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25/11/2022 | FRANCE | N°20/01365

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 25 novembre 2022, 20/01365


ARRÊT DU

25 Novembre 2022







N° 1957/22



N° RG 20/01365 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TBHR



MLBR/GL

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DOUAI

en date du

25 Mai 2020

(RG 18/00187 -section )







































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GROSSE :



aux avocats



le 25 Novembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



S.A. CONFORAMA FRANCE



[Adresse 2])

[Adresse 2]

Représentée par Me Hugues MAQUINGHEN, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Florent MEREAU, avocat au barrea...

ARRÊT DU

25 Novembre 2022

N° 1957/22

N° RG 20/01365 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TBHR

MLBR/GL

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DOUAI

en date du

25 Mai 2020

(RG 18/00187 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 25 Novembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

S.A. CONFORAMA FRANCE

[Adresse 2])

[Adresse 2]

Représentée par Me Hugues MAQUINGHEN, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Florent MEREAU, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Mme [J] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Corinne PHILIPPE, avocat au barreau de VALENCIENNES

DÉBATS : à l'audience publique du 11 Octobre 2022

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaëlle LEMAITRE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire , prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 04 octobre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [J] [V] a été embauchée par la SA Conforama France (la société Conforama) le 5 octobre 1998 par contrat de travail à durée indéterminée. Elle occupait un poste d'hôtesse de caisse crédit accueil sur le site de [Localité 3].

Le 4 février 2015, elle a été placée en arrêt maladie.

Informée le 26 mars 2015 par le médecin du travail des plaintes de 3 salariées dont Mme [V] concernant 'les remarques récurrentes et parfois déplacées à leur égard' de la part de M. [L], responsable adjoint du site, la société Conforama a notifié à l'intéressé par courrier du 4 juin 2015, à la suite d'un entretien préalable, une mise en garde en lui demandant 'd'adopter une posture courtoise et respectueuse en toute circonstances' telle qu'un employeur est en droit d'attendre de ses encadrants.

Par requête du 22 juin 2015, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Douai afin de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail suite au harcèlement moral managérial dont elle dit avoir été victime, et obtenir le paiement de diverses indemnités.

En cours de procédure, par avis du 1er mars 2017 le médecin du travail a délivré un avis d'inaptitude concernant Mme [V] mentionnant que 'tout maintien dans l'emploi dans cette entreprise serait préjudiciable à sa santé. Etat de santé en lien avec une maladie professionnelle en cours de demande ».

Après l'avoir convoquée à un entretien préalable, la société Conforama a notifié à Mme [V] par lettre du 3 juillet 2017 son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement contradictoire rendu le 25 mai 2020, le conseil de prud'hommes de Douai a :

- ordonné la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [V] à la date du 3 juillet 2017;

- condamné la société Conforama à verser à Mme [V] :

* la somme de 3 858,25 euros à titre d'indemnité de préavis,

* la somme de 385,82 euros à titre d'indemnité dc congés payés sur préavis,

* la somme de 40 000 euros au titre du prejudice moral,

* la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que conformément à l'article 1231-7 du code civil, les condamnations prononcées emporteront intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2015, date de l'audience de conciliation pour toutes les sommes de nature salariale, et à compter du jour du présent jugement pour toutes les autres sommes et ce, jusqu'à complet paiement,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- débouté Mme [V] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Conforama de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Conforama aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 23 juin 2020, la société Conforama a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.( RG 20/1365)

Par déclaration reçue au greffe le 25 juin 2020, Mme [V] a également interjeté appel du jugement en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes et plus précisémement de celle tendant à obtenir une indemnité pour illicéité de son licenciement. (RG 20/1382)

Par ordonnance du 15 février 2022, ces 2 procédures ont été jointes sous le numéro RG 20/1365.

Sur saisine de la société Conforama, le conseiller de la mise en état, par ordonnance en date du 24 juin 2022, a notamment :

dans la procédure 20/1365,

- déclaré irrecevables les conclusions d'intimée de Mme [V] du 30 janvier 2022 et les pièces communiquées à leur soutien ;

dans la procédure 20/1382,

- déclaré recevables les conclusions d'appelante de Mme [V] du 30 janvier 2022 et les pièces communiquées à leur soutien ;

- déclare irrecevables les demandes suivantes formulées dans lesdites conclusions:

-'à titre principal, subsidiaire et infiniment subsidiaire, condamnation de la SA Conforama France au paiement de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

-à titre infiniment subsidiaire, reconnaissance d'une absence de cause réelle et sérieuse au licenciement et condamnation de la SA Conforama France au paiement de diverses sommes à titre d'indemnité de préavis, des congés payés y afférents, de dommages-intérêts au titre du préjudice subi et dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse'.

Dans ses dernières conclusions d'appelante déposées le 29 août 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [V] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu sauf en ses dispositions critiquées,

- condamner la société Conforama au versement d'une indemnité pour licenciement nul d'un montant de 69 444 euros,

à titre subsidiaire si la résiliation du contrat de travail ne devait pas être confirmée,

- dire que son licenciement pour inaptitude est frappé de nullité au regard de la situation de harcèlement moral subie,

- condamner la société Conforama au versement d'une somme de 3 858,25 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 385,82 euros au titre des congés payés y afférents,

- condamner la société Conforama au versement d'une somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamner la société Conforama au versement d'une indemnité pour licenciement nul d'un montant de 69 444 euros,

- lui donner acte qu'une demande de maladie professionnelle hors tableau pour harcèlement moral est en cours et qu'elle se réserve de modifier ses demandes ultérieures si cette procédure venait à aboutir en cours d'appel,

en tout état de cause,

- ordonner la rectification de documents légaux de sortie sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Conforama au versement d'une somme de 2 500 euros à titre d'indemnité procédurale en cause d'appel,

- la condamner aux entiers frais et dépens,

- débouter la société Conforama de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Conforama demande à la cour de :

- déclarer Mme [V] infondée en son appel principal,

- la recevoir en son appel incident,

- réformer la décision de première instance en ses dispositions critiquées,

- la confirmer en ce qu'elle a débouté Mme [V] de ses autres demandes, fins et prétentions, notamment à titre de dommages et intérêts pour illicéité de la rupture ou licenciement nul et au titre du préjudice financier,

Statuant à nouveau sur les points réformés et y ajoutant :

à titre principal,

- déclarer n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail,

- déclarer le licenciement bien-fondé,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner Mme [V] à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile toutes instances confondues,

- condamner Mme [V] aux dépens de première instance et d'appel,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a ordonné la résiliation judiciaire du contrat de travail, ou dire le licenciement nul,

- confirmer la décision en ce qu'elle réduit les demandes de Mme [V] à :

o 3 858,25 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

o 385,82 euros au titre des congés payés y afférents,

- réduire dans les plus amples proportions les demandes de Mme [V] au titre de :

o l'illicéité de la rupture ou la nullité du licenciement,

o l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter en tout état de cause Mme [V] de ses demandes au titre du préjudice moral distinct.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

La société Conforama fait grief aux premiers juges d'avoir retenu l'existence d'une situation de harcèlement moral et d'un manquement grave à ses obligations contractuelles.

Elle fait valoir en substance que Mme [V] ne présente pas d'élément précis concernant les prétendues brimades et pressions dont elle aurait été victime de la part de M. [L], de nature à caractériser une situation de harcèlement moral, les pièces produites ne concernant pas directement la relation de travail entre celui-ci et la salariée, en ce qu'elles portent sur des questions générales d'organisation et de décompte du temps de travail, ou sur des rappels de consignes générales intéressant tous les salariés.

Elle ajoute que les propos qui ont valu à M. [L] une mise en garde officielle ne concernaient pas personnellement Mme [V] dans la mesure où ils étaient adressés à 'la cantonnade' et sont donc insusceptibles de constituer des agissements harcelants à son endroit.

Entendant aussi démontrer qu'elle n'a jamais pris les risques de harcèlement moral à la légère et qu'il ne peut pas lui être reproché un quelconque manquement à son obligation de sécurité et de prévention, la société Conforama soutient qu'elle ignorait les plaintes de Mme [V] et de sa collègue, Mme [E], avant que le médecin du travail l'en avise le 26 mars 2015 et précise que sa directrice des ressources humaines s'est entretenue dès le 7 avril suivant avec les 2 salariées et que M. [L], convoqué dès le 7 mai 2015 à un entretien disciplinaire fixé au 1er juin 2015 pour s'expliquer sur les faits allégués, s'est vu notifier une mise en garde par courrier du 4 juin 2015.

Elle ajoute qu'elle a parfaitement collaboré à l'enquête de l'inspecteur du travail et a organisé avec les délégués du personnel l'intervention d'un cabinet extérieur désigné pour réaliser un diagnostic RPS au sein du magasin de [Localité 3], ces différentes mesures d'investigation n'ayant pas permis de confirmer la réalité des faits dénoncés. Elle met également en avant le fait que plusieurs préconisations ont malgré tout été mises en place pour notamment accompagner le retour des 2 salariées.

La société Conforama insiste enfin sur le fait qu'avant même l'arrêt de travail de Mme [V], elle disposait d'un DUERP comprenant un volet relatif aux RPS et avait tenté de mettre en place un comité d'éthique.

Pour sa part, Mme [V] maintient que M. [L], arrivé sur le site en janvier 2012, lui faisait subir ainsi qu'à ses collègues hôtesses de caisse un harcèlement managérial fait de propos dévalorisants, de pressions sur le travail à accomplir et de menaces de sanction, ainsi qu'en attestent Mme [N] et Mme [E], les conséquences sur son état de santé étant selon elle établies par les nombreuses pièces médicales qu'elle produit.

Elle fait observer que les faits dénoncés sont corroborés par la lettre de mise en garde adressée le 4 juin 2015 à M. [L] qui les a reconnus en partie.

La salariée affirme que la société Conforama ne pouvait ignorer cette situation au vu des départs progressifs des salariés et des arrêts maladie qui auraient dû l'interpeller dès la fin d'année 2014.

Elle fait également le reproche à son employeur d'avoir peu réagi après le signalement fait par la médecine du travail, le praticien ayant dû faire un rappel le 5 mai 2015 pour connaître la suite donnée. Elle dénonce également le caractère inadapté de la mesure de mise en garde prononcée à l'égard de M. [L] compte tenu de la gravité des faits.

La salariée soutient enfin en s'appuyant sur les rapports de l'inspecteur du travail et du cabinet d'expertise Technologia qu'il n'existait pas avant les faits de réelle mesure de prévention, la procédure d'alerte n'ayant notamment été mise en place au sein de la société Conforama qu'en avril 2015.

Elle en conclut que la situation de harcèlement moral est établie ainsi que le manquement de la société Conforama à son obligation de sécurité, qui ont eu tous deux des conséquences sur sa santé physique et psychique de sorte qu'ils rendent impossible la poursuite de la relation de travail et justifient le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail

Sur ce,

Le salarié qui souhaite se prévaloir d'une résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur doit caractériser l'existence d'un ou de plusieurs manquements de son employeur d'une gravité suffisante rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

L'action aux fins de résiliation judiciaire demeure régie par le mécanisme probatoire de droit commun de l'article 9 du code de procédure civile selon lequel il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention. Il appartient donc au salarié d'apporter la preuve de faits réels et suffisamment graves à l'encontre de l'employeur pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de ce dernier.

Il sera égalemement rappelé qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article susvisé. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

L'employeur doit répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés et au titre de son obligation légale de sécurité de résultat et de prévention, il doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou faire cesser les agissements de harcèlement moral.

En l'espèce, pour établir la matérialité des faits constitutifs selon elle d'un harcèlement managérial, Mme [V] verse notamment aux débats :

- les attestations de ses 2 collègues hôtesses de caisse, Mme [N] et Mme [E], la première qui a quitté l'entreprise en 2014 et n'est pas en litige avec son ancien employeur, évoquant de manière circonstanciée la dégradation de leurs conditions de travail depuis l'arrivée de M. [L] en 2012 avec des changements systématiques d'horaire de travail sans raison, ni délai de prévenance, des remarques désobligeantes régulières à l'égard de chacune dont elle cite des exemples, une pression et surveillance constante avec notamment des menaces d'avertissement en cas d'erreur, notamment le 7 février 2013 suite à un manque de 300 euros dans le coffre dont aucune n'était responsable, cette ambiance ayant engendré pour elles 'la peur, un énorme stress et une baisse de moral',

- le courrier daté du 12 février 2013 du secrétaire général CGT au directeur du magasin de [Localité 3] concernant ce dernier incident à la suite duquel les hôtesses de caisse ont été convoquées par le responsable administratif, (M. [L]) et ont fait l'objet d'un avertissement verbal avec menace d'un avertissement écrit alors qu'aucun élément ne permettait de leur imputer ce manque en coffre,

- le courriel du médecin du travail à Mme [M], responsable RH, pour l'alerter de situations de souffrance au travail au sein du magasin de [Localité 3] pour lequel il n'avait jamais constaté jusqu'alors de telles situations, avec des arrêts de travail de plusieurs salariés,

- l'attestation du médecin du travail datée du 15 juin 2015 sur la chronologie des événements ayant fait suite à son signalement, notamment les propos tenus par Mme [M] lors de l'entretien du 7 avril 2015 en réaction aux plaintes formulées par les salariées, à savoir 'ce type de management ne rentre pas dans la politique managériale de Conforama, celle-ci se voulant motivante et non destructrice',

- la lettre de mise en garde adressée le 4 juin 2015 par la société Conforama à M. [L] concernant les propos qu'il aurait tenus, tels que 'vous êtes trop vieilles pour comprendre les nouvelles technologies', 'vous êtes cinq en caisse et trop nombreuses, une devra sauter', ' j'ai des interimaires comme je veux pour vous remplacer, j'appuie sur un bouton', ' je ne devrais avoir que des hôtesses de caisse ménopausées, je ne serai plus embêté le mercredi', 'vous êtes incompétentes', ' vous allez recevoir des recommandés si cela continue', la société Conforama faisant état dans son courrier de la reconnaissance par l'intéressé d'une partie des propos qu'il qualifiait 'de boutades et de remarques sur le ton de l'humour'. Jugeant ce type de commentaires inacceptables et l'informant qu'ils ne seraient plus tolérés, la société Conforama a demandé à M. [L] 'd'adopter une posture courtoise et respectueuses en toute circonstance',

- le courrier du 7 août 2015 de l'inspecteur du travail à M. [B], alors directeur du magasin de [Localité 3], faisant suite à son enquête relative à la situation de souffrance au travail de 2 hôtesses de caisse dont Mme [V], aux termes duquel il relève la remise en cause 'd'un usage' au bénéfice des hôtesses de caisse de travailler 34 heures payées 35 heures, un décompte critiquable de la durée du travail effectif et des temps de pause au vu de l'accord collectif existant au sein de la société Conforama, la succession des arrêts maladie de 3 salariées sur 4 dont 2 déclarent une souffrance au travail ainsi que l'absence de formation de l'encadrement directe aux risques psycho-sociaux et l'insuffisance du DUERP à ce sujet,

- les arrêts de travail délivrés depuis 2015 faisant tous état de dépression avec souffrance au travail ainsi qu'un certificat dans le même sens de la psychologue du CMP de Denain qu'elle consulte depuis février 2015, et de plusieurs certificats de son psychothérapeuthe confirmant un état dépressif, d'angoisse majeure et de perte d'estime de soi,

- le rapport d'expertise réalisée en 2017 dans le cadre du contentieux relatif à la reconnaissance d'une maladie professionnelle qui retient que 'Mme [V] a été confrontée dans l'exercice de son travail à une situation qui a généré une souffrance psychologique à l'origine d'une blessure narcissique et d'une décompensation dépressive'.

L'attestation de Mme [N], les éléments sur l'incident du 8 février 2013 et la lettre de mise en garde suffisent à établir la matérialité de certains agissements de M. [L] à l'égard des hôtesses de caisse, à savoir la réitération de propos désobligeants et dévalorisants à leur égard ainsi que la remise en cause récurrente et sans motif de la qualité de leur travail et les menaces injustifiées de sanction, notamment le 7 février 2013, et même de rupture de contrat, leur auteur les ayant pour partie reconnus et la société Conforama en ayant elle-même admis la véracité dans un courrier du 24 juin 2015 adressé au conseil des salariées ainsi qu'à traver la procédure disciplinaire initiée à l'égard de l'intéressé ayant abouti à la mise en garde écrite.

Dans un contexte admis par la société Conforama de remise en cause d'anciennes habitudes de travail et de réorganisation des tâches qui certe relèvent du pouvoir de direction de l'employeur mais impliquent aussi un dialogue social et un accompagnement des salariés dans l'évolution de leurs missions, les attitudes susvisées adoptées pendant plusieurs années, à tout le moins depuis 2013, par ce responsable administratif, adjoint du directeur de site, prises dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'égard notamment de Mme [V] dans la mesure où elles témoignent d'une méthode de gestion et de management empreinte de pressions, dévalorisations et menaces, pouvant être qualifié de harcèlement managérial, qui a par ailleurs eu des conséquences directes sur la dégradation de la santé mentale de Mme [V], ainsi que cela résulte clairement de l'ensemble des avis d'arrêt de travail, des pièces médicales et de l'expertise évoqués plus haut.

Il incombe dès lors à la société Conforama de démontrer par des éléments objectifs que les faits allégués sont étrangers à toute situation de harcèlement moral.

Or, celle-ci ne donne aucune justification des propos dévalorisants et menaces de sanctions proférées par M. [L].

Par ailleurs, contrairement à ce qu'elle soutient, le fait que ces attitudes visaient de manière globale toutes les hôtesses de caisse ne suffit pas à écarter l'existence d'une situation de harcèlement moral visant spécifiquement Mme [V] dès lors que ce mode particulièrement inapproprié de management la concernait également, a entraîné une dégradation de ses conditions de travail au même titre que de celles de ses collègues comme décrite par Mme [N], et qu'il a eu pour effet d'altérer son état de santé mentale ainsi qu'il a été exposé plus haut.

Force est également de constater que la société Conforama affirme que les remarques faites par M. [L] sur le travail de ces salariées, notamment après l'incident de février 2013, relèvent de son pouvoir de direction et d'organisation, sans toutefois produire de pièce objective de nature à démontrer que les menaces d'avertissement ou les reproches d'incompétence étaient légitimement fondées sur des négligences ou fautes de leur part, et donc étrangères à toute situation de harcèlement moral.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le harcèlement moral dont Mme [V] a été victime de la part de son supérieur hierarchique est établi. Le jugement sera confirmé sur ce point.

La société Conforama devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés, elle doit être considérée comme responsable du harcèlement managérial dont Mme [V] a été ainsi victime de la part de M. [L], un des responsables du site, jusqu'à son arrêt maladie.

Par ailleurs, s'il est exact que la société Conforama a immédiatement réagi au signalement du médecin du travail en rencontrant, en la personne de Mme [M], directrice de ressources humaines, les 2 salariées dès le 7 avril 2015 et en convoquant M. [L] à un entretien préalable dans un cadre disciplinaire dès le 7 mai 2015 ainsi qu'en diffusant fin avril 2015 à tous ses salariés un protocole de dispositif d'alerte professionnelle et en s'impliquant dans la réalisation du diagnostic RPS préconisé par l'inspecteur du travail, il n'en demeure pas moins qu'à l'issue de son enquête, celui-ci a relevé une insuffisance du volet RPS dans le DUERP alors en vigueur et l'absence d'actions de formation de l'encadrement direct aux risques psychosociaux.

Elle ne produit d'ailleurs aucune pièce pour contredire ces constatations de l'inspecteur du travail ou justifier des mesures concrètes et effectives adoptées pour y remédier, après la réalisation du diagnostic RPS par un cabinet de consultant spécialisé.

Elle admet elle-même qu'avant les faits, le comité d'éthique qu'elle entendait créer n'avait finalement pas été constitué et que le protocole diffusé en avril 2015 n'était pas réellement effectif.

Par ailleurs, il est acquis aux débats que M. [L] a finalement été maintenu dans le magasin de [Localité 3] à l'issue de la procédure disciplinaire. Or, la société Conforama ne précise pas les mesures concrètes mises en place pour vérifier qu'il n'adopte pas de nouveau des attitudes identiques.

Ainsi, la société Conforama ne justifie pas de la mise en oeuvre, principalement avant la survenance des faits mais également après leur révélation, de mesures de prévention concrètes et suffisantes des risques de harcèlement moral sur le site de [Localité 3], et ce en violation des articles L. 1152-4 et L. 4121-1 du code du travail qui lui imposent une obligation de sécurité de résultat et également de prévention à l'égard de ses salariés.

Au vu des conséquences directes de sa défaillance et du harcèlement moral dont elle est tenue responsable sur l'état de santé de sa salariée, les premiers juges ont donc à bon droit considéré que les manquements étaient graves et rendaient impossible la poursuite de la relation de travail, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [V], avec effet au 3 juillet 2017, date de la rupture de la relation de travail.

- sur les demandes financières :

La résiliation judiciaire d'un contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul au sens de l'article L. 1152-3 du code du travail, dès lors qu'il est directement lié au harcèlement moral dont le salarié a été victime.

Or, à travers les nombreux avis de prolongation d'arrêt de travail évoqués plus haut, les certificats des professionnels de santé qui la suivent depuis février 2015 et le rapport d'expertise de 2017, il est établi que son arrêt de travail débuté en février 2015 et sa pathologie résultent directement d'un état de souffrance au travail généré manifestement par le harcèlement dont elle a été victime, peu importe qu'elle n'est pas été reconnue comme maladie professionnelle compte tenu de l'insuffisance du taux d'incapacité inférieur à 25%.

Dans un certificat du 26 janvier 2016 adressé au médecin du travail, le docteur [I] qui a reçu la salariée dans le cadre d'une consultation de pathologie au travail, a d'ailleurs préconisé de travailler sur des perspectives de reprise autre que pour son employeur actuel afin qu'elle soit plus sereine.

A la suite de son avis d'inaptitude du 1er mars 2017, le médecin du travail a précisé par la suite à l'employeur qu'aucun reclassement ne pouvait s'envisager au sein de la société Conforama, ce qui confirme que l'inaptitude n'est pas liée à l'emploi mais au milieu professionnel.

Ainsi, l'ensemble de ces pièces médicales circonstanciées contemporaines de son arrêt de travail et de sa déclaration d'inaptitude démontre que celle-ci trouve sa cause directe et certaine dans les actes de harcèlement moral, la société Conforama n'opposant d'ailleurs aucun élément pour contredire le diagnostic posé ou établir que la cause de son inaptitude est étrangère aux faits de harcèlement.

Il convient en conséquence, par voie d'infirmation, de dire que la résiliation judiciaire aura les effets d'un licenciement nul.

Il convient de relever que s'agissant des demandes financières de Mme [V], les parties s'accordent sur la confirmation du jugement en ses dispositions relatives à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés y afférents.

Mme [V] sollicite également une indemnité de 69 444 euros correspondant à 36 mois de salaire en réparation du préjudice résultant de l'illicéité de la rupture du contrat, en application de l'article L. 1235-3 dans sa rédaction en vigueur au 3 juillet 2017, arguant de son ancienneté et de son âge ainsi que de ses difficultés à retrouver un emploi, justifiant d'une embauche le 1er avril 2019 par la société Suez.

Il est constant qu'au 3 juillet 2017, Mme [V] avait 41 ans et bénéficiait de 19 ans d'ancienneté. Elle a retrouvé une activité professionnelle plusieurs mois après la rupture du contrat et justifie de la baisse à l'époque de ses ressources.

Les parties s'accordent sur un salaire brut de 1929 euros.

Au vu de la dégradation de sa situation financière malgré l'obtention d'un nouvel emploi ainsi que de sa période de chômage qui a duré plusieurs mois en dépit de son âge et son expérience professionnelle, il convient d'accorder à Mme [V] en réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi, une indemnité d'un montant de 23 148 euros.

Mme [V] sollicite également la confirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué en réparation du préjudice moral causé par le harcèlement moral qu'elle a subi, du fait des conséquences sur sa santé, une somme de 40 000 euros.

Contrairement à ce que soutient la société Conforama pour critiquer cette disposition, Mme [V] n'ayant pas bénéficié d'une reconnaissance de maladie professionnelle pour le harcèlement moral subi, elle est en droit de présenter sa demande indemnitaire devant cette cour.

Compte tenu des circonstances de ce harcèlement précédemment exposés et des effets importants sur son état psychique rappelé plus haut et qui l'ont obligée à entreprendre un suivi thérapeuthique et médicamenteux pendant de nombreux mois, il convient de lui accorder une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, la somme de 40 000 euros allouée par les premiers juges apparaissant excessive au vu de l'étendue du préjudice tel qu'il est justifié, Mme [V] alléguant, sans les établir, des conséquences sur sa vie de famille.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

- sur les demandes accessoires :

Comme demandé par la salariée, la société Conforama est condamnée à lui remettre dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt des documents de fin de contrat rectifiés et conformes à la présente décision. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Conforama devra également supporter les dépens d'appel.

L'équité commande également de condamner la société Conforama à payer à la salariée une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 25 mai 2020 sauf en ce qu'il a débouté Mme [V] de sa demande indemnitaire en raison de l'illicéité de la rupture du contrat de travail  ainsi qu'en ses dispositions relatives au montant de la réparation de son préjudice moral distinct ;

statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Conforama à payer à Mme [V] les sommes suivantes:

- 23 148 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi,

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral subi ;

ORDONNE à la société Conforama de remettre à Mme [V] des documents de fin de contrat rectifiés et conformes au présent arrêt dans un délai d'un mois à compter de sa signification ;

CONDAMNE la société Conforama à payer à Mme [V] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société Conforama supportera les dépens d'appel.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 20/01365
Date de la décision : 25/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-25;20.01365 ?
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