République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 26/01/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 19/06684 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SYD4
& N° RG 19/06725 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SYHK, procédures jointes par ordonnance de jonction en date du 23 janvier 2020
Ordonnance de référé n ° 2019011906 rendue le 07 novembre 2019 par le président du tribunal de commerce de Lille Métropole
Arrêt de réouverture des débats n° 21/46 rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel de Douai
APPELANTE (aux deux procédures)
SA Société Générale agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au dit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
représentée par Me Régis Debavelaere, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉES (aux deux procédures)
SELARL Pharmacie [O] représentée par son gérant, Monsieur [O] [N] [J]
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Mélanie Tondellier, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Gabriel Kengne, avocat au barreau de Rouen, avocat plaidant
SELAS M.J.S Partners représentée par Maître [P] [H], pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan et de mandataire judiciaire de la société Pharmacie [O]
sise [Adresse 3]
représentée par Me Olivier Berne, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
DÉBATS à l'audience publique du 17 novembre 2022, dossier instruit par Pauline Mimiague, conseiller.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président, et Valerie Roelofs, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 novembre 2022
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement du 3 avril 2018, le tribunal de commerce de Lille métropole a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Pharmacie [O] ; la SELAS MJS Partners a été désignée en qualité de mandataire judiciaire. La période d'observation a été renouvelée par jugement du 3 octobre 2018.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 avril 2018, la Société générale a déclaré deux créances pour un montant total de 346 765,66 euros, au titre d'un prêt 340 000 euros consenti à la société Pharmacie [O] le 30 juin 2014 et au titre d'un solde débiteur d'un compte courant.
Les créances ont été contestées (frais et intérêts) et par deux ordonnances du 5 juin 2019, le juge commissaire a sursis à statuer, constaté que les contestations ne relevaient pas de sa compétence et invité la société Pharmacie [O] a saisir le tribunal de commerce de Lille métropole dans le délai d'un mois.
Le 3 juillet 2019 la société Pharmacie [O] a assigné la Société générale devant le tribunal de commerce de Lille métropole statuant en référé pour solliciter la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile afin d'analyser les taux d'intérêts du contrat de prêt et du découvert autorisé, la conformité du TEG aux dispositions du code de la consommation et de déterminer le montant des intérêts éventuellement abusivement payés. Le 3 octobre 2019 la société Pharmacie [O] a assigné en intervention forcée la SELAS MJS Partners, représenté par Me [H], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, désigné en cette qualité par jugement du 26 juin 2019 arrêtant un plan de redressement.
Par ordonnance de référé du 7 novembre 2019, le tribunal de commerce de Lille Métropole a écarté la forclusion invoquée par la Société générale et a fait droit à la demande d'expertise.
Par une première déclaration reçue au greffe de la cour le 18 décembre 2019, enregistrée sous le numéro de procédure 19/6684 la Société générale a relevé appel de l'ordonnance de référé du 7 novembre 2019 'qui a refusé à tort de faire droit aux demandes de la Société générale formé comme suit', reprenant les demandes formées devant le premier juge.
Par une seconde déclaration reçue au greffe de la cour le 20 décembre 2019, enregistrées sous le numéro de procédure 19/6725, la Société générale a relevé appel de la même ordonnance en ces termes : 'demande de réformation de l'ordonnance qui a refusé de faire droit à la demande de la Société générale de déclarer forclose l'action de la société [O] et qui a mis en place l'expertise à laquelle la Société générale s'est opposée. Refus de l'ordonnance de faire droits aux demandes de la Société générale qui a avaient été formées comme suit (...)', reprenant ensuite l'intégralité de ses demandes.
Ont été intimées la société Pharmacie [O] et la société MJS Partners 'en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société [O] et en sa qualité de représentant des créanciers'.
Par ordonnance du 23 janvier 2020 la seconde procédure a été jointe à la première. L'instruction a été clôturée le 4 novembre 2020 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 25 novembre 2020.
Avant que l'arrêt ne soit rendu, le tribunal de commerce, saisi au fond par la société Pharmacie [O] par assignation du 3 juillet 2019, a, par jugement du 3 décembre 2020, dit recevable l'action engagée par celle-ci, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, a débouté la Société générale de sa demande de sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir sur l'appel de l'ordonnance de référé et a condamné la société Pharmacie [O] aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure.
Après une note en délibéré adressée par le conseil de l'appelant le 14 janvier 2021, la cour a, par arrêt du 11 février 2021, ordonné la réouverture des débats et invité les parties à :
- justifier d'un éventuel appel du jugement rendu le 3 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Lille Métropole,
- s'expliquer sur les conséquences de cette décision sur l'action en référé expertise engagée par la Pharmacie [O],
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 22 avril 2021.
Il a été fait appel du jugement du tribunal de commerce du 3 décembre 2020 et par arrêt du 7 juillet 2022 cette cour a infirmé ce jugement en ce qu'il a débouté la Société générale de sa demande de sursis à statuer et a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes dans l'attente de l'arrêt à venir sur l'appel de l'ordonnance de référé du 7 novembre 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 mars 2021, la Société générale demande à la cour de :
- constater la forclusion de l'action de la société Pharmacie [O] et la dire et juger irrecevable en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- à titre subsidiaire, rejeter la demande de désignation d'un expert judiciaire formulée par la société Pharmacie [O],
- à titre plus subsidiaire, ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt qui sera rendu sur l'appel du jugement rendu le 3 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Lille métropole,
- à titre infiniment subsidiaire :
- ordonner l'expertise financière des conditions d'intérêt appliquées par la Société générale pour le compte à vue et pour le prêt à investissement,
- dire que l'expert aura à vérifier la conformité contractuelle des frais prélevés sur le compte à vue,
- dire que l'expert aura à vérifier la conformité contractuelle des frais et intérêts sur le prêt,
- chiffrer les montants dus par la société Pharmacie [O] à la Société générale à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire et ceux à échoir,
- chiffrer la provision d'expertise à charge de la société Pharmacie [O],
- renvoyer l'affaire à M. le juge commissaire afin qu'il statue sur l'admission de la déclaration de créance de la Société générale,
- en tout état de cause, condamner la société Pharmacie [O] au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de 3 000 euros.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 mars 2020, la SELAS MJS Partners ès qualités de commissaire à l'exécution du plan et de mandataire judiciaire à la procédure collective demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 7 novembre 2019,
- condamner la Société générale, ou subsidiairement, la société Pharmacie [O] à lui verser la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 mars 2021, la société Pharmacie [O] demande à la cour de :
- débouter la Société générale de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer l'ordonnance du 7 novembre 2019 et, y ajoutant,
- compléter la mission de l'expert de la manière suivante :
- dire que l'expert aura à vérifier la conformité contractuelle des frais prélevés sur le compte à vue,
- dire que l'expert aura à vérifier la conformité contractuelle des frais et intérêts calculés sur le prêt,
- chiffrer les montants dus par la société Pharmacie [O] à la Société générale à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire et ceux à échoir,
- condamner la Société générale à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
MOTIFS
Sur la forclusion
L'article R. 624-5 du code de commerce dispose que lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.
La Société générale conclut à l'irrecevabilité de l'action de la société Pharmacie [O] à raison de l'absence de mise en cause du commissaire à l'exécution du plan dans le délai d'un mois prévu à l'article R. 624-5 du code de commerce s'agissant d'une procédure indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire.
Toutefois la saisine du juge des référés n'a pas pour objet de voir trancher la contestation que le juge-commissaire a considéré comme ne relevant pas de sa compétence en invitant le débiteur à saisir le juge du fond dans le délai d'un mois pour la lui soumettre. Dès lors la saisine n'est pas soumise au délai de forclusion ainsi prévu et il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a écarté le moyen tiré de la forclusion.
Sur la demande de sursis à statuer
La demande de sursis à statuer est sans objet dans la mesure où la cour saisie du litige au fond a elle-même sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel statuant en référé.
Sur la demande d'expertise
En application de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Ces dispositions ne trouvent pas à s'appliquer dès lors qu'une instance en cours portant sur le même litige est déjà engagée.
Or la saisine de la juridiction compétente pour trancher la contestation soumise au juge-commissaire n'est que la continuité de la procédure introduite par la déclaration de créance du créancier, qui équivaut à une demande en justice, le débiteur ayant d'ailleurs en l'espèce, en même temps qu'il saisissait le juge des référés d'une mesure d'instruction relative à la contestation en question, saisi, à l'invitation du juge-commissaire, la juridiction commerciale pour voir trancher ladite contestation.
Ainsi la demande d'expertise a été présentée alors qu'une instance portant sur le même litige était déjà en cours ; dès lors il n'y a pas lieu à référé sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et il convient d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires
Eu égard aux circonstances du litige, il convient de laisser les dépens à la charge de la procédure collective de la société Pharmacie [O] et il n'apparaît pas inéquitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Dit n'y avoir lieu à référé ;
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles