République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 3
ARRÊT DU 19/01/2023
N° de MINUTE : 23/32
N° RG 22/01972 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UHPP
Jugement (N° 21/03073) rendu le 07 Avril 2022 par le Juge de l'exécution de Béthune
APPELANTE
Caisse de Credit Mutuel de Béthune
[Adresse 6]
[Localité 9]
Représentée par Me Maxime Hermary, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué
INTIMÉS
Monsieur [C] [U]
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 9]
Madame [F] [H]
né le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentés par Me Anne-Corinne Sandevoir-Lachaudru, avocat au barreau de Béthune
avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 08 décembre 2022 tenue par Sylvie Collière magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sylvie Collière, président de chambre
Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Sylvie Collière, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 15 novembre 2022
EXPOSE DU LITIGE
Par acte notarié du 15 janvier 2008, la caisse de crédit mutuel de Béthune a consenti à la SARL [U] un prêt professionnel d'un montant de 342 000 euros remboursable en 240 mois au taux fixe de 5,30 % l'an.
Cet acte mentionne à titre de garantie les engagements de cautions personnelles et solidaires de M. [C] [U] et de Mme [F] [H], son épouse, tous deux gérants et associés de la société [U].
Par jugement du 14 mai 2014, le tribunal de commerce d'Arras a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [U].
La caisse de crédit Mutuel de Béthune a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur judiciaire par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 4 juin 2014.
Par acte du 5 septembre 2014, la caisse de crédit mutuel de Béthune a, en vertu de la copie exécutoire de l'acte du 15 janvier 2008, fait signifier aux époux [U] un commandement de payer aux fins de saisie-vente, portant sur la somme de 311 738,89 euros.
Par acte du 31 octobre 2014, la caisse de crédit mutuel de Béthune leur a, en vertu du même acte, fait dénoncer un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation signifié à la sous-préfecture de Béthune le 27 octobre 2014.
Par jugement du 5 août 2015, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Béthune a annulé le commandement de payer aux fins de saisie-vente et ordonné la mainlevée du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation, aux motifs que l'acte du 15 janvier 2008 ne comporte aucune signature au niveau de l'emplacement prévu pour celles des cautions de sorte que les époux [U] ne se sont pas engagés à ce titre dans l'acte qui leur est opposé et qu'il ne s'agit pas d'un titre exécutoire en ce qui les concerne.
Par actes publiés le 13 septembre 2021 auprès du service de la publicité foncière de Béthune, la caisse de crédit mutuel de Béthune a, en vertu de la copie exécutoire de l'acte notarié du 15 janvier 2008, fait inscrire des hypothèques judiciaires provisoires sur un immeuble situé [Adresse 5] et cadastré [Cadastre 7] lots 3 et 5, en garantie d'une créance de 100 765 euros et sur un immeuble situé [Adresse 3] cadastré [Cadastre 8], en garantie d'une créance de 201 530 euros, dont les époux [U] sont propriétaires.
Les inscriptions d'hypothèques provisoires ont été dénoncées aux époux [U] le 17 septembre 2021.
Par acte du 14 octobre 2021, les époux [U] ont fait assigner la caisse de crédit mutuel de Béthune devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Béthune aux fins de contester les hypothèques judiciaires provisoires.
Par jugement contradictoire du 7 avril 2022, le juge de l'exécution a :
- écarté la demande aux fins de sursis à statuer formulée par la caisse de crédit mutuel de Béthune dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Rouen ;
- dit que l'action menée par la caisse de crédit mutuel de Béthune à l'encontre des époux [U] est atteinte par la prescription quinquennale, au visa de l'article 2224 du code civil;
- ordonné la mainlevée des inscriptions d'hypothèques provisoires prises par la caisse de crédit mutuel de Béthune le 13 septembre 2021 auprès du service de la publicité foncière de Béthune et dénoncées le 17 septembre 2021 aux époux [U], quant à leurs immeubles situés :
* [Adresse 5], cadastré [Cadastre 7] lots 3 et 5,
* [Adresse 3], cadastré [Cadastre 8],
- dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes présentées à titre subsidiaire par les époux [U] ;
- condamné la caisse de crédit mutuel de Béthune en tous les frais et dépens de la présente instance ;
- condamné la caisse de crédit mutuel de Béthune à verser aux époux [U] une somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles ;
- dit que la caisse de crédit mutuel de Béthune supportera les siens de son côté.
Par déclaration adressée par la voie électronique le 21 avril 2022, la caisse de crédit mutuel de Béthune a relevé appel de ce jugement en ce que le premier juge :
- a écarté sa demande aux fins de sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Rouen ;
- a dit que son action menée à l'encontre des époux [U] est atteinte par la prescription quinquennale, au visa de l'article 2224 du code civil ;
- a ordonné la mainlevée des inscriptions d'hypothèques provisoires prises le 13 septembre 2021 auprès du service de la publicité foncière de Béthune et dénoncées le 17 septembre 2021 aux époux [U], quant à leurs immeubles situés [Adresse 5], cadastré [Cadastre 7] lots 3 et 5 et [Adresse 3], cadastré [Cadastre 8] ;
- l'a condamnée en tous les frais et dépens de l'instance ;
- l'a condamnée à verser aux époux [U] une somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles ;
- a dit qu'elle supportera les siens de son côté.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 6 juillet 2022, elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré dans les termes de son acte d'acte d'appel et en conséquence de:
- surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Rouen ;
- débouter les consorts [U] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Subsidiairement :
- dire et juger valables les hypothèques provisoires qu'elle a prises le 13 septembre 2021 et dénoncées le 17 septembre 2021 sur les immeubles situés :
* [Adresse 5], cadastré [Cadastre 7] lots 3 et 5,
* [Adresse 3], cadastré [Cadastre 8].
- condamner les consorts [U] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner les consorts [U] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 8 juin 2022, les époux [U] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1355 et suivants et 2224 du code civil, 1346-1 du code de la consommation et 378 du code de procédure civile, de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a écarté la demande de sursis à statuer, déclaré prescrite l'action de la caisse de crédit mutuel de Béthune, ordonné la mainlevée des inscriptions d'hypothèques provisoire régularisées le 13 septembre 2021 au service de la publicité foncière de Béthune et dénoncées le 17 septembre 2021, sur un immeuble situé [Adresse 4] (et non 6 comme indiqué par erreur de plume) cadastré [Cadastre 7] lots 3 et 5 pour une créance de
100 765 euros et un immeuble situé [Adresse 3] cadastré [Cadastre 8] pour une créance garantie d'un montant de 201 530 euros et a condamné la caisse de crédit mutuel au paiement de la somme de 1200 euros au titre des frais
irrépétibles ;
A titre reconventionnel,
- condamner la caisse de crédit mutuel de Béthune à leur payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi par la procédure abusive et vexatoire ;
- condamner la caisse de crédit mutuel de Béthune à leur payer la somme de 6 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'ils sont contraints d'engager pour assurer leur défense ;
- condamner la caisse de crédit mutuel de Béthune en tous les dépens de première instance et d'appel ;
- débouter la caisse de crédit mutuel de Béthune de toutes ses demandes, fins et conclusions compte tenu de la prescription de l'action, de l'autorité de la chose jugée de la décision du 5 août 2015 ;
A titre subsidiaire,
- juger que l'acte du 15 janvier 2008 ne leur est pas opposable et dire qu'ils ne sont pas engagés en qualité de cautions solidaires de la société [U] ;
- déchoir la caisse de crédit mutuel de Béthune des intérêts sollicités faute d'information annuelle des cautions et à titre subsidiaire, que la prescription quinquennale des intérêts soit ordonnée.
MOTIFS
Sur la demande de sursis à statuer :
Selon l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
Il résulte des pièces produites que par actes des 17 janvier 2019 et 8 octobre 2019, la caisse de crédit mutuel de Béthune a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Dieppe Maître [R], notaire rédacteur de l'acte du 15 janvier 2008 et Maître [W], son successeur, en vue de voir engager leur responsabilité délictuelle et que, par jugement en date du 28 avril 2021, le tribunal judiciaire de Dieppe l'a déboutée de ses demandes en indemnisation, aux motifs que l'intervention des époux [U] à l'acte du 15 janvier 2008, en une double qualité précisée à l'acte, de représentants de la société débitrice et de cautions, ne rend pas nécessaire à la validité de l'acte la mention d'une double signature au titre de chaque qualité et qu'en l'espèce les époux [U] ont signé l'acte en qualité de gérants de la société [U].
Au soutien de sa demande de sursis à statuer, la caisse de crédit mutuel de Béthune fait valoir que cette décision dont elle a relevé appel devant la cour d'appel de Rouen est en complète contradiction avec le jugement du juge de l'exécution de Béthune en date du 5 août 2015 alors que la règle de droit doit être intelligible, lisible et compréhensible.
Or, le premier juge a rejeté à juste titre la demande de sursis à statuer en relevant que l'instance en cours devant la cour d'appel de Rouen saisie de l'appel relevé par la caisse de crédit mutuel de Béthune à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Dieppe ne concerne pas les époux [U], qui ne pourront se voir opposer l'arrêt qui sera rendu.
De plus, il résulte des articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.
Ainsi, les motifs du jugement rendu le 5 août 2015 par le juge de l'exécution de Béthune qui a considéré que l'acte du 15 janvier 2008 qui ne comportait pas la signature des époux [U] au niveau de l'emplacement prévu pour celle des cautions et en a déduit que ces derniers ne s'étaient pas engagés à ce titre dans l'acte qui leur était opposé, lequel ne constituait un titre exécutoire dont la banque pouvait se prévaloir à leur égard, fussent-ils le soutien nécessaire du dispositif de ce jugement, n'ont pas l'autorité de la chose jugée. Dès lors, la cour statuant avec les pouvoirs du juge de l'exécution a toute liberté pour apprécier, le cas échéant, si l'acte du 15 janvier 2008 contient un engagement de caution des époux [U] et si la caisse de crédit mutuel pouvait en conséquence s'en prévaloir pour faire inscrire les hypothèques judiciaires provisoires contestées.
Sur la prescription :
Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
La caisse de crédit mutuel de Béthune fait valoir que 'le délai de prescription n'est pas expiré, la difficulté étant apparue à compter de la décision du tribunal judiciaire de Dieppe le 28 avril 2021, d'où l'appel qui a été formé en ce sens devant la cour d'appel de Rouen'.
Or, en l'absence d'autorité de la chose jugée des motifs du jugement du juge de l'exécution de Béthune en date du 5 août 2015, la caisse de crédit Mutuel de Béthune avait toute latitude, malgré cette décision, pour faire pratiquer des mesures conservatoires ou d'exécution forcée en vertu de l'acte du 15 janvier 2008 et, en cas de contestation de ces mesures par les époux [U], faire trancher par le juge de l'exécution la question de l'existence d'un titre exécutoire à l'encontre de ces derniers en qualité de cautions.
Ni le jugement du 5 août 2015, ni l'action qu'elle a décidé d'engager contre le notaire rédacteur de l'acte du 15 janvier 2008 ne constituaient pour elle des obstacles l'empêchant d'agir à l'encontre des époux [U] en leur qualité de cautions en vertu de l'acte du 15 avril 2008.
C'est donc à tort que la caisse de crédit Mutuel de Béthune soutient que le point de départ de la prescription s'est trouvé reporté à la date du jugement du tribunal judiciaire de Dieppe le 28 avril 2021.
Force est de constater que les hypothèques judiciaires provisoires ont été inscrites le 13 septembre 2021 et que la caisse de crédit mutuel de Béthune n'allègue aucun acte interruptif de la prescription dans les cinq ans ayant précédé ces mesures conservatoires.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que l'action en recouvrement de la banque se heurtait à la prescription et a ordonné en conséquence la mainlevée des inscriptions d'hypothèques provisoires, étant précisé que le bordereau d'inscription mentionne bien l'immeuble situé [Adresse 5] et non l'immeuble situé à [Localité 9] au 56 de cette même rue de sorte qu'il n'y a pas lieu de rectifier le jugement s'agissant de la désignation de cet immeuble.
Sur la demande indemnitaire des époux [U] :
A supposer même que l'appel puisse être considéré comme abusif, les époux [U] ne démontrent pas le préjudice généré par ce recours, se bornant à évoquer la précarité de leur situation économique et à alléguer que 'cet appel est très difficile à vivre pour toute la famille'.
Il convient donc de les débouter de leur demande indemnitaire pour procédure abusive et vexatoire.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens de la présente décision conduit à confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la caisse de crédit mutuel de Béthune aux dépens ainsi qu'à régler aux époux [U] une indemnité de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante en appel, la caisse de crédit mutuel de Béthune sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à régler aux époux [U] au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont été contraints d'exposer devant la cour une somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute M. [C] [U] et Mme [F] [H] épouse [U] de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;
Condamne la caisse de crédit mutuel de Béthune à régler à M. [C] [U] et Mme [F] [H] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la caisse de crédit mutuel de Béthune aux dépens d'appel.
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Sylvie COLLIERE