République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 19/01/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/03622 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TF5I
Jugement (N° 18/18081) rendu le 15 janvier 2019 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
Ordonnance (N° 31/135) rendue le 8 avril 2021 par la cour d'appel de Douai
Ordonnance (N°22/97) rendue le 24 mars 2022 par la cour d'appel de Douai
APPELANT
Monsieur [Y] [U]
né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 5]
de nationalité française
[Adresse 2]
représenté par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assisté de Me Jacques Bertrand, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉE
SA Crédit du Nord agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général domicilié en cette qualité audit siège.
ayant son siège social [Adresse 3]
représentée par Me Caroline Chambaert, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 08 novembre 2022 tenue par Agnès Fallenot magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 6 septembre 2022
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FAITS ET PROCEDURE
Le 30 juin 2011, l'EURL Sba Restauration a acquis les parts sociales de l'EURL Sart, au moyen d'un prêt accordé par le Crédit du Nord d'un montant de 674 000 euros, couvrant l'achat du fonds de commerce et les travaux à réaliser. Monsieur [Y] [U] s'est porté caution de ce prêt le 18 novembre 2009 à concurrence de 438 100 euros.
La société Sba Restauration a été placée en redressement judiciaire par jugement du 10 septembre 2012, et la société Sart par jugement du 29 octobre 2012. Ces deux procédures ont été converties en liquidations judiciaires le 26 juin 2013 suite à la cession du fonds de commerce. La procédure de la société Sba Restauration a été clôturée le 6 novembre 2014 et celle de la société Sart le 18 décembre 2014.
Par acte d'huissier du 16 novembre 2018, remis à l'étude de l'huissier instrumentaire, le Crédit du Nord a attrait Monsieur [U] en paiement des sommes dues au titre de son engagement de caution.
Par jugement rendu le 15 janvier 2019, le tribunal de commerce de Lille Métropole a statué en ces termes :
« Condamne Monsieur [Y] [U] à payer à la SA Le Crédit du Nord :
- la somme de 292 191.46 € en principal
- les intérêts courus et courir au taux contractuel de 3,41% l'an à compter de la présente assignation jusqu'à parfait paiement
- la somme de 500,00 € au titre de l'article 700 du CPC
Condamne Monsieur [Y] [U] aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 63.37 € en ce qui concerne tes frais de greffe
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement à hauteur de ces chefs nonobstant appel et sans cautions ».
Ce jugement a été signifié le 14 février 2019 à l'étude de l'huissier.
Par déclaration du 14 septembre 2020, Monsieur [U] a relevé appel de l'ensemble des chefs de cette décision.
Par ordonnance d'incident du 8 avril 2021, le conseiller de la mise en état a statué en ces termes :
« DEBOUTONS Monsieur [Y] [U] de sa demande d'annulation de l'acte de signification du jugement rendu le 15 janvier 2019 en date du 14 février 2019 ;
DECLARONS l'appel interjeté par Monsieur [Y] [U] en date du 14 septembre 2019 irrecevable ;
CONDAMNONS Monsieur [Y] [U] à payer au Crédit du Nord la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles ;
DEBOUTONS Monsieur [Y] [U] de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles ;
CONDAMNONS Monsieur [Y] [U] aux dépens ».
Par arrêt rendu le 24 mars 2022 suite au déféré de cette ordonnance, la cour a statué en ces termes :
« Réforme l'ordonnance entreprise ;
Déclare nul l'exploit de signification à M. [U] du 14 février 2019 du jugement entrepris ;
Dit l'appel recevable,
Condamne la SA Crédit du Nord à payer à M. [U] une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA Crédit du Nord aux dépens ».
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions régularisées par le RPVA le 2 septembre 2022, Monsieur [U] demande à la cour de :
« Vu les articles 14, 649 et suivants du CPC ,
Vu l'article 2224 du code Civil
Vu les articles 110-4, L.622-21 et L.622-28 du code de commerce
Vu l'article L.332-1 (anciennement L 341-4) du Code de la consommation
(...) le recevoir dans ses prétentions, de les déclarer bien fondées et :
A titre principal
Juger et déclarer nul l'acte introductif d'instance,
Par voie de conséquence, annuler le jugement entrepris,
Dire et juger que l'appel est dépourvu d'effet dévolutif pour le tout et renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir.
A titre subsidiaire :
Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Juger qu'en date du 16 Novembre 2018, jour de l'assignation, le Crédit du Nord était forclos pour agir contre la caution,
Juger et déclarer le Crédit du Nord irrecevable en ses demandes,
Si la Cour estimait le Crédit du Nord recevable en son action,
Juger le Crédit du Nord mal fondé en ses demandes,
Dire la caution du 18 novembre 2009 disproportionnée par rapport aux facultés contributives de Mr [U]
Juger que le CREDIT DU NORD ne peut se prévaloir du contrat de cautionnement consenti par Monsieur [U],
Débouter le Crédit du Nord de toutes ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause
Condamner CREDIT DU NORD au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens ».
Monsieur [U] demande à la cour d'observer que les conditions de délivrance de l'assignation sont identiques à celles de la signification du jugement, qu'elle a déclarée nulle.
En effet, l'acte délivré par l'huissier le 16 novembre 2018, au [Adresse 4], l'a été par remise en l'étude, après que l'officier public eut mentionné dans son procès-verbal de remise : 'le domicile est certain ainsi qu'il résulte des vérifications suivantes : l'adresse nous est confirmée par la mairie de [Localité 7].
Circonstances rendant impossible la signification à personne :
- Personne n'est présent ou ne répond à mes appels,
- Je n'ai pu, lors de mon passage avoir d'indication sur le lieu où rencontrer le destinataire de l'acte.'.
Or il ne résidait plus à cette adresse depuis le 27 mars 2013, comme il est justifié par pièces versées aux débats. L'huissier qui a délivré l'acte à cette adresse a manifestement fait preuve de recherches insuffisantes pour vérifier s'il s'agissait effectivement de la sienne.
S'il est surprenant que la mairie ait pu confirmer l'adresse, l'huissier n'aurait aucunement dû se contenter de cette vérification. En effet, les mairies ne peuvent le plus souvent donner que des renseignements sommaires et rarement actualisés. La consultation des listes électorales aurait permis à l'huissier, s'il en avait fait la démarche, de constater que Monsieur [U] y était inscrit non plus au [Adresse 4]. En outre, l'huissier pouvait et aurait dû interroger son mandant, le Crédit du Nord, qui disposait d'informations lui permettant d'entrer en contact avec la personne à assigner, et d'obtenir ses nouvelles coordonnées.
S'agissant du grief découlant de la nullité de l'assignation, celui-ci résulte du fait même d'avoir été jugé hors de sa présence, sans pouvoir assurer sa défense, et ce contrairement à l'article 14 du code de procédure civile qui prévoit que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée. Pour toutes ces raisons, il convient de déclarer nulle et de nul effet l'assignation, et par voie de conséquence, le jugement doit être annulé.
Sur le fond, dans l'hypothèse où par impossible la cour estimerait ne pas devoir annuler l'acte introductif d'instance, Monsieur [U] soutient que la banque est forclose en son action à son égard, le jugement prononçant la liquidation judiciaire ayant été rendu le 26 juin 2013. La forclusion était donc acquise le 27 juin 2018, alors que l'assignation n'a été délivrée que le 16 novembre 2018. Les banques invoquent souvent le dispositif de l'article L110-4 du code de commerce relatif au délai de validité de l'obligation qui court pendant 5 ans à compter de la clôture de la procédure, puisqu'à l'égard du débiteur principal, l'ouverture de la procédure interdit toute poursuite jusqu'au prononcé de la clôture en vertu de l'article L622-21du code de commerce. Cette règle concerne cependant le débiteur principal en procédure, ainsi que la validité de la créance, et non les poursuites contre la caution qui ne fait pas l'objet d'une procédure collective.
Monsieur [U] ajoute que le cautionnement donné était manifestement disproportionné à ses facultés contributives lors de sa conclusion et que sa situation actuelle ne lui permet pas davantage de faire face à son engagement.
Par conclusions régularisées par le RPVA le 30 août 2022, le Crédit du Nord demande à la cour de :
« Vu les éléments de faits ci-dessus exposés, les pièces selon bordereau annexé,
Vu les dispositions des articles 122 et suivants, 528, 538 et suivants du CPC
Vu les dispositions des articles L 110-4, L 622-25-1 du Code de Commerce,
Vu les articles 2241 et suivants du Code Civil,
-Débouter Monsieur [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
Et en conséquence :
- Condamner Monsieur [U] au paiement de la somme en principal de 292.191,46 € outre les intérêts courus et à courir au taux contractuel de 3.41 % l'an à compter du 16 novembre 2018 jusqu'à parfait paiement
- Condamner Monsieur [U] au paiement de la somme de 2.000 € par application de l'article 700 du CPC outre les entiers frais et dépens de première instance et d'appel ».
La banque argue que l'assignation délivrée indique que la mairie de [Localité 7] a confirmé l'adresse de Monsieur [U]. Cette affirmation, qui émane d'un officier ministériel, ne peut être remise en cause, et elle était suffisante pour que l'huissier signifie son assignation dans les formes d'une remise à l'étude. En tout état de cause, la nullité il dont s'agit constituerait un vice de forme de sorte qu'elle est conditionnée par l'existence d'un grief. Or Monsieur [U], dont l'appel a été jugé recevable, ne subit pas de grief, étant en mesure de développer son argumentation devant la cour.
Sur le fond, la banque rappelle qu'en application de l'article L622-25-1 du code de commerce, la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure. En outre, la jurisprudence considère que la déclaration de créance dans le cadre d'une procédure collective interrompt la prescription à l'encontre du débiteur principal mais aussi à l'égard de la caution solidaire jusqu'à la clôture de la liquidation. En l'espèce, la liquidation judiciaire de la société Sba restauration a été clôturée pour insuffisance d'actif le 6 novembre 2014. L'assignation a été régularisée selon acte d'huissier du 16 novembre 2018. Aucune prescription ni forclusion n'est donc encourue.
La banque revient enfin sur les facultés contributives de Monsieur [U] et conclut que son engagement de caution était parfaitement proportionné au moment où il a été conclu, compte tenu de la valeur de ses parts dans la société Sba. Elle ajoute qu'il est revenu à meilleure fortune.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 septembre 2022.
SUR CE
Sur la nullité de l'acte introductif d'instance
Aux termes de l'article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
Aux termes des articles 651, 654, 655 et 656 du code de procédure civile, les actes sont portés à la connaissance des intéressés par la notification qui leur en est faite. La notification faite par acte d'huissier de justice est une signification.
La signification doit être faite à personne.
Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence.
Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude de l'huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée.
La copie de l'acte est conservée à l'étude pendant trois mois. Passé ce délai, l'huissier de justice en est déchargé.
L'huissier de justice peut, à la demande du destinataire, transmettre la copie de l'acte à une autre étude où celui-ci pourra le retirer dans les mêmes conditions.
En l'espèce, l'acte introductif d'instance a été remis à l'étude de l'huissier instrumentaire le 16 novembre 2018, après que ce dernier se fut vainement présenté à [Localité 7], [Adresse 4]. Il est indiqué sur l'acte :
« N'ayant pu, lors de mon passage, avoir de précisions suffisantes sur le lieu où rencontrer le destinataire de l'acte.
Le domicile étant certain ainsi qu'il résulte des vérifications suivantes : L'adresse nous est confirmée par la mairie de [Localité 7].
Circonstances rendant impossible la signification à personne :
-Personne n'est présent ou ne répond à mes appels.
-Je n'ai pu, lors de mon passage, avoir d'indication sur le lieu où rencontrer le destinataire de l'acte. »
Monsieur [U] établit par les pièces versées aux débats avoir vendu l'immeuble situé à [Adresse 4], le 27 mars 2013, et avoir ensuite successivement vécu, en premier lieu à [Adresse 8], à compter du 19 mars 2013, et en second lieu à [Adresse 6], à compter du 10 mars 2018.
A la date de délivrance de l'assignation litigieuse, il avait donc quitté le domicile où l'acte lui a été signifié depuis plus de cinq ans, la confirmation de son adresse donnée à l'huissier par « la mairie de [Localité 7] » étant dès lors manifestement erronée.
Cette vérification a été la seule réalisée par l'huissier instrumentaire et c'est légitimement que Monsieur [U] lui reproche de ne pas s'être rapproché de son mandant, le Crédit du Nord, pour vérifier s'il ne disposait pas des moyens de vérifier sa domiciliation. L'appelant justifie en effet que la banque disposait d'une adresse mail et d'un numéro de téléphone portable valides, utilisés par la caution à tout le moins entre janvier 2011 et septembre 2020.
La banque disposant d'informations suffisantes pour rechercher efficacement l'adresse réelle de son débiteur et remettre l'acte à personne, il ne peut qu'être considéré que l'assignation n'a pas été valablement délivrée à son destinataire.
Monsieur [U], qui n'a pas eu connaissance de l'action engagée à son encontre, n'a pas pu se défendre devant les premiers juges. Le fait qu'il puisse présenter ses arguments devant la cour d'appel n'est pas de nature à faire disparaître son grief, le débiteur ayant droit à un double degré de juridiction.
En conséquence, il convient de prononcer la nullité de l'assignation délivrée le 16 novembre 2018 et, par voie de conséquence, celle du jugement rendu le 15 janvier 2019 par le tribunal de commerce de Lille.
Sur les dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
L'issue du litige justifie de condamner le Crédit du Nord aux dépens d'appel et de première instance.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
La banque, tenue aux dépens, sera condamnée à payer à Monsieur [U] la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles, et déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Annule l'assignation délivrée le 16 novembre 2018 à Monsieur [Y] [U] à la demande de la SA le Crédit du Nord ;
Annule en conséquence le jugement rendu le 15 janvier 2019 par le tribunal de commerce de Lille sous le numéro de RG 2018018081 ;
Condamne la SA Le Crédit du Nord à payer à Monsieur [Y] [U] la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;
Déboute la SA Le Crédit du Nord de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles ;
Condamne la SA Le Crédit du Nord aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier
Marlène Tocco
Le président
Samuel Vitse