COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre des Libertés Individuelles
N° RG 22/02142 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UTP4
N° de Minute : 2155
Ordonnance du mardi 29 novembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
APPELANT
M. [Y] [Z]
né le 15 Juin 1984 à [Localité 1] - TUNISIE
de nationalité Tunisienne
Actuellement retenu au centre de rétention de [Localité 2]
dûment avisé, comparant en personne
assisté de Me Claire GUILLEMINOT, avocat au barreau de DOUAI, avocate commise d'office et de [K] [S], interprète assermenté en langue arabe.
INTIMÉ
M. LE PREFET DU NORD
dûment avisé, absent non représenté
PARTIE JOINTE
M. le procureur général près la cour d'appel de Douai : non comparant
MAGISTRATE DELEGUEE : Danielle THEBAUD, conseillère à la cour d'appel de Douai désignée par ordonnance pour remplacer le premier président empêché
assistée de Jean-Luc POULAIN, Greffier
DÉBATS : à l'audience publique du mardi 29 novembre 2022 à 13 h 30
ORDONNANCE : prononcée publiquement à Douai, le mardi 29 novembre 2022 à
Le premier président ou son délégué,
Vu les articles L.740-1 à L.744-17 et R.740-1 à R.744-47 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu l'ordonnance rendue le 26 novembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention de LILLE prolongeant la rétention administrative de M. [Y] [Z] ;
Vu l'appel interjeté par Maître [M] venant au soutien des intérêts de M. [Y] [Z] par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de ce siège le 28 novembre 2022sollicitant la main-levée du placement en rétention administrative ;
Vu l'audition des parties, les moyens de la déclaration d'appel et les débats de l'audience ;
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [Y] [Z] né le 15 Juin 1984 à [Localité 1] (TUNISIE), de nationalité Tunisienne a fait l'objet d'un arrêté de placement en rétention administratif pris par M. le préfet du Nord le 24 novembre 2022, sur la base d'une obligation de quitter le territoire français qu'il a pris le 24 mars 2022 avec reconduite vers le pays dont il a la nationalité ou en application d'un accord de réadmission communautaire ou bilatéral à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage, validé par la juridiction administrative le 5 avril 2022.
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal Judiciaire de Lille en date du 26 novembre 2022 à 15h48, ordonnant la première prolongation du placement en rétention administrative de l'appelant pour une durée de 28 jours,
Vu la déclaration d'appel de M. [U] [D] du 28 novembre 2022 à 13h04 sollicitant la main-levée du placement en rétention administrative et à laquelle il sera renvoyé pour l'exposé des moyens de l'appelant
Au titre des moyens soulevés en appel M. [Y] [Z] soulève :
- un vice de procédure au motif que la requête du préfet n'est pas horodatée,
- il présente des garanties de représentation pour être assigné à résidence, en ce qu'il a une copie de son passeport tunisien en cours de validité jusqu'au 25/12/2023 et justifie d'un hébergement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
De manière liminaire il est rappelé que le juge judiciaire ne peut se prononcer ni sur le titre administratif d'éloignement de l'étranger, ni, directement ou indirectement, sur le choix du pays de destination.
Les prérogatives judiciaires se limitent à vérifier la régularité et le bien fondé de la décision restreignant la liberté de l'étranger en plaçant ce dernier en rétention, ainsi qu'à vérifier la nécessité de la prolongation de la rétention au vu des diligences faites par l'administration pour l'exécution de l'expulsion et le maintien de la rétention dans la plus courte durée possible.
Sur la recevabilité de l'appel et des moyens tirés des exceptions de procédure
L'appel de l'étranger ayant été introduit dans les formes et délais légaux est recevable.
Les articles 933 du code de procédure civile et R.743-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne permettent, sauf indivisibilité ou demande d'annulation du jugement, que de discuter en cause d'appel des seuls moyens mentionnés dans l'acte d'appel et soutenus oralement à l'audience.
La décision du premier juge déférée ayant joint la requête en annulation de l'arrêté de placement et la demande du préfet en prolongation de la rétention, l'ensemble des moyens soutenus pourront être appréciés par la cour d'appel.
Sur le moyen tiré de la fin de non recevoir de la requête en prolongation du Préfet du Nord pour l'absence d'horadatage
Une simple lecture des pièces de la procédure permet de se rendre compte que la dite requête en prolongation a été horodatée par les services du greffe, puisqu'il est mentionné « Arrivé le 25 novembre 2022 JLD TGI LILLE à 13h01 2 pages saisine 23 pages Admin, 20 pages Jud, 24 pages procédure », que l'intéressé a été placé en rétention par arrêté du 24 novembre 2022 qui lui a été notifié de 15h40 à 15h50, il en résulte, que la demande de prolongation a été faite dans les délais légaux. En tout état de cause la dite requête était à disposition avec les pièces justificatives de l'avocat de l'intéressé au greffe du le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Lille en application de l'article R743-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avant l'audience. Il ne peut donc être sérieusement soutenu que le conseil de l'intéressé n'y a pas eu accès.
Le moyen est inopérant.
Sur l'erreur d'appréciation de l'arrêté de placement en rétention sur les garanties de représentation
L'erreur manifeste d'appréciation doit s'apprécier par rapport aux éléments de fait dont disposait l'autorité préfectorale au moment où l'arrêté de placement en rétention a été adopté et non au regard des éléments ultérieurement porté à la connaissance de la cour.
Il ressort des dispositions des articles L 741-1 renvoyant à l'article L 612-3, L 751-9 et L 753-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité administrative ne peut placer un étranger en situation irrégulière en rétention administrative que dans les cas et conditions des dits articles après prise en compte de son état éventuel de vulnérabilité :
1) Lorsque, de manière générale, l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes pour prévenir le risque de se soustraire à l'application du titre d'éloignement dans les cas prévus par l'article L 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
2) Lorsque, dans le cas spécifique d'un étranger faisant l'objet d'une prise ou d'une reprise en charge par un autre pays de l'Union Européenne selon la procédure dite 'DUBLIN III', il existe 'un risque non négligeable de fuite' tel que défini par l'article L 751-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et lorsque dans cette hypothèse le placement en rétention administrative est proportionné.
3) Lorsque, s'agissant d'un étranger qui a déposé une demande d'asile en France avant toute privation de sa liberté, il existe des raisons impérieuses de protection de l'ordre public ou de la sécurité nationale.
Il apparaît en l'espèce que l'arrêté préfectoral de placement en rétention a considéré, au visa de l'article L741-1 renvoyant aux cas prévus aux articles L 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'étranger appelant ne présentait pas suffisamment de garanties de représentation pour attendre l'exécution de son éloignement en étant assigné à résidence, notamment pour :
Avoir connaissance de se trouver en situation irrégulière sur le territoire français tout en ayant la volonté de ne pas régulariser sa situation (paragraphes 1°,2°,3°)
S'être soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (paragraphe 5°)
Avoir refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou ses droits réels au séjour ou avoir menti sur son identité, être dépourvu de document d'identité ou de voyage, ou avoir tenté de se soustraire aux contrôles des autorités de police ou refusé de se soumettre aux relevés d'empreintes digitales ou de photographie, et ne pas disposer 'd'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale' permettant de justifier d'une mesure d'assignation à résidence administrative (paragraphe 8°).
L'autorité préfectorale mesure l'ensemble de ces éléments pour apprécier le risque de soustraction à la décision d'éloignement.
A ce titre, il peut être légitimement être considérée par l'autorité préfectorale que l'existence d'une adresse pouvant être qualifiée de 'résidence effective' soit néanmoins insuffisante pour accorder à l'étranger une assignation à résidence, dés lors que d'autres éléments de fait permettent raisonnablement de considérer que l'étranger n'entend pas se conformer à l'obligation de quitter le territoire français.
L'existence d'un seul des critères posés par l'article L 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, définissant les 'garanties de représentation' de l'étranger en situation irrégulière, ou par l'article L 751-10 du même code, définissant les 'risques de fuite' présentés par l'étranger en situation irrégulière, est nécessaire pour que l'autorité préfectorale puisse motiver le placement en rétention administrative.
Cependant la mesure de privation de liberté que constitue le placement en rétention administrative doit rester proportionnée au regard de l'ensemble des éléments de fait et de personnalité présentés par l'étranger en situation irrégulière avec les impératifs de bonne exécution de la mesure d'éloignement.
L'erreur d'appréciation invoquée à l'encontre de l'arrêté de placement en rétention administrative quant aux garanties de représentation invoquées par l'étranger doit être jugée en fonction des éléments dont le préfet disposait au moment où la décision contestée a été arrêtée.
Au jour où il a statué le préfet ne disposait pas des attestations d'hébergement et documents présentés à l'audience.
A ce titre il importe de rappeler qu'il appartient à l'étranger, soumis aux règles de procédure civile, de démontrer l'existence d'une adresse stable et personnelle à laquelle il pourrait le cas échéant être assigné à résidence plutôt que de faire l'objet d'un placement en rétention administrative.
S'il ne peut être reproché à l'étranger de ne pas être porteur des justificatifs de domicile sur lui lors du contrôle il échet de préciser que ce dernier disposait de la faculté de se faire apporter ou envoyer ces justificatifs en cours de retenue puisqu'il conserve dans le cadre de cette mesure un libre accès avec l'extérieur, ce qui n'a pas été fait en l'espèce.
Le fait de justifier disposer 'd'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale' conforme à l'article L.612-3,8°du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut, au cas d'espèce, légitimement être considérée par l'autorité préfectorale comme néanmoins insuffisante pour accorder à l'étranger une assignation à résidence sur le fondement des articles précités, dés lors que d'autres éléments de fait permettent raisonnablement de considérer que l'étranger n'entend pas se conformer à l'obligation de quitter le territoire français.
En l'espèce l'arrêté de placement en rétention administrative a été pris en considération des déclarations de l'étranger qui a indiqué lors de son audition être dépourvu de tout document de voyage, ne pas être en possession de l'original de son passeport et être SDF mais que sa cousine pouvait lui faire une attestation d'hébergement. Dès lors même s'il soutient dans son recours bénéficier d'une adresse stable sur le territoire français il ne justifie pas que ce soit une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale. Le seul fait qu'il entretienne des relations familiales sur le territoire français n'est pas contenu de la durée limitée de la rétention contestée (48 heures), de nature à caractériser une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la CEDH. En outre il a déclaré dans le cadre de son audition vouloir se maintenir en France.
L'autorité administrative n'a donc commis aucune erreur dans l'appréciation des garanties de représentations de l'intéressé.
Ce moyen de nullité sera rejeté.
Sur l'assignation à résidence
Ainsi que l'a justement relevé le premier juge l'intéressé est dépourvu de tout passeport ou documents d'identité en cours de validité. Dès lors il ne remplit pas les conditions pour bénéficier d'une assignation à résidence qui sera rejetée.
Pour le surplus, la cour considère que c'est par une analyse circonstanciée et des motifs pertinents qui seront intégralement adoptés au visa de l'article 955 du code de procédure civile, que le premier juge a rejeté les moyens de nullité soulevés et a statué sur le fond en ordonnant la prolongation de la rétention.
PAR CES MOTIFS
DÉCLARE l'appel recevable ;
CONFIRME l'ordonnance entreprise.
REJETTE la demande d'assignation à résidence
DIT que la présente ordonnance sera communiquée au ministère public par les soins du greffe ;
DIT que la présente ordonnance sera notifiée dans les meilleurs délais à l'appelant, à son conseil et à l'autorité administrative ;
LAISSE les dépens à la charge de l'Etat.
Jean-Luc POULAIN,
greffier
Danielle THEBAUD,
conseillère
N° RG 22/02142 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UTP4
REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE 2155 DU 29 Novembre 2022 ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
Vu les articles 612 et suivants du Code de procédure civile et R743-20 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
Pour information :
L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
Reçu copie et pris connaissance le mardi 29 novembre 2022 :
- M. [Y] [Z]
- l'interprète
- l'avocat de M. [Y] [Z]
- l'avocat de M. LE PREFET DU NORD
- décision notifiée à M. [Y] [Z] le mardi 29 novembre 2022
- décision transmise par courriel pour notification à M. LE PREFET DU NORD et à Maître Claire GUILLEMINOT le mardi 29 novembre 2022
- décision communiquée au tribunal administratif de Lille
- décision communiquée à M. le procureur général :
- copie à l'escorte, au Juge des libertés et de la détention de LILLE
Le greffier, le mardi 29 novembre 2022
N° RG 22/02142 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UTP4