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25/11/2022 | FRANCE | N°21/00533

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 25 novembre 2022, 21/00533


ARRÊT DU

25 Novembre 2022







N° 1901/22



N° RG 21/00533 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TR5K



MLBR/VM

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

07 Avril 2021

(RG F20/00146 -section 2 )





































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GROSSE :



aux avocats



le 25 Novembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [L] [R]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Elisabeth GOBBERS-VENIEL, avocat au barreau de BÉTHUNE





INTIMÉE :



S.A.R.L. CHRISTY

[Adresse ...

ARRÊT DU

25 Novembre 2022

N° 1901/22

N° RG 21/00533 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TR5K

MLBR/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

07 Avril 2021

(RG F20/00146 -section 2 )

GROSSE :

aux avocats

le 25 Novembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [L] [R]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Elisabeth GOBBERS-VENIEL, avocat au barreau de BÉTHUNE

INTIMÉE :

S.A.R.L. CHRISTY

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI, assistée de Me Emmanuelle LEMAIRE, avocat au barreau d'AMIENS

DÉBATS : à l'audience publique du 11 Octobre 2022

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaëlle LEMAITRE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 Septembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SARL Christy a acquis le fonds de commerce de la Sarl CECA aux termes d'un acte sous seing privé du 14 septembre 2015 et exerce son activité sous l'enseigne commerciale "Yves Rocher".

Dans le cadre du transfert des contrats de travail des salariés, Mme [R], qui avait été engagée par l'ancien preneur le 16 juillet 2007 en qualité d'esthéticienne, a signé un nouveau contrat de travail à durée indéterminée avec la société Christy le 14 septembre 2015, avec reprise d'ancienneté.

Avant ce transfert, un avertissement lui avait été notifié le 23 avril 2015 pour une absence injustifiée.

Mme [R] a fait par ailleurs l'objet de plusieurs arrêts de travail entre mars et mai 2015.

Des tensions sont en parallèle survenues avec l'ancienne responsable de l'établissement, Mme [K], puis avec les nouveaux dirigeants, M. et Mme [V].

Le 27 février 2016, se disant informée par des clientes de certains propos qu'elle aurait tenus sur l'ancienne gérante, Mme [V] a rappelé à Mme [R] ses obligations contractuelles en lui demandant de faire preuve d'une plus grande discrétion.

Le 27 février 2016, Mme [R] a de nouveau été placée en arrêt maladie.

A la suite de la visite médicale de reprise, le médecin du travail dans son avis du 29 septembre 2016, a constaté l'inaptitude de la salariée à son emploi, en une seule visite, la fiche d'inaptitude indiquant : «inapte à la reprise du poste proposé dans cette entreprise compte tenu de l'état de santé, une seule visite médicale sera réalisée - avec possibilité de reclassement sur un poste similaire mais dans un environnement professionnel différent ».

L'employeur a convoqué Mme [R] à un entretien prévu le 14 octobre 2016, préalable à son éventuel licenciement pour inaptitude.

Le 19 octobre 2016 Mme [R] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Béthune afin de contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses indemnités, dénonçant une situation de harcèlement moral managérial.

Par jugement contradictoire rendu le 7 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Béthune a :

- dit que Mme [R] n'a pas été victime d'harcèlement moral,

- dit que la demande de Mme [R] sur l'origine de l'inaptitude n'est pas directement liée aux conditions de travail,

- rejeté la demande d'insuffisance des efforts de reclassement entrepris par la société Christy,

- dit que Mme [R] n'a subi aucune diminution de salaire, ni aucune perte au titre de ses congés payés,

- débouté Mme [R] de l'ensemble de ces demandes,

- débouté la demande reconventionnelle de la société Christy en paiement du préjudice subi,

- débouté Mme [R] et la société Christy de leurs demande au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné Mme [R] aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 20 avril 2021, Mme [R] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 18 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [R] demande à la cour de :

-infirmer le jugement déféré en ses dispositions critiquées,

statuant à nouveau :

à titre principal

- juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- juger que la rupture du contrat de travail intervenue dans une telle situation est nulle,

- condamner la SARL Christy «Yves Rocher » au paiement des sommes suivantes :

* 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la nullité du licenciement,

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi,

* 1 500 euros au titre du manquement de I'employeur à son obligation de sécurité de résultat,

* 3 064 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 306,40 euros à titre de congés payés sur préavis,

*2890,00 euros à titre de solde d'indemnité de licenciement (doublement) ;

à titre subsidiaire

- juger que l'origine de l'inaptitude est directement liée aux conditions de travail et trouve son origine dans un manquement fautif de I'employeur,

- juger de l'insuffisance des tentatives de reclassement entrepris,

- condamner la SARL Christy «Yves Rocher » au paiement des sommes suivantes :

* 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 3 064 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 306,40 euros à titre de congés payés sur préavis,

* 2890,00 euros à titre de solde d'indemnité de licenciement (doublement)

* 1 500 euros au titre du manquement de I'employeur à son obligation de sécurité de résultat,

en tout état de cause,

- condamner la SARL Christy «Yves Rocher » au paiement d'une somme de 954,95 euros bruts au titre des 18 jours de congés payés imposés et 728,73 euros bruts au titre des 17 jours de congés sans solde,

- condamner la SARL Christy «Yves Rocher » au paiement d'une somme de 3 000 euros sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Sarl Christy «Yves Rocher » aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 7 juillet 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Christy demande à la cour de :

- débouter Mme [R] de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- confirmer en tous points la décision entreprise,

Y ajoutant

- condamner Mme [R] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- sur le harcèlement moral :

Mme [R] fait grief aux premiers juges d'avoir écarté l'existence d'une situation de harcèlement moral sans avoir examiné l'ensemble des faits qu'elle dénonçait.

Elle prétend avoir été victime d'agissements répétés depuis avril 2015, à savoir :

- un avertissement injustifié le 23 avril 2015 par l'ancienne gérante, Mme [K],

- l'existence de brimades et d'humiliations en public et en privé, telles que la contestation de la véracité d'un arrêt pour accident du travail, des accusations gratuites de dégradation du véhicule de Mme [K] ou d'utilisation d'un mauvais code caisse ainsi que des critiques injustifiées par Mme [V],

- près de 35 jours de congés, parfois sans solde, qui lui auraient été imposés pendant la période de fermeture du magasin pour travaux et juste après la cession effective du fonds de commerce,

- la signature contrainte d'un contrat à durée déterminée du 1er au 15 octobre 2015 avec l'autre société de M. et Mme [V],

- une régularisation tardive en juin 2016 de la partie de son salaire maintenue pendant son arrêt maladie.

En réponse aux motifs du jugement et au moyen avancé par la société Christy, Mme [R] fait également valoir que les griefs antérieurs à la reprise du fonds de commerce sont opposables à cette dernière dès lors que le cessionnaire demeure responsable des faits commis par le cédant à l'égard du salarié repris et que les brimades subies visaient selon elle, par une commune intention du cédant et du cessionnaire, à la pousser à la démission avant l'effectivité de la cession du fonds de commerce.

Enfin, Mme [R] entend justifier par la production de plusieurs pièces médicales que ces agissements répétés ont entraîné une dégradation de son état de santé et ont abouti à sa déclaration d'inaptitude.

En réponse, la société Christy fait principalement valoir qu'elle ne peut être tenue responsable des faits survenus pour la plupart près de 7 mois avant le rachat du fonds de commerce, soutenant qu'au delà de l'obligation de transfert des contrats de travail posée par l'article L. 1224-2 du code du travail, la signature d'un nouveau contrat de travail a eu pour effet de créer une nouvelle relation contractuelle entre les parties et de rompre tout lien avec l'ancien employeur.

Elle en déduit que seuls 2 faits lui seraient imputables, à savoir le problème de code caisse du 18 décembre 2015 et l'entretien du 27 février 2016, mais écarte toute situation de harcèlement, d'une part, en les contestant en partie, et d'autre part, en affirmant qu'elle n'a fait pour le reste qu'exercer son pouvoir de direction.

Elle fait aussi observer que le retard pris dans la régularisation de son salaire pendant son arrêt de travail est uniquement imputable au délai de prise en charge par l'organisme de prévoyance.

Enfin, la société Christy remet en cause certaines pièces médicales qu'elle estime contraires à l'éthique médicale en ce que les praticiens font un lien direct entre le mal être de Mme [R] et ses conditions de travail sans l'avoir jamais constaté eux-mêmes, le certificat médical en pièce 25A n'étant même pas signé par le médecin.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1 susvisé, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer ou de laisser supposer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient donc au juge en application de ces dispositions d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il sera également rappelé qu'en cas de transfert d'entreprise, les contrats de travail en cours sont, en vertu des articles L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail, transférés de plein droit par le seul effet de la loi au cessionnaire qui doit en poursuivre l'exécution, et qu'à ce titre, il est tenu de toutes les obligations qui incombaient à l'ancien employeur à l'égard du salarié dont le contrat de travail subsiste, sauf si la cession est intervenue dans le cadre d'une procédure collective ou si la substitution d'employeurs est intervenue sans qu'il y ait de convention, le salarié pouvant dès lors faire le choix de lui demander la réparation des conséquences financières des agissements imputables à l'ancien employeur.

En l'espèce, il est constant que la société Christy a acquis le fonds de commerce de la SARL CECA dont Mme [K] était la dirigeante, avec une date de prise de possession fixée au 14 septembre 2015.

Il résulte de la pièce 18 de la société Christy qui est un extrait de l'acte de cession, et plus particulièrement de sa page 7, que cette dernière, en tant que cessionnaire, a pris à son compte le personnel attaché au fonds de commerce vendu dont Mme [R], l'intimée reconnaissant d'ailleurs en liminaire de ses conclusions que les salariés ont été repris conformément aux dispositions du code du travail.

Aussi, contrairement à ce qu'elle soutient, la signature le 14 septembre 2015 avec Mme [R] d'un nouveau contrat de travail a eu pour objet, non pas de rompre la relation de travail antérieure, mais d'en officialiser la poursuite suite au transfert de plein droit du contrat de travail initial en vertu de l'article L. 1224-1 susvisé, avec d'ailleurs une reprise d'ancienneté au 16 juillet 2007, et ce peu importe que les parties soient convenues, comme elle l'indique, de la modification de certaines stipulations du contrat relatives notamment à la rémunération et aux primes ainsi qu'à l'étendue des tâches.

Sachant que les exceptions prévues à l'article L.1224-2 ne trouvent pas à s'appliquer au cas d'espèce, la société Christy demeure donc bien tenue à l'égard de Mme [R] par les obligations qui incombaient à la société CECA, et ce faisant est redevable des conséquences des éventuels manquements contractuels de cette dernière.

Il convient donc d'examiner l'ensemble des faits invoqués par Mme [R] pour dénoncer le harcèlement moral dont elle dit avoir fait l'objet, dont ceux antérieurs au transfert de l'entreprise et de son contrat de travail.

Pour établir la matérialité de chacun des faits qu'elle dénonce, Mme [R] verse aux débats les pièces qui suivent.

* sur l'avertissement du 23 avril 2015 :

Il ressort des échanges de correspondances produits par l'appelante que Mme [K], gérante de la société CECA, a attendu le 10 avril 2015 pour lui réclamer un justificatif d'absence pour le samedi 21 février 2015, demande à laquelle Mme [R] a répondu qu'elle avait eu un accord verbal de la responsable du magasin, Mme [A], pour prendre un congé sans solde, dénonçant aussi l'inégalité de traitement avec les autres salariées dont les demandes seraient plus facilement acceptées.

Mme [R] produit aussi la lettre du 23 avril 2015 aux termes de laquelle Mme [K] lui notifie en réponse un avertissement pour absence injustifiée, après avoir rappelé qu'elle avait refusé sa demande de permutation de congé après en avoir été informée, qu'elle seule a le pouvoir de lui donner une autorisation de congé sans solde, réfutant que la responsable du magasin le lui ait accordé, et qu'elle a pu aussi dans le passé bénéficier de congés le samedi comme ses collègues considérant qu'elle semble "avoir la mémoire un peu courte en parlant d'inégalité de traitement".

Dans la lettre d'avertissement, Mme [K] lui demande en outre de désormais formaliser ses demandes de congé exceptionnel par lettre recommandée afin d'éviter tout quiproquo.

Par courrier du 11 mai 2015, Mme [R] a demandé l'annulation de l'avertissement prononcé plus de 2 mois après l'incident, et selon elle infondé en raison de l'accord verbal donné pour ce congé sans solde. Dans ce courrier, elle évoque aussi les nombreux SMS reçus de la part de Mme [K] "comportant des propos diffamatoires" et dénonce la dégradation de son état de santé lié au harcèlement selon elle mis en place par Mme [K], lui demandant d'y mettre fin.

Ces moyens de contestation sont restés sans réponse.

Au vu desdites pièces, l'existence d'un avertissement disciplinaire, au demeurant contesté par Mme [R], est matériellement établi.

* sur les brimades et humiliations :

En sa pièce 13, Mme [R] produit le courrier de son employeur en date également du 23 avril 2015 par lequel Mme [K] met en doute la réalité de l'accident du travail déclaré par sa salariée le 14 mars 2015, lui expliquant avoir préféré appliquer les règles relatives à un arrêt maladie de droit commun et donc lui avoir imputé le bénéfice d'1,25 jours de congés payés sur son bulletin de salaire de mars 2015, en précisant que la régularisation interviendra "si l'assurance maladie Artois reconnaissait de manière définitive le caractère professionnel de cet accident".

Alors que Mme [R] justifie avoir été pourtant déclarée en accident du travail dès le 14 mars 2015 par son employeur, il ressort des bulletins de salaires que Mme [K] attendra la réception en juin 2015 de la confirmation par la CPAM de l'origine professionnelle de l'accident pour recréditer lesdits jours de congés.

Dans ce même courrier du 23 avril 2015, suite à l'interpellation de Mme [R] sur l'organisation de la visite médicale obligatoire de reprise, son arrêt devant s'achever le 16 avril 2015, Mme [K] lui répond en ces termes : "vous me rappelez le droit du travail concernant l'obligation d'une visite médicale pour un arrêt inférieur à trente jours, ce qui a été votre cas. Je n'ai pas besoin de vos rappels connaissant parfaitement mes devoirs et je vous pris à l'avenir de bien vouloir rester à votre place c'est-à-dire celle de salarié de l'entreprise".

Il sera observé que le courrier du 10 avril 2015 par lequel Mme [R] a sollicité cette visite médicale était pourtant rédigé dans un style administratif et neutre.

Mme [R] produit également un procès-verbal de constat par huissier de justice concernant le SMS que lui a adressé Mme [K] le 26 avril 2015 dans lequel elle évoque "une nouvelle dégradation" de son véhicule avant d'ajouter "cette nouvelle agression (la 2ème en 15 jours) sur mon véhicule n'a rien à voir j'espère avec l'air agressif que votre époux avait lors de son passage au magasin. Pour votre information, une plainte contre X sera déposée demain."

Mme [R] produit aussi les 2 courriers qu'elle a adressés à la CPAM le 8 août 2016 pour dénoncer certains agissements ainsi qu'une attestation de Mme [X], une de ses collègues (pièces 16, 17 et 41).

Corroborant en partie le contenu des courriers à la CPAM, Mme [X], dont l'attestation n'est pas critiquée par l'intimée, certifie avoir notamment assisté à plusieurs reprises à des différents entre Mme [V] (nouvelle responsable) et Mme [R], évoquant des accusations dirigées contre celle-ci devant les collègues et des clients, concernant un vol ou encore un soin gratuit des mains au bénéfice d'une cliente auprès de laquelle Mme [R] a dû réclamer le double de son ticket pour justifier du paiement (la cliente attestant aussi de cette démarche), ou enfin l'utilisation d'un mauvais code caisse et l'annonce "qu'elle allait recevoir un avertissement", les parties s'accordant pour dire que ce dernier incident est survenu le 18 décembre 2015.

Parmi d'autres observations, Mme [X] indique aussi avoir entendu Mme [V] dire à Mme [R] que "son mari allait la prendre pour une péripatéticienne à cause de son rouge à lèvres".

Enfin, il sera relevé que la société Christy ne conteste pas la réalité de l'entretien que Mme [V] a eu avec Mme [R] le 27 février 2016.

L'appelante produit en sa pièce 16 sa lettre du 8 août 2016 à la CPAM pour dénoncer les propos agressifs et menaçants que lui aurait tenu sa responsable lors de cet entretien, à savoir notamment :

- une accusation d'avoir traité Mme [K] de voleuse devant une cliente,

- qu'elle n'était pas productive,

- que le magasin n'était pas un lieu de réunion "Tupperware" alors qu'elle venait juste de complimenter une cliente pour ses boucles d'oreilles,

avant de lui dire "maintenant, prenez la porte et partez".

Dans ses conclusions, la société Christy reconnaît qu'ont bien été évoquées les accusations qui auraient été portées par Mme [R] contre Mme [K]. Elle reconnaît également en page 8 de ses conclusions avoir évoqué la productivité de Mme [R] en rappelant que cela n'a donné lieu à aucune sanction et qu'il s'agissait "d'une discussion sur les chiffres réalisés conformément aux missions de la salariée" sans donner aucun élément à ce sujet.

Corroboré ainsi en partie par les propres déclarations de la société Christy, la teneur de cet entretien du 27 février 2016 tel que relaté dans la lettre adressée à la CPAM apparaît matériellement établie malgré les dénégations, sans pièce à l'appui, de l'intimée concernant les autres points abordés lors de cet entretien.

Les différents éléments présentés par Mme [R] suffisent à établir la matérialité des faits ainsi exposés.

Il convient d'ajouter que Mme [R] verse également aux débats de nombreuses pièces médicales et justificatifs d'arrêt de travail.

Ainsi, le docteur [W] [I], ayant établi l'avis initial d'arrêt de travail du 27 février 2016 qui fait suite à l'entretien du même jour avec Mme [V], évoque comme motif médical une pathologie "psychosomatique sur stress au travail", ce motif étant repris dans les prolongations d'arrêt ayant suivi qui mentionnent aussi "un trouble anxio dépressif reactionnel"(pièce 23).

Le docteur [C] a également dès le 17 mars 2016 évoqué dans un certificat médical le syndrome anxio dépressif réactionnel "à des relations conflictuelles au travail"présenté par Mme [R] depuis le 27 février 2016, estimant qu'elle ne pourrait pas reprendre une activité au sein de l'entreprise, et a sollicité le 16 septembre 2016 une reconnaissance en maladie professionnelle dudit syndrôme (pièce 18-1 et 22).

Mme [R] justifie également d'un traitement médicamenteux et d'un suivi par une psychologue, Mme [E], qui évoque dans un certificat du 22 septembre 2016 "l'épuisement professionnel dont elle a été victime" et l'amélioration de son humeur depuis qu'elle n'a plus de contact avec son employeur (pièces 25B, 30, 31).

Enfin, dans son avis d'inaptitude, le docteur [G], médecin du travail, a préconisé un reclassement dans un poste similaire mais dans un environnement professionnel différent, ce qui tend à confirmer que l'inaptitude est liée non pas à l'emploi de Mme [R] mais au milieu de travail où elle l'exerce.

Il n'apparaît pas nécessaire d'examiner les autres agissements dénoncés, dès lors que, pris dans leur ensemble, les faits susvisés, complétés par lesdites pièces médicales, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail, au regard de la nature de certaines accusations portées à l'encontre de Mme [R], de la suspicion de mauvaise foi et d'incompétence dont Mme [R] a fait l'objet à plusieurs reprises l'obligeant à se justifier, ainsi que du ton parfois virulent et inapproprié employé à son égard par la responsable du salon, que ce soit Mme [K] ou Mme [V], les pièces médicales émanant de plusieurs praticiens ayant par ailleurs tous fait le constat d'une dégradation de santé mentale en lien avec le milieu professionnel dès le 27 février 2016.

Il incombe dès lors à l'employeur de prouver que les agissements dénoncés ne sont pas établis ou qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il sera d'abord relevé que la société Christy ne formule aucune observation et ne présente aucune pièce relativement aux agissements antérieurs au 14 septembre 2015.

Elle n'oppose par ailleurs aucune pièce, ni critique à l'attestation de Mme [X] concernant les remarques de Mme [V] visant Mme [R] devant les collègues et clientes notamment le 18 décembre 2015, avec une menace à peine voilée d'un nouvel avertissement.

Par ailleurs, si effectivement, la société Christy justifie que l'échange entre celles-ci le 27 février 2016 s'expliquait par l'information donnée par la fille de Mme [K] concernant des propos que Mme [R] aurait tenu à une cliente, elle ne justifie pas en revanche de la pertinence des autres observations faites à l'intéressée ce jour là concernant sa productivité et de supposés bavardages excessifs avec des clientes.

Elle procède par ailleurs par affirmation pour contester le sérieux des pièces médicales produites dont il sera rappelé qu'elles émanent de plusieurs praticiens.

A l'exception des observations sur les propos qui auraient été tenus par Mme [R] sur Mme [K], la société Christy échoue ainsi à rapporter la preuve par les pièces qu'elle produit que les faits matériellement établis sont justifiés par des éléments étrangers à toute situation de harcèlement moral.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il sera donc retenu que la situation de harcèlement moral dénoncé par Mme [R] est établi. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Compte tenu de la dégradation de son état de santé qui en est résultée, justifiée par les pièces médicales et son long arrêt de travail, Mme [R] justifie d'un préjudice moral qu'il convient de réparer à hauteur d'une somme de 3 500 euros.

Force est de relever que la société Christy ne justifie d'aucune démarche mise en place pour prévenir ou faire cesser la situation de harcèlement moral alors que dès le 11 mai 2015, Mme [R] avait exprimé à son employeur d'alors qu'elle se sentait harcelée au vu des SMS reçus et des remises en cause de sa bonne foi, ce courrier étant nécessairement présent dans son dossier administratif compte tenu de l'avertissement prononcé à l'époque et du suivi de la reconnaissance de l'origine professionnelle de son arrêt de mars 2015.

Ce manquement à son obligation de sécurité et de prévention a causé à Mme [R] un préjudice dans la mesure où les agissements n'ont pas cessé et ont entraîné la dégradation de ses conditions de travail, de sorte que la société Christy est condamnée à lui payer une somme de 1 500 euros de dommages et intérêts à titre de réparation.

- sur le licenciement pour inaptitude :

En application de l'article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions susvisées est nulle.

Il ressort des pièces médicales rappelées plus haut que le harcèlement moral dont Mme [R] a fait l'objet est à l'origine du syndrôme anxio dépressif réactionnel qu'elle a présenté dès son arrêt de travail initial du 27 février 2016, dont il sera rappelé qu'il est concomitant au dernier entretien avec Mme [V], ainsi que de ses prolongations jusqu'à la visite médicale de reprise du 29 septembre 2016.

Comme déjà relevé, dans son avis d'inaptitude, le médecin du travail a en outre préconisé un reclassement dans un environnement professionnel différent, ce qui confirme que l'inaptitude est liée non pas à l'emploi de Mme [R] mais au milieu de travail où elle l'exerçait.

Il se déduit de l'ensemble de ces pièces que le harcèlement moral subi par Mme [R] est directement à l'origine de son inaptitude qui a fondé son licenciement, de sorte qu'il convient en application des dispositions susvisées de prononcer la nullité dudit licenciement.

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, ce qui est le cas en l'espèce, a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Aussi, compte tenu des circonstances du harcèlement subi évoquées plus haut, du fait que Mme [R] était âgée de 35 ans avec presque 10 ans d'ancienneté au jour de son licenciement, mais également, comme la société Christy le fait observer sans être contredite, du fait qu'elle a pu retrouver un emploi au bout de quelques mois, le préjudice résultant pour l'appelante du caractère illicite de son licenciement doit être réparé par l'allocation d'une somme de 10 724 euros à titre de dommages-intérêts, sur la base du salaire de référence de 1 532 euros invoqué par la salariée sur la base de ses bulletins de salaire, et non critiqué par l'intimée.

La rupture de la relation de travail étant imputable, au vu de ce qui précède, à son employeur, Mme [R] est également en droit de percevoir une indemnité compensatrice de préavis correspondant à 2 mois de salaire, soit 3 064 euros, outre 306,40 de congés payés y afférents.

L'inaptitude de Mme [R] étant pour les motifs susvisés d'origine professionnelle, et sachant que la société Christy, qui ne prétend pas le contraire, ne l'ignorait pas au jour du licenciement dès lors qu'il ressort de ses correspondances avec la CPAM ainsi que de sa pièce 15B qu'elle avait été informée qu'une procédure de reconnaissance de maladie professionnelle était alors en cours, l'indemnité spéciale de licenciement est dans cette hypothèse égale au double de l'indemnité légale de licenciement. Il convient donc d'allouer à Mme [R] un solde indemnitaire de 2 890 euros, compte de la somme qui lui a déjà été versée à ce dernier titre, étant observé que la société Christy ne formule aucune observation sur cette demande.

- sur la demande de rappel de salaire au titre des congés de septembre et octobre 2015 :

Mme [R] dénonce le fait qu'en raison de la fermeture du salon pour travaux, ses dates de congés payés lui ont été imposées entre le 1er septembre et le 13 septembre 2015, puis entre le 14 et le 21 septembre 2015 puis qu'il lui a été imposé un congé sans solde du 1er octobre au 15 octobre 2015, pratique selon elle irrégulière.

Elle sollicite à ce titre les sommes suivantes :

- 728,73 euros pour les congés sans solde,

- 954,95 euros pour les congés payés imposés.

La société Christy lui répond en substance que toutes les salariées dont Mme [R] avaient donné leur accord pour la période de congé sans solde, soulignant que la salariée n'a pas subi de préjudice puisqu'elle a perçu une rémunération dans le cadre du contrat à durée déterminée exécuté pendant cette période au sein du salon de la société Charlille.

Il convient cependant de relever que l'intimée à qui incombe la charge de la preuve du respect des dispositions légales en matière de fixation des congés payés et notamment du délai de prévenance en cas de date de congés imposée du fait de circonstances exceptionnelles, procède par affirmation sans aucune pièce à l'appui pour soutenir que les périodes de congés payés ont été régulièrement fixées.

Toutefois, ceux-ci ayant donné lieu à rémunération ainsi qu'il ressort de ses bulletins de salaire, le seul préjudice susceptible d'en résulter est celui de ne pas avoir librement choisi ses dates de congés. Or, Mme [R] ne se prévalant d'aucun préjudice en ce sens, il convient de la débouter de sa demande de rappel de salaire à ce titre.

Par ailleurs, alors qu'un congé sans solde ne peut pas être imposé par l'employeur, la société Christy ne produit aucune pièce pour justifier que Mme [R] y a consenti de manière libre et éclairée.

Cette période de congé sans solde étant irrégulière, il convient de condamner la société Christy à payer à Mme [R] le salaire correspondant, soit 728,73 euros, peu importe qu'une autre société ait rémunéré l'intéressée pendant ladite période en exécution d'un contrat étranger à la relation de travail liant les parties.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens de première instance.

Mme [R] étant accueillie en ses principales demandes, il convient de faire supporter les dépens de première instance et d'appel par la société Christy.

L'équité commande également de ne pas laisser à Mme [R] la charge des frais irrépétibles exposés au cours de la présente instance. La société Christy est condamnée à lui payer à ce titre une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en date du 7 avril 2021 sauf en ce qu'il a débouté Mme [L] [R] de sa demande de rappel de salaire au titre des congés payés de septembre 2015 et débouté la société Christy de ses demandes reconventionnelles ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement de Mme [L] [R] est nul en raison du harcèlement moral qu'elle a subi ;

CONDAMNE la société Christy à payer à Mme [L] [R] les sommes suivantes :

- 3 500 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral subi,

- 1 500 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité,

- 10 724 euros à titre de dommages-intérêts au titre de l'illicéité du licenciement,

- 3 064 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 306,40 de congés payés y afférents,

- 2 890 euros de solde d'indemnité de licenciement,

- 728,73 euros de rappel de salaire pour la période de congé sans solde ;

CONDAMNE la société Christy à payer à Mme [L] [R] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société Christy supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

LE PRÉSIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/00533
Date de la décision : 25/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-25;21.00533 ?
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