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05/01/2023 | FRANCE | N°21/03245

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 05 janvier 2023, 21/03245


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 05/01/2023



****





N° de MINUTE : 10/23

N° RG 21/03245 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TV4S



Jugement (N° 19/02646) rendu le 17 Mai 2021 par le tribunal judiciaire de Lille





APPELANTES



Madame [R] [J]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]



SA la Medicale agissant poursuites et diligences de ses rep

résentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 11]



Représentées par Me Vincent Potie, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



INTIMÉES



Madame [E] [G]

née le [Date n...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 05/01/2023

****

N° de MINUTE : 10/23

N° RG 21/03245 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TV4S

Jugement (N° 19/02646) rendu le 17 Mai 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTES

Madame [R] [J]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]

SA la Medicale agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 11]

Représentées par Me Vincent Potie, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉES

Madame [E] [G]

née le [Date naissance 3] 1985 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 8]

Madame [Z] [G]

née le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 9]

Madame [C] [W]

née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 9]

Représentées par Me Julie Paternoster, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lille-Douai

[Adresse 4]

[Localité 8]

Ordonnance de caducité partielle le 7 avril 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 20 octobre 2022 après rapport oral de l'affaire par

Yasmina Belkaid

les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU :5 septembre 2022

****

Exposé du litige

Le 5 novembre 2007, Mme [E] [G], suivie par le docteur [R] [V], gynécologue assurée auprès de la société La Médicale, a fait l'objet d'une pose d'un implant contraceptif sur la face interne du bras gauche qui a été changé le 13 octobre 2010.

Mme [E] [G] a présenté des problèmes de santé à l'origine d'un suivi psychiatrique et psychologique.

Une échographie du bras, réalisée le 18 octobre 2013, a révélé la présence de deux implants lesquels ont fait l'objet d'une ablation le 20 novembre 2013.

Par ordonnance du 15 novembre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille, saisi par Mme [E] [G], a ordonné une mesure d'expertise médicale qu'il a confié au docteur [B], pharmacologue.

Ce dernier a déposé son rapport le 13 mai 2017 dont les conclusions sont les suivantes':

- Date de consolidation': décembre 2012

- Déficit fonctionnel temporaire': 30 % de novembre 2010 à décembre 2013

- Souffrances endurées': 2/7

- Préjudice esthétique temporaire': 0,5/7

- Préjudice scolaire et professionnel': perte de chance de 50 % de mener à bien ses études

Par acte d'huissier de justice des 26 et 27 mars 2019, Mme [E] [G] a alors assigné Mme [V] et la caisse primaire d'assurance maladie de Lille-Douai-ci-après la CPAM) devant le tribunal judiciaire de Lille en responsabilité et réparation, la société Médicale de France de même que Mme [Z] [G] et Mme [C] [W] étant intervenues volontairement à la procédure.

Par un jugement du 17 mai 2021, le tribunal judiciaire de Lille a':

1- Dit Mme [R] [J] responsable du préjudice subi Mme [E] [G] résultant du défaut de retrait de l'implant précédent lors de la pose d'un nouvel implant le 13 octobre 2010

2- Condamné Mme [R] [J] à payer à Mme [E] [G] les sommes suivantes en réparation du préjudice subi':

a. 908,60 euros au titre des frais divers

b. 12'000 euros au titre du préjudice universitaire ou de formation

c. 25'000 euros au titre de l'incidence professionnelle

d. 151'272,52 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

e. 5'625 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

f. 4'000 euros au titre des souffrances endurées

g. 700 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

3- Ordonné l'exécution provisoire à hauteur de la moitié des condamnations prononcées au bénéfice de Mme [E] [G]

4- Condamné Mme [R] [J] à payer à Mme [Z] [G] la somme de 3'000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral

5- Condamné Mme [R] [J] à payer à Mme [C] [W] la somme de 3'000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral

6- Dit que toutes les indemnités ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision

7- Ordonné la capitalisation des intérêts à échoir sur les sommes précitées par année entière à compter de la présente décision

8- Fixé le préjudice de la Caisse primaire d'assurance maladie de Lille-Douai à la somme de 584,30 euros

9- Condamné Mme [R] [J] aux dépens de l'instance au fond et en référé

10- Condamné Mme [R] [J] à payer à Mme [E] [G] la somme de 4'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

11- Rejeté le surplus des demandes

Par déclaration du 17 juin 2021, Mme [R] [J] et son assureur, la société La Médicale, ont interjeté appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement querellé aux seuls chefs du dispositif numérotés 2c, 2d, 4 et 5 ci-dessus.

Par une ordonnance du 7 avril 2022, le magistrat chargé de la mise en état a dit que la déclaration d'appel formée le 17 juin 2021 par Mme [R] [J] et la société La Médicale était caduque à l'égard de la CPAM de Lille-Douai.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 27 décembre 2021, Mme [V] et la société La Médicale demandent à la cour d'infirmer le jugement en ses chefs critiqués par la déclaration d'appel, de rejeter les demandes de Mme [E] [G], Mme [Z] [G] et Mme [C] [W] formulées au titre des postes de préjudices critiqués et de débouter celle-ci de toutes autres demandes.

Les appelantes critiquent le jugement en qu'il a retenu les préjudices liés à la perte de gains professionnels futurs et à l'incidence professionnelle en faisant valoir que leur réalité n'est nullement établie et que l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices allégués et la faute du médecin n'est pas démontrée.

Elles soutiennent en effet que ces préjudices sont hypothétiques compte tenu du parcours scolaire de Mme [E] [G] et de la décision de celle-ci, qui procède d'un choix personnel, de renoncer à la poursuite de sa formation d'architecte pour se tourner vers l'osthéopathie animale puis vers une formation de massage canin de sorte que le lien de causalité entre la faute du médecin et la perte de chance de devenir architecte n'est pas établi.

S'agissant du déficit fonctionnel permanent, elles soulignent que l'expert n'en fait pas état, que Mme [G] n'a formé aucune demande à ce titre et qu'il n'existe pas.

Sur le préjudice d'accompagnement de Mme [Z] [G] et Mme [W], elles font valoir que la preuve d'une cohabitation de celles-ci avec la victime au moment des faits n'est pas démontrée ajoutant que le quantum des demandes à ce titre est excessif.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 31 mars 2022, Mme [E] [G], Mme [Z] [G] et Mme [C] [W], intimés et appelants incidents, demandent à la cour de':

- Infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande au titre du déficit fonctionnel permanent

- Réformer le jugement sur les montants alloués au titre de l'incidence - professionnelle et la perte de gains professionnels futurs de la victime directe ainsi qu'au titre du préjudice moral des victimes indirectes

- Débouter Mme [V] et la société La Médicale de leurs demandes

- Condamner le docteur [V] à payer Mme [E] [G] la somme de 1'562'295 euros se décomposant comme suit':

Postes de préjudice

Evaluation totale

Part revenant à Mme [G] après application du taux de perte de chance pour certains postes

Part revenant à la CPAM

Perte de gains professionnels futurs

1'578'258,38 euros

1'500'295 euros

0

Incidence professionnelle

50'000 euros

50'000 euros

0

Déficit fonctionnel permanent

12'000 euros

12'000 euros

0

TOTAL

1'640'258,38 euros

1'562'295 euros

0

Condamner le docteur [V] à payer Mme [Z] [G] et à Mme [C] [W] la somme de 8'000 euros chacune au titre de leur préjudice moral d'accompagnement.

Dire que ces sommes produiront intérêts à compter de la date du jugement en application du nouvel article 1231-7 du code civil et que lesdits intérêts porteront eux-mêmes intérêts à compter de la demande initiale, soit de l'assignation en justice puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date conformément au nouvel article 1343-2 du code civil.

Condamner en cause d'appel le docteur [V] à payer à Mme [E] [G] la somme de 5'000 euros et celle de 500 euros à Mme [Z] [G] et Mme [C] [W], chacune, au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Mme [E] [G] entend voir réformer le jugement sur les postes de préjudices au titre de l'incidence professionnelle et de la perte de gains professionnels futurs.

S'agissant du préjudice au titre de la perte de gains professionnels, elle considère que la perte de chance de devenir architecte résulte de la faute du médecin en faisant valoir que la renonciation à sa formation initiale ne constituait pas un choix personnel mais la conséquence de la dégradation de son état de santé résultant d'un surdosage hormonal pendant deux ans.

Elle affirme que la réalité de son préjudice est établie par son parcours scolaire ainsi que la validation de ses unités d'enseignement, étant inscrite en 1ère année de Master, soit en 4ème année sur un cursus de 5 ans, au moment de l'acte médical.

Elle demande donc de fixer la perte de gains professionnels sur la base du salaire d'architecte qu'elle aurait dû percevoir et de porter le taux de perte de chance à 95 % qui correspond au taux de réussite du diplôme au moment du fait générateur.

S'agissant du préjudice lié à l'incidence professionnelle, elle soutient que l'abandon de ses études d'architecte l'a nécessairement dévaluée sur le marché du travail.

Par ailleurs, elle critique le jugement en ce qu'il n'a pas retenu le déficit fonctionnel permanent alors que l'expert le mentionne en page 9 de son rapport de sorte qu'elle demande de le fixer à 5% compte tenu du caractère résiduel des séquelles.

Enfin, en ce qui concerne le préjudice moral des victimes indirectes dont elles demandent de confirmer le principe mais de majorer son quantum, Mme [Z] [G] et Mme [W] précisent qu'elles ont accompagné la victime avec laquelle elles vivaient de 2010 à 2013 et que leur préjudice résulte de la douleur à la vue de la souffrance de celle-ci.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2022.

MOTIFS

L'appel porte sur le principe et le quantum des seuls préjudices liés à la perte de gains professionnels futurs, à l'incidence professionnelle, au déficit fonctionnel permanent et au préjudice moral des victimes indirectes.

Sur la perte de gains professionnels futurs

Le docteur [J] s'oppose à l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle aux motifs que ces préjudices sont hypothétiques dès lors que la chance de Mme [G] d'achever son Master était plus qu'incertaine compte tenu de son parcours «'capricant'» et de l'absence de reprise de ses études d'architecte après la consolidation de son état, celle-ci ayant fait le choix de s'orienter vers des formations en massage canin. Elle ajoute que la preuve d'un lien de causalité entre la faute médicale et ces préjudices n'est pas davantage rapportée en considérant que l'abandon de ses études d'architecte par Mme [G] n'a pas résulté de l'acte médical litigieux précisant que les séquelles dont celle-ci fait état, à savoir les troubles oculomoteurs et orthoptiques ne sont pas imputables au surdosage hormonal comme l'a indiqué l'expert judiciaire.

Mme [G] conteste ces analyses. Elle soutient que les troubles qu'elle a présentés après la pose d'un second implant et que l'expert a constatés sont à l'origine de l'arrêt de ses études d'architecte.

Le poste de préjudice lié à la perte de gains professionnels futurs est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.

La victime d'un dommage doit prouver la relation de causalité entre l'acte dommageable et le préjudice dont elle demande réparation.

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire de M. [B] qu'à la suite du remplacement de son implant contraceptif le 13 octobre 2010, Mme [E] [G] a présenté des troubles classiques liés à une surdose en hormone progestative manifestés par des céphalées, de l'anxiété, une perte de poids et de l'acné, ces troubles ayant perduré jusqu'à la fin de l'année 2012 et ayant disparu après le retrait des deux implants en octobre 2013 de sorte que la consolidation de son état de santé a été fixé au mois de décembre 2012, l'expert ayant par ailleurs retenu un déficit fonctionnel temporaire partiel de novembre 2010 à décembre 2012 de 30%.

Toutefois, il ne fait état d'aucun déficit fonctionnel permanent.

Mme [G] indique souffrir de troubles oculomoteurs et orthoptiques qui résultent selon elle du surdosage hormonal consécutif à la présence simultanée de deux implants contraceptifs.

Si la réalité de ces troubles ne peut être déniée comme étant attestés par Mme [M], orthoptiste, et le docteur [X], ophtalmologue, (pièces 26 et 41) sans que celles-ci parviennent à s'expliquer leur origine, la démonstration d'un lien de causalité entre ces troubles et l'acte médical litigieux ne saurait résulter d'articles issus de blogs ou de rapports qui contiennent des propos généraux lesquels ne peuvent être rapportés à la situation personnelle de Mme [G] et alors qu'il n'est produit aucune autre pièce médicale susceptible de caractériser et d'évaluer le cas échéant un déficit fonctionnel permanent que l'expert, en considération des doléances de la victime, des certificats médicaux de psychiatre, ophtalmologue et psychologue et après l'examen de la victime, n'a pas retenu.

En outre, les examens réalisés, en particulier, un scanner cérébral le 12 décembre 2011, une échographie des parties molles du bras et pelvienne et une radiographie du rachis cervical le 18 octobre 2013, ne révèleront aucune anomalie.

Dès lors que l'existence de séquelles définitives résultant de l'acte médical litigieux n'est pas établie, la perte de chance de gains n'est pas prouvée de sorte Mme [G] sera déboutée de sa demande à ce titre, le jugement querellé étant infirmé de ce chef.

Sur l'incidence professionnelle

Ce poste de préjudice a pour objectif d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail et de sa perte de chance professionnelle ou de la nécessité de changer de profession.

Il est indemnisé en fonction de l'analyse de chacune des composantes de ce poste et non à compter d'une perte annuelle de revenus ou d'un taux donné de déficit fonctionnel permanent.

Mme [G] demande une somme de 50.000 euros au titre de l'incidence professionnelle en invoquant une perte de chance subie du fait de l'abandon de ses études d'architecte.

Elle justifie avoir obtenu, en juillet 2008, la licence en architecture après redoublé sa première année.

En 2008-2009, Mme [G] est en première année de Master Architecte autonome à l'Ecole Nationale d'Architecture et de Paysage Lille et son relevé de note pour cette année révèle qu'elle n'a pas validé l'ensemble des unités d'enseignement.

L'année suivante, elle avait validé deux unités d'enseignement d'atelier sur trois.

Elle sera ensuite refusée à l'ensemble des unités d'enseignement de l'année 2010-2011.

Le 18 juillet 2011, elle obtient une dérogation pour achever son Master en 2012.

Il ressort de la plaquette de présentation du cycle conduisant au diplôme d'état d'architecte (pièce 76) que le Master doit être validé dans un délai maximum de trois années universitaires et que l'étudiant doit valider 11 unités d'enseignement outre un projet de fin d'études (PFE).

Le règlement de l'ENSAP du 25 octobre 2017 prévoit qu'une année supplémentaire peut être accordée à l'étudiant à titre dérogatoire par le directeur de l'Ecole et interdit la reprise des études d'architecture après un arrêt de 3 ans.

S'il apparait que Mme [G] ne s'est pas réinscrite à l'école d'architecture en 2011, après l'obtention d'une dérogation, il convient d'observer que la consolidation de son état de santé est intervenue en décembre 2012.

La réorientation de Mme [G] vers des formations en ostéopathie canine puis dans le domaine du massage canin ne procède pas d'un choix personnel, comme l'invoquent les appelants, mais résulte des modalités d'inscription administrative issues du règlement de l'ENSAP du 25 octobre 2017 précité prévoyant le bénéfice d'une seule année dérogatoire et proscrivant la reprise des études d'architecture après un arrêt de 3 ans.

Ainsi, au moment de l'acte médical litigieux, Mme [G] était en 1ère année de Master d'architecture, qu'elle redoublait, soit en quatrième année dans un cursus comportant cinq années d'études. Elle avait, à l'issue de cette année, validé les trois unités d'enseignement séminaires exploratoires, une unité d'enseignement sur deux des séminaires de recherche en obtenant une note de 13/20 à son mémoire de recherche, les deux unités d'enseignement professionnel et l'atelier stage dont M. [S], son directeur de stage, témoigne du sérieux et de la motivation dont a fait preuve Mme [G] qui se verra ainsi gratifiée.

Il restait donc pour Mme [G] à valider un atelier ainsi que son projet de fin d'études et son mémoire.

Il est établi que plusieurs étudiants de sa promotion ont, comme Mme [G], bénéficié d'une année dérogatoire pour terminer leur cursus en 2012 et que ceux-ci sont tous devenus architecte à l'issue de leur Master obtenu après quatre années d'études.

A cet égard, il ressort de l'étude d'évaluation de l'enseignement supérieur de mai 2012 menée par l'école nationale supérieure d'architecture de Paris-La-Villette versée aux débats que le taux d'abandon des études d'architecture après 4 années d'études était de 4,25% en 2010-2011.

En outre, les attestations de ses proches, d'étudiants de sa promotion et de son professeur en architecture produites révèlent que Mme [G], après avoir démontré son enthousiasme et sa volonté de devenir architecte, a courant 2010/2011 montré des signes de décrochage alors qu'elle était en fin de parcours et qu'elle avait les qualités requises pour exercer cette profession.

Loin d'être hypothétique, la chance pour Mme [G] de finaliser ses études d'architecture et d'exercer une activité pérenne d'architecte conforme à son niveau de formation était donc sérieuse et certaine.

Eu égard au parcours scolaire de la victime et de son niveau d'études, la perte de chance de l'incidence professionnelle doit être évaluée à 50% et sera réparée par l'allocation de la somme sollicitée de 50'000 euros.

Le jugement querellé sera donc infirmé sur ce point.

Sur le déficit fonctionnel permanent

Les premiers juges ont débouté Mme [E] [G] de sa demande d'indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent.

La victime sollicite l'allocation d'une somme de 12 000 euros à ce titre en prétendant que l'expert a omis de préciser le taux du déficit fonctionnel permanent alors qu'il le décrit dans son rapport.

Les appelants s'opposent à cette demande en soulignant que Mme [G] n'a pas fait état de ce préjudice au cours des opérations d'expertise et que l'expert, dont la mission portait sur l'évaluation de tous les préjudices subis par la victime, ne retient pas un tel préjudice.

Le déficit fonctionnel permanent désigne le préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel de la victime.

Ainsi qu'il a été dit, aux termes de son rapport, l'expert judiciaire conclut que l'examen clinique de Mme [G] est normal. Seul persiste un état anxio-dépressif résiduel contrôlé médicalement.

Il a en effet précisé que l'état de Mme [G] s'améliore progressivement fin 2012 ce qui correspond à la normalisation progressive des concentrations circulantes d'étonogestrel.

A l'issue du recueil des doléances de la victime qui indique que les céphalées et les angoisses ont disparu fin 2013 et qu'elle a stoppé son traitement anxio depressif pendant 6 mois/un an et de ses analyses, l'expert ne retient aucun déficit fonctionnel permanent, ce qui ne constitue pas une omission de sa part.

L'expert judicaire relève néanmoins que Mme [G] est toujours sujette à des accès anxio-dépressifs en réaction aux épreuves passées et à sa nouvelle formation professionnelle.

Le certificat médical établi le 21 septembre 2020, par Mme [L], psychologique, confirme les troubles anxio dépressifs éprouvés par Mme [G] qui fait l'objet d'un travail psycho-thérapeutique, celle-ci déclarant en effet subir une alternance d'états émotionnels brutaux depuis 11 ans, évoquant la douleur encore active de la pression de ses études, un sentiment de honte à l'évocation de son échec au Master ainsi qu'une culpabilité résultant de la cessation de tout lien avec ses amis de l'époque.

Ces éléments qui font état de l'existence de troubles indirects, ne permettent nullement de caractériser des séquelles définitives imputables à l'acte médical litigieux.

Le jugement critiqué en ce qu'il a débouté Mme [G] de sa demande indemnitaire à ce titre sera confirmé.

Sur le préjudice moral des victimes indirectes

Les premiers juges ont alloué à la mère de la victime, Mme [C] [W], et à la s'ur de la victime, [Z] [G] la somme de 3'000 euros chacune en réparation du préjudice moral.

Les appelants contestent la réalité de ce préjudice et concluent au débouté des victimes indirectes de leur demande à ce titre.

Ces dernières demandent de confirmer le principe du préjudice moral d'accompagnement et de porter le montant de son indemnisation à la somme de 8'000 euros chacune.

Le préjudice moral subi par les proches à la vue de la souffrance de la victime directe ouvre droit à réparation dès lors qu'il est caractérisé.

Par ailleurs, le préjudice moral d'accompagnement subi par les proches de la victime est constitué par les troubles dans les conditions d'existence pendant la maladie.

Si la mère et la s'ur entretenaient une proximité affective avec la victime, il n'est nullement démontré qu'elles cohabitaient avec cette dernière au moment des faits litigieux.

En revanche, il n'est pas contestable que la mère et la s'ur de la victime ont subi un préjudice moral causé par les souffrances de la victime directe qui a été justement apprécié par les premiers juges à la somme de 3'000 euros pour chacune.

Le jugement critiqué sera donc confirmé sur ce point.

Sur les dépens et les demandes au titre des frais irrépétibles

Chacune des parties succombant partiellement en leurs demandes supportera la charge de ses dépens de l'instance d'appel.

L'équité commande de rejeter les demandes respectives des parties au titre des frais irrépétibles qu'elles ont respectivement exposés dans le cadre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 17 mai 2021 en ses seules dispositions critiquées relatives à l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent de Mme [G] et à l'indemnisation du préjudice moral de Mme [Z] [G] et de Mme [C] [W],

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 17 mai 2021 en ce qu'il a condamné Mme [R] [J] à payer à Mme [E] [G] la somme de 151'272,52 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ainsi que la somme de 20'000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

Statuant de nouveau,

Déboute Mme [E] [G] de sa demande indemnitaire au titre de la perte de gains professionnels futurs,

Condamne Mme [R] [J] à payer à Mme [E] [G] la somme de 50'000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens de l'instance d'appel,

Déboute les parties de leur demande respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/03245
Date de la décision : 05/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-05;21.03245 ?
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