adopté à son poste...les faits ont été constatés à plusieurs reprises', son attestation ne présente pas non plus de garantie d'impartialité suffisante dans la mesure où l'intéressé est à l'origine de la procédure ayant abouti à la procédure d'avertissement annulée du 8 octobre 2016 en sa qualité de 'Manager Supervision', que chargé de la sécurité du magasin, il a un lien a minima de collaboration certain avec M. [L] et qu'il a également omis d'indiquer qu'il a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales. Il évoque en outre des faits commis à plusieurs reprises sans aucune précision sur les circonstances des autres constatations.

Mme [P] dénonce d'ailleurs dès sa lettre du 18 mai 2017 l'acharnement dont M. [H] ferait preuve à son égard, réclamant une vérification 'de la vidéo', demande à laquelle l'employeur n'a pas à l'époque répondu.

Dans ces circonstances et en l'absence de garantie d'objectivité suffisante, ces 2 attestations, non corroborées par d'autres éléments, ne peuvent à elles seules valoir preuve de l'utilisation par Mme [P] d'un chariot inadapté le jour de son accident du travail, étant par ailleurs observé que dans les réserves émises lors de la transmission le 4 mai 2017 de la déclaration d'accident, la société Cora n'a nullement fait état de tels éléments qui auraient pu pourtant être de nature à écarter sa responsabilité dans l'accident.

L'attestation de Mme [V] est quant à elle sans portée quant à l'établissement de la matérialité des faits fautifs, dès lors qu'elle dit elle-même qu'elle n'était pas présente au moment de l'accident et n'évoque pas l'usage supposé fait par Mme [P] d'un chariot, quelqu'il soit.

Au vu de ce qui précède, il existe un doute quant à la réalité des faits allégués par la société Cora.

Au surplus, à supposer même que Mme [P] ait utilisé ce jour là un ancien chariot, celle-ci fait à juste titre observer que la société Cora ne produit aucune note de service ou écrit quelconque aux termes duquel il lui aurait été donné consigne de ne plus utiliser les anciens chariots, de sorte qu'il n'est pas rapporté la preuve d'une violation d'une directive en matière de sécurité et ce faisant, de l'insubordination alléguée.

Il se déduit de ce qui précède que la société Cora échoue à démontrer que le licenciement pour faute grave de Mme [P] est fondé sur des éléments objectifs, la matérialité des faits n'étant pas établie avec certitude, et partant, qu'il est étranger à toute discrimination en raison de l'état de santé de Mme [P].

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu que le licenciement litigieux est pourvu d'une cause réelle et sérieuse.

En raison de son caractère discriminatoire, il convient d'annuler le licenciement.

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, ce qui est le cas en l'espèce, a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Mme [P] invoque en l'espèce un salaire de référence sur les 3 derniers mois travaillés de 1 122,52 euros bruts, en tenant compte de la quote part mensuelle de sa prime annuelle. Toutefois, au vu des salaires bruts figurant sur ses bulletins de salaire des mois de février à avril 2017, son salaire moyen brut, prime annuelle inclue, se limite à 997,74 euros.

Il convient en conséquence par voie d'infirmation de lui allouer :

- 1 995,48 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, soit l'équivalent de 2 mois de salaire compte tenu de son ancienneté,

- 1 346,95 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

En réparation du préjudice causé par le caractère abusif de son licenciement, Mme [P] sollicite une somme de 10 000 euros, en faisant état de ses charges de famille et de sa période de chômage après la rupture de son contrat qui a duré plusieurs mois.

La société Cora estime pour sa part qu'elle ne justifie pas de l'étendue du préjudice allégué et qu'il convient de tenir compte de son ancienneté limitée à 6 années.

Mme [P] justifie de la perception de l'allocation d'aide à l'emploi entre le 15 juillet 2017 et le 30 avril 2018 à hauteur de 22,14 euros par jour ainsi que de son nouvel emploi à compter d'avril 2018.

Au jour de son licenciement, elle avait encore à sa charge au moins 2 enfants mineurs, aucune élément n'étant donné sur la situation des 3 autres enfants alors majeurs.

Au regard de ces éléments, et plus particulièrement de la baisse importante de ses revenus pendant sa période de chômage pour faire face à ses charges de famille et de ses difficultés à retrouver immédiatement un emploi, il convient de lui accorder en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi une somme de 7 500 euros.

- sur la demande indemnitaire pour exécution déloyale du contrat de travail :

Mme [P] sollicite une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en reprochant à la société Cora plusieurs manquements à son obligation d'exécuter le contrat de travail loyalement, à savoir :

- d'avoir fait en sorte de dégrader ses conditions de travail à compter de l'année 2014 en lui imposant notamment des changements d'horaires,

- de lui avoir fait subir des dénigrements et critiques puis un rappel à l'ordre et un avertissement en quelques mois,

- de s'être montré réticent à aménager son poste conformément aux préconisations du médecin du travail comme en témoignent ses fiches d'aptitude.

Il sera cependant relevé comme le fait justement remarquer la société Cora que Mme [P] a accepté et signé les avenants contractuels modifiant l'organisation de son travail, aucune pièce produite n'établissant qu'elle y a été contrainte, son employeur ayant par la suite strictement respecté les préconisations du médecin du travail concernant le mi-temps thérapeutique.

En outre, si ce médecin a fait observer dans ses avis d'aptitude des 31 mars et 2 août 2016 qu'il restait en attente du retour de la société Cora 'au sujet de l'aménagement du poste de travail', il ne s'en déduit pas avec certitude que le retard pris résultait d'une intention déloyale de la société Cora, sachant qu'il est acquis aux débats qu'un chariot adapté à Mme [P] a finalement été acquis.

Son employeur lui a aussi fait bénéficier d'une formation sur les risques professionnels.

Enfin, Mme [P] ne produit aucun élément de preuve de supposés dénigrements et critiques injustifiés à son égard, étant observé qu'elle n'a pas non plus contesté le rappel de ses obligations professionnelles, sur notamment la qualité de travail, qui lui a été fait le 4 mai 2016.

Il ressort ainsi de l'ensemble de ces éléments que Mme [P] échoue à rapporter la preuve de la déloyauté de la société Cora dans l'exécution du contrat de travail, l'employeur devant à tout le moins bénéficier du doute existant quant aux manquements allégués.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande indemnitaire de ce chef.

- sur le versement d'un complément de salaire :

La société Cora demande l'infirmation du jugement en ses dispositions la condamnant à verser à Mme [P] un complément de salaire de 658,65 euros au titre du maintien du salaire pendant son arrêt maladie, en faisant valoir que contrairement à ce qu'exige la convention collective applicable, la salariée ne l'a jamais informée du montant des indemnités journalières perçues pour lui permettre de calculer le complément de salaire devant lui être versé, de sorte qu'elle est exonérée de l'obligation de le lui verser.

Il convient de relever que l'appelante ne discute pas le fait que Mme [P] remplissait les conditions pour bénéficier de ce complément de salaire, ni son montant, et se limite à soutenir que la défaillance supposée de la salariée dans la transmission des éléments justificatifs la dispense de régler les sommes réclamées.

Toutefois, s'il est vrai que Mme [P] ne rapporte pas la preuve qu'elle a adressée en temps utile l'attestation de paiement des indemnités journalières, il n'en demeure pas moins qu'il est acquis aux débats que ce document a bien été communiqué à la société Cora au cours de la procédure de première instance, à travers la pièce 17 de la salariée sur laquelle les premiers juges se sont d'ailleurs fondés pour condamner la société Cora à payer le complément de salaire susvisé.

Ainsi, l'employeur a à sa disposition depuis la procédure de première instance les éléments d'information lui permettant de calculer le montant de ce complément de salaire et de régulariser la situation.

A défaut de règlement de sa part, il convient de confirmer le jugement, en adoptant les motifs pertinents sur lesquels les premiers juges se sont fondés, en ce qu'il a condamné la société Cora à payer à Mme [P] une somme de 658,65 euros au titre du maintien du salaire.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, il convient d'accueillir la demande de Mme [P] aux fins de transmission de documents de fin de contrat et d'un bulletin de salaire récapitulatif, conformes aux dispositions du présent arrêt, cette communication devant intervenir dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision.

Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Partie perdante, la société Cora devra supporter les dépens de première instance et d'appel. Le jugement sera confirmé en ce sens.

L'équité commande par ailleurs en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous condition que Maître Hannoir renonce à percevoir la part contributive de l'Etat, de condamner la société Cora à payer à celle-ci une indemnité de 1 500 euros au titre des frais de première instance non compris dans les dépens, ainsi qu'une indemnité complémentaire de 1 500 euros au titre des frais exposés en appel. Le jugement sera infirmé en ce sens.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en date du 21 avril 2021 sauf en ses dispositions :

- condamnant la société Cora à payer à Mme [R] [P] un complément de salaire,

- déboutant Mme [R] [P] de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- relatives aux dépens ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

ANNULE l'avertissement prononcé le 8 octobre 2016 à l'égard de Mme [R] [P];

ANNULE le licenciement pour faute grave de Mme [R] [P] ;

CONDAMNE la société Cora à payer à Mme [R] [P] les sommes suivantes :

- 200 euros en raison du caractère abusif de l'avertissement du 8 octobre 2016,

- 1 995,48 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 346,95 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 7 500 euros au titre du caractère abusif de son licenciement ;

CONDAMNE la société Cora à transmettre à Mme [R] [P] les documents de fin de contrat et un bulletin de salaire récapitulatif, conformes aux dispositions du présent arrêt, et ce dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision ;

CONDAMNE la société Cora à verser à Maître Halloir, avocat de Mme [R] [P], une indemnité de 1 500 euros au titre des frais de première instance non compris dans les dépens, ainsi qu'une indemnité complémentaire de 1 500 euros au titre des frais exposés en appel, sous condition qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société Cora supportera les dépens d'appel.

LE GREFFIER

Annie LESIEUR

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/00896
Date de la décision : 27/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-27;21.00896 ?
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