République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 17/11/2022
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N° de MINUTE :
N° RG 18/04185 - N° Portalis DBVT-V-B7C-RWYH
Jugement (N° 2016003157) rendu le 29 mai 2018 par le tribunal de commerce de Valenciennes
APPELANT
Maître [C] [T] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS DPDO Flandres désigné à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Valenciennes en date du 25 avril 2016
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Manuel de Abreu, avocat constitué, substitué par Me Corinne Philippe, avocats au barreau de Valenciennes
INTIMÉE
SA Crédit du Nord, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social
ayant son siège social, [Adresse 2]
représentée par Me Thibaut Crasnault, avocat au barreau de Valenciennes
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
DÉBATS à l'audience publique du 22 septembre 2022 après rapport oral de l'affaire par Clotilde Vanhove
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président, et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 31 août 2022
EXPOSE DU LITIGE
La société Crédit du Nord a consenti à la société Flandres diffusion de pièces détachées d'origine (ci-après DPDO) différents concours financiers et notamment un prêt de consolidation de 975 000 euros, ainsi que des lignes d'escompte Dailly et de découvert.
Le 12 décembre 2014, la société Crédit du Nord, par lettre recommandée avec avis de réception, a dénoncé le découvert et a donné un délai de 60 jours à la société DPDO pour régulariser le compte.
Par jugement du 19 janvier 2015, le tribunal de commerce de Valenciennes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société DPDO.
Le 18 mars 2015, la société Crédit du Nord a déclaré ses créances entre les mains du mandataire judiciaire lequel, par courrier du 31 juillet 2015, a informé la banque de la contestation de ses créances.
Par ordonnance du 28 avril 2016, le juge-commissaire a constaté l'existence d'une contestation sérieuse et a en conséquence invité la société Crédit du Nord à saisir la juridiction compétente.
Entre temps, par jugement du 25 avril 2016, le tribunal de commerce de Valenciennes a prononcé la liquidation judiciaire de la société DPDO et a désigné Maître [T] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte d'huissier de justice du 31 mai 2016, la société Crédit du Nord a fait assigner la société DPDO et Maître [T], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société DPDO, afin de voir admises ses créances déclarées à la liquidation judiciaire.
Par jugement du 29 mai 2018, le tribunal de commerce de Valenciennes a essentiellement prononcé l'admission des créances de la société Crédit du Nord pour la somme totale de 1 018 188,71 euros au passif de la société DPDO et débouté Me [T], ès qualités de sa demande reconventionnelle en dommages intérêts pour responsabilité de la banque et de compensation avec la créance déclarée.
Par déclaration du 18 juillet 2018, Me [T] a interjeté appel du jugement en ce que :
il a admis la société Crédit du Nord au passif de la liquidation judiciaire de la société DPDO pour les montants précités,
il a dit que la décision sera portée en marge de l'état des créances à la diligence de M. le greffier,
-il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande d'indemnité procédurale au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 septembre 2020. L'affaire a été plaidée à l'audience du 8 avril 2021.
Par arrêt du 1er juillet 2021, la Cour a :
révoqué l'ordonnance de clôture du 2 septembre 2020,
ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de s'expliquer sur l'application au litige des dispositions de l'article L.650-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008, selon lequel « lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci », soulevée d'office,
dit que les observations des parties devront être déposées au greffe avant le lundi 8 novembre 2021,
renvoyé l'affaire à la mise en état,
réservé les dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 janvier 2022, Me [T], ès qualités, demande à la cour de :
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 29 mai 2018 en ce qu'il a :
- accueilli partiellement le Crédit du Nord en ses demandes,
- admis le Crédit du Nord au passif de la liquidation judiciaire de la société DPDO pour les montants suivants :
- 657 943,27 euros à titre privilégié non échu,
- 17 868,24 euros à titre privilégié échu,
- 342 377,20 euros à titre de chirographaire définitif,
- dit que la présente décision sera portée en marge de l'état des créances à la diligence de M. le greffier de ce tribunal,
- débouté Maître [T] ès qualités, de sa demande de dommages et intérêts,
- débouté Maître [T] ès qualités de sa demande d'indemnité procédurale au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau,
condamner le Crédit du Nord au paiement de 1 018 188,71 euros de dommages et intérêts,
dire et juger que cette somme doit venir se compenser avec l'éventuelle créance du Crédit du Nord,
débouter le Crédit du Nord de sa demande d'admission au passif de la liquidation judiciaire de la société DPDO des sommes sus-visées,
En tout état de cause,
condamner le Crédit du Nord au versement d'une indemnité procédurale de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
le condamner aux entiers dépens de l'instance en ce compris ceux de première instance.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir, sur le fondement des anciens articles 1134 et 1147 du code civil et des articles L.561-6 et R.561-12 du code monétaire et financier, que la banque a commis des manquements en accordant plusieurs concours concomitants, en ayant octroyé un crédit de 975 000 euros en mars 2013, et en ayant laissé s'enchaîner les dépassements de découvert, tout en ne s'étant pas assurée que ces opérations avaient été autorisées par les organes de la société statutairement compétents, en l'espèce l'assemblée des actionnaires, s'agissant de financements supérieurs à 50 000 euros.
Il souligne que les crédits de court et moyen terme ont été accordés alors que la banque avait parfaitement connaissance de la situation financière de la société, possédant en ses livres des lignes de découvert et de crédits pour 2 000 000 euros d'endettement. De plus, le Crédit du Nord avait octroyé un crédit de renforcement de structure financière, démontrant ainsi qu'il avait conscience de la fragilité de la société, et du fait que le recours au court terme devait être réduit, mais que pour autant, le Crédit du Nord a accepté des dépassements de découvert allant au double de l'autorisation initiale.
Il relève également des manquements de la banque lors du maintien du crédit, la diminution du chiffre d'affaires de la société n'ayant pas été prise en compte, alors que la dégradation de plusieurs postes du bilan (chiffres d'affaires, poste clients, provisions) aurait dû alerter la banque. De même, le maintien de l'escompte était manifestement déraisonnable et démontre une abstention fautive dans le contrôle de la banque, notamment par des doubles mobilisations d'effets ou des mobilisations d'effets déjà échus. Il soutient que l'absence de contrôle et de vigilance de la banque a favorisé l'augmentation du passif en fournissant à la société un crédit injustifié.
Il expose encore que le crédit de renforcement de structure financière, accordé en mars 2013 pour un montant de 975 000 euros était inadapté et surdimensionné.
Il en conclut que ces manquements ont conduit la société DPDO à alourdir son passif, et que la banque doit en conséquence être condamnée à lui verser la somme de 1 018 188,71 euros à titre de dommages et intérêts, cette somme devant se compenser avec la créance déclarée pour le même montant.
Il souligne que le tribunal de commerce l'a, à tort, débouté de sa demande de dommages et intérêts aux termes des dispositions de l'article L.650-1 du code de commerce, alors qu'il n'a à aucun moment fait état d'une situation irrémédiablement compromise au soutien des manquements de la banque, ni jamais impliqué le Crédit du Nord en un soutien abusif mais que sa demande indemnitaire est fondée sur la responsabilité contractuelle de l'organisme bancaire au regard notamment des usages bancaires imposés par voie réglementaire et de son obligation de conseil et de vigilance. Il précise que la Cour de cassation rappelle que les établissements ne sont nullement exonérés de leurs obligations contractuelles et réglementaires quand bien même une procédure collective serait ouverte à l'encontre de leur client.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 mars 2022, la société Crédit du Nord demande à la cour de :
- dire bien jugé, mal appelé,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Valenciennes le 29 mai 2018,
- la dire et juger recevable et bien fondée en ses observations et demandes ;
- fixer la créance du Crédit du Nord au passif de la liquidation judiciaire de la société D.P.D.O pour les montants suivants :
- 657 943,27 euros à titre privilégié non échu ;
- 17 868,24 euros à titre privilégié échu ;
- 342 377,20 euros à titre chirographaire définitif ;
- déclarer irrecevable, ou à tout le moins mal fondé, Maître [T], ès qualités, en ses contestations,
- débouter maître [T] ès qualités de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Maître [T] ès qualités au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Maître [T] ès qualités aux entiers frais et dépens de l'instance, en ce compris ceux de première instance.
Elle fait valoir, s'agissant du moyen soulevé d'office, que Maître [T], ès qualités, ne démontre pas que sa demande répond aux conditions posées par l'article L.650-1 du code de commerce, en ce qu'aucune fraude n'a jamais été alléguée, ni immixtion caractérisée de sa part dans la gestion de la société, pas plus que n'est alléguée une garantie disproportionnée sollicitée par la banque. Elle ajoute que la jurisprudence de la Cour de cassation invoquée par l'appelant est inapplicable en l'espèce, le liquidateur judiciaire ne pouvant invoquer que les dispositions de l'article L.650-1 du code de commerce, à l'exclusion d'un manquement au devoir de mise en garde, la jurisprudence citée concernant l'épouse d'un exploitant ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire.
Elle souligne que l'argumentation de Maître [T] ès qualités sur les fautes qu'elle aurait commises dans l'octroi du crédit ne tient pas compte de la chronologie des concours bancaires puisqu'elle a financé la société pendant treize ans sans que cela ne pose de difficultés, avant que la relation ne se dégrade sur les derniers mois eu égard aux agissements qui devaient s'avérer frauduleux de la part de la société, par l'intermédiaire d'un de ses associés.
Elle soutient également que M. [G], en sa qualité d'administrateur et directeur général délégué, aux termes du procès-verbal d'assemblée générale du 7 février 2013, disposait du pouvoir d'engager la société DPDO vis à vis de la banque concernant le prêt souscrit en 2013.
Elle précise que faire coexister plusieurs lignes de crédit n'a jamais constitué une anomalie, et la société ne s'en est jamais plainte et que le crédit de 945 000 euros a été accordé sur la base des éléments financiers dont disposait la banque au moment de l'octroi du prêt, qui ne présentaient aucun caractère anormal, le financement apparaissant approprié aux besoins et à la situation de l'entreprise.
Elle conclut qu'elle ne peut être rendue responsable du préjudice invoqué par la société DPDO, alors même que le liquidateur ne démontre pas en quoi sa prétendue faute serait directement et exclusivement en lien avec le préjudice invoqué, curieusement chiffré au montant des sommes déclarées dans le cadre de la procédure collective.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 août 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 22 septembre 2022.
MOTIVATION
Sur la fixation du montant des créances du Crédit du Nord au passif de la liquidation judiciaire de la société DPDO
Le tribunal de commerce a admis la société Crédit du Nord au passif de la liquidation judiciaire de la société DPDO pour les montants suivants :
- 657 943,27 euros à titre privilégié non échu,
- 17 868,24 euros à titre privilégié échu,
- 342 377,20 euros à titre chirographaire définitif.
Me [T] sollicite l'infirmation du jugement sur ce point. Cependant, il ne présente aucun moyen au soutien de sa demande dans ses conclusions, et ne développe de contestation ni sur le principe ni sur le quantum des créances, se contentant de développer des moyens au soutien de sa demande de dommages et intérêts.
En conséquence, le jugement du tribunal de commerce sera confirmé en ce qu'il a fixé le montant des créances de la société Crédit du Nord au passif de la liquidation judiciaire de la société DPDO.
Sur la demande de dommages et intérêts formulée par Me [T]
Aux termes de l'article L.650-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Si ce texte vise les cas d'engagement de la responsabilité délictuelle des établissements bancaires notamment pour soutien abusif, ces mêmes établissements peuvent être responsables de leurs manquements contractuels à l'égard du co-contractant.
En l'espèce, Me [T], ès qualités, fonde sa demande non sur les dispositions de l'article L.650-1 du code de commerce et la responsabilité délictuelle de la banque pour soutien abusif, mais sur la responsabilité contractuelle de la banque pour manquement à son obligation de conseil et de vigilance. Son action n'est donc pas soumise au principe de non-responsabilité prévu par l'article L.650-1 sus-visé.
L'établissement de crédit n'est cependant pas tenu à un devoir de conseil à l'égard de l'emprunteur, que ce soit au stade de l'octroi de crédits ou de leur maintien, contrairement à ce que soutient l'appelant, étant en outre rappelé qu'elle n'a pas à s'immiscer dans les affaires de son client. En outre, s'il existe bien un devoir de vigilance auquel est tenu un établissement de crédit à l'égard de ses clients, prévu par les dispositions des articles L.561-4-1 et suivants du code monétaire et financier, ce devoir s'inscrit dans le cadre des dispositions sur la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement des activités terroristes, les loteries, jeux et paris prohibés, et l'évasion et la fraude fiscales. Ces textes n'ont donc pas vocation à imposer une obligation générale de vigilance pour les établissements bancaires dans l'octroi des crédits et la surveillance de la situation financière de leur client tout au long de la relation commerciale, et notamment son éventuelle dégradation.
Les moyens développés par Me [T], es qualités, tendent en réalité, sous couvert de la responsabilité contractuelle du Crédit du Nord à l'égard de la société DPDO pour manquement à ses devoirs de conseil et de vigilance, à lui reprocher un soutien abusif, faisant valoir que malgré la situation financière de la société qui se dégradait, elle a continué à la soutenir financièrement par l'octroi et le maintien de crédits et ne s'est pas informée sur la situation financière de l'entreprise.
Enfin, il ne saurait être soutenu que le Crédit du Nord a manqué à ses obligations règlementaires en ne vérifiant pas la qualité et le pouvoir de son co-contractant, notamment au regard des dispositions statutaires, dès lors qu'il résulte du rapport d'expertise établi par [X] [V], produit par l'appelant, que lors de l'octroi du prêt en mars 2013, la société étant en statut de SA, sans clause d'approbation de prêt par l'assemblée générale et que ce n'est qu'en juillet 2013 que la société DPDO a adopté le statut de SAS et que l'article 28 des statuts a fait référence à une décision collective pour tout financement supérieur à 50 000 euros.
En conséquence, le jugement du tribunal de commerce sera confirmé en ce qu'il a débouté Me [T], ès qualité, de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les prétentions annexes
Le jugement du tribunal de commerce sera confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'allouer de part et d'autre d'indemnité procédurale sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La déclaration d'appel ne portait pas sur les dispositions relatives aux dépens.
Y ajoutant, Me [T], ès qualités, supportera les dépens de la procédure d'appel et sera condamné à payer à à la société Crédit du Nord la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés au stade de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Me [T], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPDO, aux dépens de la procédure d'appel ;
Condamne Me [T], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPDO, à payer à la société Crédit du Nord la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés au stade de l'appel
Le greffier Le président
Valérie Roelofs Dominiques Gilles