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25/11/2022 | FRANCE | N°20/01866

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 25 novembre 2022, 20/01866


ARRÊT DU

25 Novembre 2022







N° 1929/22



N° RG 20/01866 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TE2L



MLBR/NB

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

03 Juillet 2020

(RG 18/00430)







































GROSSE

:



aux avocats



le 25 Novembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [S] [M]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Aurore SELLIER-SUTY, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



S.A. ARVAL SERVICE LEASE

[Adresse 1]

[Localité 4]...

ARRÊT DU

25 Novembre 2022

N° 1929/22

N° RG 20/01866 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TE2L

MLBR/NB

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

03 Juillet 2020

(RG 18/00430)

GROSSE :

aux avocats

le 25 Novembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [S] [M]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Aurore SELLIER-SUTY, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A. ARVAL SERVICE LEASE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Aurélie FOURNIER, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Cindy SOUFFRIN, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l'audience publique du 04 Octobre 2022

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 mai 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [S] [M] a été embauchée par la société General Electric Capital Fleet Service en qualité d'assistante commerciale par contrat à durée indéterminée du 20 Août 1984.

A la suite du rachat de 100% des parts de la société General Electric Capital Fleet Service par la société Arval Fleet Lease et d'un rapprochement opérationnel entre les 2 sociétés, un transfert du contrat de travail de Mme [M] qui occupait alors des fonctions d'ingénieur commercial est intervenu en janvier 2017 au profit de la SA Arval Fleet Lease, celle-ci étant leader en France de la location multimarque de véhicules d'entreprise.

La convention collective applicable est celle des services de l'automobile.

Mme [M] a été placée en arrêt maladie du 19 mai 2017 au 23 avril 2018.

Le 25 avril 2018, lors de la visite de reprise, le médecin du travail a rendu l'avis suivant :

« Inaptitude à prévoir ' 1 ère visite (art. R4624-42 CT) : Pourrait travailler à un poste similaire dans un autre environnement professionnel. A revoir pour confirmation. »

Le 3 mai 2018, à l'issue d'une seconde visite, le médecin du travail a confirmé l'avis d'inaptitude de Mme [M] en des termes identiques.

Entre-temps, Mme [M] a saisi, le 23 avril 2018, le conseil de prud'hommes de Lille pour voir prononcer la résilliation judiciaire de son contrat de travail, dénonçant principalement sa surcharge de travail ainsi que la modification unilatérale de ses tâches et des modalités de sa rémunération par son employeur.

En cours de procédure, par lettre recommandée du 11 février 2019, la société Arval Service Lease a convoqué Mme [M] à un entretien préalable à son licenciement, fixé au 25 février 2019.

Le 1er mars 2019, elle lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement que Mme [M] a aussi contesté devant la juridiction prud'homale.

Par jugement contradictoire rendu le 3 juillet 2020, le conseil de prud'hommes de Lille a :

- débouté Mme [M] de sa demande de résiliation judiciaire et, en conséquence, de l'ensemble de ses demandes indemnitaires afférentes,

- dit que le licenciement de Mme [M] est fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté la demanderesse de l'ensembIe de ses demandes à ce titre,

- condamné Mme [M] au paiement de la somme de 1 000 euros à la Société Arval Service Lease au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 27 août 2020, Mme [M] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 4 mai 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [M] demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et l'en dire bien fondée,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et jugeant à nouveau :

à titre principal :

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Arval Service Lease et dire qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner en conséquence la société Arval Service Lease au versement des sommes suivantes :

* indemnité compensatrice de préavis : 17 596,71 euros, outre 1 759,70 euros au titre des congés payés y afférents,

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 117 311,40 euros nets de toutes cotisations sociales ;

à titre subsidiaire

- dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner en conséquence la société Arval Service Lease au versement des sommes suivantes :

* indemnité compensatrice de préavis : 17 596,71 euros, outre 1 759,70 euros au titre des congés payés y afférents,

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 117 311,40 euros nets de toutes cotisations sociales ;

en tout état de cause :

- condamner la société Arval Service à lui payer la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquements à l'obligation de sécurité de résultat,

- condamner la société Arval Service à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Arval Service de toutes demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Arval Service aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel,

- Dire que dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans l'arrêt à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier par application de l'article 10 du Décret du 8 mars 2001 portant modification du Décret du 12 décembre 1996 numéro 96/1080 (tarif des huissiers) devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 8 mars 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Arval Service Lease demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

-débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [M] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [M] aux entiers dépens de l'instance, et autres frais non inclus dans les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

- sur la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [M] :

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, Mme [M] prétend en substance que la société Arval Service Lease a commis plusieurs manquements graves à ses obligations contractuelles, en ce que notamment :

- son employeur aurait unilatéralement modifié ses fonctions, en dépit du document signé le 28 octobre 2016, en ajoutant notamment la mission de prospection commerciale qu'elle n'effectuait plus depuis 10 ans,

- il aurait également imposé sans recueillir son accord de nouvelles modalités de fixation de la part variable de sa rémunération, notamment les objectifs à atteindre,

- elle aurait subi une dégradation importante de ses conditions de travail compte tenu de sa charge excessive de travail et de l'absence totale de réaction de sa hiérarchie pourtant alertée de la situation dès février 2017, pour finalement se trouver, comme d'autres de ses collègues, en arrêt de travail en raison notamment d'un 'burn-out',

- la société Arval Service Lease aurait manqué à son obligation de sécurité malgré les alertes multiples de souffrance au travail,

- la société Arval Service Lease n'aurait pas mis en place d'entretien spécifique pour assurer le suivi régulier de sa charge de travail dans le cadre de la mise en oeuvre de la convention de forfait jours, ni de document de contrôle des journées et demi-journées travaillées.

En réponse, la société Arval Service Lease conteste la réalité des manquements allégués, en faisant valoir en substance que Mme [M] a accepté par la signature d'avenants contractuels les quelques aménagements de son poste de travail et le système de rémunération variable, après en avoir été précisément informée, les instances représentatives du personnel ayant également été consultées en amont.

Elle soutient également que Mme [M] ne rapporte pas la preuve de la surcharge de travail dénoncée, les 4 courriels produits ne pouvant être analysés comme des alertes adressées à sa hiérarchie, ajoutant qu'elle a apporté à ses collaborateurs l'aide nécessaire par le renfort d'un attaché de clientèle et l'arrivée d'un intérimaire à compter de juillet 2017.

Elle réfute tout lien entre l'état de santé de sa salariée et ses conditions de travail ainsi que le caractère probant des pièces médicales et des attestations produites. Elle ajoute que la CPAM a refusé de prendre en charge la maladie de sa salariée au titre des risques professionnels.

L'intimée considère par ailleurs que le dispositif du forfaits-jours mis en place est parfaitement valide.

Sur ce,

Le salarié qui souhaite se prévaloir d'une résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur doit caractériser l'existence d'un ou de plusieurs manquements de son employeur d'une gravité suffisante rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

L'action aux fins de résiliation judiciaire demeure régie par le mécanisme probatoire de droit commun de l'article 9 du code de procédure civile selon lequel il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention. Il appartient donc au salarié d'apporter la preuve de faits réels et suffisamment graves à l'encontre de l'employeur pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de ce dernier.

* sur la modification unilatérale du contrat de travail :

Il est en l'espèce constant que Mme [M] a signé le 28 octobre 2016 avec la mention 'bon pour accord' :

- le courrier officialisant le transfert de son contrat de travail à la société Arval Service Lease à compter du 1er janvier 2017 en tant qu'ingénieur commercial, ce courrier évoquant également ' la mise en place de l'organisation cible prévue le 1er avril 2017",

- l'avenant relatif à sa rémunération variable qui sera mise en oeuvre à compter du 1er avril 2017 dans le cadre de l'exercice de ses fonctions 'd'ingénieur commercial externe',

- l'avenant relatif à la mise à disposition d'un véhicule de fonction, ce document faisant également référence à son poste 'd'ingénieur commercial externe'.

Ainsi que le fait justement observer la société Arval Service Lease, la nouvelle mission de prospection de nouveaux clients dévolue à Mme [M] correspond à sa qualification d'ingénieur commercial, de sorte que la décision de son employeur de la lui attribuer ne constitue pas une modification de son contrat qui aurait nécessité son accord.

Il résulte aussi du compte-rendu d'entretien annuel qui a eu lieu le 24 janvier 2017 avec son supérieur hiérarchique, M. [H], que Mme [M] avait parfaitement connaissance des missions qui allaient lui être attribuées, avant même de les exercer, et les avait acceptées puisqu'elle les évoque en ces termes : 'Oui, c'est un réel défi, avec une nouvelle organisation, une nouvelle équipe de comptes, un nouvel environnement informatique dès avril 2017, de nouveaux outils, de nouveaux produits et prestations, de la prospection à ré-initier'.

En revanche, il n'est produit par la salariée aucune pièce pour contredire ces constatations et établir que ses fonctions ont évolué de manière significative et qu'elle n'y a pas consenti.

De même, Mme [M] ne présente aucun élément tendant à établir que les modalités de calcul et d'attribution de la part variable de sa rémunération ont été modifiées sans son accord, alors qu'elle a signé l'avenant contractuel, ni d'ailleurs qu'elle en aurait contesté l'application à sa situation pendant la relation de travail.

Il résulte de ces éléments que Mme [M] échoue à établir la réalité des manquements tirés de la modification unilatérale de son contrat de travail en ce qui concerne ses fonctions et sa rémunération.

* sur la surcharge de travail et l'obligation de sécurité :

L'article L.4121-1 du code du travail dispose :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeurveille à l'adaptation de ces mesures pourtenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. »

Ainsi, si la société Arval Service Lease était en droit d'aménager les attributions de Mme [M] dans le cadre de la nouvelle organisation du service prévue au 1e  avril 2017, elle se devait en revanche de veiller au titre de son obligation de sécurité à ce que cela n'entraîne pas une dégradation des conditions de travail de sa salariée en raison notamment d'une charge excessive de travail.

Pour établir que la société Arval Service Lease a failli en cette obligation, Mme [M] produit les éléments qui suivent.

Le 15 février 2017, elle justifie avoir alerté son supérieur hiérarchique, M. [H], sur le retard accumulé et la sensation de faire 'du sur place', qu'elle explique par le fait qu'en l'absence de son collègue pour prendre en charge le dossier client 'Fives', elle 'continue d'assumer les devis et autres réponses diverses et variées à l'ensemble des filiales', message d'alerte auquel son interlocuteur a répondu que son collègue devait effectivement prendre le relais à défaut de quoi 'l'année va mal s'enclencher', confirmant en cela les inquiétudes de Mme [M].

Le 23 mars 2017, elle a, par un premier message, réagi à la tâche qu'il lui était demandée de faire en urgence, en faisant valoir que 'le travail était énorme et irréalisable dans les délais impartis', signifiant son refus de travailler 'le prochain week-end et les prochaines nuits' et 'qu'à l'impossible, nul n'est tenu'.

Le même jour, dans un message intitulé 'discussion confidentielle' adressé à M. [H], Mme [M] a en outre formalisé par écrit le contenu de leur entretien organisé la semaine précédente, concernant 'ses difficultés, inquiétudes, voire angoisses' à la perspective de son changement de poste à compter du 1er avril suivant, qu'elle précise avoir déjà exprimées auprès de la direction lors de la présentation de 'sa stratégie' le 11 janvier 2017.

Elle y évoque notamment :

- son inquiétude quant à l'objectif de prospection fixée à 8 RDV par semaine dont son interlocuteur apparaissait conscient qu'il n'était pas réalisable, rappelant qu'elle n'en a pas fait depuis 10 ans,

- son ignorance de la nouvelle répartition des clients avec son collègue,

- son inquiétude quant à 'la mise en péril de certains comptes stratégiques' à défaut d'une présence renforcée, soulignant ainsi l'insuffisance de l'équipe,

- le caractère décourageant de certains objectifs qui lui ont été assignés compte tenu du retard déjà accumulé par son collègue depuis le début de l'année,

- ses difficultés à s'approprier l'outil 'sales forces' servant au contrôle et suivi de l'activité, en expliquant qu'elle est dans l'impossibilité de trouver le temps de s'auto-former 'dans le contexte et au regard de ma charge de travail' en raison d'une part de l'incapacité du dénommé [I] de la suppléer sur un dossier client 'Fives' pour lequelle elle dit assumer encore 100% des devis et traitements des demandes de ses filiales, et d'autre part, de l'aide qu'elle apporte à une autre collègue du fait de l'absence prolongée d'autres salariés.

Enfin, le 4 mai 2017, Mme [M] écrivait à M. [H], 'ici, c'est l'apocalypse, de pire en pire par rapport à la quantité de mails entrants...' expliquant sans le critiquer que son collègue y passe beaucoup de temps au détriment du reste, et qu'elle 'ignore combien de temps nous allons tenir ce rythme'.

Or, M. [H] lui répond que 'la demande de stagiaire est en cours, elle ne solutionnera pas à court terme mais au moins ça avance. En attendant, on va serrer les dents pour passer le cap Horn et retrouver l'accalmie au plus vite', ce qui à l'évidence corrobore l'analyse faite de la situation par Mme [M], même si M. [H] tient un discours qui se veut optimiste pour un avenir à moyen terme.

La teneur de ces différents messages particulièrement circonstanciés qui portent à tout le moins l'expression non équivoque d'une forte crainte de ne plus pouvoir faire face aux tâches en cours ainsi qu'à la réorganisation de ses attributions, suffisent à établir que Mme [M] a régulièrement alerté sa hiérarchie sur son incapacité à assumer sa charge de travail qu'elle juge excessive et à se préparer dans de bonnes conditions à la réorganisation, analyse de la situation jamais contredite par son supérieur direct, M. [H].

Or, il sera relevé que la société Arval Service Lease ni ne prétend, ni ne justifie d'une éventuelle réaction ou réponse officielle, voir de mesure qui aurait été prise, avant ou après, pour prévenir toute dégradation éventuelle des conditions de travail de Mme [M] en lien avec la réorganisation annoncée, ainsi que pour vérifier la pertinence des doléances de cette dernière et s'assurer de la compatibilité de ses attributions avec une répartition raisonnable et équilibrée du temps de travail de l'intéressée.

La société Arval Service Lease procède en outre par affirmation lorsqu'elle soutient que d'autres ingénieurs commerciaux assumeraient sans difficulté la charge de portefeuille clients similaire et ne produit aucun élément concret d'analyse des attributions effectives de Mme [M] au sein de son service pour démontrer qu'elles pouvaient être accomplies dans des conditions de travail satisfaisantes et dans le strict respect de la convention de forfait jours.

De même, l'existence d'une telle convention ne suffit pas à elle seule à exclure le risque d'une éventuelle surcharge de travail, l'employeur ayant d'ailleurs pour cette raison l'obligation légale de mettre en place un suivi du temps effectivement travaillé et de sa bonne répartition pour respecter les temps de repos quotidien et hebdomadaire obligatoires afin de lui garantir un rythme de travail raisonnable, ce que la société Arval Service Lease ne justifie pas avoir fait par la production du seul tableau des congés de Mme [M] depuis janvier 2017.

La société Arval Service Lease ne peut pas non plus se prévaloir du recrutement d'un intérimaire à compter de juillet 2017 pour soutenir qu'elle a renforcé l'équipe de Mme [M] et répondu ainsi en partie à ses attentes, dans la mesure où ce recrutement est intervenu plus d'un mois après le début de l'arrêt-maladie de l'intéressée, sachant par ailleurs que l'aide ponctuelle de M. [I] était, au vu des échanges de mails, limitée compte tenu de ses autres missions, et qu'il n'est pas justifié qu'elle se soit poursuivie au moment de la réorganisation du service.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, Mme [M] rapporte la preuve du manquement de la société Arval Service Lease à son obligation de sécurité, à défaut pour cette dernière d'avoir justifié, avant et surtout après ses alertes réitérées, de la mise en oeuvre de mesure de nature à prévenir toute charge de travail déraisonnable en lien avec la réorganisation et à lui garantir des conditions de travail satisfaisantes.

Il est constant que Mme [M] a été placée en arrêt maladie le 19 mai 2017, par son médecin traitant qui diagnostiquait pour la première fois un 'burn out'. Il résulte des autres avis d'arrêt de travail qu'après la prolongation de ce premier arrêt, son médecin a le 16 juin 2017 établi un certificat médical initial de maladie professionnelle faisant état de 'burn-out, syndrome dépressif avec douleur diffuse, souffrance au travail', ce diagnostic étant repris dans les avis de prolongation d'arrêt qui ont suivi.

Dans un certificat médical du 2 juin 2017, le médecin traitant de Mme [M] évoquait de manière plus précise l'anxiété réactionnelle de l'intéressée liée à la pression au travail, et le traitement médicamenteux prescrit.

La société Arval Service Lease remet en cause les compétences du médecin généraliste de Mme [M] pour pouvoir poser un tel diagnostic. Or, celui-ci a été confirmé par le médecin conseil de la CPAM dans son avis du 12 avril 2018 en ces termes : 'souffrance au travail. Une procédure d'inaptitude à ce poste dans cette entreprise semble indispensable', recommandations adoptées également par le médecin du travail qui a préconisé dans son avis d'inaptitude un reclassement sur un poste similaire mais dans un autre environnement professionnel.

Ce lien entre la dégradation de l'état de santé de Mme [M] et son travail est aussi corroboré par l'attestation, Mme [W], à l'époque salariée de la société Arval Service Lease qui indique qu'à l'occasion de ses rencontres régulières avec l'intéressée au siège social de [Localité 5], elle l'a vue perdre sa vitalité, s'inquiétant de la voir décliner jusqu'à son arrêt de travail, expliquant que ' sa charge de travail de cessait de croître et elle tentait d'y faire face malgré de gros soucis d'effectifs : démission, arrêt maladie..;des moyens insuffisants et un total manque de soutien du management'.

Peu importe le refus de la CPAM de prendre en charge cet arrêt au titre des risques professionnels, cette décision ne liant pas le juge, il se déduit de l'ensemble de ces éléments que l'inertie de la société Arval Service Lease face aux alertes de Mme [M] quant à ses conditions de travail est directement à l'origine de la dégradation de son état de santé et de son arrêt de travail qui a été prolongé pendant près d'un an.

Au vu de ses conséquences sur l'état de santé de Mme [M], le manquement de la société Arval Service Lease à son obligation de sécurité revêt une gravité rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

Ainsi, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres manquements dénoncés par Mme [M], il convient pour ce seul motif de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de l'intéressée, avec effet rétroactif au jour de son licenciement, date de la rupture effective de la relation de travail.

- sur les demandes financières de Mme [M] :

La résiliation judiciaire d'un contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [M] est donc en droit de recevoir une indemnité compensatrice de préavis pour laquelle les parties s'accordent sur le fait qu'elle est équivalente à 3 mois de salaire.

L'appelante sollicite une somme de 17 596,71 euros sans préciser l'assiette de son calcul, tandis que la société Arval Service Lease, dans un subsidiaire, prétend que l'indemnité ne saurait être supérieure à 11 290,05 euros sur la base d'un salaire fixe de 3 763,35 euros.

Au vu des montants des salaires et primes perçus par Mme [M] au cours des 12 mois précédant son arrêt maladie tels qu'ils résultent de l'attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire versés aux débats, son salaire moyen, en ce compris les primes liées à l'activité perçues le 31 décembre 2016 et le 30 avril 2017, s'élève à 5 632,73 euros, de sorte qu'il convient de condamner la société Arval Service Lease à lui verser une somme de 16 898,19 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 689,81 euros de congés payés y afférents.

Mme [M] réclame également une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse de 117 311,40 euros correspondant à 20 mois de salaire, en insistant sur la dégradation de son état de santé et sur le fait qu'en raison de son âge et du marché actuel de l'emploi, les recherches d'un nouvel emploi sont particulièrement compliquées.

Agée de 57 ans au jour de la rupture de la relation de travail, Mme [M] bénéficiait de 35 ans d'ancienneté. En dépit de son expérience professionnelle, son âge est de nature à faire obstacle à la recherche d'un emploi et elle justifie d'ailleurs de la perception de l'allocation de retour à l'emploi jusqu'en fin d'année 2021, induisant une nette baisse de ses revenus après la perte de son emploi.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient en application de l'article L. 1235-3 du code du travail de lui allouer une indemnité de 84 490,95 euros en réparation du préjudice tiré de la perte injustifiée de son emploi.

Enfin, Mme [M] sollicite une somme de 35 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le manquement de la société Arval Service Lease à son obligation de sécurité.

Si Mme [M] ne produit pas de pièces autres que les éléments médicaux exposés plus haut pour justifier de son préjudice, ceux-ci suffisent cependant, compte tenu de la durée importante de son arrêt maladie, à en établir l'existence et à lui accorder une somme de 8 000 euros de dommages et intérêts.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

Partie perdante, la société Arval Service Lease devra supporter les dépens de première instance et d'appel. Elle sera déboutée de ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande en outre de la condamner à payer à Mme [M] une somme de 2 000 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en date du 3 juillet 2020 en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau et y ajoutant,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [S] [M] avec effet rétroactif au 1er mars 2019, date de son licenciement ;

CONDAMNE la société Arval Service Lease à payer à Mme [S] [M] les sommes suivantes :

- 8 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à son obligation de sécurité,

- 84 490,95 euros en réparation du préjudice tiré de la perte injustifiée de son emploi,

- 16 898,19 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 689,81 euros de congés payés y afférents ;

CONDAMNE la société Arval Service Lease à payer à Mme [S] [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société Arval Service Lease supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 20/01866
Date de la décision : 25/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-25;20.01866 ?
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