République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 1
ARRÊT DU 19/01/2023
N° de MINUTE : 23/62
N° RG 20/04919 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKAF
Jugement (N° 11.20.0000) rendu le 05 Novembre 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de valenciennes
APPELANTE
Madame [W] [X]
née le [Date naissance 3] 1939 à [Localité 4] - de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Brigitte Petiaux-D'Haene, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002/20/010192 du 15/12/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai
INTIMÉE
Sa Bnp Paribas Personal Finance agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 09 novembre 2022 tenue par Catherine Ménegaire magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Yves Benhamou, président de chambre
Catherine Ménegaire, conseiller
Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Yves Benhamou, président et Gaëlle Przedlacki, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 3 novembre 2022
EXPOSE DU LITIGE
Suivant offre préalable acceptée le 11 mai 2016, la société BNP Paribas Personal Finance a consenti à Mme [W] [X] un crédit affecté à l'achat d'un ballon thermodynamique d'un montant de 7 500 euros, remboursable en 48 mensualités successives de 186,87 euros avec assurance, au taux débiteur de 5,65 % l'an.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 11 avril 2019, le prêteur a mis en demeure Mme [X] de lui régler la somme de 979,17 euros au titre des échéances demeurées impayées, puis par lettre recommandée avec avis de réception en date du 7 mai 2019, a prononcé la déchéance du terme du contrat de crédit et l'a mise en demeure de lui régler l'intégralité des sommes restant dues, soit 4 609,46 euros.
Par acte d'huissier délivré le 23 janvier 2020, la société BNP Paribas Personal Finance a fait assigner Mme [X] en paiement.
Par jugement contradictoire en date du 5 novembre 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Valenciennes a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion et dit que l'action de la société BNP Paribas Personal Finance est recevable,
- condamné Mme [X] à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 4 523,11 euros au titre du solde du crédit affecté, assortie des intérêts au taux de 5,65 % l'an sur la somme de 2 878,37 euros, représentant le capital restant dû, et avec intérêts au taux légal pour le surplus, et ce à compter du 13 mai 2019, date de réception de la mise en demeure,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [X] aux dépens,
- rappelé que la présente décision est assortie de plein droit d'exécution provisoire.
Par deux déclarations reçues par le greffe de la cour les 3 et 8 décembre 2020, Mme [X] a relevé appel de l'ensemble des chefs du jugement à l'exception de la disposition ayant dit n'y avoir lieu application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 22 avril 2021, le magistrat chargé de la mise en état a joint les procédures sous le numéro de Répertoire Général 20/04919.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2022, Mme [X] demande à cour de :
- la recevoir en son appel et le dire bien fondé,
- réformer la décision rendue par le tribunal judiciaire de Valenciennes - contentieux de la protection - en date du 5 novembre 2020 en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- juger que la société BNP Paribas Personal Finance n'a pas satisfait son obligation de conseil et de mise en garde,
- juger que le crédit qui lui a été accordé, compte tenu de ses facultés financières, est hors de proportion avec ses ressources,
- juger que la société BNP Paribas Personal Finance a commis des fautes engageant sa responsabilité,
- débouter en conséquence la société BNP Paribas Personal Finance de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- la condamner aux entiers frais dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 mai 2021, la société BNP Paribas Personal Finance demande à la cour de :
- dire bien jugé et mal appelé,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge des contentieux la protection du tribunal judiciaire de Valenciennes du 5 novembre 2020,
- débouter Mme [X] de l'intégralité ses demandes fins et conclusions,
- condamner Mme [X] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [X] aux entiers frais les dépens, y compris ceux d'appel dont distraction au profit de Me Francis Deffrennes, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 novembre 2022, et l'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 9 novembre 2022.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action
Selon l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
En vertu de l'article 954 du même code dans sa version en vigueur depuis le 1er septembre 2017, issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Si Mme [X] a relevé appel de l'ensemble des chef du jugement, dont celui ayant déclaré l'action de la banque recevable comme non forclose, et demande de réformer le jugement en toutes ses dispositions, force est de constater qu'elle ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions de voir déclarer l'action de la société BNP Paribas Personal Finance irrecevable.
Dès lors la cour n'est pas saisie d'aucune demande quant à l'irrecevabilité de la demande en paiement.
Sur le devoir de mise en garde
L'appelante soutient que la banque a manqué à son devoir de mise en garde au motif que lors de la souscription du contrat de crédit ses ressources n'étaient que de 724,25 par mois, que ses charges de gaz et d'électricité étaient de 270,17 euros, et qu'elle devait faire face aux charges de la vie courante, de sorte que l'emprunt était manifestement excessif au regard de ses capacités financières.
La banque oppose que Mme [X] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'un risque d'endettement excessif lors de la demande de crédit contre lequel elle devait être mise en garde ; que l'appelante n'a déclaré aucune charge lors de la souscription du crédit ; qu'elle-même n'avait pas à vérifier la véracité des déclarations de l'emprunteur quant à sa situation pécuniaire et qu'au regard de ses revenus, la charge d'emprunt de 186,87 euros par mois, représentant moins de
33 % d'endettement correspondant au plafond d'endettement communément admis, il n'existait pas de risque d'endettement excessif.
Il résulte des dispositions de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable à la date de conclusion du contrat de crédit, que l'établissement de crédit est tenu à un devoir de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti lors de la conclusion du contrat de prêt ; ce devoir consiste à consentir un prêt adapté aux capacités financières de l'emprunteur et, le cas échéant, à l'alerter sur les risques de l'endettement né de l'octroi du prêt ; il implique l'obligation pour la banque de se renseigner sur les capacités financières de l'emprunteur pour l'alerter, si nécessaire, sur un risque d'endettement. Il incombe à l'emprunteur qui invoque un devoir de mise en garde de la banque à son égard de démontrer que les prêts n'étaient pas adaptés à sa situation financière et créaient un risque d'endettement contre lequel il devait être mis en garde.
Il n'est pas discuté en l'espèce que Mme [X] n'était pas un emprunteur averti.
Aux termes de la fiche de renseignements relative à ses revenus et charges, Mme [X] a précisé être retraitée et déclaré percevoir une pension mensuelle de 727,66 euros. Elle n'a déclaré aucune charge pourtant détaillées sur le formulaire sous les rubriques suivantes : résidence principale, résidence secondaire, crédits en cours, crédit voiture, crédits carte, autres crédits, impôt annuel divisé en 12, pensions alimentaires, autre charges. Mme [X] a déclaré '0" en face de chaque rubrique. Elle a certifié sur l'honneur l'exactitude des renseignements fournis. A l'appui de la fiche de renseignement, la banque s'est fait remettre l'avis d'imposition de Mme [X] pour l'année 2015, ainsi qu'un calendrier de paiement établi par EDF à la date du 21 mars 2016 mentionnant le montant des prélèvements mensuels de 270,17 euros.
Il est rappelé que sauf anomalie flagrante, la banque est en droit de se fier aux informations qui lui sont fournies par l'emprunteur lequel est tenu à un devoir de loyauté à son égard, et n'a pas à se livrer à un contrôle de la véracité des informations transmises.
Toutefois, en l'espèce il existait une anomalie manifeste dans les déclarations de Mme [X] qui a répondu '0" à la rubrique 'autres charges', alors que le calendrier des paiement établis par la société EDF à la date du 21 mars 2016, remis par l'emprunteur à la banque lors de la souscription du contrat de crédit, mentionnait des charges mensuelles de gaz et d'électricité de 270,17 euros par mois. Compte tenu de cette anomalie flagrante qu'elle ne pouvait ignorer, et de la modestie des revenus de l'emprunteur, la banque n'aurait pas dû pas se fier aux seules déclarations de Mme [X], mais aurait dû se faire remettre des éléments complémentaires afin de vérifier plus de manière plus approfondie sa situation financière et sa solvabilité.
Au regard des revenus de Mme [X] de 727,66 euros, de ses charges mensuelles a minima de 270,17 euros laissant un reste à vivre mensuel de 457,49 euros, et du coût mensuel de l'emprunt de 186,87 euros, la cour constate qu'il existait manifestement un risque d'endettement excessif contre lequel Mme [X] aurait dû être mise en garde par la banque. Il s'observe au demeurant, à la lecture de l'historique du compte, que dès le prélèvement de la première échéance du mois de novembre 2016 un incident de paiement était enregistré - par la suite régularisé - suivi de nombreux autres incidents de paiement, ce qui tend à démontrer que l'appelante avait à l'évidence beaucoup de difficultés à faire face à l'emprunt.
La banque était en conséquence tenue à un devoir de mise en garde qu'elle ne justifie pas avoir respecté.
Le devoir de mise en garde n'implique pas pour la banque l'obligation de refuser d'accorder le prêt, mais seulement d'attirer l'attention des emprunteurs sur le risque d'endettement lié à celui-ci. Ainsi, le préjudice qui en résulte s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter.
En l'espèce, la probabilité de renoncer à contracter ou de contracter à des conditions différentes était faible et la perte de chance sera en conséquence indemnisée par l'allocation d'une indemnité de 2 500 euros, somme à laquelle il conviendra de condamner la société BNP Paribas Personal Finance.
Sur la demande en paiement de la banque
La condamnation prononcée par le premier juge n'étant pas contestée par Mme [X], il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 4 523,11 euros au titre du solde du crédit affecté, assortie des intérêts au taux de 5,65 % l'an sur la somme de
2 878,37 euros, représentant le capital restant dû, et avec intérêts au taux légal pour le surplus, et cela comptait du 13 mai 2019, date de réception de la mise en demeure.
Sur les demandes accessoires
Les motifs du premier juge méritant d'être adoptés, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient de laisser à chaque partie la charge de ses dépens et frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire ;
Confirme le jugement en toute ses dispositions ;
Y ajoutant :
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance à payer à Mme [X] la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de son devoir de mise en garde ;
Laisse aux parties la charge de leurs dépens d'appel et frais irrépétibles d'appel.
Le greffier
Gaëlle PRZEDLACKI
Le président
Yves BENHAMOU