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26/01/2023 | FRANCE | N°22/00251

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 26 janvier 2023, 22/00251


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 26/01/2023



****



N° de MINUTE :23/23

N° RG 22/00251 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UB2N



Jugement (N° 20/00045) rendu le 23 Novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer



APPELANTS



Maître [F] [E] Maître [F] [E] est membre de la Société d'Exercice Libéral à Responsabilité Limitée dénommée 'Office notarial [F] [E]'

[Adresse 5]>
[Localité 10]



SELARL Office Notarial [F] et [Y] [E]

[Adresse 5]

[Localité 10]



Compagnie d'assurance Mma Iard Assurances Mutuelles agissant en la personne de son représentant léga...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 26/01/2023

****

N° de MINUTE :23/23

N° RG 22/00251 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UB2N

Jugement (N° 20/00045) rendu le 23 Novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer

APPELANTS

Maître [F] [E] Maître [F] [E] est membre de la Société d'Exercice Libéral à Responsabilité Limitée dénommée 'Office notarial [F] [E]'

[Adresse 5]

[Localité 10]

SELARL Office Notarial [F] et [Y] [E]

[Adresse 5]

[Localité 10]

Compagnie d'assurance Mma Iard Assurances Mutuelles agissant en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

SA Mma Iard

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentés par Me Vincent Troin, Avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué, substitué par Me Bruno Wecxsteen, avocat au barreau de Lille

INTIMÉS

Monsieur [K] [R]

né le [Date naissance 4] 1954 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 3]

Madame [W] [O] épouse [R]

née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentés par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Francois Blangy, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 16 novembre 2022, tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé, en audience publique, par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023, (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 6 octobre 2022

Communiquées aux parties le 12 octobre 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 octobre 2022

****

Exposé du litige

Par acte authentique du 10 et 29 décembre 2014, M. [J] [R] et Mme [V] [O] épouse [R] ont consenti une donation au profit de leurs enfants, [U] et [P] [R], cet acte ayant été reçu par Mme [F] [E], notaire, membre de la SELARL [F] & [Y] [E], à [Localité 10].

La donation portait sur la pleine propriété de 8'000 actions de la société Score-Se pour une valeur totale de 205'800 euros.

Par un courrier du 22 février 2018, l'administration fiscale a notifié à M. et Mme [R] un redressement pour l'année 2014 en matière d'impôt sur le revenu et de prélèvement sociaux à hauteur de la somme 104'099 euros, cette somme ayant été intégralement payée par les époux [R] le 11 juin 2018.

Reprochant au notaire l'absence d'information sur les conséquences fiscales de la donation, M. et Mme [R] ont fait attraire Mme [E] ainsi que ses assureurs de responsabilité civile, les sociétés MMA et MMA IARD Assurances Mutuelles, en responsabilité et réparation.

Par un jugement du 23 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer a':

- condamné solidairement Mme [F] [E] et la SELARL [F] et [Y] [E] in solidum avec la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à M. et Mme [R] la somme de 100'439 euros

- condamné in solidum Mme [F] [E], la SELARL [F] et [Y] [E], la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles aux dépens avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

- condamné in solidum Mme [F] [E], la SELARL [F] et [Y] [E], la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à M. et Mme [R] la somme de 5'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration au greffe du 17 janvier 2022, Mme [F] [E], la SELARL [F] et [Y] [E] et la société MMA IARD Assurances Mutuelles ont formé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai non contestées, dans toutes ses dispositions.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 15 avril 2022, Mme [F] [E], la SELARL [F] et [Y] [E], la société MMA IARD et la société IARD Assurances Mutuelles demandent à la cour, au visa des articles 1240 du code civil et 6, 9, 32-1 du code de procédure civile de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer le 23 novembre 2021

Statuant à nouveau':

- à titre principal': débouter M. et Mme [R] de l'ensemble de leurs demandes

- à titre subsidiaire': réduire leur préjudice à la somme de 14'303 euros

- plus subsidiairement': juger qu'un partage de responsabilité devra être opéré entre Mme [E] d'une part et M. et Mme [R] d'autre part et réduire le préjudice de ces derniers à la somme de 52'049,50 euros

- en toute hypothèse': condamner M. et Mme [R] à payer à Mme [E] la somme de 5'000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Dans leurs conclusions notifiées le 13 octobre 2022, M. et Mme [R] demandent à la cour'de':

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions

- y ajoutant : condamner solidairement Mme [F] [E], la SELARL [F] et [Y] [E], la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à leur payer la somme de 10'000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 17 octobre 2022.

MOTIFS

Sur la responsabilité du notaire

Sur la faute

Mme [E] reproche au jugement critiqué d'avoir retenu sa responsabilité aux motifs que sa faute n'est pas établie, précisant que les époux [R] ont sciemment omis de l'informer de leur situation.

M. et Mme [R] reprochent à celle-ci des manquements à son devoir de conseil et à l'obligation d'information incombant au notaire rédacteur d'acte.

En application de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours.

Il incombe au notaire de rapporter la preuve de ce qu'il a rempli son obligation de conseil à l'égard de son client.

Il est constant que Mme [E] a établi l'acte de donation qui a été à l'origine d'un redressement fiscal.

La proposition de rectification du 7 novembre 2017 précise, qu'en matière d'actions gratuites, l'impôt est dû au titre de l'année au cours de laquelle le bénéficiaire des actions les a cédées, ce en application de l'article 80 quaterdecies du code général des impôts et l'avantage correspondant à la valeur à la date d'acquisition des actions est imposé à 30%.

Ainsi, la donation consentie par les époux [R] qui portait sur des actions gratuites valait cession et était donc soumise à l'impôt sur le revenu.

M. [R] confirme qu'au cours des années 2009-2010, il a bénéficié de l'attribution à titre gratuit de 8'000 actions de son ancien employeur, la société Score-SE.

Mme [E] soutient que les époux [R] ne l'ont pas informée de l'origine de ces actions ni de la qualité d'ancien salarié de la société Scor-Se de M. [R] ajoutant que ce dernier, qui exerce l'activité de directeur administratif et financier de la société de réassurance Scor Global P&C SE et était assisté d'un conseiller patrimonial au moment de la donation, avait parfaitement connaissance du caractère imposable des actions litigieuses et a volontairement tu ces informations.

Il ressort du courriel du 25 novembre 2014 adressé au notaire que les époux [R] étaient en effet assistés d'un conseiller de la société Lisse Versickel qui demandait la finalisation de l'acte de donation avant le 31 décembre «'ISF oblige'».

Toutefois, la présence d'un conseiller personnel au côté d'un client ne peut dispenser le notaire de son devoir de conseil.

De même,'le notaire, professionnellement tenu d'informer et d'éclairer les parties sur les incidences fiscales des actes qu'il établit, ne peut être déchargé de son devoir de conseil envers son client par les compétences personnelles de celui-ci.

Ainsi, la qualité de directeur administratif et financier de M. [R] est sans incidence sur l'étendue du devoir de conseil du notaire étant en outre précisé que cette qualité ne lui confère pas celle de spécialiste en matière fiscale notamment en matière de donation d'actions dans le cadre particulier d'un plan d'attribution d'actions gratuites.

Par ailleurs, le notaire est tenu d'établir un acte qui réalise exactement le but poursuivi par son client et dont les conséquences sont pleinement conformes à celles qu'il se proposait d'atteindre.

Mme [E], ayant parfaitement connaissance du but poursuivi par les donateurs, à savoir échapper à l'impôt sur les fortunes, était tenue de vérifier, par le recueil d'informations utiles, la portée et les effets de l'acte de donation et notamment ses conséquences fiscales.

A cet égard, si, comme le fait valoir Mme [E], l'acte comporte les indications relatives à l'origine des actions, encore que seules la nature et la valeur de ces actions étaient décrites, ces informations se révèlent manifestement incomplètes dès lors que le régime fiscal applicable à une donation de titres ainsi consentie par les époux [R] impliquait de vérifier les modalités d'acquisition de ces valeurs mobilières ce qui aurait permis d'avertir les donateurs de toutes les conséquences prévisibles que peut entraîner l'acte juridique projeté, et, en particulier, la soumission à l'impôt sur le revenu des actions obtenues par un salarié dans le cadre d'un plan d'attribution d'actions gratuites, la donation valant cession dans ce cas, ce qui n'apparaît pas dans l'acte qu'elle a régularisé.

Mme [E], qui connaissait le projet fiscal des époux [E], n'établit pas qu'elle a interrogé ces derniers sur l'origine de ces actions pas plus qu'elle ne démontre que ceux-ci ont sciemment caché ces informations sur cet aspect alors qu'il résulte du courriel précité du conseiller de M. [R] que les éléments nécessaires à la donation lui ont été communiqués ce dont elle ne justifie pas dans le cadre de la présente procédure.

La prétendue faute intentionnelle de M. [R] n'est pas davantage caractérisée par les termes de la proposition de rectification dont Mme [E] s'approprie la motivation relative à l'application des pénalités pour manquement délibéré.

Si, pour l'application de la majoration, l'administration fiscale retient les fonctions exercées par M. [R] et le bénéfice de nombreux plans d'attribution d'actions gratuites ou d'options d'achat depuis 2005 pour en conclure que celui-ci avait nécessairement connaissance du caractère imposable de la donation de ses actions, elle a, le 22 février 2018, notifié aux époux [R] l'abandon des sanctions au regard des observations formulées par ces derniers.

La faute de Mme [E] résultant d'un manquement à son obligation de conseil est ainsi caractérisée sans que celle-ci ne puisse valablement se prévaloir d'une faute totalement ou partiellement exonératoire de sa responsabilité civile professionnelle de la part des époux [R] de sorte que sa demande infiniment subsidiaire de partage de responsabilité sera rejetée.

Sur le préjudice

Le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale ne constitue pas un dommage indemnisable sauf s'il est établi que, dûment informé ou conseillé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre.

Mme [E] soutient que le préjudice des époux [R] est inexistant dans la mesure où ils auraient consenti la donation même informés de ses conséquences fiscales dès lors qu'ils souhaitaient échapper à l'impôt sur la fortune de sorte que l'impôt était en toute hypothèse dû. Elle ajoute que l'avantage fiscal recherché a bien été obtenu.

Il n'est pas contesté qu'au titre du redressement fiscal résultant de l'acte de donation, les époux [R] se sont acquittés du paiement de la somme de 100'439 euros incluant les intérêts de retard et les prélèvements sociaux, ce qui, comme ils le soulignent, représente près de la moitié du montant de la donation consentie à leurs deux enfants.

Mais, un tel redressement ne correspond pas au paiement d'un impôt qui aurait été dû quelles que soient les circonstances puisque, compte tenu de leur patrimoine, dont justifient les époux [E], il est certain qu'ils disposaient de solutions alternatives pour parvenir à leur objectif fiscal.

En effet, il ressort des relevés de compte communiqués qu'ils disposaient d'autres actifs, notamment un compte-titres crédité de la somme totale de 228'767 euros au 31 décembre 2014 susceptible de faire l'objet d'une donation sans imposition sur leurs revenus et répondant à leur souhait de diminuer l'impôt sur la fortune.

Le redressement fiscal opéré par l'administration est donc bien la conséquence directe de la faute du notaire.

Dès lors, la responsabilité de Mme [E] sur le fondement de l'article 1240 du code civil est encourue.

Le préjudice des époux [R] est caractérisé et correspond au paiement des sommes dans le cadre du redressement fiscal consécutif à la donation de titres litigieuse.

Ce préjudice ne saurait être réduit, comme le demande à titre subsidiaire Mme [E], aux seuls intérêts de retard et majoration représentant la somme de 14'303 euros dès lors que d'autres solutions envisageables auraient permis d'éviter l'imposition sur les revenus de la donation litigieuse.

Par ailleurs, la responsabilité de la SELARL [F] & [Y] [E] de même que le principe de la garantie des assureurs de Mme [E] ne sont pas discutés.

Dès lors, Mme [E] sera condamnée solidairement avec la SELARL [F] & [Y] [E] et in solidum avec la société MMA Iard et la société MMA Iard Assurances Mutuelles à payer aux époux [R] la somme de 100'439 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Le jugement querellé sera donc confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application.

L'équité commande de faire droit aux prétentions des époux [R] au titre de leurs frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours et de condamner in solidum Mme [E], la SELARL [F] & [Y] [E], la société MMA Iard et la société MMA Iard Assurances Mutuelles au paiement de la somme de 3'000 euros à ce titre.

Mme [E], la SELARL [F] & [Y] [E], la société MMA Iard et la société MMA IARD Assurances Mutuelles, qui succombent, doivent supporter la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour'

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer ;

Y ajoutant :

Condamne solidairement Mme [F] [E] et la SELARL [F] & [Y] [E] in solidum avec la société MMA Iard et la société MMA IARD Assurances Mutuelles aux dépens d'appel';

Condamne solidairement Mme [F] [E] et la SELARL [F] & [Y] [E] in solidum avec la société MMA Iard et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à M. [K] [R] et Mme [W] [O] épouse [R] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/00251
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;22.00251 ?
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