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16/12/2022 | FRANCE | N°20/02097

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 16 décembre 2022, 20/02097


ARRÊT DU

16 Décembre 2022







N° 2018/22



N° RG 20/02097 - N° Portalis DBVT-V-B7E-THJ5



MLBR/AL

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

15 Septembre 2020

(RG 17/00174 -section )



































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GROSSE :



aux avocats



le 16 Décembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [I] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Vincent DUSART HAVET, avocat au barreau de VALENCIENNES





INTIMÉE :



S.A.S. SEETRACK

[Adres...

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 2018/22

N° RG 20/02097 - N° Portalis DBVT-V-B7E-THJ5

MLBR/AL

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

15 Septembre 2020

(RG 17/00174 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [I] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Vincent DUSART HAVET, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE :

S.A.S. SEETRACK

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Antoine BIGHINATTI, avocat au barreau de VALENCIENNES

DÉBATS : à l'audience publique du 08 Novembre 2022

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Nadine BERLY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 07 Novembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [I] [U] a été embauché en tant que commercial par la SAS Seetrack, spécialisée dans la vente et l'installation de dispositifs de surveillance et de sécurité, suivant contrat à durée indéterminée régularisé le 20 octobre 2015. Sa rémunération brute mensuelle était fixée à 2 000 euros par mois, complété d'un pourcentage sur le chiffre d'affaires réalisé.

Il était également stipulé au contrat à titre d'objectif la réalisation d'un chiffre d'affaires trimestriel au moins égal à 100 000 euros, révisable chaque année, après accord entre les parties. Il était indiqué qu'il pourrait le cas échéant être mis fin au contrat si M. [U] n'atteignait pas cet objectif sur 12 mois consécutifs.

La convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité est applicable à la relation de travail.

Par courrier du 29 août 2016, M. [U] a été convoqué à un entretien fixé au 9 septembre 2016 préalable à son éventuel licenciement.

Le 15 Septembre 2016, M. [U] a reçu notification de son licenciement a été licencié en raison de l'insuffisance de ses résultats par rapport à ceux convenus au contrat.

Par requête du 13 avril 2017, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Valenciennes afin de contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses indemnités.

Par jugement contradictoire rendu le 15 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Valenciennes a :

-dit le licenciement de M. [U] justifié par une cause réelle et sérieuse,

-débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes,

-condamné M. [U] à payer à la SAS Seetrack la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné M. [U] aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 12 octobre 2020, M. [I] [U] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 13 mai 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [I] [U] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau :

-dire son licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

-condamner la Société Seetrack à lui payer les sommes suivantes :

*20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

*3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 23 juin 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la SAS Seetrack demande à la cour de :

- confirmer le jugement,

- débouter M. [U] de ses demandes,

- y ajouter la condamnation de M. [U] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de l'appel,

-le condamner aux entiers dépens,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- sur le licenciement de M. [U] :

Pour soutenir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [U] fait notamment valoir que :

- son licenciement est intervenu avant même l'expiration de la période de 12 mois prévue au contrat pour apprécier si les objectifs contractuels étaient atteints,

- la société Seetrack ne justifie pas du caractère réaliste et réalisable des objectifs fixés, M. [U] insistant sur le fait qu'en 2013, le chiffre d'affaires de la société n'était que de 89 600 euros, et qu'en dépit d'une sommation officielle, l'intimée n'a pas communiqué d'élément sur ses bilans 2015 à 2017, ni non plus sur le chiffre d'affaires réalisé par les salariés qui lui ont succédé.

En réponse aux arguments adverses, il ajoute qu'il n'a jamais été formé aux techniques commerciales alors qu'il n'avait aucune expérience en la matière, contestant avoir eu à sa disposition une base de clientèle et un argumentaire commercial déjà prêts pour faciliter la prospection téléphonique.

Il entend aussi justifier de la réalité de son activité à travers ses agenda , cahier de compte-rendus téléphoniques et relevé des entreprises prospectées, soutenant que les difficultés à conclure des contrats s'expliquent par l'impossibilité jusqu'en mai 2016 de racheter le leasing en cours du client démarché en l'absence d'assise financière suffisante de la société Seetrack.

En réponse, la société Seetrack fait d'abord observer qu'après la conclusion du contrat de travail, les objectifs n'ont fait l'objet d'aucune contestation quant à leur caractère réalisable par M. [U] qui ne discute pas non plus le fait qu'il ne les a atteints qu'à hauteur de 15% après près d'un an d'activité, soit un chiffre d'affaires de 53 266 euros qui ne suffisait même pas à couvrir son coût salarial.

Elle affirme également en s'appuyant sur une attestation d'un salarié de la société Ubiq System que les objectifs étaient conformes aux usages de la profession, et prétend avoir fourni une liste de clients à prospecter ainsi qu'un argumentaire et des plaquettes afin de faciliter l'établissement de propositions commerciales.

La société Seetrack explique les mauvais résultats de M. [U] par ses démarches improductives auprès des clients, avec une multiplication inutile de RDV, lui reprochant également une défaillance dans le suivi des clients prospectés, voir une suspicion de mention de faux RDV sur son agenda. Elle remet aussi en doute les attestations produites par M. [U] évoquant 'les méthodes utilisées par celui-ci en vue d'influencer d'éventuels témoins'.

Enfin, l'intimée nie toute difficulté pour le rachat des contrats de location en cours des clients prospectés.

Sur ce,

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

Selon l'article L. 1235-1 du même code, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'insuffisance de résultats qui peut constituer une cause sérieuse de licenciement, se manifeste par la difficulté du salarié à atteindre les objectifs fixéx en raison notamment d'une insuffisance professionnelle qui doit toutefois reposer sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié et des moyens mis à sa disposition pour accomplir sa tâche.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de vérifier si les objectifs fixés étaient réalistes, réalisables et compatibles avec le marché, ainsi que la réalité et le sérieux de l'insuffisance de résultats sur laquelle est fondé le licenciement.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société Seetrack rappelle en premier lieu les objectifs contractuellement fixés, à savoir 'un chiffre d'affaires trimestriel au moins égal à 100 000 euros', soit pour la période courant du mois de novembre 2015 à juillet 2016, 'un objectif total de 287 000 euros'. Elle poursuit en relevant que M. [U] n'a réalisé que 37 450 euros et qu'il a refusé toute discussion lors d'un entretien organisé le 29 juillet 2016 à ce sujet 'afin de définir un plan d'action commercial', avant de conclure sa lettre en ces termes : 'nous devons constater en l'absence d'amélioration significative que vous êtes très loin d'avoir atteint les résultats sur lesquels vous vous étiez contractuellement engagé. Nous ne pouvons que constater l'impossibilité de poursuivre la relation contractuelle.'

Pour justifier que l'objectif contractuellement fixé par les parties était réalisable et compatible avec le marché, la société Seetrack se borne à soutenir qu'il était conforme aux usages de la profession et produit en ce sens une attestation de M. [O] [C], qui se présente comme ancien salarié d'une autre société intervenant dans le même secteur d'activité, la société Ubiq System, et qui atteste qu'à l'époque, son objectif mensuel était de 35 000 euros , soit 420 000 euros annuel, et que la première année, il a pour sa part réalisé un peu plus de 750 000 euros.

Cette seule attestation ne peut constituer une preuve du caractère réaliste et réalisable de l'objectif fixé à M. [U], sachant, au vu des extraits du site societe.com produits par M. [U], que la société Seetrack et la société Ubiq System ne sont de surcroît pas comparables au vu de leur ancienneté et chiffre d'affaires respectifs.

Le caractère réaliste et réalisable de l'objectif fixé s'apprécie avant tout par rapport à la situation économique propre de l'employeur, à l'activité de salariés de l'entreprise ayant une mission similaire et aussi aux moyens donnés au salarié pour l'atteindre.

Ces éléments sont d'autant plus indispensables qu'en l'espèce, M. [U], non contredit sur ce point, justifie par un extrait du site internet societe.com que le chiffre d'affaires de la société Seetrack en 2013, soit 2 ans avant la conclusion de son contrat, n'était que de 89 600 euros, donc 4 fois inférieur à celui qu'elle demandait à M. [U] de réaliser entre 2015 et 2016, de sorte qu'il doit être vérifié si l'objectif fixé était réaliste ou au contraire trop ambitieux et inatteignable au vu de celui affiché de 2013.

Or, la société Seetrack ne produit aucun élément financier et économique la concernant, notamment ses bilans pour les périodes contemporaines à la conclusion du contrat de travail afin de connaître l'évolution de son chiffre d'affaires à l'époque, ni aucun élément chiffré sur le chiffre d'affaire réalisé par les collègues éventuels de M. [U], ou les commerciaux qui l'ont précédé ou lui ont succédé.

Il sera aussi relevé que la société Seetrack ne produit aucune pièce sur le chiffre d'affaires effectivement réalisé par M. [U], sachant par ailleurs qu'elle se contredit sur son montant puisqu'elle évoque d'une part, dans la lettre de licenciement, un montant de 37 450,15 euros réalisé entre novembre 2015 et juillet 2016 , et d'autre part, dans le tableau inséré en page 5 de ses conclusions, un chiffre d'affaires de 53 266 euros entre novembre 2015 et octobre 2016 dont 33 101,50 euros arrêté en juillet 2016, sachant que M. [U] argue pour sa part d'un chiffre d'affaires réalisé de 77 443 euros (pièce 30).

Il n'est par ailleurs justifié par la société Seetrack d'aucune démarche auprès de M. [U] avant la convocation à l'entretien préalable pour l'alerter sur l'insuffisance de ses résultats, et l'inciter à faire évoluer ses méthodes de prospection qu'elle critique désormais dans ses conclusions, en lui proposant un accompagnement à cet effet.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens de contestation avancés par M. [U], il apparaît que le grief tiré de l'insuffisance de ses résultats n'est pas établie par la société Seetrack, de sorte que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé en ce sens.

L'entreprise ayant moins de onze salariés, M. [U] a droit à la réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de son licenciement, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-5 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, applicable au litige.

Il réclame à ce titre une indemnité de 20 000 euros, faisant valoir qu'il a subi une période de chômage jusqu'en septembre 2017, ne percevant que 1142 euros d'allocation de retour à l'emploi, avant de reprendre une activité indépendante de courtier en assurance.

Agé de 40 ans au jour de son licenciement, M. [U] ne bénéficiait que d'une ancienneté limitée d'à peine 1 an au sein de la société Seetrack. Par la notification de l'ouverture de ses droits à l'allocation d'aide au retour à l'emploi, il justifie d'une perte financière significative par rapport au salaire perçu antérieurement mais ne produit aucune pièce concernant sa situation personnelle après son licenciement et notamment la date de reprise d'une activité professionnelle.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, notamment de la perte de revenus après son licenciement mais aussi d'une ancienneté et période de chômage limitées, il convient de condamner la société Seetrack à lui payer une indemnité de 6 000 euros en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi.

- sur les demandes accessoires:

M. [U] étant accueilli en ses principales demandes, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Seetrack devra supporter les dépens de première instance et d'appel. Elle sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est en outre inéquitable de laisser à M. [U] la charge des frais irrépétibles exposés en appel. La société Seetrack est condamnée à lui payer une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en date du 15 septembre 2020 en toutes ses dispositions;

statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que le licenciement de M. [I] [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la société Seetrack à payer à M. [U] une somme de 6 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Seetrack à payer à M. [U] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société Seetrack supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Gaetan DELETTREZ

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 20/02097
Date de la décision : 16/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-16;20.02097 ?
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