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15/12/2022 | FRANCE | N°22/02411

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 15 décembre 2022, 22/02411


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 15/12/2022





****





N° de MINUTE : 22/482

N° RG 22/02411 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UJAB



Ordonnance (N° 21/04900) rendue le 28 Avril 2022par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANT



Maître [T] [V]

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représenté par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, a

vocat constitué, assisté de Me Yves-Marie Le Corff, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant substitué par Me Philippe Herve, avocat au barreau de Paris



INTIMÉE



Etablissement Public Delegation Unedic AGS

[Adresse ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 15/12/2022

****

N° de MINUTE : 22/482

N° RG 22/02411 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UJAB

Ordonnance (N° 21/04900) rendue le 28 Avril 2022par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANT

Maître [T] [V]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Yves-Marie Le Corff, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant substitué par Me Philippe Herve, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE

Etablissement Public Delegation Unedic AGS

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Laurent Guilmain, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Me Franck Morel, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant,

DÉBATS à l'audience publique du 12 octobre 2022 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2022 après prorogation du délibéré en date du 1er décembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 septembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

Par arrêt définitif du 30 mars 2018, la cour d'appel a condamné le CGEA-AGS de Lille à garantir le paiement d'une somme allouée aux salariés d'une société en liquidation judiciaire à titre de dommages-intérêts consécutifs au refus de Me [V] de leur délivrer une attestation individuelle d'exposition à l'amiante.

Par acte du 17 août 2021, Me [V] a été assigné en responsabilité professionnelle devant le tribunal judiciaire de Lille en paiement de la somme correspondant aux montants versées aux salariés en exécution de cet arrêt.

Par ordonnance rendue le 28 avril 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lille a :

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation ;

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;

- condamné Me [V] aux dépens de l'incident et à payer à l'Unedic 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 16 mai 2022, Me [V] formé appel de l'intégralité du dispositif de cette ordonnance.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 septembre 2022, Me [V] demande à la cour d'infirmer l'ordonnance critiquée en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

- annuler l'assignation délivrée le 3 juin 2021 (sic) à la requête de la Délégation Unedic AGS ;

- subsidiairement, dire que la Délégation Unedic AGS est irrecevable pour défaut de qualité à agir ;

- dire prescrite l'action de la Délégation Unedic AGS ;

- rejeter comme irrecevables les demandes de la Délégation Unedic AGS ;

- condamner la Délégation Unedic AGS aux dépens, dont distraction au profit de Me Laurent, et à payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, Me [V] fait valoir que :

- l'assignation délivrée le 17 août 2021 est nulle, à défaut de capacité d'agir en justice de la délégation Unedic AGS, qui n'est pas une association déclarée et ne bénéficie pas de la personnalité morale, alors qu'elle se présente comme demandeur à l'action ; s'agissant d'une erreur de fond, et non un vice de forme résultant d'une erreur de dénomination, aucun grief ne doit être établi pour prononcer la nullité de l'assignation ; la directrice de la délégation Unedic AGS ne peut représenter un établissement dénué de personnalité morale ;

- la convention conclue entre l'AGS et l'Unedic a été résiliée à effet à compter du 31 décembre 2019, au constat d'une nécessaire clarification des rôles respectifs de chaque entité : si un avenant à la convention a précisé en 1996 que la défense en justice des intérêts du régime de garantie des salaires est assurée par l'Unedic, par l'intermédiaire de la Délégation Unedic AGS, cette dernière n'a aucun mandat pour agir en responsabilité à l'encontre du liquidateur judiciaire, en dehors de la mise en 'uvre de sa garantie ;

- l'action engagée à son encontre est prescrite : la Délégation Unedic AGS connait les faits lui permettant d'engager sa responsabilité professsionnelle depuis le 23 mai 2014, date à laquelle les salariés ont saisi les juridictions prud'homales sur le fondement de l'article L. 1233-58 du code du travail.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 26 août 2022, la Délégation Unedic AGS, établissement de l'Unedic, intimée, demande à la cour de confirmer l'ordonnance critiquée et subsidiairement de débouter Me [V] de ses demandes.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

- l'Unedic a la personnalité morale, à laquelle l'AGS a confié par convention d'assurer en justice la défense des intérêts du régime de garantie, alors que la Délégation Unedic AGS est l'établissement de l'Unedic dédié à la gestion de ce régime. L'absence invoquée de personne morale de la Délégation Unedic AGS est fallacieuse, dès lors que la formulation de l'assignation délivrée permet simplement la mise en lumière de l'organisation juridique de l'Unedic et que seule cette dernière association est demandeur à l'action, alors que sa capacité à agir en justice est incontestable en sa qualité d'association déclarée. S'agissant d'une erreur dans la dénomination d'une partie, la preuve d'un grief doit être rapportée pour annuler un acte au titre d'un tel vice de forme ;

- l'Unedic a le pouvoir de représenter l'AGS en justice dans le cadre d'une action en responsabilité au titre de la convention liant ces deux organismes : cette convention a été prorogée jusqu'au 31 décembre 2022 en dépit de sa dénonciation à effet au 31 décembre 2019 ; les subdélégations consenties au sein d'une association sont autorisées ;

- l'action n'est pas prescrite, dès lors qu'elle n'avait pas d'intérêt à agir avant l'arrêt rendu le 30 mars 2018 par la cour d'appel infirmant le jugement du conseil des prud'hommes ayant débouté les salariés de leurs demandes indemnitaires à l'encontre des AGS.

Le procureur général s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur l'argumentaire soulevé par l'appelant concernant la capacité de l'établissement public Délégation de l'Unedic AGS d'ester en justice.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rectification d'omission matérielle :

La cour relève d'office l'omission affectant l'ordonnance critiquée, qui a statué dans sa motivation sur la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir de l'Unedic d'agir en justice pour le compte de l'AGS, mais qui n'a pas repris dans son dispositif un tel chef de demande.

Les parties ayant été invitées à présenter leurs observations en application de l'article 462 du code de procédure civile et l'omission pouvant être réparée par la juridiction à laquelle la décision affectée est déférée, il convient de rectifier le dispositif de l'ordonnance critiquée pour y intégrer un tel rejet de la fin de non-recevoir opposée par Me [V] et tirée d'un défaut de qualité à agir.

Sur la capacité à agir de la délégation Unedic-AGS ':

Sur l'existence d'une personnalité morale au profit de la délégation Unedic-AGS  :

En application de la loi n°73-1194 du 27 décembre 1973 instituant le régime d'assurance des créances des salariés en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, les organisations nationales professionnelles d'employeurs ont créé l'association pour la gestion du régime d'assurance des salariés, communément dénommée l'AGS.

Selon convention en date du 18 décembre 1993, valablement prorogée à la date de l'acte introductif d'instance devant le tribunal judiciaire, l'AGS'a confié à l'association Union nationale professionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic), la gestion de ce fond de garantie, que l'Unedic'exerce au travers d'un réseau de «'centres de gestion et d'études'AGS'», qui couvrent chacun un ressort géographique précisément défini et qui dépendent de la délégation Unedic-AGS.

La délégation Unedic-AGS étant ainsi un établissement de l'association Unedic, elle n'a pas la personnalité morale (Cass. Soc., 24 novembre 2021, n°20-20.706), de sorte qu'elle ne peut agir en justice pour le compte de l'association elle-même.

Sur la désignation du demandeur dans l'assignation du 17 août 2021 :

Il résulte des articles 117 et 121 du code de procédure civile qu'une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est entachée d'une irrégularité de fond qui ne peut être couverte.

Pour autant, une telle nullité de fond suppose que la désignation du demandeur ne résulte pas d'une simple erreur ou d'une maladresse constitutive d'un vice de forme, dont la sanction implique alors la démonstration d'un grief par la partie adverse.

En l'espèce, l'assignation litigieuse a été délivrée «'à la demande de : la délégation Unedic-AGS, établissement Unedic, association soumise à la loi du 1er juillet 1901, SIREN 775 671 878 dont le siège social se situe [Adresse 2], agissant en la personne de sa directrice nationale, Mme [R] [M], dûment habilitée à cet effet'».

L'assignation vise certes la délégation Unedic-AGS ainsi que l'identité de sa directrice nationale.

Pour autant, une telle formulation n'implique pas que la délégation Unedic-AGS soit l'entité agissant en qualité de demandeur à l'instance. À cet égard, la cour observe :

- d'une part, que l'assignation vise expressément l'association Unedic-AGS, ainsi que l'adresse de son siège social et son numéro SIREN, telle qu'ils figurent sur la fiche Insee établi le 28 octobre 2021 (pièce 3 M. [V]), de sorte qu'elle est clairement identifiée comme la seule personne morale agissant devant le tribunal judiciaire ;

- d'autre part, que Mme [M] bénéficie d'une subdélégation de pouvoir, dont la validité au sein d'une association n'est pas contestée, dès lors que le président de l'association Unedic a délégué le directeur général de l'Unedic, lequel a lui-même délégué la directrice nationale de la délégation Unedic-AGS «'à l'effet de représenter l'association Unedic en justice, tant en demande qu'en défense, pour la défense de ses intérêts au titre du régime de garantie contre le risque de non paiement des salaires (articles L. 3253-14 et suivants du code du travail)'» : dans ces conditions, la désignation du représentant habilité pour agir pour le compte de l'Unedic est parfaitement régulière (pièces 10 et 11 de l'Unedic), étant au surplus rappelé qu'une telle mention nominative n'est pas requise dans l'assignation.

La formulation maladroite de l'assignation renvoie ainsi exclusivement à la gestion opérationnelle de la mission confiée à l'Unedic par la délégation Unedic-AGS, sans impliquer que cette dernière soit le demandeur à l'action.

Se limitant à invoquer une nullité de fond tirée d'un défaut de capacité à agir, Me [V] n'offre pas de démontrer l'existence d'un grief résultant d'un tel vice de forme, alors qu'il n'a au surplus pas été trompé tant sur l'objet de la demande formulée au titre d'un recours formé par l'organisme chargé du recouvrement des sommes versées dans le cadre du régime de garantie des créances salariales que sur l'identité du demandeur, dont les coordonnées complètes figuraient dans l'assignation critiquée.

L'ordonnance critiquée est par conséquent confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité.

Sur le défaut de qualité à agir de l'Unedic pour le compte de l'AGS :

La circonstance que la convention de gestion conclue entre l'AGS et l'Unedic ait été résiliée le 27 juin 2019 par l'AGS avec prise d'effet au 31 décembre 2019 est indifférente, dès lors que les parties ne contestent pas que cette convention a toutefois été prorogée au-delà de la date de l'assignation délivrée par l'Unedic à Me [V], soit jusqu'au 31 décembre 2022 en l'état actuel des négociations en cours entre ces deux associations.

Si la résiliation est notamment motivée par la volonté de l'AGS «'d'ouvrir une négociation visant à une clarification des rôles et responsabilités respectives de cette dernière et de l'Unedic'», une telle déclaration n'implique pas que le mandat confié par l'AGS à l'Unedic soit lui-même atteint d'une quelconque difficulté d'interprétation.

A l'inverse, les termes de la convention actuellement prorogé désignent clairement l'Unedic pour assurer la défense en justice des intérês du régime de garantie.

L'ordonnance ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir de l'Unedic pour agir en justice pour le compte de l'AGS est confirmée de ce chef. Le juge de la mise en état a toutefois exclusivement rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, et non celle tirée d'un défaut de qualité à agir sur laquelle il a toutefois statué dans sa motivation. Il convient par conséquent de compléter l'ordonnance critiquée pour réparer une telle omission purement matérielle.

Sur la prescription :

L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En cas d'action en responsabilité à l'encontre d'un professionnel, le point de départ de la prescription quinquennale court à compter de la date à laquelle la décision consacrant la révélation à la victime du caractère dommageable des faits reprochés à ce professionnel acquiert force de chose jugée dans des conditions caractérisant la manifestation du dommage invoqué. En effet, même si le fait consistant en un refus de Me [V] de délivrer aux salariés une attestation individuelle d'exposition à l'amiante est matériellement connu de l'AGS, représentée par l'Unedic, dès son assignation par ces salariés, il n'est toutefois pas à cette date consacré en son principe comme dommageable dans des conditions permettant au titulaire du droit lésé par ce fait d'exercer son recours indemnitaire à l'encontre du liquidateur judiciaire dont elle invoque la faute ayant déterminé son obligation de garantir les créances salariales.

En l'espèce, seul l'arrêt infirmatif de la cour d'appel de Douai prononcé le 30 mars 2018, ayant condamné l'AGS à garantir les salariés, fixe tant le principe que la portée de l'obligation d'indemnisation incombant à l'AGS.

Étant rappelé qu'un arrêt de cour d'appel a force de chose jugée en application de l'article 500 du code de procédure civile, dès lors qu'il n'est pas susceptible d'un recours suspensif d'exécution, la date du prononcé de l'arrêt rendu le 30 mars 2018 par la cour d'appel constitue ainsi la manifestation du dommage subi par la victime et le point de départ du délai de prescription.

Il en résulte que l'action en responsabilité n'était pas prescrite lors de l'assignation délivrée le 17 août 2021 par l'Unedic à Me [V], avant l'expiration du délai quinquenal expirant le 30 mars 2023.

L'ordonnance ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription est par conséquent confirmée de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner Me [V] aux entiers dépens d'appel, et à débouter ce dernier de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Complète l'ordonnance rendue le 28 avril 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lille comme suit :

«'rejette la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir de l'Unedic pour le compte de l'AGS'» ;

Confirme l'ordonnance rendue le 28 avril 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lille dans toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant':

Condamne Me [T] [V] aux dépens d'appel ;

Déboute Me [T] [V] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/02411
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;22.02411 ?
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