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27/01/2023 | FRANCE | N°20/02352

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale d salle 2, 27 janvier 2023, 20/02352


ARRÊT DU

27 Janvier 2023







N° 190/23



N° RG 20/02352 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKKM



LB/NB

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

05 Novembre 2020

(RG 18/00157)







































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aux avocats



le 27 Janvier 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-



APPELANT :



Mme [O] [V]

[Adresse 2]

représentée par Me Dominique GUERIN, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉES :



Association CAMPUS VITAMINE T, ANCIENNEMENT DENOMMEE INSTITUT VITAMINE T

...

ARRÊT DU

27 Janvier 2023

N° 190/23

N° RG 20/02352 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKKM

LB/NB

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

05 Novembre 2020

(RG 18/00157)

GROSSE :

aux avocats

le 27 Janvier 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

Mme [O] [V]

[Adresse 2]

représentée par Me Dominique GUERIN, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉES :

Association CAMPUS VITAMINE T, ANCIENNEMENT DENOMMEE INSTITUT VITAMINE T

[Adresse 1]

S.A.S. VITASERVICES

[Adresse 1]

représentées par Me Murielle FONTAINE-CHABBERT, avocat au barreau de LILLE assisté de Me Julie SOLAND, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l'audience publique du 01 Décembre 2022

Tenue par Laure BERNARD

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Nadine BERLY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 novembre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Vitaservices et l'association Campus Vitamine T (anciennement Institut Formation Vitamine T) exercent une activité d'accompagnement vers l'emploi ; elles font partie du groupe Vitamine T.

Mme [O] [V] a été engagée par la société Vitaservices par contrat de travail à durée indéterminée du 27 octobre 2003 en qualité d'assistante ressources humaines. Elle a ensuite été promue aux fonctions de conseillère en insertion sociale et professionnelle.

Durant la relation contractuelle, Mme [O] [V] a été élue membre du CHSCT. Son mandat a pris fin le 31 décembre 2016.

Mme [O] [V] a été placée en arrêt de travail pour maladie ordinaire du 16 au 27 janvier 2017, puis à compter du 7 février 2017.

Le 2 mars 2018, Mme [O] [V] a été déclarée inapte par le médecin du travail avec dispense de l'obligation de reclassement au motif que tout maintien de la salariée dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Par courrier du 23 janvier 2019, Mme [O] [V] a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement fixé au 4 février 2019.

Par courrier du 27 février 2019, la société Vitaservices a licencié Mme [O] [V] pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Mme [O] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille le 7 février 2018 et le 20 mai 2019, aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec effets d'un licenciement nul, ou subsidiairement d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'obtenir la condamnation in solidum de la SAS Vitaservices et l'association Campus Vitamine T à lui payer les indemnités afférentes. A défaut, elle demandait de voir déclarer son licenciement nul, ou à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement rendu le 5 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Lille a :

- prononcé la jonction des deux procédures initiées par Mme [O] [V],

- déclaré irrecevable l'ensemble des demandes de Mme [O] [V] à l'encontre de l'association Campus Vitamine T,

- dit et jugé que la société Vitaservices n'a pas manqué à ses obligations,

- débouté Mme [O] [V] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail,

- dit et jugé de bon droit le licenciement de Mme [O] [V],

- débouté Mme [O] [V] de sa demande au titre de la prévoyance,

- débouté Mme [O] [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Vitaservices,

- débouté Mme [O] [V] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Vitaservices de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté l'Association Campus Vitamine T de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres frais et dépens.

Mme [O] [V] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 8 décembre 2020.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 18 février 2022, Mme [O] [V] demande à la cour de :

- confirmer qu'elle bénéficiait d'un statut protecteur,

- infirmer le jugement déféré pour le surplus,

Sur la rupture du contrat de travail,

A titre principal

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail,

- condamner l'association Campus Vitamine T et la société Vitaservices, in solidum, à lui payer :

- 28'363 euros à titre de dommages et intérêts pour les effets d'un licenciement nul, à défaut pour les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4'727,16 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 472,72 euros au titre des congés payés y afférents,

- 2'363,58'euros pour non-respect de la procédure de licenciement,

A titre subsidiaire,

- juger que son licenciement est nul, à défaut dénué de cause réelle et sérieuse,

- condamner l'association Campus Vitamine T et la société Vitaservices, in solidum, à lui payer :

- 28 363 euros à titre de dommages et intérêts pour les effets d'un licenciement nul, à défaut pour les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 727,16 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 472,72'euros au titre des congés payés y afférents,

- 2 363,58 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,

Sur l'exécution du contrat de travail

- condamner l'association Campus Vitamine T et la société Vitaservices, in solidum, à lui payer 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- ordonner à la société Vitaservices de lui remettre un certificat de travail et une attestation Pôle emploi sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement à venir étant précisé que le juge prud'homal sera compétent pour liquider l'astreinte,

- condamner l'Association Campus Vitamine T et la société Vitaservices, in solidum, à lui payer 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- prononcer la condamnation au paiement de ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, s'agissant des créances de nature salariale ; et à compter du jugement à intervenir s'agissant des créances de nature indemnitaire avec capitalisation des intérêts.

Aux termes de leurs conclusions communes transmises par RPVA le 2 juin 2021, l'association Campus Vitamine T et la société Vitaservices demandent à la cour de :

- confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a estimé que Mme [O] [V] bénéficiait d'un statut protecteur,

- déclarer irrecevable l'ensemble des demandes de Mme [O] [V] à l'encontre de l'association Campus Vitamine T, subsidiairement, la mettre hors de cause,

- débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [O] [V] à leur payer chacune 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [O] [V] aux éventuels dépens.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

En application de l'article 954 du code de procédure civile, il sera observé que la cour n'est saisie d'aucune demande relative à la mutuelle dans le dispositif des dernières conclusions de l'appelante.

Sur la recevabilité des demandes présentées contre l'association Campus Vitamine T

L'association Campus Vitamine T fait valoir qu'elle n'était plus l'employeur de Mme [O] [V] lorsque celle-ci a saisi, à deux reprises, le conseil de prud'hommes de sorte que les demandes de condamnation in solidum présentées à son encontre sont irrecevables.

Mme [O] [V] répond qu'elle est bien fondée à se prévaloir de la violation par l'association Campus Vitamine T, qui a été son employeur, de ses obligations au cours de l'exécution de son contrat de travail et que ses demandes sont parfaitement recevables.

Les demandes de condamnation présentées par Mme [O] [V] ayant trait pour partie à l'exécution du contrat de travail par l'association Campus Vitamine T, ses demandes présentées à son encontre sont recevables.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, et qu'il est licencié ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée.

Aux termes de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Conformément à l'article 1184 ancien du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Un salarié protégé a la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement, par ce dernier à ses obligations.

En l'espèce, l'appelante invoque à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire une situation de harcèlement moral et la violation par l'employeur de son statut de salariée protégée.

- Sur le harcèlement moral

Mme [O] [V] sollicite la résiliation de son contrat de travail aux torts de la société Vitaservices, lui reprochant des faits de harcèlement moral ; elle fait valoir qu'en effet, celle-ci a transféré unilatéralement son contrat de travail à l'Institut de Formation Vitamine T à compter du mois de janvier 2017 alors qu'elle s'y était opposée oralement ; que malgré la réitération du refus de ce transfert par courrier du 18 mai 2017, la société Vitaservices a attendu jusqu'au mois d'octobre 2017 pour régulariser sa situation ; que celle-ci lui a fait subir une pression en l'incitant à la rupture de son contrat de travail et a adopté à son égard un ton méprisant en lui imputant la responsabilité de la dégradation des relations de travail ; que cette situation a eu des effets délétères sur sa santé, et a conduit à son inaptitude.

La société Vitaservices quant à elle conteste tout harcèlement moral à l'encontre de Mme [O] [V]. Elle expose que celle-ci avait été affectée au début de l'année 2016 à un nouveau projet dénommé HUB T, avec son accord, et que s'agissant d'un service transversal au Groupe Vitamine T, il était prévu qu'à la fin de la phase d'expérimentation, Mme [O] [V] deviendrait salariée de l'Institut Formation Vitamine T ; que d'ailleurs Mme [P], affectée au même service, a signé un avenant à son contrat de travail le 2 janvier 2017 emportant transfert de son contrat de travail au sein de cet institut ; que Mme [O] [V] avait accepté ce transfert et ne s'y est jamais opposée avant le mois de mai 2017 ; que celle-ci a été placée en arrêt de travail à compter du 16 janvier 2017 en raison de graves problèmes personnels et non d'un mal-être au travail ; qu'il est faux d'indiquer qu'elle a tardé sans motif légitime à régulariser la situation de Mme [O] [V], puisqu'elle a cherché une solution avec elle, et qu'elle a toujours indiqué qu'elle ne souhaitait pas une rupture du contrat de travail.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L.1154-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [O] [V], salariée au sein de la société Vitaservices depuis 2003 et qui exerçait les fonctions de conseillère en insertion sociale et professionnelle, a été placée en arrêt de travail à compter du 16 janvier 2017 jusqu'à son licenciement pour inaptitude, avec une brève reprise d'une semaine début février 2017.

Le 2 janvier 2017, la société Vitaservices a édité un avenant au contrat de travail de Mme [O] [V] prévoyant son transfert au sein de l'Institut de Formation Vitamine T en qualité de Coach emploi.

Malgré l'absence de signature de cet avenant par la salariée, le transfert de son contrat de travail a été effectif à compter du mois de janvier 2017.

Par courrier du 18 mai 2017, Mme [O] [V] a indiqué à la société Vitaservices qu'elle refusait ce transfert, ainsi qu'elle l'avait déjà indiqué oralement fin janvier 2017.

Elle a été réintégrée dans son poste précédent à compter du 1er octobre 2017.

La lecture des échanges entre Mme [O] [V] et son employeur ne révèle aucun ton méprisant à l'égard de la salariée, dont il est relevé les qualités professionnelles.

En outre, le seul fait pour la société Vitaservices d'avoir précisé dans son courrier du 31 octobre 2017 être ouvert à une discussion sur une rupture du contrat de travail si tel était le souhait de sa salariée ne saurait constituer des pressions en vue de l'inciter à cette rupture.

Ainsi, la matérialité du ton méprisant adopté par l'employeur à l'égard de sa salariée et des pressions en vue de l'inciter à la rupture n'est pas établie.

Cependant, Mme [O] [V], qui a fait l'objet d'arrêts de travail à compter du mois de janvier 2017, dont le contrat de travail a fait l'objet d'un transfert sans son accord exprès à compter du mois de janvier 2017, et qui n'a été réintégrée dans son précédent poste que plus de cinq mois après s'en être plainte auprès de son employeur rapporte bien la preuve de faits qui, pris dans leur ensemble permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Or, avant son arrêt de travail initial, la salariée avait été désignée, avec son accord, en qualité de coordonnateur du projet HUB T, plateforme d'intervention sociales et emplois dont l'expérimentation avait été lancée par le Groupe Vitamine T en mars 2016 ; une autre salariée Mme [P], avait été affectée en interne à l'équipe HUB T et un autre salarié, M [H] avait été recruté en externe.

Les affirmations de la société Vitaservices selon lesquelles il était prévu que les salariés affectés à ce dispositif rejoindraient les effectifs de l'Institut de Formation Vitamine T à la fin de la phase d'expérimentation, sont corroborées par le fait que Mme [P] a signé le 2 janvier 2017 un avenant à son contrat de travail emportant transfert de son contrat de travail à l'Institut de Formation Vitamine T, par l'attestation de Mme [W] qui indique que Mme [O] [V] à la fin de l'année 2016 se réjouissait de rejoindre les effectifs de l'Institut de Formation Vitamine T, et par l'attestation de l'ancien directeur des ressources humaines de la société Vitaservices, M. [K], qui décrit notamment les circonstances du développement du projet HUB T.

Concernant le caractère tardif de la régularisation de la situation de Mme [O] [V], il doit être relevé que suite à son courrier du 18 mai 2017, l'appelante a été reçue par le directeur des ressources humaines le 8 juin 2017 ; que celui-ci lui a écrit le 13 juin 2017 pour lui communiquer un comparatif entre les deux conventions collectives applicables au sein de la société Vitaservices et de l'Institut de Formation Vitamine T, en précisant qu'elle conservait le libre choix de rester au sein de l'Institut de Formation Vitamine T ou de réintégrer la société Vitaservices ; que s'en s'ont suivi des échanges entre la société Vitaservices et le conseil de Mme [O] [V], sans que cette dernière ne prenne position pour l'une ou l'autre de ces options malgré plusieurs relances de l'employeur par mail, et par courrier.

Ainsi, si le consentement de Mme [O] [V] à la réintégration dans son poste précédent n'était pas nécessaire, la société Vitaservices était dans l'attente d'une prise de position de Mme [O] [V] pour procéder à cette réintégration et des pourparlers entre avocats étaient en cours.

Enfin, l'employeur justifie que Mme [O] [V], placée en arrêt de travail de droit commun à compter du mois de janvier 2017, a rencontré de graves problèmes personnels à compter de la fin de l'année 2016 (mise en cause d'un de ses amis pour harcèlement moral, et graves problèmes de santé de son fils).

Il résulte de ces éléments que l'employeur établit bien que le transfert du contrat de travail de Mme [O] [V] sans son accord exprès et le caractère tardif de sa réintégration dans son ancien poste étaient justifiés par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il n'est donc caractérisé aucune situation de harcèlement moral.

La demande de résiliation judiciaire présentée sur ce fondement ne saurait dès lors prospérer.

- Sur la violation du statut de salariée protégée

Mme [O] [V] reproche à la société Vitaservices d'avoir violé le statut protecteur dont elle bénéficiait en qualité de salariée protégée, puisqu'elle était membre élue du CHSCT. Elle fait valoir que ce manquement, par sa gravité, rend impossible la poursuite du contrat de travail ; que si elle a été réintégrée au sein de la société Vitaservices, ce n'est que 10 mois après le transfert de son contrat de travail que cette dernière a régularisé la situation.

La société Vitaservices soutient qu'il n'y a eu aucune violation du statut de salariée protégée de Mme [O] [V], dont le mandat a pris fin le 31 décembre 2016 ; qu'en outre, dans la mesure où il s'agissait d'un transfert volontaire du contrat de travail, l'accord préalable de l'inspecteur du travail n'était pas nécessaire ; qu'il est faux d'indiquer qu'elle a tardé sans motif légitime à régulariser la situation de Mme [O] [V], puisqu'elle a cherché une solution avec elle, et qu'elle a toujours indiqué qu'elle ne souhaitait pas une rupture du contrat de travail ; qu'elle a réintégré Mme [O] [V] à compter du 1er octobre 2017, et que le manquement reproché avait donc cessé à la date à laquelle Mme [O] [V] a saisi le conseil de prud'hommes en résiliation du contrat de travail.

Sur ce,

La résiliation judiciaire prend date au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat de travail n'a pas été rompu avant cette date. Les juges du fond, saisis d'une demande de résiliation judiciaire d'un contrat de travail, disposent d'un pouvoir souverain pour apprécier si les manquements établis à l'encontre de l'employeur sont suffisamment graves pour justifier cette mesure ; ils sont dès lors en droit de tenir compte, dans l'exercice de ce pouvoir, de toutes les circonstances de la cause intervenues jusqu'au jour de leur décision.

Aucune modification de son contrat de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et en cas de refus par celui-ci de cette modification, l'employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l'autorité administrative d'une demande d'autorisation de licenciement.

En l'espèce, Mme [O] [V], dont le mandat d'élu au sein du CHSCT a pris fin le 31 décembre 2016 bénéficiait du statut protecteur attaché à ce mandat 6 mois après l'expiration de celui-ci, soit jusqu'au 30 juin 2017, en application de l'article L.2411-13 du code du travail.

A défaut de signature de l'avenant établi le 2 janvier 2017 par la société Vitaservices et, partant, d'accord exprès manifesté par Mme [O] [V] au transfert de son contrat de travail, il ne peut être valablement soutenu que ce transfert était volontaire ; celui-ci a été réalisé sans l'accord de la salariée et sans aucune demande préalable à l'inspection du travail, et donc en violation de son statut de salariée protégée, ce qui constitue un manquement de l'employeur à ses obligations.

Cependant, il doit être relevé que Mme [O] [V] qui a été placée en arrêt de travail à compter du 16 janvier 2017 et dont le contrat était suspendu n'a jamais exécuté de prestation de travail pour l'Institut de Formation Vitamine T ; qu'en outre, si l'intitulé du nouveau poste attribué différait, sa rémunération restait identique et la convention collective applicable était plus favorable que celle applicable antérieurement (comparatif établi par le service des ressources humaines en juin 2017).

Par ailleurs, le transfert litigieux a été effectué en même temps que celui du contrat d'une autre salariée affectée au dispositif HUB T et en vue de la pérennisation dudit dispositif, et sans qu'aucun élément du dossier ne permette de considérer que l'employeur a entravé dans le passé l'exercice par Mme [O] [V] de son mandat de représentant du personnel, qui avait pris fin antérieurement au transfert.

Pour apprécier si le manquement de l'employeur rend impossible la poursuite du contrat de travail, la cour doit se placer au jour du prononcé de sa décision. Or, Mme [O] [V] a été réintégrée dans son poste précédent plus de trois mois avant qu'elle ne saisisse le conseil de prud'hommes, de sorte qu'elle se retrouvait placée dans la même situation qu'avant son transfert lorsqu'elle a sollicité la résiliation du contrat.

Il doit également être relevé que lorsque Mme [O] [V] a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de résiliation du contrat de travail, elle n'avait plus le statut de salariée protégée depuis plus de sept mois.

Dans ces conditions, le transfert par la société Vitaservices du contrat de travail de Mme [O] [V] en violation de son statut de salarié protégée ne peut à lui seul conduire à considérer que la poursuite de la relation de travail est impossible, et, partant, justifier de résilier le contrat de travail aux torts de l'employeur.

En conséquence, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [O] [V] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de son employeur.

Sur la demande de nullité du licenciement

Faute de caractérisation d'une situation de harcèlement moral, la demande de nullité du licenciement présentée sur ce fondement doit être rejetée.

Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [O] [V] de cette demande.

Sur la contestation du bien fondé du licenciement

Mme [O] [V] fait valoir que son inaptitude trouve son origine dans les manquements de son employeur à son obligation de sécurité ; qu'en effet, celui-ci a transféré unilatéralement son contrat de travail à l'Institut de Formation Vitamine T à compter du mois de janvier 2017 alors qu'elle s'y était opposée oralement ; que malgré la réitération de son refus de ce transfert par courrier du 18 mai 2017, la société Vitaservices a attendu 10 mois pour régulariser sa situation ; qu'il lui a fait subir une pression en l'incitant à la rupture de son contrat de travail et a adopté à son égard un ton méprisant en lui imputant la responsabilité de la dégradation des relations de travail ; que cette situation a eu des effets délétères sur sa santé.

La société Vitaservices conteste tout manquement à son obligation de sécurité et fait valoir qu'il n'est pas démontré de lien entre les reproches formulés par l'appelante et son inaptitude ; qu'en effet, Mme [O] [V] a toujours fait l'objet d'arrêts maladie de droit commun, sachant qu'elle a rencontré à compter de la fin de l'année 2016 de graves problèmes personnels (ami et collègue mis en cause dans une enquête sur un harcèlement au sein de la société et maladie grave diagnostiquée à son fils).

Sur ce,

En l'espèce, Mme [O] [V] a été placée en arrêt de travail pour maladie ordinaire du 16 au 27 janvier 2017, puis à compter du 7 février 2017.

Le 2 mars 2018, Mme [O] [V] a été déclarée inapte par le médecin du travail avec dispense de l'obligation de reclassement au motif que tout maintien de la salariée dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Le seul manquement à ses obligations retenu contre l'employeur est le transfert unilatéral du contrat de travail de Mme [O] [V] à l'Institut de Formation Vitamine T à compter du 1er janvier 2017, ce transfert ayant toutefois été discuté au préalable (en lien avec la création de la plateforme HUB T), et ayant été opéré en même temps que celui du contrat d'une autre salariée affectée à ce projet.

Si Mme [O] [V] impute la dégradation de son état de santé à ses conditions de travail et au comportement de son employeur, elle ne verse aux débats aucun élément antérieur au 18 mai 2017 en ce sens. Mme [O] [V] a fait l'objet d'arrêts de travail de droit commun à compter du 16 janvier 2017, dont il n'est pas produit les éléments d'ordre médicaux justifiant leur délivrance, à l'exception de ceux du 27 octobre 2017 et du 24 novembre 2017 dans lesquels il est uniquement fait état d'une dépression réactionnelle. La seule mention par le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie d'une situation de souffrance au travail (courrier du 22 novembre 2017), ne suffit pas à établir un lien entre l'inaptitude de Mme [O] [V] et le manquement de son employeur, sachant qu'elle a rencontré de graves problèmes personnels à compter de la fin de l'année 2016.

Dans ces conditions, il n'est pas démontré que l'inaptitude de Mme [O] [V] a pour origine le manquement de son employeur à ses obligations.

La demande de l'appelante tendant à ce que son licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse doit en conséquence être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la demande d'indemnisation pour non respect de la procédure de licenciement

Mme [O] [V] forme dans le dispositif de ses conclusions une demande de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement sans toutefois soulever de moyen au soutien de cette demande dans le corps de ses conclusions. Celle-ci doit dès lors nécessairement être rejetée.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé sur ce point.

Sur la demande d'indemnisation pour harcèlement moral

En l'absence de caractérisation d'une situation de harcèlement moral, la demande de dommages et intérêts présentée sur ce fondement doit être rejetée.

Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé sur ce point.

Sur la communication des documents

Mme [O] [V] ayant été déboutée de l'ensemble de ses demandes, il n'y a pas lieu d'ordonner la communication de nouveaux documents de fin de contrat. Cette demande sera donc rejetée, le jugement entrepris étant confirmé.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

Le jugement de première instance sera confirmé concernant le sort des dépens et l'indemnité de procédure.

Mme [O] [V], qui succombe à l'instance au sens de l'article 696 du code de procédure civile sera condamnée aux dépens.

Au regard de la disparité dans les situations financières respectives de l'appelante et des intimées, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la société Vitaservices et l'association Campus Vitamine T la charge des frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés en cause d'appel pour faire valoir leurs droits. Elles seront dès lors déboutées de leur demande d'indemnité de procédure présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement rendu le 5 novembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Lille sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [O] [V] présentées contre l'association Campus Vitamine T;

Statuant à nouveau,

DECLARE recevables les demandes présentées par Mme [O] [V] contre l'association Campus Vitamine T ;

DEBOUTE Mme [O] [V] de ses demandes présentées contre l'association Campus Vitamine T ;

CONDAMNE Mme [O] [V] aux dépens ;

DEBOUTE la société Vitaservices et l'association Campus Vitamine T de leur demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

Annie LESIEUR

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale d salle 2
Numéro d'arrêt : 20/02352
Date de la décision : 27/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-27;20.02352 ?
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