ARRÊT DU
27 Janvier 2023
N° 198/23
N° RG 21/00393 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TP5J
MLB/CH
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVESNES SUR HELPE
en date du
05 Février 2021
(RG 20/00023 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 27 Janvier 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [D] [C]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Stephane DOMINGUEZ, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
S.A.S. TRANSPORT WILLIAME devenue la société GHESTEM MAUBEUGE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Guillaume GHESTEM, avocat au barreau de LILLE, assisté de Me Elisabeth NEIDHART, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Serge LAWECKI
DÉBATS : à l'audience publique du 30 Novembre 2022
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 09 novembre 2022
EXPOSE DES FAITS
M. [D] [C] a été embauché à compter du 7 août 2006 en qualité de chauffeur routier groupe 6 coefficient 138 M de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport par la société Transports Williame devenue Ghestem Maubeuge.
Le tribunal correctionnel d'Avesnes sur Helpe l'a condamné le 4 septembre 2013 à 6 mois d'emprisonnement avec sursis pour recel de bien volé (commis du 1er avril 2011 au 31 octobre 2011), abus de confiance (commis du 1er janvier 2009 au 29 août 2011), vol dans un entrepôt (commis du 1er janvier 2009 au 29 août 2011) et vol aggravé par deux circonstances (commis du 1er janvier 2009 au 31 octobre 2011), puis, par jugement du 23 mai 2016, à payer à la société Transports Williame solidairement avec Mme [G] [Y] la somme de 2 124 euros au titre du préjudice matériel et, avec d'autres, la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral et 2 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Par requête reçue le 3 octobre 2012, puis, après quatre radiations, dernière demande de remise au rôle du 20 février 2020, M. [D] [C] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avesnes sur Helpe afin d'obtenir un rappel de salaire pour heures supplémentaires et des indemnités pour travail dissimulé et manquements à l'obligation de sécurité et de résultat et aux règles de travail de nuit.
Par jugement en date du 5 février 2021 le conseil de prud'hommes a dit que la demande de rappel d'heures supplémentaires est infondée, a débouté M. [D] [C] de l'intégralité de ses demandes, l'a condamné à payer à la société Ghestem Maubeuge la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens aux parties qui les ont engagés.
Le 11 mars 2021, M. [D] [C] a interjeté appel de ce jugement.
Par ses conclusions reçues le 3 juin 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, l'appelant sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, qu'elle constate que l'employeur n'a pas payé l'ensemble des heures supplémentaires de travail effectuées et le condamne à lui payer les sommes de :
7 349,67 euros au titre des heures supplémentaires
734,96 au titre des congés payés y afférents
12 600 euros au titre du travail dissimulé
8 000 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour non-respect des conditions de travail et manquement à l'obligation de sécurité et de résultat
6 000 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour non-respect des conditions de travail et manquement aux règles sur le travail de nuit
avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil
3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 1er septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Ghestem Maubeuge sollicite de la cour qu'elle dise prescrites les demandes de M. [D] [C] antérieures au 4 octobre 2007, le déboute de sa demande de paiement d'heures supplémentaires et de congés payés afférents et de ses demandes d'indemnité pour travail dissimulé, non-respect de certaines dispositions du code du travail et non-respect du temps de conduite, à titre subsidiaire qu'elle ordonne la compensation judiciaire sur le fondement de l'article 1348 du code civil entre les sommes mises à sa charge et celles dues par M. [D] [C] en vertu du jugement du tribunal correctionnel d'Avesnes sur Helpe, soit avec la somme de 2 124 euros, outre une somme de 500 euros accordée par le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale et une somme de 500 euros au titre du préjudice moral, déboute M. [D] [C] de sa demande de condamnation de voir décompter les intérêts à compter de la date d'introduction de la demande, de voir prononcer l'anatocisme et au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamne M. [D] [C] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 9 novembre 2022.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la demande au titre des heures supplémentaires
Selon l'article L.3245-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil. Il en résulte que la demande de rappel de salaires, dont M. [D] [C] a saisi le conseil de prud'hommes par requête reçue le 3 octobre 2012 serait irrecevable pour des sommes exigibles avant le mois d'octobre 2007.
M. [D] [C] ne précise pas dans ses conclusions la période objet de sa demande de rappel d'un volume de 500,55 heures supplémentaires. Ses pièces régulièrement communiquées ne permettent pas non plus de déterminer la période exacte objet de sa demande puisque l'appelant n'a communiqué qu'un tableau récapitulatif comportant par année seulement les heures travaillées, payées et dues selon lui, ses bulletins de paie de septembre 2007 à août 2011 et onze feuillets l'informant sur l'évolution de son compteur d'heures entre fin avril 2009, pour le plus ancien feuillet, et fin juillet 2011, pour le plus récent. Ce dernier document fait apparaître un solde de 5,18 heures dues au salarié.
Il convient de préciser que figure au dossier du salarié transmis à la cour une liasse de documents sur son temps de travail qui ne sont pas numérotés et ne figurent pas à son bordereau des pièces communiquées. En application de l'article 16 du code de procédure civile, ces documents ne peuvent pas être retenus dans la décision de la cour puisque la société Ghestem Maubeuge n'a pas été mise en mesure par l'appelant d'en débattre contradictoirement.
M. [D] [C] fait valoir que l'employeur n'apporte aucun élément de preuve en réponse aux éléments qu'il fournit.
Toutefois, la société Ghestem Maubeuge répond justement, en application de l'article L.3171-4 du code du travail, que les seuls éléments ci-dessus listés au titre des documents régulièrement communiqués ne lui permettent pas de répondre utilement à la demande du salarié.
En outre, en l'absence des bulletins de salaire postérieurs à août 2011, il ne peut être retenu que subsistait un solde d'heures dues au salarié.
Le jugement qui a débouté M. [D] [C] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires sera donc confirmé.
Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé
Du fait de l'absence d'accomplissement d'heures supplémentaires impayées, le travail dissimulé n'est pas caractérisé. Il convient au surplus de préciser que les explications des parties et les pièces produites ne permettent pas de vérifier que le contrat de travail a été rompu. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [D] [C] de sa demande en paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L.8223-1 du code du travail.
Sur la demande d'indemnité pour non-respect des conditions de travail et manquement aux règles sur le travail de nuit
M. [D] [C] fait valoir en premier lieu que certains salariés faisaient l'objet d'une discrimination en ne bénéficiant pas du coefficient 150 sur les fiches de paie mais uniquement du coefficient 138. Si le contrat de travail mentionne que le salarié est employé en qualité de conducteur routier groupe 6 coefficient 138 M, l'employeur répond que le coefficient 150 lui était octroyé, ce qui résulte en effet des bulletins de salaire produits. Ainsi le salarié ne présente pas d'éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination à son égard.
Il ajoute qu'alors que la convention collective prévoit une prime horaire égale à 20 % du taux horaire conventionnel à l'embauche applicable au coefficient 150 M pour les heures effectuées entre 21 heures et 6 heures, cette disposition n'a pas été respectée par l'employeur, et qu'il n'a pas bénéficié du repos compensateur auquel ont droit les travailleurs de nuit en application de l'article L.3122-39 du code du travail. Il ne produit néanmoins aucun décompte des heures de travail effectuées selon lui la nuit et ne sollicite aucun rappel de salaire de ce chef. Il ne résulte pas des pièces produites qu'il accomplissait des heures de travail nocturnes. Il ne remplit pas les conditions posées par l'accord du 14 novembre 2001 pour être considéré comme travailleur de nuit, à savoir accomplir au cours d'un mois au moins 50 heures de travail effectif durant la période nocturne, et n'avait pas droit à un repos compensateur de ce chef.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [D] [C] de sa demande d'indemnité.
Sur la demande d'indemnité pour non respect des conditions de travail et manquement à l'obligation de sécurité et de résultat
En application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l'employeur, tenu d'une obligation en matière de protection de la sécurité et de la santé physique et mentale des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité en prenant toutes les mesures nécessaires de prévention prévues par les textes susvisés, des actions d'information et de formation et la mise en place de moyens adaptés.
Au titre d'un premier manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, M. [D] [C] rappelle que la durée maximale hebdomadaire est de 48 heures et la durée minimale du repos quotidien à 11 heures et que la preuve du respect des seuils et plafonds incombe à l'employeur. Cependant, le relevé des infractions produit par l'employeur ne fait ressortir aucun manquement aux règles sur la durée maximale de travail hebdomadaire et la durée minimale du repos quotidien.
Il affirme ensuite que l'employeur lui faisait payer «les actes commis» alors que cette dépense lui incombe et que certains salariés manipulaient des fenwick alors que le Caces est exigé. Il ne vise aucune pièce à l'appui de ses dires et ne justifie pas de l'application par la société Ghestem Maubeuge de sanctions pécuniaires prohibées ni d'un manquement de l'employeur aux règles régissant la conduite de certaines machines.
Enfin, il soutient qu'il n'a pas bénéficié du repos compensateur auquel il avait droit au regard des heures supplémentaires accomplies. Il rappelle qu'en application du décret n° 2007-13 du 4 janvier 2007, le salarié a droit à 1 jour de repos compensateur lorsqu'il a accompli entre 41 et 79 heures supplémentaires sur le trimestre, 1,5 jours lorsque ce volume est compris entre 80 et 108 heures supplémentaires, et 2.5 jours lorsque le salarié a accompli plus de 108 heures supplémentaires sur le trimestre. Les bulletins de salaire produits montrent que le salarié a accompli à plusieurs reprises un nombre d'heures supplémentaires ouvrant droit au bénéfice de repos compensateurs. La société Ghestem Maubeuge se borne à affirmer que le salarié a bénéficié de l'ensemble des repos compensateurs qui devaient lui être octroyés, sans fournir aucun justificatif à l'appui, alors même que les bulletins de salaire ne comportent aucune indication sur les repos compensateurs acquis et utilisés. Le préjudice subi par le salarié du fait de la privation du repos compensateur lié aux heures supplémentaires accomplies et des risques pour sa santé et sa sécurité sera indemnisé par l'octroi de la somme de 1 500 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [D] [C] de ce chef de demande.
Sur les autres demandes
L'issue du litige justifie, infirmant le jugement, de débouter la société Ghestem Maubeuge de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à verser à M. [D] [C] la somme de 1 500 euros de ce chef.
Il n'y a pas lieu de déroger à la règle selon laquelle les sommes allouées portent intérêts de retard au taux légal à compter de la décision qui les a prononcées pour les sommes à caractère indemnitaire. Les intérêts dus pour une année entière se capitalisent en application de l'article 1343-2 du code civil.
Il convient en application de l'article 1348 du code civil de prononcer la compensation entre les sommes allouées à M. [D] [C] et les sommes qu'il doit à la société Ghestem Maubeuge en vertu du jugement du tribunal correctionnel d'Avesnes sur Helpe en date du 23 mai 2016.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [D] [C] de ses demandes de rappel d'heures supplémentaires et d'indemnités pour travail dissimulé et manquement aux règles de travail de nuit.
Infirme le jugement déféré, statuant à nouveau et y ajoutant :
Condamne la société Ghestem Maubeuge à verser à M. [D] [C] la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité pour non respect des conditions de travail et manquement à l'obligation de sécurité et de résultat.
Déboute la société Ghestem Maubeuge de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Ghestem Maubeuge à verser à M. [D] [C] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que les sommes allouées portent intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter de l'arrêt pour les sommes à caractère indemnitaire.
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
Prononce la compensation entre les sommes dues par la société Ghestem Maubeuge à M. [D] [C] en vertu de présent arrêt et les sommes dues par M. [D] [C] à la société Ghestem Maubeuge en vertu du jugement du tribunal correctionnel d'Avesnes sur Helpe en date du 23 mai 2016.
Condamne la société Ghestem Maubeuge aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK