La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/11/2022 | FRANCE | N°19/02133

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale d salle 3, 25 novembre 2022, 19/02133


ARRÊT DU

25 Novembre 2022







N° 1881/22



N° RG 19/02133 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SVLB



VCL-VDO

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

14 Octobre 2019

(RG 18/00293 -section 2)




































<

br>





GROSSE :



aux avocats



le 25 Novembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [O] [T]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Manuel DE ABREU, avocat au barreau de VALENCIENNES substitué par Me Geoffrey BAJARD, avocat au ...

ARRÊT DU

25 Novembre 2022

N° 1881/22

N° RG 19/02133 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SVLB

VCL-VDO

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

14 Octobre 2019

(RG 18/00293 -section 2)

GROSSE :

aux avocats

le 25 Novembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [O] [T]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Manuel DE ABREU, avocat au barreau de VALENCIENNES substitué par Me Geoffrey BAJARD, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE :

Société SERVICE AUTO DIFFUSION

[Adresse 1]

représentée par Me Bruno PIETRZAK, avocat au barreau de VALENCIENNES

DÉBATS : à l'audience publique du 29 Septembre 2022

Tenue par Virginie CLAVERT

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Nadine BERLY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 8 septembre 2022

EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :

La SASU SERVICE AUTO DIFFUSION exerçant sous l'enseigne FEU VERT a engagé Mme [O] [T] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 avril 2009 en qualité d'hôtesse de caisse qualification Ml Echelon 3 de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981.

Madame [T] a, par suite, été promue au poste d'assistante de gestion à compter du mois de mai 2010, qualification M2-6.

La salariée a été placée en arrêt maladie en lien avec son état de grossesse pour la période du 22 mars 2013 au 5 mai 2013.

Le 2 juin 2013, Mme [T] s'est vue notifier un avertissement qu'elle a contesté et qui se trouvait motivé par le refus, en date du 30 mai 2013, d'effectuer une saisie informatique et de réaliser le rapprochement de facture de plusieurs bons de livraison d'un des fournisseurs de l'entreprise.

Mme [O] [T] a été placée en congé maternité anticipé à compter de la mi juillet 2013.

L'intéressée a fait l'objet d'un avis d'inaptitude le 7 janvier 2014 libellé de la façon suivante : «'inaptitude en 1 visite avec danger immédiat de maintien au poste; Apte au même emploi dans un environnement professionnel différent'» et a été placée en arrêt maladie jusqu'au 7 février 2014. Cet avis d'inaptitude a été confirmé en date du 30 janvier 2014 à la demande de la société SERVICE AUTO DIFFUSION.

Par lettre datée du 3 mars 2014, Mme [O] [T] s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Se prévalant d'une situation de harcèlement moral, contestant la légitimité de son licenciement pour inaptitude et réclamant divers rappels de salaire et indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, Mme [T] a saisi le 11 mars 2014 le conseil de prud'hommes de Valenciennes qui, par jugement du 14 octobre 2019, a rendu la décision suivante :

- dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [T] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- déboute Mme [T] de l'intégralité de ses demandes,

- condamne Mme [T] à payer à la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboute la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION de sa demande reconventionnelle au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,

- condamne Mme [O] [T] aux dépens.

Mme [O] [T] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 30 octobre 2019.

Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 1er février 2022 au terme desquelles Mme [O] [T] demande à la cour de :

-INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a:

-dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [O] [T] repose sur une cause réelle et sérieuse

- débouté Mme [O] [T] de l'intégralité de ses demandes;

- condamné Mme [O] [T] à payer à la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION la somme de 1 500.00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamné Mme [O] [T] aux dépens;

- Le CONFIRMER en ce qu'il a débouté la société SERVICE AUTO DIFFUSION de sa demande reconventionnelle au titre des dommages intérêts pour procédure abusive injustifiée,

Et, statuant à nouveau.

SUR LES DEMANDES RELATIVES A L'EXECUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL:

Sur la contestation de l'avertissement injustifié

- DIRE et JUGER la demande recevable;

- ANNULER l'avertissement du 3juin2013;

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à verser à Mme [T] la somme de 3 000.00 € à titre de dommages et intérêts pour avertissement injustifié;

Sur les dommages intérêts relatifs à la prise de congés pavés imposée pour la période du 26 novembre 2013 au 7 janvier 2014

- JUGER la demande recevable ;

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à verser à Mme [O] [T] la somme de 2 370.14 € à titre de dommages-intérêts pour prise de congés payés imposée ;

Sur la demande relative à l'indemnisation de la période du 7 février au 3 mars 2014

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à verser à Mme [O] [T] la somme de 1 461 .55 € à titre de rappel de salaires pour la période du 7 février au 3 mars 2014

Sur la situation de harcèlement moral :

- JUGER que Mme [O] [T] a bien été victime d'une situation de harcèlement moral au travail,

En conséquence,

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à lui verser la somme de 15 000.00 € à titre de dommages et intérêts ;

Sur le manquement à I'obligation de prévention des risques

- JUGER la demande recevable ;

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à verser à Mme [O] [T] la somme de 15 000.00 € pour violation de l'article L4121-2 du Code du Travail ;

SUR LES DEMANDES RELATIVES A LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

A titre principal,

Eu égard à la situation de harcèlement moral dont a été victime Mme [O] [T],

- ANNULER le licenciement du 3 mars 2014 sur le fondement de l'article L.1152-3 du Code du Travail ;

En conséquence,

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à lui verser les sommes suivantes :

- Dommages intérêts pour licenciement nuI 15 000.00 €

- Indemnité compensatrice de préavis: 3 372,7 €

- Congés payés y afférents: 337.27 €

- Préjudice moral distinct : 5 000.00 €

- ORDONNER la délivrance des documents de sortie rectifiés et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document à compter de la signification de l'arrêt, la Cour se réservant la faculté de liquider l'astreinte;

A titre subsidiaire.

- JUGER que le licenciement de Mme [O] [T] est la conséquence des manquements de la société SERVICE AUTO DIFFUSION

- REQUALIFIER le licenciement de Mme [O] [T], intervenu le 3 mars 2014 en licenciement sans cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à lui verser les sommes suivantes:

- Dommages intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et

sérieuse: 15 000.00 €

- Indemnité compensatrice de préavis: 3 372,7 €

- Congés payés yafférents: 337.27€

- Préjudice moral distinct: 5 000.00 €

- ORDONNER la délivrance des documents de sortie rectifiés et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document à compter de la signification de l'arrêt, la Cour se réservant la faculté de liquider l'astreinte

EN TOUT ETAT DE CAUSE

- DEBOUTER la société SERVICE AUTO DIFFUSION de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à verser à Mme [T] [O] la somme de 2 000.00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance

Y ajoutant,

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION à verser à Mme [T] [O] la somme de 2 000.00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel

- CONDAMNER la société SERVICE AUTO DIFFUSION aux entier dépens de l'instance en ce compris ceux exposés en première instance;

Au soutien de ses prétentions, Mme [O] [T] expose que :

- Concernant l'avertissement notifié le 2 juin 2013, les dommages et intérêts relatifs à la prise de congés payés imposés, le manquement à l'obligation de prévention des risques et conformément au principe de l'unicité de l'instance, la saisine de la juridiction prud'homale a interrompu la prescription concernant l'ensemble des demandes relatives au contrat de travail, y compris s'agissant des prétentions ne figurant pas sur l'acte de saisine, ce jusqu'à la survenance d'une décision définitive. Ces demandes sont donc recevables.

- La demande d'annulation de l'avertissement du 2 juin 2013 doit conduire à remettre en cause celui-ci, la réalité des faits reprochés n'étant pas établie et intervenant dans un contexte de retour d'arrêt maladie au cours duquel la salariée n'avait pas été remplacée, la facture litigieuse ayant été émise pendant son absence.

- Concernant la prise de congés imposés entre le 26 novembre 2013 et le 7 janvier 2014, l'employeur a placé, sans son accord, Mme [T], alors de retour de congé maternité, en congés payés et ne l'a pas rémunérée pour la période du 1er au 7 janvier 2014, ce avant la mise en place d'une rupture conventionnelle que la SASU a finalement refusée.

- L'intimée a, par suite, décompté abusivement 34 jours de congés soit un préjudice de 2370,14 euros.

- La SASU SERVICE AUTO DIFFUSION n'a pas non plus repris le paiement du salaire, à l'expiration du délai d'un mois suite à l'avis d'inaptitude, n'ayant ni licencié ni reclassé Mme [T], ce d'autant que la preuve d'un recours de l'employeur contre le premier avis d'inaptitude n'est pas établie. Il est, par suite, dû un rappel de salaire au titre de la période du 8 février au 3 mars 2014.

- Surtout, Mme [T] apporte aux débats des éléments permettant de laisser supposer une situation de harcèlement moral, en lien avec un changement caractérisé de l'attitude de sa hiérarchie à son égard compte tenu de son état de grossesse, une sanction disciplinaire infondée et abusive, la perte d'avantages consentis à l'ensemble des salariés concernant des réparations automobiles personnelles sans facturation du coût de la main d'oeuvre ou encore une vente de matériel à tarifs préférentiels, le changement de position de l'employeur concernant la rupture conventionnelle, la perte de son poste suite à son retour de congé maternité et la demande de nouvel examen auprès du médecin du travail après le premier avis d'inaptitude, ces agissements ayant eu des répercussions fortes sur son état de santé.

- L'enquête réalisée par l'inspection du travail n'a pas été réalisée contradictoirement, s'est faite alors qu'elle se trouvait en congé maternité et sans qu'elle n'ait été entendue.

- La SASU SERVICE AUTO DIFFUSION a également manqué à son obligation de prévention en ne prémunissant pas Mme [T] contre les faits de harcèlement dont elle a été victime.

- Le licenciement est nul, étant la conséquence des faits de harcèlement subis, avec toutes conséquences financières de droit.

- Subsidiairement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, l'inaptitude de la salariée étant consécutive à un manquement préalable de l'employeur, avec toutes conséquences financières de droit.

Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 27 avril 2020, dans lesquelles la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION, intimée, demande à la cour de :

- DIRE bien jugé, mal appelé,

- DIRE et JUGER Mme [O] [T] irrecevable concernant ses demandes portant sur les dommages et intérêts pour non mise en place de la visite de reprise en première instance ; et subsidiairement l'en débouter pour demande mal fondée

- DEBOUTER purement et simplement Mme [O] [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- DIRE et JUGER que le licenciement de Mme [O] [T] est parfaitement

valide, et fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- CONDAMNER Mme [O] [T], pour son comportement abusif, son recours encore plus abusif, à payer à la Société SERVICE AUTO DIFFUSION, une somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée.

- CONDAMNER Mme [O] [T] à payer à la Société SERVICE AUTO

DIFFUSION la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- CONDAMNER Mme [T] aux entiers frais et dépens de la procédure.

A l'appui de ses prétentions, la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION soutient que :

- Concernant la demande de dommages et intérêts pour non mise en place de la visite de reprise, celle-ci constitue une nouvelle prétention formulée en cause d'appel et est, par conséquent, irrecevable, compte tenu de la suppression du principe de l'unicité de l'instance.

- Subsidiairement, l'employeur n'avait pas été informé de la visite de reprise et a donc légitimement contesté l'avis d'inaptitude pris le 28 janvier 2014. La société n'avait, par ailleurs , aucune obligation de mettre en place une visite médicale de reprise, l'arrêt de travail de Mme [T] se poursuivant jusqu'au 7 février 2014 et, en tout état de cause, deux visites de préreprise ayant été organisées.

- Concernant l'avertissement notifié à Mme [T], celui-ci était fondé, étant précisé que l' action tendant à contester cette sanction est, en tout état de cause, prescrite, suite à l'écoulement de plus de deux années.

- La salariée ne justifie d'aucun élément de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, ce alors qu'aucune attestation ne vient au soutien de ses allégations, qu'aucune surcharge de travail n'est avérée, qu'à son retour de congé maternité, elle a récupéré son ancien poste, que la sanction était justifiée et que l'inspection du travail a conclu à l'absence de harcèlement moral.

- Les conditions de travail de Mme [T] n'ont pas non plus connu de dégradation au regard de son état de grossesse ou à son retour de congé maternité.

- Et si l'état de santé mentale de la salariée n'est pas contesté, aucun lien de causalité n'est établi avec son activité professionnelle, ce d'autant que M. [W] a été relaxé par le tribunal correctionnel et que les accusations de harcèlement moral sont, en réalité, la conséquence de l'avertissement non supporté par l'appelante.

- En outre, le licenciement de Mme [T] est fondé, régulier et justifié par l'inaptitude de l'intéressée. Il est également justifié de recherches de reclassement, ce qui doit conduire au rejet des demandes de dommages et intérêts pour licenciement illicite et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents, la salariée ne rapportant pas la preuve d'un quelconque préjudice.

- Aucun rappel de salaire n'est, par ailleurs, dû, Mme [T] ayant été rémunérée pour les périodes concernées.

- Enfin, le caractère abusif du recours doit conduire à la condamnation de l'appelante au paiement de dommages et intérêts, outre une indemnité procédurale.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 8 septembre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité des demandes :

- Sur le principe de l'unicité de l'instance et les nouvelles demandes formées en cause d'appel :

La société SERVICE AUTO DIFFUSION se prévaut de l'irrecevabilité des demandes nouvelles formées en cause d'appel et en particulier de la demande de dommages et intérêts pour non mise en place de la visite de reprise, ce en application de l'article 564 du code de procédure civile et compte tenu de la suppression du principe de l'unicité de l'instance en matière prud'homale.

L'article 8 du décret n°2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail a, en effet, entrainé la suppression de l'article R1452-7 du code du travail, lequel disposait que "Les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel. L'absence de tentative de conciliation ne peut être opposée.Même si elles sont formées en cause d'appel, les juridictions statuant en matière prud'homale connaissent les demandes reconventionnelles ou en compensation qui entrent dans leur compétence."

Néanmoins, aux termes des dispositions transitoires prévues par l'article 45 du décret précité, les articles 8, 12 et 23 ne sont applicables qu'aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes à compter du 1er août 2016.

Or, l'action formée par Mme [O] [T] ayant été introduite devant le conseil des prud'hommes le 11 mars 2014, la suppression du principe de l'unicité de l'instance n'est pas opposable à l'appelante dont les demandes nouvelles en appel sont donc recevables.

Par conséquent, les demandes nouvelles formées en cause d'appel par Mme [O] [T] et en particulier la demande de dommages et intérêts pour non mise en place de la visite de reprise, sont recevables.

- Sur la prescription de la demande tendant à l'annulation de l'avertissement du 2 juin 2013 et de la demande subséquente de dommages et intérêts :

Cette demande porte sur l'exécution du contrat de travail.

Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Ce texte s'applique aux prescriptions en cours à la date du 17 juin 2013, date de promulgation de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi qui l'a introduit.

Le délai de prescription antérieur à cette loi, fixé par la loi du 17 juin 2008, était de cinq ans.

Ces dispositions issues de la loi du 14 juin 2013 s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la promulgation de la loi, soit le 17 juin suivant, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Ainsi, s'agissant de la contestation de l'avertissement du 3 juin 2013 et conformément au principe de l'unicité de l'instance alors applicable, l'acte de saisine de la juridiction prud'homale formé par Mme [O] [T] le 11 mars 2014 a interrompu la prescription concernant l'ensemble des actions relatives à la relation contractuelle et notamment à l'exécution du contrat, même si ces demandes ont uniquement été formulées en cause d'appel.

Cette interruption de la prescription résultant d'une action en justice produit, en outre, ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance, c'est à dire jusqu'à ce que le litige trouve sa solution, de sorte que, compte tenu de l'appel formé le 30 octobre 2019, l'effet interruptif de la prescription continue à produire ses effets, dans l'attente de l'arrêt à intervenir.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande d'annulation de l'avertissement et de la demande subséquente de dommages et intérêts est, ainsi, rejetée.

Sur l'avertissement du 3 juin 2013 :

Il résulte des dispositions de l'article L1333-1 du code du travail qu'en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, la juridiction saisie apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, que l'employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction et qu'au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de l'article L1333-2 du même code, la juridiction peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

En l'espèce, Mme [O] [T] a été sanctionnée d'un avertissement qui lui a été notifié le 2 juin 2013 par M. [A] [K] pour avoir le 30 mai 2013, délibérément refusé «'d'effectuer une saisie informatique et le rapprochement de facture de plusieurs bons de livraison d'un de nos fournisseurs'».

Pour justifier du bien-fondé de cette sanction, l'employeur produit aux débats :

- un document intitulé 'Factures avril 2013' établi par ses soins et recensant le nombre de factures traitées avant le 24 avril 2013 par Mme [I] [J] et après le retour de Mme [O] [T] par cette dernière et notamment les 13, 14, 16 et 17 mai 2013,

- un extrait des comptes de la société sur la période de janvier à mai 2013 faisant état d'une baisse d'activité,

- un courrier du 12 août 2013 établi par M. [Z], comptable de l'établissement.

- une attestation de M. [A] [K] relatant l'incident du 30 mai 2013 ayant donné lieu à la sanction.

Il résulte de ces pièces qu'en réalité, Mme [O] [T] a été sanctionnée suite à une unique demande de gérer la facture d'un fournisseur, ladite facture remontant au mois de mars précédent et alors que la salariée se trouvait en arrêt maladie en raison de difficultés liées à son état de grossesse, ayant ensuite repris le travail le 7 mai suivant.

Surtout, la société SERVICE AUTO DIFFUSION produit exclusivement le témoignage du responsable, à l'origine de la sanction contestée, outre un document établi par cette même personne recensant le traitement des factures au mois d'avril 2013. Il n'est, ainsi, communiqué aucun témoignage d'un autre salarié ni même les différentes factures non traitées alléguées dans le courrier de sanction.

Et si M. [Z], en sa qualité de comptable extérieur à l'entreprise, fait état dans un courrier du 12 août 2013, de la nécessité pour le magasin de lui transmettre au plus tard le 19 de chaque mois les rapprochements bons de livraison/facture pour une déclaration devant intervenir avant le 21 de chaque mois, ce dernier ne peut témoigner sur le déroulement même des faits sanctionnés, n'y ayant pas assisté.

Enfin, il est relevé que Mme [O] [T] qui s'était trouvée en arrêt maladie pendant six semaines n'avait, en réalité, pas été remplacée, seule Mme [I] [J] ayant assumé certaines tâches relatives aux factures. Il ressort, ainsi, de la note établie par l'employeur lui-même que cette dernière avait, avant le 24 avril 2013, traité 20 factures sur toute la période d'arrêt de travail de l'appelante (soit 6 semaines) laquelle a, à son retour entre le 13 et le 17 mai, pris en charge 44 factures.

Et si l'employeur se prévaut d'un rythme peu soutenu de la salariée, cette tâche ne constituait pas l'unique attribution dévolue à Mme [T] qui assumait également l'accueil clientèle, le standard téléphonique, la prise de rendez vous, les encaissements, les saisies informatiques des réceptions, le contrôle facturation, les travaux divers (inventaires, commandes...) (cf courrier du 12 juin 2013 de M. [K] à M. [W]) et en particulier le traitement des cartes grises non prises en charge en son absence, peu important que l'établissement ait connu une légère baisse de son chiffre d'affaires à cette période.

Enfin, il n'est pas contesté que la facture litigieuse avait été établie durant l'arrêt de travail de Mme [T] à laquelle il ne peut être reproché un défaut de traitement pendant son congé maladie.

Par conséquent, il s'évince de l'ensemble de ces éléments que la société SERVICE AUTO DIFFUSION ne justifie ni du bien-fondé de la sanction ni de son caractère proportionné à la faute alléguée.

L'avertissement est, par conséquent, annulé.

En outre, Mme [O] [T] justifie que ce manquement de l'employeur lui a causé un préjudice en lien avec une sanction injustifiée, quelques semaines après un retour d'arrêt maladie lié à des difficultés en lien avec sa grossesse.

La cour fixe, par suite, à 500 euros le montant des dommages et intérêts dûs par la société SERVICE AUTO DIFFUSION pour cette sanction injustifiée.

Le jugement entrepris est infirmé.

Sur les dommages et intérêts pour prise de congés payés imposée pour la période du 26 novembre 2013 au 7 janvier 2014 :

Il n'est pas contesté que, suite à la fin de son congé maternité en date du 26 novembre 2013, Mme [O] [T] a été placée en congés payés jusqu'au 7 janvier 2014, comme en attestent les bulletins de salaire versés aux débats.

Il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement et, en l'espèce, de démontrer que la prise de ces congés payés avait été acceptée par sa salariée.

Or, il ressort des pièces produites qu'après une demande de rupture conventionnelle formalisée par Mme [O] [T] dans une lettre du 7 novembre 2013, la société SERVICE AUTO DIFFUSION a accepté le principe de cette rupture, tout en indiquant dans un courrier du 25 novembre 2013, considérer la salariée comme en congés payés de la fin de son congé maternité jusqu'au terme de la démarche de rupture conventionnelle, avant finalement de ne plus consentir à cette rupture conventionnelle par courrier du 23 décembre suivant.

La preuve de ce que Mme [O] [T] aurait expressément accepté de prendre l'intégralité de ses congés annuels au cours de cette période ne se trouve nullement rapportée, aucune pièce ne démontrant son assentiment à cet égard.

L'intéressée justifie, par ailleurs, d'un préjudice subi lié à l'utilisation de l'intégralité de son solde de congés payés (34 jours), dans un contexte de rupture conventionnelle acceptée puis finalement refusée.

Néanmoins, le montant des dommages et intérêts ne peut correspondre au montant intégral du salaire perçu par l'intéressée et correspondant à cette période de congés payés, par ailleurs, rémunérée.

La cour fixe, par suite, à la somme de 1000 euros le montant des dommages et intérêts dus à Mme [O] [T] pour les congés payés imposés, laquelle viendra réparer intégralement le préjudice qu'elle a subi de ce fait.

La décision entreprise est infirmée.

Sur la demande d'indemnisation au titre de la période du 7 février au 3 mars 2014 :

Conformément aux dispositions de l'article L1226-4 du code du travail, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

En l'espèce, Mme [O] [T] a fait l'objet d'un avis d'inaptitude en une seule visite avec danger immédiat de maintien au poste, ce en date du 7 janvier 2014.

Lorsque l'inaptitude du salarié est constatée dans le cadre d'un seul examen constatant que le maintien du salarié à ce poste entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celle d'un tiers, le délai d'un mois court à compter de cet examen unique et n'est pas suspendu par un recours exercé par l'employeur.

Ainsi, nonobstant la demande de «'nouvel examen'» formulée par la société SERVICE AUTO DIFFUSION et ayant donné lieu à la confirmation de l'avis d'inaptitude initial, ce en date du 30 janvier 2014, l'employeur aurait dû, à défaut de reclassement ou de licenciement, reprendre le paiement du salaire de Mme [T] à compter du 8 février 2014, ce qu'il n'a pas fait.

Par conséquent, la société intimée est condamnée à payer à Mme [T] les salaires que cette dernière aurait dû percevoir jusqu'à son licenciement survenu le 3 mars 2014 soit la somme de 1461,55 euros, dont le montant n'est pas contesté par l'employeur.

Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code dans sa version applicable à l'espèce, lorsque le salarié présente des éléments de fait permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [O] [T] se prévaut de ce qu'elle a fait l'objet d'une procédure disciplinaire abusive et infondée à son retour de congé maladie, de ce que son employeur lui a refusé des avantages consentis à l'ensemble des salariés concernant les réparations sur son véhicule personnel ou encore l'achat de matériels. Elle fait également état du changement d'avis de son employeur qui, après l'avoir placée en congés payés le temps de finaliser la rupture conventionnelle, l'a finalement refusée ainsi que de la perte de son poste suite à son congé maternité, ces agissements ayant eu des répercussions sur son état de santé. Elle évoque, enfin, la demande de «'nouvel examen'» par le médecin du travail formulée par l'employeur.

A l'appui de ses prétentions, l'appelante verse aux débats les éléments suivants :

- l'avertissement qui lui a été notifié le 2 juin 2013,

- les échanges avec son employeur dans le cadre de lettres recommandées avec accusé de réception adressés par l'une ou l'autre partie, suite à la contestation de l'avertissement et aux faits de harcèlement moral dénoncés puis afin de dénoncer un refus de réalisation de travaux de réparation sur son véhicule personnel au tarif préférentiel habituellement appliqué aux salariés, et enfin, concernant la rétrogradation à son retour de congé maternité,

- une lettre de Mme [T] du 7 novembre 2013 au terme de laquelle celle-ci sollicite une rupture conventionnelle,

- la réponse apportée par l'employeur le 25 novembre 2013 qui indique la considérer en congés payés à compter de son retour de congé maternité le 26 novembre 2013, ce jusqu'au terme de la démarche de rupture conventionnelle,

- la lettre recommandée adressée par la société SERVICE AUTO DIFFUSION le 23 décembre 2013 informant Mme [O] [T] de ce que l'employeur ne souhaite finalement plus accéder à la demande de rupture conventionnelle et lui demande de se présenter le 7 janvier 2014,

-deux attestations établies par M. [X] [M], son père, lequel l'a accompagnée lors de sa reprise le 7 janvier 2014 et lors de la réunion avec le médecin du travail,

- l'avis d'inaptitude du 7 janvier 2014,

- l'arrêt de travail daté du même jour,

- le compte rendu de la réunion avec le médecin du travail, Mme [T], son père et l'employeur,

- la fiche médicale d'aptitude du 30 janvier 2014 confirmant l'avis d'inaptitude du 7 janvier 2014,

- le compte rendu d'entretien préalable au licenciement établi par M. [D], conseiller du salarié,

- différents comptes rendus médicaux établis par le Dr [S], médecin généraliste, le Dr [U], psychiatre, et le Dr [F] gynécologue, lesquels font état d'un état dépressif dont a souffert Mme [T], ayant nécessité un suivi psychiatrique et en lien avec des difficultés professionnelles «'qui la mettaient en larmes'», outre un extrait de son dossier de consultations prénatales.

Ces pièces démontrent, en premier lieu et conformément aux développements repris ci-dessus, que

Mme [O] [T] a fait l'objet, à son retour d'arrêt maladie, d'un avertissement injustifié.

Par ailleurs, il est établi que la société SERVICE AUTO DIFFUSION a, après avoir accepté le principe d'une rupture conventionnelle en date du 25 novembre 2013 et mis en congés payés pendant 34 jours sa salariée, finalement changé d'avis en s'opposant désormais et sans explication à ladite rupture le 23 décembre suivant.

En outre, lors de la reprise du travail de Mme [O] [T] le 7 janvier 2014, il résulte du témoignage de M. [X] [M] que cette dernière n'a pas, dans un premier temps, retrouvé son poste d'assistante de gestion, a été contrainte de se rendre en caisse et ne s'est pas vu confier de travail en lien avec ses fonctions.

Enfin, le compte rendu de réunion avec le médecin du travail du 28 janvier 2014, l'attestation de M. [M] ayant participé à cette réunion et le compte rendu d'entretien préalable au licenciement établi par le conseiller du salarié démontrent que la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION a sollicité un second avis d'inaptitude, sans pour autant exercer un recours en tant que tel contre l'avis d'inaptitude en une seule visite, non pas parce qu'il contestait cette inaptitude mais uniquement compte tenu de ce que la demande de visite avait été sollicitée par Mme [T] et non par l'employeur, lequel en avait, toutefois, été informé tant par le médecin du travail quelques jours auparavant que par sa salariée le jour-même.

Il résulte, par suite, de ces éléments pris dans leur ensemble, que Mme [O] [T] rapporte la preuve de faits matériellement établis qui permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

De son côté, la société SERVICE AUTO DIFFUSION à qui il incombe de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, se prévaut de ce que l'avertissement était justifié, le rapprochement de factures relevant des tâches de Mme [T], de ce que l'employeur a finalement refusé la rupture conventionnelle suite à la dénonciation de faits de harcèlement moral et compte tenu du refus de la salariée dans ce contexte, de ce que le fait pour la salariée de ne pas avoir retrouvé son poste résulte uniquement d'un défaut temporaire d'organisation et, enfin, de ce qu'il avait le droit de solliciter un nouvel examen, n'ayant pas été informé de la première visite de reprise.

En premier lieu, si l'inspection du travail a, dans le cadre d'une enquête diligentée courant août 2013, conclu à l'absence d'éléments de nature à caractériser des faits de harcèlement moral commis au préjudice de Mme [O] [T], l'examen du rapport établi conduit à constater que :

- L'enquête a été réalisée sans audition de la salariée, alors en congé maternité.

- Certains salariés ont été entendus, sans pour autant que leur identité et le contenu de leur témoignage ne soit mentionné.

- Aucune confrontation n'a été mise en oeuvre entre la version de l'appelante et celle de la société intimée.

- Une grande partie des faits constitutifs de harcèlement reprochés par Mme [T] sont postérieurs à cette enquête.

Les conclusions de cette enquête ne peuvent, dès lors, conduire à écarter les agissements de harcèlement moral reprochés à la société SERVICE AUTO DIFFUSION qu'il convient d'examiner à l'aulne des justifications apportées par l'employeur.

Ainsi, concernant l'avertissement du 3 juin 2013, il se déduit des développements repris dans le cadre de la demande d'annulation sus-évoquée que celui-ci constitue une sanction injustifiée, quelques semaines après un retour d'arrêt maladie lié à des difficultés en lien avec un état de vulnérabilité lié à la grossesse. Il ne peut, dès lors, être soutenu que cette sanction repose sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En outre, concernant la rupture conventionnelle, la société SERVICE AUTO DIFFUSION ne démontre pas que ce changement d'orientation (lettre de refus du 23 décembre 2013) après avoir imposé à sa salariée la prise de 34 jours de congés, trouve son origine dans les faits de harcèlement moral dénoncés. En effet, il ressort des nombreux recommandés adressés entre les parties que l'employeur a été informé du harcèlement moral reproché par Mme [O] [T] dès son courrier du 5 juin 2013 au terme duquel l'intéressée l'informait, par ailleurs, de la saisine de l'inspection du travail.

De la même façon, il n'est justifié d'aucun refus de la salariée de poursuivre le processus de rupture conventionnelle qui aurait conduit la société SERVICE AUTO DIFFUSION à renoncer à ladite rupture. A cet égard, il est relevé que les courriers de la salariée dans le cadre desquels elle indique que la rupture conventionnelle n'est plus envisageable au regard des faits de harcèlement moral subis (courriers des 27 janvier et 18 février 2014), sont tous postérieurs, non seulement au courrier de refus de rupture conventionnelle de l'employeur mais également à l'avis d'inaptitude.

Ce changement de la société SERVICE AUTO DIFFUSION concernant la rupture conventionnelle ne repose donc pas sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Concernant le fait pour Mme [O] [T] de ne pas avoir retrouvé son ancien poste à son retour de congé maternité suivi de congés payés, si l'employeur se prévaut, dans ses conclusions, d'un «'défaut temporaire d'organisation'», il n'en conteste pas pour autant l'affectation provisoire de la salariée à son retour à un autre poste d'échelon inférieur (hôtesse de caisse) que celui qu'elle occupait précédemment (assistante de gestion).

Aucun élément objectif étranger à tout harcèlement ne justifie là encore cette rétrogradation même temporaire.

Enfin, concernant l'avis d'inaptitude en une visite avec danger immédiat, si l'employeur pouvait contester celui-ci par le biais d'un recours adressé à l'inspection du travail accompagné des motifs de la contestation (conformément à la procédure alors applicable), force est de constater que la société SERVICE AUTO DIFFUSION n'a pas, en l'espèce, fait usage de ce droit, contestant uniquement les modalités de saisine du médecin du travail par la salariée, alors que l'employeur ne l'avait pas fait lui-même, cette «'contestation'» ayant eu pour conséquence de retarder la procédure d'inaptitude, alors même que la société intimée avait été informée par fax de cette visite par le médecin du travail puis par sa salariée le jour de son retour dans l'entreprise.

Là encore, cette démarche de l'employeur ne repose sur aucun élément objectif étranger à tout harcèlement.

Enfin, les différents témoignages produits par la société intimée au terme desquels il est fait état d'erreurs commises par Mme [T] ou encore de l'usage excessif de son téléphone portable à des fins personnelles, si tant est qu'ils soient avérés, sont sans incidence sur le présent litige et ne peuvent légitimer des faits de harcèlement moral.

De la même façon, le fait pour M. [N] [W], en sa qualité de gérant de la société SERVICE AUTO DIFFUSION, d'avoir été relaxé de faits d'appels téléphoniques malveillants dirigés contre l'époux de Mme [T], dans un contexte de liaison de cette dernière avec un tiers, est sans lien avec les faits de harcèlement moral reprochés et ne peut conduire à les écarter.

Par conséquent, au regard des éléments produits pris dans leur ensemble, l'employeur ne prouve pas que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs de harcèlement. Il ne démontre pas non plus que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral subi par Mme [O] [T] est donc établi.

Il est, par ailleurs, justifié du préjudice subi par la salariée en lien avec ces faits de harcèlement moral ayant entrainé un état dépressif nécessitant un suivi psychiatrique, ce alors même que l'intéressée présentait, par ailleurs , un état de vulnérabilité du fait de sa grossesse.

La cour fixe, par suite, à 4000 euros le montant des dommages et intérêts dûs à cet égard.

Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.

Sur l'obligation de prévention des risques :

Aux termes de l'article L1152-4 du code du travail, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Il résulte, en outre, de l'article L. 4121-1 du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En matière de harcèlement moral, l'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle. Elle peut, ainsi, donner lieu à l'indemnisation du préjudice distinct subi.

Respecte, ainsi, l'obligation de sécurité, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l'espèce, il résulte des pièces produites et des développements repris ci-dessus que par courrier du 5 juin 2013, Mme [O] [T] a, informé le gérant de la société, M. [W], de faits de harcèlements subis, notamment de la part de son responsable de magasin, M. [A] [K].

La salariée a, par la suite, dénoncé à plusieurs reprises par différentes lettres recommandées la poursuite de faits de harcèlement moral, sans pour autant que l'employeur ne prenne aucune mesure de nature à prévenir la réitération de ces agissements ou encore d'y mettre un terme, alors même que l'intéressée se trouvait alors dans un état de vulnérabilité lié à sa grossesse.

Il résulte, par ailleurs, des différents certificats médicaux versés aux débats que ce manquement a causé à l'intéressée un préjudice distinct qu'il convient de réparer à hauteur de 1000 euros.

Le jugement entrepris est infirmé à cet égard.

Sur le licenciement :

La rupture du contrat de travail résulte d'une situation d'inaptitude au poste d'assistante de gestion dans l'établissement de [Localité 4], laquelle est la conséquence des conditions de travail de la salariée et de la situation de harcèlement moral qu'elle a subie.

Il résulte, en effet, des développements repris ci-dessus que Mme [O] [T] a été victime de faits de harcèlement moral commis par son employeur et qui ont conduit à une décision d'inaptitude en une seule visite avec danger immédiat pour la santé et la sécurité de la salariée puis à son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Dès lors, par application des dispositions de l'article L.1152-3 du code du travail, le licenciement est nul.

Le jugement entrepris est, par suite, infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de licenciement nul.

Sur les conséquences financières du licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse :

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents :

Le salarié déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis.

L'indemnité de préavis est, toutefois, due au salarié lorsque le licenciement a été déclaré nul par le juge ou encore de façon plus générale lorsque l'employeur est responsable de l'inexécution de ce préavis.

En l'espèce, il résulte des développements repris ci-dessus que le licenciement pour inaptitude de Mme [T] est nul pour être intervenu dans un contexte de harcèlement moral, de sorte que cette dernière a droit au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis de deux mois.

L'employeur qui ne conteste pas le montant réclamé, est, par conséquent, condamné à payer à l'appelante 3372,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 337,27 euros au titre des congés payés y afférents.

- Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul :

Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond, dès lors qu'il est au moins égal à celui prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail.

En considération de sa situation particulière, notamment de son âge (pour être née le 31 décembre 1985) et de son ancienneté au moment de la rupture (compte tenu de l'entrée au service de l'entreprise à compter du 21 avril 2009), des circonstances du licenciement, du salaire mensuel brut ( 1686,35 euros), de l'absence de justificatifs fournis concernant la situation de la salariée postérieure à son licenciement concernant les recherches d'emploi ou la durée de la période de chômage, il y a lieu de condamner la société SERVICE AUTO DIFFUSION à verser à [O] [T] la somme de 11 800 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral distinct :

En principe, les circonstances particulières entourant la rupture sont déjà indemnisées dans le cadre des dommages-intérêts alloués pour licenciement nul.

Il appartient au salarié d'établir l'existence et l'étendue d'un préjudice moral distinct.

Néanmoins, Mme [O] [T] qui se contente de solliciter «'Préjudice moral distinct : 5000 euros'» sans autres précisions, ne justifie pas d'un préjudice moral distinct.

Cette demande est rejetée et le jugement entrepris confirmé à cet égard.

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive :

La société SERVICE AUTO DIFFUSION ne démontre ni la mauvaise foi ni le caractère abusif du recours formé par Mme [O] [T] qui n'a fait qu'user de son droit de faire valoir ses arguments en justice et dont une grande partie des prétentions est accueillie.

L'intimée est déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Le jugement entrepris est confirmé.

Sur la remise sous astreinte des documents de fin de contrat :

Il convient d'ordonner à la société SERVICE AUTO DIFFUSION de délivrer à Mme [O] [T] une attestation destinée à Pôle Emploi ainsi qu'un certificat de travail conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte.

Sur les autres demandes :

Les dispositions afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance sont infirmées.

Succombant à l'instance, la société SERVICE AUTO DIFFUSION est condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Mme [O] [T] 2500 euros au titre des frais irrépétibles exposés.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Valenciennes en date du 14 octobre 2019, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct et en ce qu'il a débouté la société SERVICE AUTO DIFFUSION de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

ANNULE l'avertissement notifié le 3 juin 2013 ;

DIT que Mme [O] [T] a été victime, au sein de la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION, de harcèlement moral ;

DIT que le licenciement de Mme [O] [T] est nul ;

CONDAMNE la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION à payer à Mme [O] [T] :

- 500 euros à titre de dommages et intérêts pour avertissement injustifié,

- 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour congés imposés du 26 novembre 2013 au 7 janvier 2014,

- 1461,55 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 8 février au 3 mars 2014,

- 4000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention des risques,

- 3372,70 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 337,27 euros au titre des congés payés y afférents,

- 11800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

ORDONNE à la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION de remettre à Mme [O] [T] les documents de sortie rectifiés, tous ces documents devant être établis conformément au dispositif du présent arrêt ;

REJETTE la demande d'astreinte ;

CONDAMNE la SASU SERVICE AUTO DIFFUSION aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Mme [O] [T] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale d salle 3
Numéro d'arrêt : 19/02133
Date de la décision : 25/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-25;19.02133 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award