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16/12/2022 | FRANCE | N°21/00609

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 16 décembre 2022, 21/00609


ARRÊT DU

16 Décembre 2022







N° 2037/22



N° RG 21/00609 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TS6H



MLBR/CH

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT OMER

en date du

08 Avril 2021

(RG 19/00126 -section )





































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GROSSE :



aux avocats



le 16 Décembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [A] [L]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Jean-Sébastien DELOZIERE, avocat au barreau de SAINT-OMER





INTIMÉE :



S.A.S. ARC FRANCE

[Adress...

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 2037/22

N° RG 21/00609 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TS6H

MLBR/CH

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT OMER

en date du

08 Avril 2021

(RG 19/00126 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [A] [L]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Jean-Sébastien DELOZIERE, avocat au barreau de SAINT-OMER

INTIMÉE :

S.A.S. ARC FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Hugues MAQUINGHEN, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Victor FLEURET, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 15 Novembre 2022

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaetan DELETTREZ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 25 octobre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SAS ARC France a embauché M. [A] [L] à compter du 10 février 1989 en qualité de 'cartonneur'. Il occupait depuis le 1er février 2016 les fonctions de chef d'équipe au sein de la direction unité D correspondant au four D.

La convention collective nationale de la fabrication mécanique du verre est applicable à la relation de travail.

Le 15 mai 2019, Mme [H], salariée de la société d'intérim Manpower, a signalé à la direction des ressources humaines de la société ARC France le comportement anormal de M. [L] vis-à-vis d'une salariée intérimaire, Mme [X] [Y].

Le 22 mai 2019, la société ARC France a notifié à M. [L] sa mise à pied à titre conservatoire dans l'attente de l'achèvement de l'enquête menée par des membres élus du CHSCT et le 28 mai 2019, l'intéressé a été convoqué à un entretien disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement. Cet entretien a eu lieu le 11 juin 2019.

Par lettre recommandée du 19 juin 2019, M. [L] a reçu la notification de son licenciement pour faute grave motivé par le fait qu'il aurait notamment eu 'un comportement déplacé, parfois menaçant et dégradant vis-à-vis de certains collègues', et en particulier à l'égard d'une intérimaire à qui il aurait fait des avances.

M. [L] a nié les faits qui lui étaient reprochés, que ce soit lors de son audition par des membres du CHSCT, lors de l'entretien préalable du 11 juin 2019 ou encore dans un courrier à la suite de la notification de son licenciement.

Par requête du 17 juillet 2019, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Omer afin de contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses indemnités.

Par jugement contradictoire rendu le 8 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Saint-Omer a :

- débouté M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- débouté la SAS ARC France de sa demande d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 3 mai 2021, M. [L] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant débouté la SAS ARC France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 18 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [A] [L] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ses dispositions critiquées ;

à titre principal,

- requalifier son licenciement pour faute grave en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- annuler la mise à pied conservatoire prononcée à son encontre le 22 mai 2019 ;

en conséquence,

- condamner la société ARC France au paiement de :

* une somme de 38 416,76 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* une somme de 10 259,67 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 025,96 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

* une somme de 68 397,80 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

* une somme de 10 000 euros nets en réparation du préjudice subi du fait des conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail et du préjudice financier en ayant résulté ;

* une somme de 500 euros nets à titre de dommages et intérêts pour la privation de médaille du travail et de gratification y afférente ;

* une somme de 1 562,64 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire du 22 mai au 19 juin 2019, outre 156,26 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

à titre subsidiaire,

- requalifier la mise à pied prononcée à son encontre le 22 mai 2019 en mise à pied disciplinaire ;

-requalifier le licenciement pour faute grave prononcé à son encontre le 19 juin 2019 en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

en conséquence,

- condamner la société ARC France au paiement des sommes susvisées ;

en tout état de cause,

-ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à l'arrêt à intervenir, le tout sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter de sa notification ;

-condamner la société ARC France au versement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés tant en première instance qu'au terme de la présente procédure ;

-condamner la société ARC France aux entiers dépens des deux instances ;

-débouter la société ARC France de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 10 août 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société ARC France demande à la cour de :

-confirmer le jugement rendu le 8 avril 2021,

-condamner M. [L] au règlement de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- sur le licenciement de M. [L] :

A titre principal, M. [L] qui conteste la faute qui lui est reprochée, fait valoir que son employeur n'en rapporte nullement la preuve à travers les pièces produites et en

conclut que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et sa mise à pied injustifiée.

Il critique notamment l'enquête interne menée par des membres du CHSCT et les déductions tirées des auditions de salariés, faisant observer que Mme [Y] n'a pas été entendue, que 3 salariés auditionnés nourrissent des rancoeurs personnelles à son égard, et qu'aucun ne prétend avoir été témoin direct des faits allégués, certains ne connaissant même pas Mme [Y].

Il souligne également le fait qu'aucune des pièces n'identifie précisément d'autres collègues victimes de ses agissements, alors que la lettre de licenciement évoque des fautes répétées à l'égard de plusieurs collaboratrices, sans d'ailleurs en préciser la date et la nature.

Dans un subsidiaire, M. [L] prétend qu'à supposer la faute établie, l'engagement de la procédure disciplinaire par sa convocation à l'entretien préalable a été tardive dans la mesure où elle est intervenue 4 jours après la notification de la mise à pied à titre conservatoire de sorte que celle-ci présentait un caractère disciplinaire et que l'employeur ayant ainsi épuisé son pouvoir disciplinaire, ne pouvait plus ultérieurement le sanctionner pour les mêmes faits par son licenciement.

En réponse, la société ARC France justifie tout d'abord le prononcé et la durée de la mesure de mise à pied à titre conservatoire par la nécessité d'attendre les résultats de l'enquête menée par des membres élus du CHSCT et du référent Harcèlement, en rappelant également qu'elle n'a pas piloté cette enquête, et en jugeant raisonnable le délai qui a couru avant l'engagement de la procédure disciplinaire.

Pour établir la matérialité des agissements harcelants de M. [L], elle s'appuie sur les auditions de différents salariés insistant sur le fait que, s'ils n'ont pas été témoins directs, ils ont cependant recueilli les premières confidences de Mme [Y], d'autres ayant fait état du langage 'familier et vulgaire' de M. [L] à l'égard de salariées, ainsi que sur la concordance de l'attestation de Mme [Y] avec l'écrit de la salariée de l'agence d'intérim ayant dénoncé les faits.

Sur ce,

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L1234-1 du même code est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.

II appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d'une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société ARC France expose avoir été alertée le 15 mai 2019 du comportement anormal de M. [L] envers une interimaire et d'en avoir avisé le CHSCT qui a décidé de réaliser une enquête interne par ses membres élus et le référent harcèlement. L'employeur fait par la suite état des éléments suivants : 'Les faits qui sont ressortis sont graves et ne peuvent être tolérés dans l'entreprise. En effet, lors des auditions, il a été mis en exergue que vous aviez un comportement déplacé avec une interimaire et que notamment vous lui faisiez des avances de manière répétée. Malgré le refus de l'interimaire, vous avez continué. Vous avez été jusqu'à la suivre à son véhicule. Cette dernière vous aurait répété qu'elle était en couple, vous auriez rétorqué que cela n'était pas un problème pour vous.

En sus du comportement avec l'interimaire... il ressort des auditions que vous aviez également un comportement déplacé à l'égard d'autres collaboratrices. Certains propos tels que 'une pipe et tu sors', et d'autres où la connotation est sous-entendue, tels que 'tu aimerais bien avoir un contrat ' Si vraiment tu en veux un, tu peux l'avoir mais...'..enfin certains collaborateurs de l'entreprise auditionnés ont également exposé des situations dans lesquelles vous profériez des menaces à leur encontre.

Tous ces faits amènent à la conclusions que vous avez un comportement déplacé, parfois menaçant et dégradant vis-à-vis de certains collègues'.

Après avoir rappelé les articles du règlement intérieur relatifs notamment au harcèlement sexuel (art 17), la société ARC France conclut en ces termes : 'au vu de votre comportement répété et intolérable dans l'entreprise ainsi qu'au vu du poste que vous occupez actuellement, à savoir le poste de chef d'équipe, poste de manager qui nécessite un comportement irréprochable vis-à-vis des collaborateurs. Un climat de peur et de méfiance a été installé au sein de votre service. Votre comportement constitue une faute suffisamment sérieuse pour empêcher la continuation de nos relations contractuelles. C'est pourquoi nous vous notifions votre licenciement pour faute grave.'

Pour justifier de la véracité des fautes alléguées, la société ARC France produit principalement les auditions des salariés réalisées au cours de l'enquête du CHSCT, l'attestation de Mme [Y] ainsi que le courriel de signalement de l'agence d'intérim Manpower.

Aux termes de ce dernier message du 15 mai 2019 adressé au service des ressources humaines de la société ARC France, Mme [H], son auteur, explique être obligée de rapporter les informations recueillies auprès de Mme [Y], salariée interimaire affectée au four D depuis le 12 avril 2019, lors d'un premier échange en date du 9 mai 2019 et d'une rencontre ayant eu lieu le 13 mai 2019, Mme [Y], 'en pleurs' ne souhaitant pas témoigner et préférant mettre fin à sa mission.

Mme [H] relate dans son courriel les faits suivants : ' depuis son arrivée le 12/04, elle subit les avances de son chef direct ([A] [L]). A chaque poste, il lui demande son n° de tel et/ou son Facebook, il passe la voir régulièrement sur la ligne

où elle est affectée pour la complimenter(...) Il est même allé jusqu'à la suivre en fin de poste jusqu'à son véhicule, a frappé à la vitre pour lui demander son tel avec insistance. Notre salariée lui a répondu 'non' en lui précisant qu'elle était mariée et que cela ne l'intéressait pas. [A] [L] lui a répondu que cela ne le dérangeait pas et qu'il pouvait tout de même prendre du bon temps.'

Mme [H] précise également que le responsable de production, M. [J] [V], a été informé de la situation par Mme [Y] dès le 7 mai 2019 devant témoins, après que celui-ci lui a reproché de ne pas avoir alerté M. [L] des difficultés rencontrées avec un autre salarié, M. [E]. M. [V] lui aurait alors enjoint de ne pas en parler à Manpower et à la reprise de cycle, le dimanche 12 mai, M. [L] serait venu vers Mme [Y] pour lui dire 'je sais que tu as RDV demain chez Manpower, tu n'as pas intérêt de leur parler de moi ! Tu as mal compris mes propos'.

Entendue par la commission d'enquête du CHSCT le 22 mai 2019, Mme [H] a de nouveau relaté les faits révélés par Mme [Y], précisant également que M. [L] aurait tenu des propos suggestifs comme 'tu aimerais bien avoir un contrat ' Si vraiment tu en veux un, tu peux l'avoir mais...', et ajoutant que lorsque Mme [Y] a évoqué les avances de M. [L] devant M. [V] et M. [S], ces derniers auraient souri et lui auraient conseillé de se faire raccompagner à sa voiture en fin de poste.

Mme [H] a ajouté qu'elle n'avait jamais eu de remontée négative concernant Mme [Y], interimaire depuis 2018, et qu'après les faits, elle l'avait sentie 'désabusée, déçue et ébranlée par la situation', ne comprenant pas ce qui s'est passé.

Si comme le relève M. [L], Mme [Y] n'a effectivement pas souhaité être entendue pendant l'enquête et ne pouvait y être contrainte, elle a cependant remis à la société ARC France une longue attestation rédigée après le licenciement de M. [L] dans laquelle elle décrit de manière circonstanciée les agissements dont elle dit avoir été victime de la part de celui-ci et d'un de ses collègues, M. [E].

Elle relate notamment 'qu'habituellement quasiment toujours absent sur la ligne, celui-ci (M. [L]) était présent à mes côtés et me donnait un coup de main... En rigolant, au début, celui-ci m'a complimentée en me disant oralement à plusieurs reprises 'tu as de beaux yeux et un joli sourire'... par la suite, il m'a demandé si j'avais un compte Facebook et à plusieurs reprises avec insistance essayé d'avoir mon adresse'. Elle évoque également dans les mêmes termes que Mme [H] la scène au cours de laquelle il l'a suivie jusqu'à son véhicule, lui faisant la promesse d'un éventuel CDD 'voir plus si...'.

Mme [Y] explique ensuite que M. [L] l'a sciemment mis sur une ligne de production avec M. [E], qui était connu pour être hostile aux femmes et être agressif, à titre de punition, et que ses collègues ayant remarqué le comportement de ce salarié à son égard, en ont informé '[R]' qui a alerté M. [V], responsable de production. Convoquée le 7 mai 2019 par ce dernier, en présence du dénommé [R]

et de '[T]', elle indique qu'il lui a été alors fait le reproche 'de ne pas avoir fait remonter plus tôt cette situation auprès de son chef d'équipe, M. [L]' et que c'est à ce moment qu'elle a expliqué 'les différentes avances, pressions subies par M. [L] et donc le souhait de ne pas aller le voir dans son bureau pour se plaindre', et qu'elle envisageait d'en parler à la société Manpower, ce à quoi M. [V] a réagi en disant à ses collègues 'il a encore remis ça' et en lui demandant avec insistance de ne pas en parler à l'agence d'interim.

Mme [Y] précise ensuite qu'à sa prise de poste le dimanche 12 mai, elle a vu M. [V] parlait avec M. [L] en la montrant du doigt, avant que ce dernier vienne la voir 'en furie et avec autorité' pour lui dire 'je sais que tu as RDV demain chez Manpower, tu n'as pas intérêt de leur parler de moi, sinon... ; tu as mal compris mes propos'. Elle fait également état des reproches de certains collègues à son égard, après la révélation du comportement de M. [L].

Outre le caractère concordant de cet écrit avec le premier mail de la société Manpower signalant la situation, il convient également de relever qu'entendus dès le 22 mai 2019 par la commission d'enquête interne, soit bien avant l'établissement par M. [Y] de son attestation, M. [V] et M. [T] [M] ont confirmé en tout point les circonstances dans lesquelles celle-ci a évoqué devant eux les avances dont elle avait fait l'objet de la part de M. [L].

M. [V] a indiqué que c'est lui qui a pris l'initiative de convoquer Mme [Y] à la suite de sa 'dispute' avec M. [E] et qu'en présence de M. [M] et de M. [S] ([R]), celle-ci s'est mise à pleurer avant d'évoquer les avances faites par M. [L] et son intention d'en parler à Manpower. Il a confirmé également en avoir parlé quelques jours plus tard avec l'intéressé pour connaître sa version et avoir appris que celui-ci avait alors pris contact avec Mme [Y], l'ensemble de ces déclarations confortant la version des faits donnée par cette dernière.

M. [M] a indiqué pour sa part être 'resté sans voix' après que Mme [Y] leur ait dit que 'le chef l'a positionné là (près de M. [E]) du fait qu'elle avait refusé ses avances'.

Ces différentes auditions cohérentes entre elles confortent la crédibilité de Mme [Y] lors la révélation des faits la concernant, tous ayant souligné qu'elle était en pleurs et/ou choquée.

M. [O] a quant à lui évoqué des agissements vulgaires ou harcelants de la part de M. [L] à l'égard de collègues qui s'en étaient plaintes et ont demandé leur changement d'équipe, M. [O] indiquant avoir relayé l'information au service des ressources humaines.

Mme [N], entendue dès le 22 mai 2019, a également indiqué avoir 'entendu M. [P] et d'autres collaborateurs échanger sur le fait que M. [L] aurait suivi une interimaire sur le parking jusqu'à sa voiture', le qualifiant de 'coureur de jupon'.

En évoquant la discussion de ses collègues concernant la scène du parking, Mme [N] renforce la crédibilité de Mme [Y] avec laquelle elle n'a pourtant pas pu se concerter dans la mesure où elle indique ne pas la connaître.

M. [L] conteste le caractère probant des déclarations de M. [O] et Mme [N] en raison des tensions qui les opposeraient, ce que ceux-ci ont admis au cours de leur audition. Toutefois, leurs propos sont circonstanciées et portent sur des scènes différentes.

Mme [U], qui ne connaît pas non plus Mme [Y], et dont M. [L] ne dénonce pas le manque d'impartialité, a en outre confirmé lors de son audition que celui-ci a un langage familier, voir vulgaire, dont 2 de ses collègues se sont plaints, une collègue dont elle ne donne pas le nom lui ayant aussi rapporté avoir sollicité M. [L] pour sortir plus tôt, ce à quoi celui-ci lui a répondu 'une pipe et tu sors'.

Le portrait de M. [L] ainsi dressé par M. [O] et Mme [U] renforcent également la crédibilité des dénonciations de Mme [Y].

Comme la société ARC France le rappelle par ailleurs à raison, les auditions ont été menées par des élus du personnel et non par la direction de l'entreprise de sorte qu'il ne peut lui être reprochée d'avoir tenté d'influencer ses salariés.

Enfin, il sera relevé que M. [L] ne produit aucun élément de nature à contredire les déclarations susvisées sur les scènes évoquées par Mme [Y], les attestations pré-rédigées et au contenu identique de plusieurs de ses collègues, qui relatent simplement qu'il a toujours effectué son travail avec professionnalisme et avec autorité mais sans pression sur le personnel, étant inopérantes à défaut d'être circonstanciées et en rapport avec les faits dénoncés.

Peu importe que les salariés entendus n'aient pas été témoins directs des agissements de M. [L], l'ensemble des pièces produites par la société ARC France, cohérentes entre elles et suffisamment circonstanciées quant aux faits dénoncés par Mme [Y], permettent de retenir comme établis les propos à connotation sexuelle tenus à plusieurs reprises par M. [L] à son égard et qui, au vu des fonctions de chef d'équipe occupées par l'appelant et du lien hiérarchique existant entre eux, étaient de nature à créer une situation intimidante pour Mme [Y], et ce d'autant plus au vu de la décision prise par M. [L] de la placer sur la ligne de production auprès d'un collègue connu pour son comportement particulièrement tempétueux, voir agressif, et qui a d'ailleurs lui aussi fait l'objet d'une sanction à ce titre.

En revanche, à défaut d'élément circonstancié concernant les autres salariées qui auraient également subi les agissements de M. [L], n'est pas rapportée la preuve d'un comportement déplacé et harcelant de ce dernier sur le lieu de travail à l'égard d'autres personnes que Mme [Y], comme allégué dans la lettre de licenciement.

Il en est de même des allégations d'attitudes menaçantes, les faits relatés uniquement par Mmes [N] et [W] s'inscrivant dans un contexte conflictuel particulier, M. [L] entretenant à l'époque une relation affective avec Mme [W], de sorte que les garanties d'objectivité de ces deux témoignages à ce sujet ne sont pas certaines.

Cependant, le comportement harcelant de M. [L] à l'égard de Mme [Y], dans le contexte rappelé plus haut, constitue à elle seule une faute suffisamment grave pour

rendre immédiatement impossible la poursuite de la relation de travail même pendant la durée limitée du préavis, au regard des fonctions de chef d'équipe de M. [L] et donc du comportement exemplaire auquel il est tenu à l'égard des autres salariés, la société ARC France ne pouvant par ailleurs prendre le risque qu'à l'occasion de l'exercice de ses responsabilités, M. [L] réitère de tels comportements à l'égard de nouvelles salariées ou interim aires.

Est enfin inopérant le moyen avancé par M. [L] tiré du fait que la mise à pied dont il a fait l'objet serait de nature disciplinaire et que son prononcé ferait obstacle à l'engagement de la procédure de licenciement.

En effet, la société ARC France a de manière explicite par son courrier du 22 mai 2019 imposé à M. [L] une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat, 'dans l'attente d'une décision' sur la suite donnée à l'enquête ouverte par le CHSCT ce même jour, n'envisageant donc à ce stade aucune sanction.

Par ailleurs, la société ARC France a engagé la procédure disciplinaire dans un délai suffisamment bref après avoir pris connaissance des résultats de l'enquête du CHSCT dès lors que les conclusions de cette enquête lui ont été remises le 23 mai 2019 et que la convocation de M. [L] à un entretien disciplinaire préalable à son éventuel licenciement est intervenue le 28 mai 2019, soit à peine 4 jours ouvrables après sa mise à pied à titre conservatoire.

Il n'est ainsi pas établi que la mise à pied était de nature disciplinaire de sorte que la société ARC France était en droit d'initier une procédure de licenciement pour faute grave à l'égard de M. [L] en raison des faits fautifs susvisés.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement pour faute grave de l'appelant est fondé et a débouté ce dernier de ses demandes.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, M. [L], qui n'a pas été accueilli en ses demandes, devra supporter les dépens de première instance sur lesquels les premiers juges ont omis de statuer, ainsi que les dépens d'appel.

L'équité commande par ailleurs de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les parties de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance.

Il est sera de même s'agissant des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 8 avril 2021 en toutes ses dispositions ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que M. [A] [L] supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Gaetan DELETTREZ

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/00609
Date de la décision : 16/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-16;21.00609 ?
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