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05/01/2023 | FRANCE | N°21/02210

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 05 janvier 2023, 21/02210


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 05/01/2023



****





N° de MINUTE : 15/23

N° RG 21/02210 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSFU



Jugement (N° 18/08107) rendu le 04 Mars 2021 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANTE



Etablissement Public Oniam représenté par son directeur en exercice

[Adresse 7]

[Localité 6]



Représentée par Me Nicolas D

elegove, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Me Sylvie WELSCH, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substituée par Me Maxime Ebersott-Ansiau, avocat au barreau de Paris





INTIMÉES



...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 05/01/2023

****

N° de MINUTE : 15/23

N° RG 21/02210 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSFU

Jugement (N° 18/08107) rendu le 04 Mars 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTE

Etablissement Public Oniam représenté par son directeur en exercice

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentée par Me Nicolas Delegove, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Me Sylvie WELSCH, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substituée par Me Maxime Ebersott-Ansiau, avocat au barreau de Paris

INTIMÉES

Madame [B] [N]

née le [Date naissance 2] 1993 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Catherine Pouzol, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002201006803 du 24/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 7 juillet 2021 à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, Président de Chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 20 octobre 2022 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 5 septembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Le 31 août 2014, Mme [B] [N], née le [Date naissance 2] 1993, a accouché sous anesthésie péridurale au sein d'un hôpital privé dépendant du Groupement des hôpitaux des instituts catholiques de [Localité 5] (Ghicl).

Elle a présenté ultérieurement un syndrome post péridurale sur brèche méningée, entraînant notamment des céphalées importantes.

L'expertise médicale ordonnée par le juge des référés a donné lieu à un rapport déposé le 31 août 2017 par l'expert anesthésiste [W], qui s'est adjoint l'assistance du sapiteur neurologue [T]. Cet expert a conclu à l'existence d'un « aléa thérapeutique » survenu à l'occasion d'une telle anesthésie péridurale.

Mme [N] a fait assigner l'Oniam et la Caisse primaire d'assurance-maladie devant le tribunal judiciaire de Lille, aux fins d'indemnisation des préjudices résultant d'un tel accident médical.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement du 4 mars 2021, le tribunal judiciaire de Lille a :

1. condamné l'Oniam à payer à la victime, au titre de l'indemnisation complète de son préjudice, les sommes suivantes :

perte de gains professionnel actuels 1 752,86 euros

tierce-personne temporaire 26 910 euros

perte de gains professionnels futurs 234 320,68 euros

Incidence professionnelle 50 000,00 euros

Déficit fonctionnel temporaire 5 356,80 euros

Souffrances endurées 9 200,00 euros

Préjudice esthétique temporaire 10,00 euros

Déficit fonctionnel permanent 9 600,00 euros

2. ordonné la capitalisation annuelle des intérêts à échoir sur les sommes précitées par année entière à compter de son prononcé ;

3. condamné l'Oniam à supporter les dépens de l'instance au fond et de référés, y compris le coût de l'expertise judiciaire ;

4. condamné l'Onaim à payer à Mme [N] 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

5. rejeté le surplus des demandes.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 16 avril 2021, l'Oniam a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

Par ordonnance du 7 avril 2022, le conseiller de la mise en état a constaté la caducité de la déclaration d'appel formée par l'Oniam à l'encontre de la caisse primaire d'assurance-maladie.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 août 2022, l'Oniam demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé en ses demandes et en son appel à l'encontre du jugement rendu le 4 mars 2021 par le Tribunal judiciaire de Lille ;

- infirmer le jugement critiqué en ce qu'il :

* condamne l'Oniam à payer à Mme [N] les sommes suivantes en réparation du préjudice subi à la suite de l'accident médical non fautif survenu dans la nuit du 30 au 31 août 2014 :

(')

26 910 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire,

234 320,68 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,

50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

(')

* ordonne la capitalisation des intérêts à échoir sur les sommes précitées par année entière à compter de la présente décision ;

- statuer à nouveau s'agissant de la liquidation des postes de préjudices suivants : l'assistance par tierce personne temporaire, les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ;

- rejeter les demandes indemnitaires au titre de l'assistance par tierce personne temporaire ;

Subsidiairement, réduire à de plus justes proportions le montant alloué au titre de l'assistance par tierce personne temporaire sans qu'il ne puisse excéder la somme de : 7 536,50 euros au titre d'un besoin d'une heure par semaine jusqu'à la consolidation (course/ménage), et d'un besoin d'une heure par jours les 15 premiers mois de l'enfant ;

- rejeter les demandes indemnitaires relatives aux pertes de gains professionnels futurs ;

Subsidiairement, réduire à de plus justes proportions le montant alloué au titre des pertes de gains professionnels subis par Mme [N] sans qu'il ne puisse excéder la somme de :

- 11 622 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs jusqu'au 1er janvier 2023 ;

- retenir à compter du 1er janvier 2023 l'octroi d'une rente annuelle, calculée sur la base d'un revenu annuel de référence de 6 243,72 euros, sous déduction des revenus effectivement perçus sous réserve de la production par Mme [N] de son avis d'imposition complet chaque année et des justificatifs des prestations servies par les tiers payeurs ;

- rejeter en ce cas toute demande au titre d'une incidence professionnelle ;

- réduire le montant alloué au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 15 000 euros ;

- rejeter la demande de capitalisation des intérêts à échoir sur les sommes précitées

- juger Mme [N] mal fondée en son appel et la débouter de l'ensemble de ses demandes,

Subsidiairement, réduire à de plus justes proportions le montant alloué au titre du déficit fonctionnel permanent sans qu'il ne puisse excéder la somme de 13 000 euros.

- confirmer le jugement pour le surplus ;

- condamner Mme [N] aux dépens.

A l'appui de ses prétentions, l'Oniam fait valoir que :

- son obligation d'indemnisation au titre d'un accident médical non fautif n'est pas contestée ;

- le montant de l'indemnisation fixée par le premier juge est en revanche contesté :

* à cet égard, il sollicite l'application de son propre référentiel dans sa version revalorisée au 1er avril 2022, notamment s'agissant du barème de capitalisation ;

* il invoque un état antérieur de la victime, constitué de cervicalgies, douleurs lombaires et état dépressif, pour considérer que la part des séquelles de Mme [N] imputable à l'accident médical est limitée à 50 %, non seulement pour le déficit fonctionnel permanent mais également pour les postes de préjudices économiques ; ses difficultés d'insertion sont également imputables à cet état antérieur ;

* il demande le rejet de la demande formulée au titre de l'assistance temporaire par tierce personne, estimant que l'expert n'a pas prévu une telle assistance dans son rapport et invoquant à titre subsidiaire l'imputation des prestations servies à Mme [N], dont elle ne justifie pas ; une offre indemnitaire est très subsidiairement présentée ;

* il conteste le cumul entre l'indemnisation d'une perte de gains professionnels futurs et d'une incidence professionnelle, lorsque les pertes de gains ont été capitalisées jusqu'à l'âge de la retraite ;

* les pertes de gains professionnels futurs ne sont pas établies, alors que la victime n'est pas inapte à tout emploi, qu'elle aurait pu ne pas reprendre son emploi après son accouchement et qu'elle dispose par ailleurs d'autres ressources qu'il convient de déduire en tout état de cause ; les pièces justificatives fournies ne sont pas probantes ; subsidiairement, seule une rente doit être versée au titre des pertes de gains professionnels postérieurement au 1er janvier 2023.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 29 juin 2022, Mme [N], intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

=$gt; confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

' condamné l'Oniam à lui payer en réparation du préjudice subi à la suite de l'accident médical non fautif survenu dans la nuit du 30 au 31 août 2014 les sommes suivantes :

' 1.752,86 euros au titre de la perte de gains professionnels actuelle ;

' 9.200 euros au titre des souffrances endurées ;

' ordonné la capitalisation des intérêts à échoir sur les sommes auxquelles l'Oniam a été condamné par année entière à compter de la décision ;

' condamné l'Oniam à supporter des dépens de l'instance au fond et celle de référé en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ;

' condamné l'Oniam à payer à Mme [B] [N] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la première instance;

=$gt; y ajoutant : condamner l'Oniam à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des frais de la procédure d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

=$gt; « statuant à nouveau » : condamner l'Oniam à lui verser les sommes suivantes en réparation du préjudice subi (sommes à parfaire en fonction de la date effective de l'arrêt à intervenir en ce qui concerne la perte de gains professionnels future, l'incidence professionnelle) :

' A titre principal :

' 31 395 euros au titre de l'assistance tierce personne temporaire

' 366 286,51 euros au titre de la perte de gains professionnels future ;

' 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

' 6 573,60 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

' 20 400 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

' A titre subsidiaire :

' 31 395 euros au titre de l'assistance tierce personne temporaire

' 227 919,91 euros au titre de la perte de gains professionnels future ;

' 113 847,46 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

' 6 573,60 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

' 20 400 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

A l'appui de ses prétentions, Mme [N] fait valoir que :

- l'expert judiciaire n'a pas retenu une limitation à 50 % de la part causale imputable à l'accident médical non fautif, mais a exclusivement isolé à hauteur de 6 % (sur un total de 12 %) le déficit fonctionnel permanent imputable à ce seul accident ; il a donc formulé ses conclusions pour la seule part ne relevant pas de l'état antérieur ;

- étant alitée en raison des céphalées subies, elle n'a pu s'occuper de son nourrisson ou faire ses courses, de sorte que le recours à l'assistance d'une tierce personne est motivé par les séquelles de l'accident médical ; les proches attestent la réalité d'une telle assistance ; à l'inverse, son état antérieur ne l'empêchait pas de mener une vie active et lui aurait pas interdit de prendre soin de son enfant par elle-même, étant rappelé que sa profession antérieure de femme de ménage requérait précisément force et endurance en station debout prolongée ; si les prestations versées au titre d'un handicap doivent être déduites de l'indemnisation de ce poste, elle a justifié du refus de la MDPH de lui servir de telles prestations, alors que la preuve négative d'une absence de perception de telles prestations est impossible ; elle n'a pas renouvelé sa demande à ce titre, alors que la prestation de compensation du handicap n'a aucun caractère obligatoire pour la victime ; pour autant, la liquidation de ce poste doit intervenir sur une base horaire de 21 euros, et non 18 euros ;

- l'accident médical a causé son inaptitude professionnelle et le licenciement qui s'est ensuivi ; au titre de ses ressources postérieures à l'accident médical, elle a successivement bénéficié d'une aide au retour à l'emploi, d'une allocation adulte handicapée, puis d'un RSA : il en résulte qu'elle subit des pertes de gains professionnels futurs ; à ce titre, ses déclarations de revenus au titre des années 2016 et 2017 mentionnent précisément ces prestations, et non des revenus révélant une aptitude à exercer une activité professionnelle ; ses revenus 2015 font ressortir les salaires qu'elle a continué à percevoir jusqu'à son licenciement intervenu en août 2015 ; sur la base d'un salaire de référence annuel de 6 715 euros, l'indemnisation de ses pertes futures doit prendre en compte l'absence de toute possibilité de reconversion professionnelle en raison de ses séquelles, de sorte que sa liquidation doit tenir compte d'une perte totale de revenus ; en revanche, alors que les premiers juges ont limité à 62 ans la capitalisation, elle sollicite l'application de l'euro de rente viager, dès lors qu'elle va subir une perte de droit à la retraite résultant de son incapacité à retrouver un emploi ; subsidiairement, si seule une perte de chance de gains était retenue, un taux de 60 % doit être pris en compte ;

- elle subit une incidence professionnelle, qui est distincte de sa perte de gains professionnels, s'agissant notamment de l'anomalie sociale résultant de l'inaptitude à reprendre un emploi et de la contrainte d'abandonner l'emploi qu'elle exerçait antérieurement ; la perte de droit à la retraite intègre en revanche l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs ; le calcul de cette incidence professionnelle doit s'effectuer sur un pourcentage du salaire antérieur de la victime, qu'elle propose de fixer à 30 % ;

- elle subit un déficit fonctionnel temporaire et un déficit fonctionnel permanent qui nécessitent une réévaluation des montants fixés par les premiers juges.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il y a lieu de se référer à leurs dernières conclusions visées ci-dessus, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION :

Sur l'indemnisation des préjudices corporels

1. sur l'existence d'une diminution par moitié de l'indemnisation au titre d'un état antérieur :

L'Oniam procède à une interprétation erronée du rapport d'expertise médicale, en extrapolant de l'analyse par l'expert de la part causale imputable à l'accident médical non fautif (6 % sur un déficit fonctionnel permanent global de 12 % intégrant la part causale qui s'attache à un état antérieur), une causalité partielle à hauteur de 50 % pour l'ensemble des séquelles subies par Mme [N].

A l'inverse, l'expert a exclusivement recherché et chiffré la part causale imputable au seul accident médical non fautif, en analysant les postes après avoir pris en compte l'état antérieur de la victime et ses conséquences antérieures sur la situation de cette dernière. Sur ce point, l'Oniam n'apporte par ailleurs aucune critique de l'expertise, pour établir qu'au-delà du déficit fonctionnel permanent, l'état antérieur de la victime a pu causer tout ou partie des autres postes de préjudice dont Mme [N] sollicite l'indemnisation.

2. sur l'assistance par tierce personne avant consolidation :

D'une part, conformément à l'article 246 du code de procédure civile, l'avis de l'expert ne s'impose pas à la juridiction, qui demeure libre d'admettre un poste de préjudice dont l'existence n'a pas été retenue par le rapport d'expertise, dès lors qu'elle bénéficie d'éléments probants fournis à cet égard par la victime. Il en résulte que les premiers juges ont valablement retenu qu'au regard des séquelles présentées par Mme [N] jusqu'à sa consolidation intervenue le 28 février 2017, elle justifiait d'un besoin en assistance par tierce-personne, selon une motivation mettant en évidence des séquelles (céphalées, douleurs rachidiennes) qui sont distinctes de l'état antérieur et ont notamment entraîné la nécessité temporaire d'une aide familiale pour prendre en charge un nouveau-né dont le poids et les conditions de prise en charge étaient incompatibles avec l'état de santé de Mme [N], outre les courses et le ménage sur une durée hebdomadaire correctement appréciée par le tribunal.

D'autre part, s'agissant de la liquidation de ce préjudice, la cour approuve les modalités de calcul de l'indemnisation que les premiers juges ont retenues, s'agissant notamment d'une assistance non spécialisée, dont le coût horaire a été valablement fixé à 18 euros, incluant les charges sociales même si l'aide est fournie par des proches.

3. sur les pertes de gains professionnels futurs :

Les pertes de gains professionnels futurs résultent de la perte de l'emploi ou du changement d'emploi directement imputable au dommage ; ce poste de préjudice correspond à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente et est évalué à partir des revenus antérieurs afin de déterminer la perte annuelle. En l'espèce, alors que Mme [N] restait apte à exercer un emploi de femme de ménage antérieurement à l'accident médical, en dépit d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 6 % au titre d'un état antérieur, l'aggravation de ce déficit résultant des nouvelles séquelles générées par cet accident a causé son inaptitude professionnelle, ainsi que l'a relevé l'expertise judiciaire, puis son licenciement.

3.1. Sur le droit à indemnisation intégrale :

En premier lieu, la cour approuve les premiers juges d'avoir retenu comme revenu de référence la somme de 6 715 euros, correspondant au salaire annuel cumulé qu'elle a perçu au titre d'un contrat de travail à durée indéterminée de l'association Devise nettoyage au titre de l'année 2013 pendant laquelle la victime bénéficiait ainsi d'un emploi salarié et d'une rémunération représentative de son insertion professionnelle à cette époque antérieure à l'accident médical survenu en août 2014. A défaut de toute contestation du jugement au titre de l'indemnisation des pertes de gains professionnels actuels, dont le calcul repose sur le même revenu de référence (2è civ. 3 juillet 2014, n°13-22.416), l'Oniam est par ailleurs mal fondé à invoquer devant la cour un revenu de référence annuel de 6 243,72 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs, qui est ainsi différent de celui qu'elle a pourtant admis implicitement au titre des pertes de revenus antérieures à la consolidation.

En deuxième lieu, il n'appartient pas à la victime de prouver qu'elle était assurée de conserver le revenu de référence qu'elle a valablement établi sur la période antérieure à l'accident ou qu'elle a effectué les démarches nécessaires pour permettre de retrouver un emploi présentant un niveau de rémunération équivalent à ce revenu de référence. Lorsque l'inaptitude, consécutive à l'accident, est à l'origine du licenciement, il suffit de constater que la victime n'est pas apte à reprendre ses activités dans les conditions antérieures sans que cette dernière n'ait à justifier de la recherche d'un emploi compatible avec les préconisations de l'expert médical ou du médecin du travail.

En l'espèce, l'expert judiciaire a retenu que l'inaptitude professionnelle de Mme [K] résulte de l'accident médical non fautif qu'elle a subi.

La victime n'étant pas tenue de minimiser son dommage dans l'intérêt du débiteur de son indemnisation, il ne peut ainsi être reproché à Mme [K] de ne pas exercer une activité professionnelle depuis la consolidation de son état, quand bien même elle conserverait une capacité résiduelle de travail théorique .

En troisième lieu, l'expertise judiciaire relève certes que l'inaptitude professionnelle de Mme [N] concerne son emploi antérieur, de sorte qu'elle ne s'étend pas à une impossibilité d'exercer toute activité professionnelle. Pour autant, alors que son licenciement pour inaptitude repose sur une contre-indication au port de charge, à la station debout prolongée et aux montées et descentes d'escaliers, l'inaptitude professionnelle de la victime résulte également du syndrome douloureux chroniques associant céphalées et rachialgies, troubles constitutifs de son déficit fonctionnel permanent qui ont été causés par l'hypotension intracranienne imputable à son accident médical non fautif.

Il ressort de ces derniers éléments que les possibilités concrètes pour Mme [N] de reprendre une activité professionnelle sont particulièrement compromises, au regard du marché de l'emploi, de l'absence par la victime de toute formation ou diplôme, et de l'incompatibilité entre le caractère chronique de ses troubles douloureux et l'exercice d'un poste professionnel, même sédentaire et n'exigeant pas un port de charges ou une station debout prolongée. L'exercice d'un emploi administratif par Mme [N], même à l'issue d'une tentative de reconversion, se heurte ainsi à l'importance de ses séquelles.

Dans ces conditions, il convient d'indemniser intégralement Mme [K] du préjudice résultant de la privation de ses revenus professionnels antérieurs causée par l'accident médical, tant au titre de ses pertes de gains échues qu'au titre de celles à échoir.

En quatrième lieu, dès lors qu'il est acquis que Mme [N] n'a pas été en capacité de retravailler depuis sa consolidation, il n'y a pas lieu de détailler le montant de ses ressources annuelles pour rechercher d'éventuelles rémunérations salariées, alors que ses ressources résultent exclusivement de prestations sociales et sont désormais constituées d'un revenu de solidarité active.

3.1. Sur les pertes de gains professionnels futurs échus :

Jusqu'au présent arrêt, Mme [K] justifie n'avoir pu retrouver un emploi salarié, de sorte qu'elle doit être indemnisée de l'intégralité des pertes de revenus qu'elle a subi par comparaison à sa situation antérieure à l'accident médical.

En application de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, l'indemnisation de la victime d'un accident médical non fautif par l'Oniam doit s'effectuer, déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice, dès lors qu'elles présentent un caractère indemnitaire et qu'elles ont été effectivement versées à la victime.

En conséquence, les premiers juges sont approuvés en ce qu'ils ont considéré que :

- l'allocation de retour à l'emploi doit être prise en compte dans l'indemnisation allouée à la victime, dès lors qu'une telle prestation a un caractère indemnitaire en ce qu'elle est un revenu de remplacement pour une personne privée d'emploi et non un secours versé en raison d'une insuffisance de ressources, alors qu'il n'est pas contesté que cette prestation a été effectivement versée à Mme [N].

- l'allocation adulte handicapée qui s'y est substituée et dont Mme [N] a bénéficié à compter du 1er novembre 2017 n'est en revanche pas déductible de son indemnisation.

Ils ont en outre valablement retenu que Mme [N] a justifié à la fois du refus opposé par la MDPH de lui verser ultérieurement d'autres types de prestations et du non-renouvellement postérieur de ses sollicitations de ce chef en considération des conclusions de l'expertise et des motifs invoqués au soutien d'un tel refus.

Dès lors, alors qu'il appartient à la cour d'évaluer le préjudice subi à la date de son arrêt, il en résulte que les pertes de gains professionnels futurs échus s'établissent sur la période du 28 février 2017 au 5 janvier 2023, soit 2 138 jours à hauteur de

:

(2 138 jours x 6 715 euros/365) ' (16,28 euros x 247 jours de versement d'ARE à compter du 28 février 2017 et jusqu'au 1er novembre 2017) = 35 312,18 euros

3.2. sur les pertes de gains professionnels futurs à échoir :

En premier lieu, l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs à échoir subi par Mme [N] s'effectuera par capitalisation des arrérages à échoir, au regard du quantum du capital en résultant au profit de la victime.

En deuxième lieu, cette capitalisation sera viagère, et non limitée à l'âge légal de départ à la retraite de Mme [N], en fonction de l'impossibilité d'apprécier in concreto l'incidence de la cessation anticipée de toute activité professionnelle sur les points de retraite de Mme [N], au regard de son jeune âge (29 ans). En effet, il se déduit du constat précédemment effectué de l'existence d'une perte de gains professionnels de la victime avant l'âge de la retraite que celle-ci subit corrélativement (2e Civ., 20 octobre 2016, pourvoi n 15-15.811) et, en l'absence d'éléments contraires, nécessairement une diminution de ses droits à la retraite (2e Civ., 11 mars 2021, n° 20-12.319).

Il en résulte en revanche qu'au titre de l'incidence professionnelle, la perte des droits à la retraite ne sera pas prise en compte.

En troisième lieu, alors qu'elle dispose de la faculté de choisir le barème de son choix pour procéder à l'évaluation des préjudices susceptibles de capitalisation, la cour retiendra la table de capitalisation éditée en 2020 par la Gazette du palais qui repose sur une table de mortalité définitive publiée par l'INSEE 2014-2016 France entière, et un taux d'intérêt fixé à 0 %, cette table étant établie à partir de données démographiques récemment publiées par l'INSEE et prenant en compte des données économiques actualisées et objectives concernant le rendement des placements et l'inflation qui affecte ce rendement.

En considération de l'ensemble de ces éléments, il convient de liquider les pertes de gains professionnels futurs à échoir subies par Mme [N] à hauteur de :

6 715 euros x 56,331 = 378 262,66 euros.

Soit une perte totale de 413 574,85 euros.

La demande de Mme [N] étant à titre principal de 366 286,51 euros, il convient de lui accorder ce montant.

Le jugement critiqué est réformé du chef du quantum de ce poste de préjudice.

4. sur l'incidence professionnelle :

Le cumul de l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs et d'une incidence professionnelle est admis lorsque ces indemnisations visent des préjudices distincts.

La perte des droits à la retraite ayant été déjà indemnisée et Mme [N] n'établissant aucune perte de chance de promotion professionnelle, il convient d'indemniser Mme [N] de l'anomalie sociale qui résulte de son activité, étant observé que la dévalorisation sur le marché du travail n'a enfin pas vocation à être prise en compte lorsque l'impossibilité définitive et totale d'exercer une activité professionnelle a été reconnue au titre des pertes de gains professionnels futurs.

La réparation de ce préjudice est fixée à 15 000 euros, en considération du jeune âge de la victime.

Le jugement critiqué est par conséquent réformé de ce chef.

5. sur le déficit fonctionnel temporaire :

Les premiers juges ont valablement évalué ce poste de préjudice, selon une motivation et des modalités de liquidation que la cour adopte. Le jugement est confirmé de ce chef.

6. sur le déficit fonctionnel permanent :

Outre que Mme [N] n'explique pas l'évolution de sa propre évaluation de ce poste par rapport à sa demande formée devant les premiers juges (9 600 euros contre 20 400 euros) et que l'indemnisation qu'elle avait elle-même sollicitée lui a été accordée en première instance, la cour estime qu'au regard du taux non contesté de 6 %, leur évaluation du point assure une réparation intégrale de ce préjudice, qui intègre l'ensemble des composantes de ce poste, et notamment les souffrances endurées et les troubles dans les conditions d'existence que la victime a subi postérieurement à la consolidation.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

1 Sur la capitalisation annuelle des intérêts :

La capitalisation annuelle des intérêts étant de droit lorsqu'elle est judiciairement sollicitée, le jugement l'ayant ordonné est confirmé.

2 Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit à condamner l'Oniam, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à Mme [N] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement rendu le 4 mars 2021 par tribunal judiciaire de Lille dans toutes ses dispositions, sauf en ses dispositions ayant condamné l'Oniam à payer à Mme [N], au titre de l'indemnisation complète de son préjudice, les sommes de :

- 234 320,68 euros, au titre des pertes de gains professionnels futurs ;

- 50 000 euros, au titre de l'incidence professionnelle ;

L'infirme de ces deux chefs et statuant à nouveau :

Condamne l'Oniam à payer à Mme [B] [N] les sommes de :

- 366 286,51 euros, au titre des pertes de gains professionnels futurs ;

- 15 000 euros, au titre de l'incidence professionnelle ;

Y ajoutant,

Condamne l'Oniam aux dépens d'appel ;

Condamne l'Oniam à payer à Mme [B] [N] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/02210
Date de la décision : 05/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-05;21.02210 ?
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