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26/01/2023 | FRANCE | N°21/04857

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 26 janvier 2023, 21/04857


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 26/01/2023





****





N° de MINUTE : 23/32

N° RG 21/04857 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T2X3



Jugement (N° 20/01331) rendu le 15 Juin 2021par le tribunal judiciaire de Béthune







APPELANTE



Mutuelle Association Generale des Medecins de France Prevoyance (AGMF PREVOYANCE - GROUPE PASTEUR MUTUALITE) agissant poursuites et diligences de

son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, et Me Hube...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 26/01/2023

****

N° de MINUTE : 23/32

N° RG 21/04857 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T2X3

Jugement (N° 20/01331) rendu le 15 Juin 2021par le tribunal judiciaire de Béthune

APPELANTE

Mutuelle Association Generale des Medecins de France Prevoyance (AGMF PREVOYANCE - GROUPE PASTEUR MUTUALITE) agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, et Me Hubert Cargill, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉ

Monsieur [V] [C]

né le 11 Avril 1952 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Jean-François Pambo, avocat au barreau de Bethune

DÉBATS à l'audience publique du 03 novembre 2022 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume salomon, président et Harmony poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 octobre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

Le 22 décembre 1995, M. [V] [C], médecin généraliste né le 11 avril 1952, a sollicité son adhésion auprès de la délégation lilloise de l'union de mutuelles «'Association générale des médecins de France Prévoyance'» (l'Agmf), Groupe Pasteur Mutualité, à un contrat collectif de prévoyance souscrit par l'Arpag au profit de ses membres en application de la loi Madelin du 11 février 1994, couvrant :

- d'une part, le risque «'incapacité totale de travail'» avec versement (i) d'une indemnité journalière de longue durée à compter du 15ème jour, (ii) d'une indemnité journalière complémentaire du régime professionnel (option Carmf du 15ème au 90ème jour, et d'une prise en charge des frais professionnels pendant 365 jours d'incapacité ;

- d'autre part, le risque «'invalidité'».

L'Agmf a accepté son adhésion sous réserve d'une exclusion liée à un antécédent médical n'intéressant pas la présente instance.

Selon bulletin d'adhésion du 26 mars 2003, il a modifié le montant des indemnités journalières et rente d'invalidité initialement prévues.

Il a été victime d'un accident survenu le 23 juillet 2018 et ayant entraîné un arrêt de travail jusqu'au 20 janvier 2019.

L'Agmf lui a opposé un refus de prise en charge.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 15 juin 2021, le tribunal judiciaire de Béthune a :

1- condamné l'Agmf à payer à M. [V] [C] la somme de 40 643 euros au titre du préjudice financier résultant du non-paiement des indemnités journalières longue durée et frais professionnels au titre du contrat d'assurance souscrit le 22 décembre 1995 ;

2- condamné l'Agmf à payer à M. [V] [C] 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

3- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

4- condamné l'Agmf aux dépens ;

5- rappelé l'exécution provisoire de plein droit de son jugement.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 14 septembre 2021, l'Agmf a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement, à l'exception de celle numérotée 5 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 octobre 2022, l'Agmf demande à la cour, au visa des articles 1231-1 et suivants du code civil, d'infirmer le jugement entrepris en ses dispositions critiquées par la déclaration d'appel et statuant à nouveau de :

- débouter M. [V] [C] de ses demandes, fins et prétentions.

- condamner M. [V] [C] aux dépens d'instance et d'appel sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile.

- condamner M. [V] [C] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, l'Agmf fait valoir que :

- l'article L. 511-1 du code des assurances est inapplicable, alors que seul le code de la mutualité a vocation à s'appliquer à l'espèce ;

- la prorogation des garanties au-delà de 65 ans n'est pas prouvée, alors que l'accident est survenu après le 11 avril 2017 ; même s'il a rencontré le 25 août 2017 le conseiller de l'Agmf, M. [C] n'a à cette occasion rédigé qu'une lettre de résiliation de la garantie rente-invalidité avec effet au 1er janvier 2018, alors qu'il n'a adressé à la mutuelle aucune demande de prorogation ; à défaut d'une telle prorogation, le contrat a été résilié au terme contractuellement prévu ;

- le bulletin d'adhésion mentionne que l'adhérent a pris connaissance des conditions générales du contrat et des statuts mutualistes : à cet égard, M. [C] avait l'obligation de respecter les termes du contrat qui impose qu'une demande formulée auprès d'un conseiller départemental de l'Agmf donne lieu à l'établissement d'un «'bulletin de liaison, complété par le conseiller départemental, auquel est jointe la lettre rédigée par l'adhérent demandant une modification. En l'espèce, le seul bulletin de liaison adressé à la mutuelle concerne la résiliation précitée et accompagne un courrier rédigé à cet effet par M. [C] ;

- M. [C] n'établit aucune carence du service de gestion de l'Agmf, alors que l'absence de prorogation résulte de sa propre absence de demande de prorogation.

4.2. Vu les conclusions notifiées le 25 mars 2021, M. [C], intimés et appelants incidents,

A l'appui de ses prétentions, M. [C] fait valoir que :

- lors d'un rendez vous en janvier 2016 avec M. [D], agent d'assurance, il a présenté une demande de prorogation des garanties au-delà de ses 65 ans, en anticipant le délai de prévenance de 9 mois pour y procéder ; il a découvert par courrier du 6 juin 2018 que l'Agmf ne retrouvait pas de trace écrite de sa demande de prorogation, de sorte que les garanties indemnités journalières longue durée et couverture des frais professionnels n'étaient plus actives ;

- le propre agent Afmf a attesté que cette demande de prorogation avait été formulée par M. [C] et qu'il l'avait adressée au service de gestion de la mutuelle, étant précisé que M. [D] représente cette dernière en sa qualité d'intermédiaire au sens de l'article L. 511-1 du code des assurances ; cette dernière disposition s'applique à l'Agmf dès lors que son activité a pour objet de réaliser des opérations d'assurances en application de l'article L. 111-1 du code de la mutualité, malgré son statut juridique de mutuelle ; l'Agmf est responsable de ce défaut de prise en compte de sa demande, soit directement, soit par l'intermédiaire de son proposé ;

- le médiateur de l'assurance a reconnu le bien fondé de sa demande ;

- son préjudice matériel doit être appréciée en déduisant la somme de 2 377 euros correspondant aux cotisations qu'il aurait dû acquitter dans le cadre de la prorogation de ses garanties du montant des indemnités qui lui sont dues ;

- son préjudice moral est établi médicalement par les troubles qu'a causé ce refus de prise en charge, alors que le rejet de toute solution amiable est établi ;

- son préjudice fiscal résulte de la privation du régime ayant conduit à considérer l'année 2018 comme une année «'blanche'», aucune imposition n'étant appliquée sur le versement des indemnités prévues ; la perception tradive de l'indemnité entraîne en revanche une imposition de 11 592 euros, selon la simulation de son expert-comptable ;

- son préjudice financier résulte de la nécessité d'avoir procédé au retrait de son épargne d'assurance-vie à hauteur de 43 020 euros, qui lui a fait perdre le service des intérêts correspondant pour un montant de 391 euros ; selon l'évaluation faite par la Macsf, il sollicite les sommes de 1 283,11 euros et de 1 311,02 euros à titre de dommages-intérêts ;

- l'Agmf n'a versé qu'une partie de l'indemnisation correspondant à 170 jours d'arrêt, et non à l'ensemble de ses droits s'établissant à 180 jours.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Le 10 janvier 2023, la cour a invité les parties à formuler, dans une note en délibéré à communiquer via RPVA avant le 19 janvier 2023, leurs observations sur la notion de perte de chance pour M. [C] de conclure l'avenant prorogeant l'âge-terme jusqu'auquel l'assuré pouvait bénéficier des garanties, qui pourrait résulter d'une faute constituée par un défaut de traitement d'une demande d'adhésion complémentaire par la mutuelle dans les délais contractuellement prévus.

Le 12 janvier 2023, la cour a complété l'invitation faite aux parties de transmettre une note en délibéré dans les termes suivants :

1. Un conseiller mutualiste est en principe un salarié de la mutuelle qui participe en cette qualité à la distribution directe de ses produits d'assurances. La cour ayant l'obligation de qualifier ou requalifier la nature des relations contractuelles qui ont pu être envisagée par les parties, il convient d'inviter l'Agmf / GPM à confirmer l'existence ou non d'un contrat de travail entre M. [D] et elle-même avant le 19 janvier 2023.

S'il n'y a pas de contrat de travail, l'Agmf précisera la nature de ses liens contractuels avec M. [D] (mandat'') et fournira les justificatifs d'une telle relation. Les parties présenteront leurs observations sur les règles de responsabilité qui résulteraient de la qualification ainsi justifiée par la mutuelle de ses relations contractuelles avec M. [D].

S'il y a un contrat de travail, les parties sont invitées à formuler leurs observations sur une responsabilité de la mutuelle, en qualité de commettant, du fait de son préposé sur le fondement de l'article 1242 du code civil.

2. En complément de la précédente autorisation d'adresser une note en délibéré à la cour, il convient de préciser que la perte de chance qui serait susceptible de constituer le préjudice subi par M. [C] porte sur l'indemnisation elle-même du sinistre (dans son principe et dans son montant), dans l'hypothèse contrefactuelle où la demande de prorogation des garanties au-delà de l'âge terme initialement fixé à 65 ans et 9 mois aurait été valablement adressée au service de gestion de la mutuelle.

3. Relevant en outre un fait adventice en application de l'article 7 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour invite les parties à s'expliquer contradictoirement, s'agissant du bénéfice d'une «'année blanche'» fiscale, sur la position adoptée par le médiateur de l'assurance sur ce point dans son courrier adressé le 17 février 2020 à M. [C] (sa pièce 7).

La note en délibéré déjà autorisée par message du 10 janvier 2023 et celle résultant du présent message devront être adressées par RPVA avant le 23 janvier 2023. En l'état, le délibéré reste prorogé au 26 janvier 2023.

Le 23 janvier 2023, les parties ont adressé à la cour leurs observations.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la faute de l'Agmf :

A titre liminaire, il convient d'observer que les parties s'accordent sur les termes de la notice d'information litigieuse, en dépit de la circonstance que des versions distinctes en sont produites par chaque partie et que leur correspondance avec celle dont M. [C] a reconnu avoir reçu une copie lors de ses adhésions initiale et modificative n'est pas établie par l'examen de leurs dates respectives (versions de janvier 2013 et janvier 2018).

L'article 3, paragraphe 5.2 de la notice d'information stipule que « l'âge terme des garanties indemnités journalières de longue durée, couverture des frais professionnels et (...) indemnités journalières de remplacement, peut être prorogé jusqu'au 70ème anniversaire de l'assuré'», alors que «'sauf indication contraire figurant au certificat d'adhésion, les garanties du présent contrat cessent'» au plus tard au 65ème anniversaire et 9 mois, pour un adhérent né à compter du 1er janvier 1952 (article 5.1.1 de la notice).

Pour bénéficier d'une telle faculté de prorogation de ses garanties au-delà de cet âge-terme et sous réserve d'une acceptation par la mutuelle, il appartenait par conséquent à M. [C], né le 11 avril 1952, d'en présenter la demande avant le 11 janvier 2018.

M. [C] prétend avoir valablement sollicité une telle prorogation, qui n'a toutefois pas été prise en compte par la mutuelle de sorte que sa responsabilité contractuelle est engagée au titre d'une telle faute.

=$gt; sur l'absence de conclusion du contrat :

Selon la notice d'information, les garanties souscrites par l'adhérent sont celles «'figurant au certificat d'adhésion'» (article 1, §1), alors que la formation du contrat est subordonnée à «'la notification par l'organisme assureur de l'acceptation de la souscription / adhésion concrétisée par l'envoi d'un certificat d'adhésion et d'un premier appel de cotisation'».

L'article 9 §1 stipule en outre que la modication apportée au contrat à la demande de l'adhérent «'donne lieu à l'émission d'un avenant au certificat d'adhésion'». Il précise qu'une telle modification du contrat initial suppose que l'adhérent adresse une demande écrite à la mutuelle.

En l'espèce, il est constant que M. [C] n'a d'une part été destinataire d'aucun avenant à son certificat d'adhésion initiale. D'autre part, il résulte de courriels adressés les 14 mars et 10 août 2018 par M. [J] [D], conseiller départemental GPM, que M. [C] a lui-même constaté que les cotisations correspondant à une telle prorogation de ses garanties ne figuraient pas dans son appel de cotisations. Sur ce point, l'appel de cotisation émis le 5 novembre 2017 au titre des garanties souscrites pour l'année 2018 ne fait apparaître ni les indemnités journalières Carmif, ni celles relatives aux frais professionnels.

Il en résulte qu'aucune modification contractuelle n'a pas été prise en compte par la mutuelle.

=$gt; sur la faute de la mutuelle :

- sur l'existence d'une demande de prorogation par M. [C] :

D'une part, il résulte d'un courriel adressé le 10 août 2018 par M. [D] à M. [C] la chronologie exacte des échanges intervenus avec ce délégué départemental de la mutuelle et des diligences qu'il a effectuées :

* en janvier 2016, M. [C] l'a rencontré et à la suite de leur rendez-vous, M. [D] a «'transmis [sa] demande de prolongation des garanties arrêt de travail au service gestion'», précisant qu'il n'a «'malheureusement pas gardé copie de ce courrier'» ; il précise ultérieurement dans son courriel que ce rendez-vous est intervenu à la mi-janvier 2016, dans des conditions excluant toute ambiguïté sur la date d'une telle demande de prorogation ;

* au deuxième semestre 2017, lors de leur dernier rendez-vous, M. [D] atteste en outre avoir «'transmis la demande de résiliation de la rente invalidité à fin 2017 au service gestion qui l'a bien reçue'» ;

Il en résulte notamment que la mention d'un rendez-vous avec M. [D] le 25 août 2017, qui figure dans un courriel adressé le 16 mai 2018 par M. [C] au service gestion de la mutuelle, ne concerne pas la date à laquelle il a formulé sa demande de prorogation, mais celle de la demande de résiliation de la seule garantie invalidité. Au surplus, un tel argumentaire n'est pas pertinent, dès lors que la demande devait en tout état de cause être présentée avant le 11 janvier 2018.

D'autre part, il résulte d'un courriel adressé le 14 mars 2018 par M. [D] à M. [C] qu'il n'a pas reçu à cette date une réponse du service gestion sur l'anomalie qu'il avait constaté sur son appel de cotisations pour 2018. Alors qu'il indique «'je ne sais pas pourquoi les garanties indemnités journalières pour frais professionnels et en relais de la Carmf n'apparaissent pas dans votre appel de cotisation. Par contre, je vous confirme qu'à l'écran, ces garanties sont bien actives et que la rente invalidité a été résiliée'», il prend également acte de la suppression du «'rachat sport à risques'» qu'avait également sollicité M. [C].

Enfin, la circonstance que M. [C] ait cumulativement sollicité la résiliation de sa garantie «'invalidité'» à compter du 1er janvier 2018, est indifférente. S'agissant d'une autre garantie que celles visées par la demande de prorogation litigieuse, elle n'a pas vocation à invalider la réalité d'une volonté parallèlement exprimée par M. [C] auprès de la mutuelle de bénéficier des autres garanties jusqu'à son 70ème anniversaire. M. [C] explique valablement une telle résiliation par la perte d'un intérêt à l'assurance d'un tel risque en fonction d'une simple prorogation de son activité professionnelles pour quelques années, conformément à son projet convenu avec M. [D] de conserver exclusivement les garanties «'indemnités journalières complémentaires Carmf, indemnités journalières longue durée et indemnités journalières frais professionnels'» (cf son courriel du 16 mai 2018).

Il n'appartient pas à M. [C] d'expliquer les circonstances ayant conduit au traitement de l'une de ses demandes exclusivement, dès lors qu'il établit avoir rédigé et remis à un délégué départemental chacune d'entre elles dans les délais prescrits par la notice d'information, étant rappelé que ces deux demandes n'ont pas été formées concomittamment, mais successivement.

- sur l'absence de prise en compte de la demande par la mutuelle :

Par courriel du 6 juin 2018, le service gestionnaire de la mutuelle indique à M. [C] qu''«'après analyse [du] dossier, nous ne trouvons aucune demande écrite de prorogation [des] garanties Maintien des revenus'», précisant qu'une telle demande doit intervenir avant 65 ans et 9 mois. Il ajoute que «'seules les IJ Carmf restent actives jusqu'au 11 avril 2022'».

Alors que M. [C] prouve qu'il a adressé une telle demande de prorogation dans les délais, la disparition d'une telle demande est imputable à la mutuelle, selon l'alternative suivante :

* soit le défaut de traitement de la demande est imputable à M. [D], conseiller départemental, qui n'a pas correctement transmis la demande, en dépit de ses déclarations répétées dans ses courriels à destination de M. [C].

Sur ce point, M. [C] invoque les dispositions de l'article L. 511-1 dernier alinéa du code des assurances, dont la mutuelle conteste l'application pour estimer que seul le code de la mutualité a vocation à régir sa situation juridique.

En application de l'article L. 111-1 du code de la mutualité, une mutuelle peut toutefois avoir pour objet de réaliser des opérations d'assurance, notamment pour couvrir les risques de dommages corporels liés à des accidents ou à la maladie. En l'espèce, l'Agmf intervient précisément comme «'mutuelle du livre II'» pratiquant des opérations d'assurances, ainsi qu'il résulte de l'article 2 §2 de la notice d'information.

Contrairement à l'allégation de M. [C], l'Agmf ou le conseiller mutualiste n'ont toutefois pas la qualité d'intermédiaire d'assurance au sens de l'article L. 511-1 du code des assurances. En effet, la distribution du contrat de prévoyance litigieux a été directement réalisée par un conseiller GPM qui en est le salarié au niveau départemental, de sorte que l'adhésion de M. [C] est intervenue sans que cette «'mutuelle du livre II'» ait eu recours à un intermédiaire d'assurances au titre de l'article L. 116-2 du code de la mutualité.

Il en résulte que la responsabilité d'un intermédiaire d'assurance du fait de ses préposés, telle que prévue par l'article L. 511-1 précité, n'est pas applicable à l'espèce.

En revanche, l'Agmf est directement responsable du fait de ses préposés, étant observé qu'elle ne conteste pas la motivation du premier juge ayant indiqué qu'une telle qualité est admise par les parties. Dès lors que la faute commise par M. [D] dans la transmission de la demande de prorogation est intervenue dans l'exercice de ses fonctions et qu'il est le préposé de la mutuelle, son comportement fautif engage la responsabilité de l'Agmf en application de l'article 1245 alinéa 5 du code civil.

* soit elle est imputable au service gestion de la mutuelle : qui n'a pas traité au niveau central la demande valablement transmise par son délégué : dans cette hypothèse, la responsabilité contractuelle de la mutuelle est engagée pour avoir manqué à son obligation de traiter une demande de modification valablement adressée par M. [C] dans les délais et selon les formes prévus par le contrat.

Dans chacune des branches de cette alternative, la faute est ainsi imputable à la mutuelle, qui doit en répondre civilement.

Sur le préjudice de M. [C] :

A titre liminaire, la cour observe que l'Agmf n'a pas conclu sur la liquidation des préjudices invoqués par M. [C], se limitant à contester l'engagement de sa responsabilité.

Sur la perte de chance :

Lorsqu'il ne peut être tenu pour certain qu'un dommage ne serait pas advenu ou n'aurait pas présenté la même gravité en l'absence de faute, une réparation ne peut être envisagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. La perte de chance présente le caractère d'un préjudice direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition définitive d'une éventualité favorable. Sa réparation ne peut être écartée que s'il peut être tenu pour certain que la faute n'a pas eu de conséquence sur une telle disparition.

La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. L'indemnisation intégrale à hauteur du taux de perte de chance doit par conséquent nécessairement correspondre à une fraction des différents chefs de préjudice effectivement subis par le patient et dus à la réalisation du risque.

En l'espèce, le risque qui s'est réalisé est constitué par une absence d'indemnisation

de l'incapacité de travail subie par M. [C] au titre des deux garanites dont il avait sollicité la prorogation jusqu'à 70 ans la perte de chance, qui constitue le préjudice subi lorsqu'existe un aléa sur la réalisation du préjudice final, s'apprécie par définition au regard de ce seul préjudice final. Il en résulte que si la certitude de la faute commise (absence de transmission ou de traitement de la demande de prorogation) est nécessaire pour rechercher la responsabilité de la mutuelle, cette certitude est en revanche indifférente pour apprécier la nature du préjudice subi par M. [C].

Alors qu'une telle extension des garanties litigieuses au-delà de 65 ans implique d'adresser une demande d'adhésion modificative à la mutuelle, il en résulte que cette dernière disposait d'une faculté d'accepter ou de refuser une telle adhésion, alors qu'au titre de l'instruction d'un sinistre, la certitude d'une prise en charge, puis d'une indemnisation intégrale n'est jamais absolument certaine : dans la situation contrefactuelle où l'Agmf aurait valablement traité la demande d'adhésion de M. [C], elle aurait ainsi pu notamment lui opposer un refus ou imposer des réserves à une telle adhésion, avant de contester tout ou partie de ses garanties dans leur principe ou leur montant. Il en résulte qu'en tout état de cause, un aléa affecte l'existence du préjudice en lien de causalité avec la faute commise par la mutuelle.

À cet égard, le médiateur de l'assurance avait d'ailleurs proposé de retenir une telle perte de chance, au titre de l'indemnisation du préjudice subi par M. [C].

Pour écarter l'application d'une telle perte de chance, il appartient à M. [C] d'établir la certitude que l'Agmf aurait procédé intégralement à son indemnisation à hauteur des montants prévus par le contrat, en l'absence de la faute commise.

Sur ce point, M. [C] ne fournit aucune indication, en dépit d'une invitation à produire ses observations sur la question de la perte de chance dans une note en délibéré. Pour autant, l'Agmf n'indique pas elle-même si elle aurait contesté dans son principe l'adhésion par M. [C] aux deux garanties litigieuses, et/ou aurait refusé de garantir le sinistre subi par son assuré dans son principe et/ou à hauteur de l'intégralité du montant des prestations prévues par le contrat, si la demande de prorogation avait été valablement traitée. La certitude qu'une prise en charge intégrale du sinistre serait intervenue, est ainsi quasiment établie. Dès lors, la faute commise par l'Agmf a empêché l'éventualité favorable d'une indemnisation effective et intégrale du sinistre dans une probablité particulièrement élevée, que la cour évalue à 95 %.

La perte de chance n'est en outre réparable que si la victime ne dispose pas de la faculté de pouvoir à nouveau bénéficier de l'éventualité favorable espérée : à cet égard, l'adhésion complémentaire par M. [C] au contrat de groupe pour bénéficier du maintien des deux garanties au-delà de 65 ans n'est d'une part plus possible juridiquement, dès lors que le délai prévu par le contrat pour y procéder est expiré et que le risque est d'ores et déjà réalisé de sorte qu'une telle adhésion a posteriori excluerait tout aléa, et a été d'autre part refusé commercialement par le service gestion de l'Agmf, en dépit de la proposition qu'avait pu formuler M. [D] en faveur de M. [C].

Enfin, dès lors que la perte apparue dans le patrimoine de M. [C] s'accompagne d'un avantage qui la contrebalance et qui est la conséquence de la faute alléguée, ces créances connexes et réciproques doivent se compenser pour estimer le préjudice réellement subi par la victime. A ce titre, la proposition de M. [C] de déduire le montant des cotisations qu'il aurait dû payer si son adhésion avait été prise en compte répond à une telle réparation intégrale sans perte, ni profit de la perte de chance causée par la faute de la mutuelle.

Sur le préjudice matériel :

=$gt; En premier lieu, M. [C] justifie avoir subi une incapacité de travail entre le 23 juillet 2018 et le 20 janvier 2019 (soit 182 jours) dans la période de prorogation des garanties qu'il a valablement sollicitée, ayant par ailleurs donné lieu à une hospitalisation jusqu'au 9 novembre 2018. Il en résulte qu'il a été privé par la faute de la mutuelle d'une indemnisation à compter du 2ème jour d'arrêt de travail intégrant une hospitalisation continue et plafonnée contractuellement à 180 jours :

- d'une part, au titre de la garantie lui ouvrant des indemnités journalières «'frais professionnels'» : soit 180 jours x 145 euros, conformément à la demande formulée par M. [C] selon des modalités respectant les stipulations contractuelles, soit 26 100 euros ;

- d'autre part, au titre de la garantie lui ouvrant des indemnités journalières de longue durée, selon un tarif journalier qu'il sollicite à hauteur de 94 euros sur cette même durée, soit 16 920 euros.

M. [C] offre de déduire de cette indemnisation le montant des cotisations qu'il aurait dû payer au titre de la prorogation de ces deux garanties au-delà de son 65ème anniversaire, selon un calcul non contesté par l'Agmf, soit 2 377 euros.

La liquidation du préjudice subi par M. [C] conduit à condamner l'Agmf à lui payer la somme de ((26 100 + 16 920) ' 2 377) x 95 %, soit 38 610,85 euros.

=$gt; En second lieu, M. [C] observe que l'exécution du contrat par la mutuelle au titre de la garantie du «'maintien de revenu Madelin'» dont l'Agmf n'a pas contesté la mise en oeuvre, est elle-même défectueuse, dès lors qu'au titre de cette garantie, le décompte adressé par cette dernier fait apparaître qu'elle n'a indemnisé son assuré qu'à hauteur de 170 jours, alors qu'elle est contractuellement garantie sur la durée de 180 jours.

Ce décompte établi le 9 mars 2022 mentionne à cet égard le versement par la mutuelle d'une indemnité de 40 818 euros correspondant à une indemnisation s'achevant au 9 janvier 2019, alors qu'il bénéficie d'une garantie jusqu'au 20 janvier 2019 en considération de la durée maximale de 180 jours qu'invoque valablement M. [C].

Le caractère nouveau d'une telle demande devant la cour d'appel n'étant pas invoquée, il en résulte que M. [C] sollicite valablement le complément indemnitaire correspondant à l'omission d'une durée de 10 jours d'incapacité dans la prise en charge de la garantie «'indemnités journalières de remplacement'» non contestée par l'Agmf.

L'Agmf est par conséquent condamnée à payer à M. [C] une indemnisation complémentaire de 10 jours x (95 euros + 145 euros) x 95 %, soit 2 280 euros.

Sur le préjudice fiscal :

Ainsi que l'a indiqué le médiateur de l'assurance dans sa réponse du 17 février 2020, le dispositif de «'l'année blanche'» n'a pas vocation à s'appliquer à des «'revenus exceptionnels'», en application de l'article 60 II de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017. Or, le versement d'une indemnité d'assurance correspond précisément à une telle qualification, selon la définition fournie par l'article 163-0 A I. du code général des impôts, à défaut de présenter le caractère d'un revenu recueilli annuellement.

Contrairement à l'attestation de l'expert-comptable de M. [C] ayant à l'inverse retenu la qualification de revenus non exceptionnels, il en résulte que la perception de l'indemnité au cours de l'exercice fiscal 2018 n'aurait pas été éligible au bénéfice du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement. La circonstance que ce montant soit imposable au titre de l'exercice au cours duquel doit intervenir son paiement tardif est par conséquent indifférente.

Le préjudice fiscal invoqué, résultant d'une privation du bénéfice d'un tel avantage fiscal, n'est ainsi pas établi.

La demande formée par M. [C] à ce titre est rejetée.

Sur le préjudice financier :

L'absence d'indemnisation au titre des deux garanties dont la prorogation n'a pas été prise en compte par la mutuelle a causé à M. [C] la nécessité de liquider une partie de son épargne pour compenser la perte résultant de la privation de tels revenus de remplacement sur une longue durée.

À cet égard, le lien de causalité entre le retrait d'une épargne placée en assurance-vie à hauteur d'une somme équivalente aux indemnisations non versées par l'Agmf et la faute commise par cette dernière est établi.

A l'appui de sa demande, M. [C] produit deux courriels émanant du service épargne de la société Macsf, dont il résulte que les retraits des placements litigieux lui ont causé une perte d'intérêts respectivement pour un montant de 1 283,11 euros et 1 311,02 euros au 31 décembre 2021.

Après application du taux de perte de chance, l'Agmf est condamnée par conséquent à payer à M. [C] les sommes de 1 218,95 euros et 1 245,45 euros, au titre des intérêts dont il a été privé par la liquidation de ces placements.

Le jugement l'ayant débouté de cette demande est infirmé de ce chef.

Sur le préjudice moral :

M. [C] produit un certificat médical établi le 9 novembre 2021 qui atteste qu'il a consulté au début de l'année 2021 pour «'des troubles du sommeil engendrés par des ruminations ayant pour thème son conflit avec l'Agmf, ainsi que de troubles anxieux, préoccupé qu'il était pas sa situation financière'». En raison de l'aggravation des troubles, l'attestant précise qu'à compter d'avril 2021 il a été conduit à instaurer un traitement antidépresseur régulateur du sommeil. Il ajoute que la nouvelle de l'appel formé à l'encontre du jugement de première instance a réactivé la symptomatologie, dans des conditions ayant empêché le sevrage de ce traitement et conduit à l 'inverse à une interrogation sur l'aggravation d'une telle prescription.

Il en résulte que M. [C] justifie l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le refus d'indemnisation que l'Agmf lui a opposé et des troubles médicalement constatés, de sorte qu'il caractérise l'existence d'un préjudice moral résultant de la faute commise par la mutuelle. S'agissant de l'indemnisation d'un refus abusif de la mutuelle d'exécuter son contrat et d'une résistance abusive devant les juridictions, l'Agmf est condamnée à l'indemniser de ce chef à hauteur de 3 000 euros au regard de l'intensité et de la durée des troubles ainsi décrits.

Le jugement l'ayant débouté de cette demande est infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner l'Agmf à payer à M. [C] la somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'il a exposé en première instance et en appel, outre les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement rendu le 15 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune, en toutes ses dispositions critiquées :

Statuant à nouveau et y ajoutant :

1) Dit que l'Association générale des médecins de France Agmf-groupe Pasteur Mutualité a commis une faute à l'égard de M. [V] [C], à défaut d'avoir pris en compte sa demande de prorogation au-delà de l'age de 65 ans des garanties «'indemnités journalières longue durée'» et «'frais professionnels'» prévues par le contrat auquel a adhéré ce dernier ;

2) Dit que l'Association générale des médecins de France Agmf-groupe Pasteur Mutualité doit indemniser M. [V] [C] des conséquences dommageables d'une telle faute contractuelle, dans une proportion de 95 % ;

3) Condamne à ce titre l'Association générale des médecins de France Agmf-groupe Pasteur Mutualité à payer à M. [V] [C] la somme de 38 610,85 euros, déduction faite du montant des cotisations que ce dernier aurait dû payer au titre de la prorogation de ces deux garanties ;

4) Condamne l'Association générale des médecins de France Agmf-groupe Pasteur Mutualité à payer à M. [V] [C], en réparation des préjudices résultant d'un refus d'indemnisation au titre des garanties indemnités journalières longue durée et frais professionnels, les sommes de :

- 1 218,95 euros et 1 245,45 euros au titre d'un préjudice financier subi au 31 décembre 2021 ;

- 3 000 euros au titre d'un préjudice moral ;

5) Condamne l'Association générale des médecins de France Agmf-groupe Pasteur Mutualité à payer à M. [V] [C] une indemnisation complémentaire au titre de la garantie «'indemnités journalières de remplacement'», d'un montant de 2 280 euros, en exécution du contrat auquel il a adhéré ;

6) Déboute M. [V] [C] au titre de sa demande d'indemnisation d'un préjudice fiscal ;

7) Condamne l'Association générale des médecins de France Agmf-groupe Pasteur Mutualité aux dépens de première instance et d'appel ;

8) Condamne l'Association générale des médecins de France Agmf-groupe Pasteur Mutualité à payer à M. [V] [C] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en pemière instance et en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

9) Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le greffier

Harmony POYTEAU

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/04857
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;21.04857 ?
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