République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 2
ARRÊT DU 26/01/2023
N° de MINUTE : 23/85
N° RG 21/05485 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T5QW
Jugement (N° 21/00086) rendu le 13 Octobre 2021 par le Tribunal de proximité de Calais
APPELANTE
Sa [4] Société Anonyme à conseil d'administration
[Adresse 2]
Représentée par Me Alex Dewattine, avocat au barreau de Boulogne sur Mer substitué par Me Lucien Deleye, avocat
INTIMÉS
Madame [T] [L]
née le 15 Septembre 1996 à [Localité 5] - de nationalité Française
[Adresse 1]
Monsieur [B] [U]
né le 09 Septembre 1993 à [Localité 5] - de nationalité Française
[Adresse 1]
Non comparants, ni représentés
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience
DÉBATS à l'audience publique du 23 Novembre 2022 tenue par Danielle Thébaud magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, en application de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile , les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 805 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Gaëlle Przedlacki
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique Dellelis, président de chambre
Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Danielle Thébaud, conseiller
ARRÊT RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Véronique Dellelis, président et Gaëlle Przedlacki, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement réputé contradictoire prononcé par le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Calais, statuant en matière de surendettement des particuliers, le 13 octobre 2021,
Vu l'appel interjeté le 26 octobre 2021,
Vu le procès-verbal de l'audience du 23 novembre 2022,
***
Suivant déclaration enregistrée le 1er septembre 2020 au secrétariat de la Banque de France, Mme [T] [L] et M. [B] [U] ont déposé un dossier et demandé le bénéfice des mesures de traitement des situations de'surendettement'des particuliers, ne parvenant pas à s'acquitter de leurs dettes en raison de l'absence de ressources mensuelles suffisantes et des dépenses nécessaires pour satisfaire aux besoins de la vie courante.
Le 10 décembre 2020, après examen de la situation des consorts [L] - [U] dont les dettes ont été évaluées à la somme de 23 824,40 euros, les ressources mensuelles à 1 760 euros et les charges mensuelles à 2 199'euros, la commission qui a déterminé un minimum légal à laisser à la disposition des débiteurs de 1 508,48 euros, une capacité de remboursement négative de - 439 euros et un maximum légal de remboursement de 251,52 euros, a retenu une mensualité de remboursement de 0 euros, a déclaré leur demande recevable, et estimant que leur situation était irrémédiablement compromise, a décidé de l'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire dans sa séance du 11 février 2021.
Par courrier recommandé en date du 12 février 2021 adressé à la commission, la [4] ([4]), a formé un recours contre cette décision qui lui a été notifiée le 12 février 2021, contestant le caractère irrémédiablement compromis de la situation des débiteurs.
À l'audience du 1er septembre 2021, le [4] n'a pas comparu mais a fait valoir ses observations à l'appui de son recours par courrier recommandé reçu au tribunal le 29 juin 2021, exposant les motifs de son recours et en a adressé copie à aux débiteurs conformément aux dispositions de l'article R.7l 3-4 du code de la consommation.
Mme [T] [L] a comparu en personne munie d'un pouvoir pour représenter M. [B] [U]. Elle a indiqué que son compagnon avait trouvé un emploi en contrat à durée déterminée de 6 mois au sein de la société [3], et qu'elle était en recherche d'emploi. Elle a précisé que les ressources du couple étaient de l'ordre de 1760 euros (en ce compris 460 euros au titre des prestations familiales), et les charges, retenues par la commission à hauteur de 2199 euros, étaient significatives, compte tenu des deux jeunes enfants à charge.
Les créanciers n'ont pas comparu, et n'ont été représentés.
Par jugement en date du 13 octobre 2021, le juge des contentieux de la protection de Calais statuant en matière de surendettement des particuliers, saisi du recours, formé par le [4], à l'encontre des mesures imposées par la commission de surendettement des particuliers du Pas de Calais le 11 février 2021, a
notamment :
- déclaré recevable le recours formé par le [4] ;
- constaté que la situation personnelle des consorts [L] et [U] était irrémédiablement compromise ;
- prononcé le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire de Mme [T] [L] et M. [B] [U] ;
- laissé les dépens à la charge du trésor.
Le [4] a relevé appel le 26 octobre 2021 de ce jugement, qui lui a été notifié le 15 octobre 2021.
A l'audience de la cour du 23 novembre 2022, le [4] était représenté par son conseil qui a déposé des conclusions à l'audience auxquelles il s'est rapporté et qu'il a développé oralement, il a demandé à la cour d'infirmer la décision dont appel, de constater que la situation des débiteurs n'était pas irrémédiablement compromise, et sollicité la mise en place d'un moratoire afin de leur permettre de trouver un emploi. Il a fait valoir que les débiteurs étaient jeunes pour être âgés de 25 et 28 ans ; qu'il s'agissait de leur premier dossier ; que M. [U] était pontier, et possédait donc une technicité particulière lui permettant de trouver un emploi, et que si Mme [L] n'avait pas de formation, une multitude d'emplois ne requérait aucune formation particulière. Il a souligné que M. [U] avait d'ailleurs trouvé un emploi à durée déterminée à la précédente audience.
Mme [L] régulièrement convoquée à personne et M. [U] n'ont pas comparu, ni personne pour les représenter. Le courrier recommandé adressé par le greffe à M. [U] étant revenu en portant la mention «destinataire inconnu à l'adresse».
Les intimés régulièrement convoqués par le greffe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, n'ont pas comparu ni personne pour les représenter.
MOTIFS
1- Sur les créances
Selon l'article L. 733-12 du code de la consommation, le juge saisi de la'contestation'des'mesures'imposées'par'la'commission'peut vérifier, même d'office, la validité des créances et des titres qui les constatent ainsi que le montant des sommes réclamées.
En l'espèce, compte tenu du montant non contesté des créances retenues par le premier juge, le passif de Mme [T] [L] et de M. [B] [U], sera fixé à la somme de 23 824,40 euros, étant précisé qu'en tout état de cause, les versements effectués par Mme [T] [L] et M. [B] [U] en cours de procédure qui n'auraient pas été pris en compte, s'imputeront sur les montants des créances concernées.
2- Sur la situation de surendettement
Aux termes de l'article L 733-10 du code de la consommation, «'une partie peut contester devant le juge des contentieux de la protection, dans un délai fixé par décret, les mesures imposées par la commission en application des articles L 733-1, L 733-4 ou L 733-7. »
Aux termes de l'article L 733-13 du code de la consommation, "le juge saisi de la contestation prévue à l'article L 733-10 prend tout ou partie des mesures définies aux articles L 733-1, L 733-4 et L 733-7. Dans tous les cas, la part des ressources nécessaires aux dépenses courantes du ménage est déterminée dans les conditions prévues à l'article L 731-2. Elle est mentionnée dans la décision. Lorsqu'il statue en application de l'article L 733-10, le juge peut en outre prononcer un redressement personnel sans liquidation judiciaire."
Lorsqu'un débiteur se trouve dans l'impossibilité d'apurer sa situation de surendettement par la mise en 'uvre des mesures de traitement prévues aux articles L 732-1, L 733-1, L 733-4 et L 733-7, il est dans une situation irrémédiablement compromise au sens de l'article L 724-1 du code de la consommation et est fondé, s'il ne dispose d'aucun bien de valeur au sens de l'article L 724-1 du code de la consommation, à bénéficier d'une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.
Aux termes de l'article L 731-1 du code de la consommation, 'le montant des remboursements est fixé, dans des conditions précisées par décret en conseil d'État, par référence à la quotité saisissable du salaire telle qu'elle résulte des articles L 3252-2 et L 3252-3 du code du travail, de manière à ce que la part des ressources nécessaires aux dépenses courantes du ménage lui soit réservée par priorité.'
Aux termes de l'article L 731-2 du code de la consommation, 'la part des ressources nécessaires aux dépenses courantes du ménage ne peut être inférieure, pour le ménage en cause, au montant forfaitaire mentionné à l'article L 262-2 du code de l'action sociale et des familles. Elle intègre le montant des dépenses de logement, d'électricité, de gaz, de chauffage, d'eau, de nourriture et de scolarité, de garde et de déplacements professionnels ainsi que les frais de santé.'
Selon l'article R 731-1 du code de la consommation, 'pour l'application des dispositions des articles L 732-1, L 733-1 et L 733-4, la part des ressources mensuelles du débiteur à affecter à l'apurement de ses dettes est calculée, dans les conditions prévues aux articles L 731-1, L 731-2 et L 731-3, par référence au barème prévu à l'article R 3252-2 du code du travail. Toutefois, cette somme ne peut excéder la différence entre le montant des ressources mensuelles réelles de l'intéressé et le montant forfaitaire du revenu de solidarité active mentionné au 2° de l'article L 262-2 du code de l'action sociale et des familles applicable au foyer du débiteur.'
Il résulte de ces articles que le montant des remboursements à la charge du débiteur, dans le cadre des mesures de traitement de sa situation de surendettement, doit être fixé par référence à la quotité saisissable du salaire telle qu'elle résulte des articles L. 3252-2 et L. 3252-3 du code du travail, de manière à ce qu'une partie des ressources nécessaires aux dépenses courantes du débiteur, égale au moins au montant forfaitaire du revenu de solidarité active dont il disposerait, lui soit réservée par priorité et à ce qu'il n'excède pas la différence entre le montant des ressources mensuelles réelles de l'intéressé et le montant du revenu de solidarité active.
Le juge apprécie la situation du débiteur au regard des éléments dont il dispose au jour où il statue.
En l'espèce, en l'absence de documents actualisés produits par les débiteurs concernant leurs ressources et charges, il convient de retenir, au vu des pièces du dossier, que les ressources mensuelles du couple sont de l'ordre de 1760 euros.
Les revenus mensuels du couple s'élevant en moyenne à 1760 euros, la part saisissable déterminée par les articles L. 3252-2 et L. 3252-3 du code du travail s'établit à 225,20 euros par mois.
Le montant du revenu de solidarité active pour un couple avec deux enfants s'élève à la somme de 1256,93 euros.
Le montant des dépenses courantes des débiteurs, qui ont deux enfants à charge âgés de 7 et 3 ans, doivent être évalué, au vu des éléments du dossier, à la somme mensuelle de 2234 euros (en ce compris le forfait pour les dépenses d'alimentation, d'hygiène et d'habillement et le forfait chauffage actualisés).
Au regard des revenus et des charges de Mme [T] [L] et M. [B] [U], il y a lieu de considérer que ces derniers ne disposent d'aucune capacité de remboursement.
En application de l'article'L 733-1'du code de la consommation, le juge des contentieux de la protection saisi d'une contestation des mesures imposées par la commission peut':
«1° Rééchelonner le paiement des dettes de toute nature, y compris, le cas échéant, en différant le paiement d'une partie d'entre elles, sans que le délai de report ou de rééchelonnement puisse excéder sept ans ou la moitié de la durée de remboursement restant à courir des emprunts en cours ; en cas de déchéance du terme, le délai de report ou de rééchelonnement peut atteindre la moitié de la durée qui reste à courir avant la déchéance ;
2° Imputer les paiements, d'abord sur le capital ;
3° Prescrire que les sommes correspondant aux échéances reportées ou rééchelonnées porteront intérêt à un taux réduit qui peut être inférieur au taux de l'intérêt légal sur décision spéciale et motivée et si la situation du débiteur l'exige. Quelle que soit la durée du plan de redressement, le taux ne peut être supérieur au taux légal ;
4° Suspendre l'exigibilité des créances autres qu'alimentaires pour une durée qui ne peut excéder deux ans. Sauf décision contraire de la commission, la suspension de la créance entraîne la suspension du paiement des intérêts dus à ce titre. Durant cette période, seules les sommes dues au titre du capital peuvent être productives d'intérêts dont le taux n'excède pas le taux de l'intérêt légal."
La situation irrémédiablement compromise au sens de l'article'L 724-1'alinéa 2'du code de la consommation, permettant de bénéficier d'une procédure de rétablissement personnel, est une situation d'insolvabilité irréversible, caractérisée par l'impossibilité manifeste de remédier au surendettement du débiteur par les mesures ordinaires comme extraordinaires spécifiées aux articles'L 732-1,'L 733-1,'L 733-4'et'L 733-7'du code de la consommation.
En application de l'article'L 733-1'du code de la consommation, le juge du surendettement saisi d'une contestation des mesures imposées par la commission peut notamment suspendre l'exigibilité des créances autres qu'alimentaires pour une durée qui ne peut excéder deux ans.
Le moratoire prévu par ce texte a notamment pour finalité de favoriser le retour à une activité professionnelle du débiteur afin de lui permettre de dégager un revenu disponible suffisant et le cas échéant une épargne, pour honorer des obligations réaménagées au moyen d'un plan conventionnel ou imposé de redressement.
S'il est manifeste que Mme [T] [L] et M. [B] [U] se trouvent actuellement dans une situation d'insolvabilité dans la mesure où ils ne disposent pas de biens ou de ressources suffisantes pour faire face à leurs dettes, même au moyen d'un plan conventionnel de redressement ou d'un rééchelonnement du paiement de leurs dettes, puisqu'ils ne peuvent actuellement dégager aucune capacité de remboursement compte tenu de leurs ressources et charges incompressibles, toutefois leur insolvabilité n'apparaît pas irrémédiable au sens de l'article'L 724-1'alinéa 2'du code de la consommation.
En effet, leur situation économique et financière est susceptible d'évoluer favorablement à court ou moyen terme, compte tenu de la formation professionnelle que possède M. [U], âgé de 28 ans, et du fait qu'à la précédente audience il avait trouvé un emploi pour une durée de 6 mois, par le biais de l'intérim, et s'agissant de Mme [L], âgée de 26 ans, elle est certes sans formation spécifique, mais en recherche d'emploi, elle peut parfaitement trouver un emploi non qualifiée. En outre, il s'agit de leur premier dossier de surendettement.
Compte-tenu du montant de l'endettement (de l'ordre de 23 824,40 euros), de l'absence de capacité actuelle de remboursement de Mme [T] [L] et de M. [B] [U] et de l'absence de biens saisissables de nature à permettre d'apurer tout ou partie de ses dettes (la débitrice n'est propriétaire d'aucun bien immobilier ni d'aucun bien mobilier de valeur), d'une part, et au regard des perspectives d'évolution de sa situation économique et financière, d'autre part, il convient donc d'ordonner la suspension de l'exigibilité des créances, sans intérêt, pour une période de deux ans, conformément à l'article'L 733-1'4° du code de la consommation afin de permettre à Mme [T] [L] et à M. [B] [U] de retrouver un emploi.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sauf des chefs du passif fixé et des dépens.
Par'ces motifs,
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris sauf des chefs du passif fixé et des dépens ;
Statuant à nouveau,
Ordonne la suspension de l'exigibilité des créances pour une durée de 24'mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Dit que pendant ce délai de 24'mois, les créances ne produiront pas d'intérêts et aucune poursuite ne pourra être engagée ou maintenue ;
Dit qu'à l'issue de ce délai, Mme [T] [L] et à M. [B] [U] pourront saisir de nouveau la commission de surendettement des particuliers du lieu de leur domicile en vue d'un réexamen de leur situation, conformément aux articles'L 733-2'et'R 733-5'du code de la consommation ;
Rejette toute autre demande ;
Laisse les dépens d'appel à la charge du Trésor public.
LE GREFFIER
Gaëlle PRZEDLACKI
LE PRESIDENT
Véronique DELLELIS