République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 19/01/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 22/03309 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UMCS
Jugement (N° 2022/886) rendu le 29 juin 2022 par le tribunal de commerce d'Arras
APPELANTE
Madame [B] [R] [Y]
née le [Date naissance 7] 1974
de nationalité française
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Maëva Bakir, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué
INTIMÉES
URSSAF du Nord - Pas-de-Calais agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 4]
représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
SELARL [O] Aras & Associés (Arras) ès qualités de mandataire liquidateur de Madame [B] [R] [Y]
ayant son siège social, [Adresse 6]
représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
SCP Soinne [O]
ayant son siège social [Adresse 2]
défaillante, la déclaration d'appel ayant été signifiée le 6 septembre 2022 à la SELARL Mercier ([Adresse 3]) à personne habilitée
EN PRESENCE DU :
Ministère public représenté par Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Douai
représenté par Monsieur Christophe Delattre, substitut général
DÉBATS à l'audience publique du 22 novembre 2022 tenue par Samuel Vitse magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : Cf réquisitions du 21 novembre 2022
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 22 novembre 2022
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EXPOSE DU LITIGE
Mme [R] [Y] exerce une activité de coiffure mixte dans un local situé [Adresse 5].
Par acte d'huissier du 23 mai 2022, l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais l'a assignée en redressement judiciaire, subsidiairement en liquidation judiciaire, devant le tribunal de commerce d'Arras.
' Par jugement réputé contradictoire en date du 29 juin 2022, le tribunal de commerce d'Arras a statué en ces termes :
« Prononce l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire ordinaire à l'encontre de Madame [B] [R] [Y], coiffure mixte, exerçant [Adresse 5] et actuellement [Adresse 1],
Fixe provisoirement au 23 Mai 2022 la date de cessation des paiements,
Nomme Madame Bénédicte GARCON, Juge-Commissaire,
Nomme la SELARL [O] ARAS et Associés, prise en la personne de Maître [F] [O], [Adresse 6], en qualité de liquidateur,
Désigne conformément à l'article L 621-4 du Code de Commerce la SCP SOINNE DEGUINES, [Adresse 2], aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévue à l'article L 622-6 du même Code,
Invite les salariés de l'entreprise à désigner au sein de l'entreprise un représentant des salariés dans les conditions prévues par l'article L.62l-4 du Code de Commerce et à communiquer les nom, prénom et adresse précise de ce représentant au Greffe dans un délai de dix jours à compter du présent Jugement ou le procès-verbal de carence établi par le chef d'entreprise,
Dit que dans le délai de 10 mois après publicité du présent Jugement au BODACC, l'état des créances devra être déposé, conformément aux dispositions de la loi N° 2005-845 du 26 juillet 2005, le Tribunal de Céans fixe à un an le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée ;
Dit qu'il appartient au liquidateur de déposer deux mois avant ce délai une requête en clôture ou en prorogation dûment motivée.
Ordonne la publication et l'exécution provisoire du présent jugement conformément à la loi, dit que la publicité du présent jugement sera effectuée sans délai nonobstant toute voie de recours,
Dit que les dépens seront employés en frais de liquidation judiciaire. »
' Par déclaration du 8 juillet 2022, Mme [R] [Y] a relevé appel de cette décision.
' Par ordonnance du 30 août 2022, le premier président de la cour d'appel de Douai a arrêté l'exécution provisoire du jugement entrepris.
' Par conclusions notifiées par voie électronique le 27 septembre 2022, Mme [R] [Y] demande à la cour de :
« - Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'ARRAS le 29 juin 2022
Statuant à nouveau, il est demandé à la Cour de :
- Prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'endroit de Madame [B] [R] [Y]
- Constater l'état de cessation des paiements de Madame [B] [R] [Y]
- Constater l'absence de situation irrémédiablement compromise de Madame [B] [R] [Y]
- Fixer provisoirement la date de cessation des paiements au 23 mai 2022
- Condamner tout autre que Madame [B] [R] [Y] aux dépens. »
Elle fait valoir que l'assignation n'a pas été délivrée à son adresse professionnelle, ce qui explique sa défaillance en première instance. Elle soutient que les premiers juges ont prononcé à tort l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, dès lors qu'ils ne disposaient pas des éléments suffisants pour constater un redressement manifestement impossible au sens de l'article L. 640-2 du code de commerce. Elle reconnaît être en état de cessation des paiements, mais soutient que son redressement est possible, dès lors que l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement entrepris lui a permis de reprendre son activité et que l'apurement du passif exigible est tout à fait réaliste.
' Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 octobre 2022, l'URSSAF demande à la cour de :
« Constater qu'elle s'en rapporte à justice quant à la demande d'infirmation du jugement rendu par le Tribunal de commerce d'ARRAS le 29 juin 2022 en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de Madame [B] [R] [Y] ;
Sur les autres demandes et dans tous les cas,
Juger que Madame [B] [R] [Y] est en état de cessation des paiements,
En conséquence,
Prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de Madame [B] [R] [Y].
Condamner Madame [B] [R] [Y], aux entiers dépens de première instance et d'appel. »
Elle fait valoir qu'elle a été contrainte d'assigner Mme [R] [Y], après avoir vainement tenté de recouvrer les cotisations impayées. Elle considère que la situation de l'intéressée justifie l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.
' Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 octobre 2022, la SELARL [O] Aras & Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de Mme [R] [Y], demande à la cour de :
«JUGER que l'état de cessation des paiements de Madame [B] [R] [Y] est caractérisé
CONSTATER l'absence de situation irrémédiablement compromise de Madame [B] [R] [Y]
En conséquence,
DONNER ACTE à la concluante es qualité de ce qu'elle s'en rapporte à Justice sur les mérites de l'appel interjeté et sur la demande de Mme [B] [R] [Y] aux fins d'ouverture d'un redressement judiciaire à son égard
Dépens en frais de procédure collective. »
Elle fait valoir que si Mme [R] [Y] est état de cessation des paiements, sa situation ne semble pas irrémédiablement compromise au regard des éléments comptables dont elle dispose.
' Le ministère public requiert l'infirmation du jugement entrepris et demande l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.
Il expose que le tribunal de commerce d'Arras a ouvert une procédure de liquidation judiciaire sans caractériser la notion de cessation des paiements ni non plus la situation irrémédiablement compromise de la débitrice. Il indique qu'au regard de la faiblesse de l'insuffisance d'actif et de la reprise d'activité consécutive à l'ordonnance du 30 août 2022, il y a lieu de réformer le jugement entrepris et d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes du premier alinéa de l'article L 640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
Aux termes du premier alinéa de l'article L 631-1 du même code, il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L 631-2 ou L 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
Il est de jurisprudence constante que la cour d'appel apprécie la réunion des conditions d'application de ces textes au jour où elle statue.
En l'espèce, il convient de déterminer si Mme [R] [Y] se trouve en état de cessation des paiements et, dans l'affirmative, d'évaluer ses perspectives de redressement :
' Sur l'état de cessation des paiements
Ainsi qu'il résulte de l'article L 631-1 précité, l'état de cessation de paiements se caractérise par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.
L'actif disponible à prendre en compte est exclusivement celui réalisable à bref délai, alors que le passif exigible s'entend du passif échu, même non exigé, sauf à considérer le bénéfice de réserves de crédit ou de moratoires. Le passif exigible doit être comparé à l'actif disponible et seul un déséquilibre en faveur du premier permet de caractériser l'état de cessation des paiements.
En l'espèce, il ressort des pièces produites que Mme [R] [Y] est débitrice d'une somme de 16 551 euros envers l'URSSAF. Le solde de son compte bancaire s'élève à 568,12 euros, sans qu'il soit justifié d'aucun autre élément d'actif disponible. Il s'ensuit que Mme [R] [Y] se trouve en état de cessation des paiements, dont la date peut être provisoirement fixée au 23 mai 2022.
' Sur l'impossibilité manifeste d'un redressement
Ainsi qu'il résulte de l'article L 640-1 précité, la procédure de liquidation judiciaire est ouverte au seul débiteur dont le redressement est manifestement impossible.
En l'espèce, il ressort des pièces produites qu'au titre du premier semestre de l'année 2022, l'activité de Mme [R] [Y] a généré un chiffre d'affaires mensuel moyen de 4 621 euros. La reconduction régulière d'un tel résultat doit lui permettre d'apurer progressivement son passif. Son redressement n'est dès lors pas manifestement impossible et il y a lieu d'ouvrir à son égard une procédure de redressement judiciaire, et non de liquidation judiciaire, comme l'ont jugé à tort les premiers juges.
Les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais de procédure collective.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Arras le 29 juin 2022, sauf en ce qu'il fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 23 mai 2022 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de Mme [R] [Y] exerçant une activité de coiffure mixte, [Adresse 5] ;
Rappelle que la date de cessation des paiements est provisoirement fixée au 23 mai 2022 ;
Fixe à six mois la période d'observation pendant laquelle seront établies des propositions tendant à la continuation ou à la cession de l'entreprise ;
Dit qu'il appartiendra au tribunal de commerce d'Arras de convoquer les parties pour qu'il soit statué, au vu d'un premier rapport, sur la poursuite de la période d'observation, conformément à l'article L 631-15 du code de commerce ;
Nomme Mme Bénédicte GARCON, juge au tribunal de commerce d'Arras, en qualité de juge-commissaire ;
Désigne la SELARL [O] Aras & Associés, prise en la personne de Maître [F] [O], [Adresse 6], en qualité de mandataire judiciaire ;
Désigne la SCP Thullier Soinne Deguines, [Adresse 3], aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée des actifs du débiteur, conformément à l'article L 631-14 du code de commerce ;
Fixe à deux mois à compter de la date de la présente décision, le délai dans lequel l'inventaire et la prisée devront être réalisés ;
Fixe à six mois à compter de la publication de la présente décision, le délai dans lequel le mandataire judiciaire devra établir la liste des créances vérifiées, avec ses propositions d'admission, de rejet ou de renvoi devant la juridiction compétente, conformément à l'article L 624-1 du code de commerce ;
Dit qu'il sera procédé aux formalités de publicité conformément aux dispositions légales et réglementaires applicables ;
Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais de procédure collective ;
Le greffier Le président
Marlène Tocco Samuel Vitse