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26/01/2023 | FRANCE | N°22/01676

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 26 janvier 2023, 22/01676


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 26/01/2023



****





N° de MINUTE : 23/31

N° RG 22/01676 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UGSF



Jugement (N° 20/02482) rendu le 17 Mars 2022 par le Président du tribunal judiciaire de Valenciennes







APPELANT



Monsieur [B] [H] assisté de sa curatrice Madame [E] [S], domicilié [Adresse 2])

né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 7

]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 4]



Représenté par Me Christelle Mathieu, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué,(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numér...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 26/01/2023

****

N° de MINUTE : 23/31

N° RG 22/01676 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UGSF

Jugement (N° 20/02482) rendu le 17 Mars 2022 par le Président du tribunal judiciaire de Valenciennes

APPELANT

Monsieur [B] [H] assisté de sa curatrice Madame [E] [S], domicilié [Adresse 2])

né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me Christelle Mathieu, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué,(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 591780022022003795 du 22/04/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

INTIMÉE

SA Societe Generale représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Martine Vandenbussche, avocat au barreau de Lille, avocat constitué substitué par Me Playoust, avocat au barreau de Lille

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de Chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 17 novembre 2022 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 octobre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

À compter de janvier 2015, M. [B] [H] a effectué une série de virements pour un montant global de 26 750 euros à partir de son compte ouvert auprès de la SA Société générale, au profit de plusieurs sociétés se présentant sur internet comme spécialisées dans les placements boursiers à haut rendement et prétendument domiciliées à Londres. Recontacté par de nouvelles sociétés après avoir échoué à joindre celles au profit desquelles il avait antérieurement procédé à des virements, il a ainsi successivement procédé jusqu'en janvier 2016 à des ordres de virement dans l'espoir de récupérer les sommes d'ores et déjà versées.

Le 17 février 2016, il a déposé plainte à l'encontre de ces différentes sociétés pour abus de confiance.

Ses demandes amiables de remboursement du montant des ordres successifs de virement exécutés par sa banque ont été rejetées.

Par jugement du 19 avril 2018, il a été placé sous curatelle pour une durée de soixante mois, en considération d'un certificat médical datant du 27 novembre 2017.

Le 2 septembre 2020, M. [H] a engagé une action en responsabilité à l'encontre de la Société générale.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 17 mars 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :

1- déclaré irrecevable la demande de M. [H] fondée sur l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,

2- débouté M. [H] de sa demande de remboursement et de sa demande de dommages et intérêts,

3- débouté la Société générale de sa demande de dommages et intérêts,

4- déclaré en équité n'y avoir lieu à faire application de l'article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, substitué à l'article 700 du code de procédure civile,

5- condamné M. [H] aux seuls dépens effectivement exposés par la SA Société Générale en vertu de l'article 696 du code de procédure civile et de l'article 42, alinéa 1 er, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 6 avril 2022, M. [H] a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement. 1, 2, 4 et 5 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 4 mai 2022, M. [H], assisté de sa curatrice, demande à la cour, au visa des L. 133-24, L. 133-18 du code monétaire et financier et de l'article 1240 du code civil d'infirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions ;

en conséquence :

- juger que la Société générale a failli à son obligation de rembourser les sommes prélevées consécutivement à une infraction pénale et juger que la Société générale a failli à son devoir de vigilance ;

en conséquence :

- la condamner à lui verser les sommes suivantes :

* 33 285 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2016 en remboursement des sommes indument prélevées ;

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

- la condamner à verser à Maître Christelle Mathieu une indemnité de procédure de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 - 2° du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de ses prétentions, il fait valoir que :

- la banque a manqué à son obligation de vigilance qui l'oblige nonobstant le principe de non-ingérence à refuser d'exécuter ou de favoriser des opérations manifestement anormales : l'anormalité consiste en l'espèce à avoir effectué des virements à l'étranger pour un montant de 26 750 euros sur une période de 12 mois, alors que sa pratique bancaire antérieure n'avait jamais répondu à de telles circonstances ; la banque devait l'alerter, alors qu'il était fragilisé d'un point de vue psychique et neurologique.

- en qualité de dépositaire, la banque engage sa responsabilité ;

- il subit un préjudice à la fois financier et moral.

4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 26 juillet 2022, la Société générale, intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa des articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier et de l'article 1382 (ancien) devenu 1240 du code civil, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

et statuant à nouveau de :

' juger qu'elle n'a commis aucun manquement ayant causé le préjudice allégué par M. [H] ;

' débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes,

fins, moyens et prétentions ;

=$gt; subsidiairement,

' juger que M. [H] a agi avec une légèreté blâmable et une négligence fautive qui ont directement concouru à la réalisation des préjudices dont il sollicite l'indemnisation ; et en conséquence,

' juger qu'elle est exonérée de toute responsabilité ;

' débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions ;

=$gt; en tout état de cause,

' condamner M. [H] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

' condamner M. [H] à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure de première instance ;

' condamner M. [H] à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;

' condamner M. [H] aux entiers frais et dépens d'instance.

A l'appui de ses prétentions, la Société générale fait valoir que :

- elle a l'obligation de s'abstenir de s'immiscer dans la gestion du compte et dans les affaires de son client ;

- les virements effectués par M. [H] ne présentait aucune apparente anormalité, alors que le Forex, sur lequel opérait son client, est un marché des changes non régulés qui n'est pas illicite et n'impose par conséquent aucune obligation particulière de vigilance par le banquier ; il ne lui appartenait pas d'alerter M. [H] sur le caractère inopportun ou dangereux des virements effectués ; les virements émanaient de façon certaine de M. [H], qui a admis avoir utilisé sa carte bancaire pour y procéder ; la mention «'commerce électronique'» figurant sur les ordres de virement n'étaient pas de nature à attirer son attention ; les virements ont été réalisés vers des comptes ouverts dans des établissements bancaires situés dans des Etats n'imposant aucune vigilance particulière au regard de risques signalés pour des investissements ; les avertissements de l'autorité monétaire et financière sur la dangerosité de ce type d'investissements sont postérieurs aux virements litigieux et n'ont pas été adressés spécifiquement aux banques ; les virements ne sont pas incompatibles avec la pratique bancaire antérieure de son client, alors qu'ils se sont déroulés sur plusieurs exercices, n'ont jamais conduit à un solde débiteur du compte et étaient cohérent avec la situation patrimoniale de M. [H] ; la curatelle renforcée est postérieure de trois ans aux mouvements critiqués ; M. [H] dispose d'un niveau d'études et d'une expérience professionnelle qui lui permettent d'investir sur des plateformes de trading ;

- sa responsabilité en qualité de dépositaire ne peut être engagée, alors qu'en application de l'article L. 133-16 du code monétaire et financier, une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.

- M. [H] a commis une faute de nature à exonérer le banquier de sa responsabilité, alors qu'il a continué à procéder à des virements selon le même mode opératoire en dépit de ses déconvenues successives. Seule sa négligence et son imprudence ont causé son préjudice, alors qu'il était éclairé sur les risques qu'il prenait.

- en tout état de cause, le préjudice subi est constitué par une perte de chance, de sorte qu'il ne correspond pas au montant intégral des montants litigieux.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité de la Société Générale :

Les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants :

' sur la période des opérations ligitieuses, M. [H] n'était soumis à aucun régime d'incapacité et son établissement bancaire n'avait aucun motif de douter de l'intégrité de son consentement à procéder à de tels virements. Sur un plan technique, les virements sont intervenus alors qu'aucune fraude dans l'authentification nécessaire à la passation des ordres de virement n'est alléguée par M. [H]. Ce dernier ne démontre ainsi pas que ces virements s'analysent comme des opérations non autorisées au sens de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier ;

' les opérations litigieuses portent sur des montants limités et se déroulent périodiquement sur une durée d'environ un an, de sorte que M. [H] ne justifie pas qu'elles s'analysent comme une anomalie par rapport au fonctionnement antérieur de son compte bancaire, qui aurait dû alerter la banque et provoquer une mise en garde de son titulaire ; lorsque les montants virés sont plus élevés, M. [H] procède à un virement depuis un autre compte pour conserver un solde créditeur, ce qui atteste d'un suivi régulier de l'évolution du compte litigieux (le 14 octobre 2015, avec un virement de 15 000 euros, après trois virements à destination d'une société établie au Royaume Uni pour un montant global de 14 000 euros) ; ces opérations sont en outre compatibles avec le profil de ce client, qui est notamment cogérant d'une société commerciale ayant pour objet la gestion des titres et valeurs mobilières françaises ou étrangères depuis 1998 ;

' la seule circonstance que ces virements soient réalisés à destination de sociétés étrangères ne suffit pas à imposer à la banque une telle obligation d'intervenir dans la libre gestion par son client de ses propres comptes, en l'absence de toute situation d'anomalie apparente de l'opération globale ou de signalement propre à la société bénéficiaire des virements. Sur ce point, si la liste dressée par l'AMF fait notamment apparaître le site www.activmarkets.com parmi ceux qui ne sont pas autorisés à proposer du Forex, cette liste résulte d'une mise à jour datant du 27 mai 2016, de sorte qu'il n'est pas établi qu'entre le 12 janvier 2015 eet le 6 janvier 2016, ce site figurait sur une telle liste. Le principe de non-ingérence du banquier doit par conséquent s'appliquer pleinement à l'espèce, de sorte que la responsabilité de la Société Générale ne peut être engagée du fait de telles opérations.

Sur la demande au titre d'une procédure abusive :

En application de l'article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu'un préjudice en résulte.

En l'espèce, M. [H] a engagé une action en responsabilité à l'encontre de sa banque, qui ne repose sur aucun argumentaire sérieux, alors que le préjudice qu'il invoque résulte en outre de sa seule faute personnelle.

La cour observe notamment que M. [H] a :

- engagé d'une part une action en responsabilité à l'encontre de son banquier en dépit de l'avis fourni par le médiateur exerçant auprès de cet établissement bancaire,

- formé d'autre part appel d'un jugement clairement motivé, dont la critique ne repose en réalité que sur l'existence d'une infraction qu'il aurait subie en raison de sa seule incurie dans la recherche d'un profit financier.

Dans ces conditions, le jugement ayant débouté la Société Générale de sa demande indemnitaire est infirmé. M. [H] est condamné à payer 500 euros à titre de dommages-intérêts à la Société Générale.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner M. [H], outre aux entiers dépens d'appel, à payer à la Société Générale la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 17 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Valenciennes SAUF en ce qu'il a débouté la SA Société Générale de sa demande de dommages-intérêts ;

Statuant à nouveau de ce seul chef et y ajoutant':

Dit que M. [B] [H] a engagé abusivement une action en responsabilité à l'encontre de la SA Société Générale ;

Condamne par conséquent M. [B] [H], assisté de sa curatrice Mme [E] [S], à payer la somme de 500 euros à la SA Société Générale à titre de dommages-intérêts;

Condamne M. [B] [H], assisté de sa curatrice Mme [E] [S], aux dépens d'appel ;

Condamne M. [B] [H], assisté de sa curatrice Mme [E] [S], à payer à la SA Société Générale la somme de 1'500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/01676
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;22.01676 ?
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