République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Audience solennelle
ARRÊT DU 14/11/2022
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N° de MINUTE :
N° RG 22/01804 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UHBF
Délibération du conseil de l'ordre des avocats de Lille en date du 7 mars 2022.
APPELANTE
Madame [S] [T]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception.
Comparante et assistée de Me Stéphane Dhonte, avocat au barreau de Lille.
INTIMÉE
Conseil de l'ordre des avocats de Lille
Palais de Justice
[Adresse 1]
[Localité 2]
Régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception
Représenté à l'audience par Me Florent Mereau, avocat au barreau de Lille.
APPELEE EN LA CAUSE
Madame le bâtonnier de l'ordre des avocats de Lille
Régulièrement avisée par lettre recommandée avec accusé de réception.
Non comparante, non représentée.
En présence de M. le procureur général, représenté à l'audience par M. Michel Regnier, avocat général.
En présence de Madame [O] [D], juriste assistante.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Hélène Château, première présidente de chambre,
Jean-Francois Le Pouliquen, conseiller
Pauline Mimiague, conseillère
Clotilde Vanhove, conseillère,
Camille Colonna, conseillère,
désignés par ordonnance du premier président du 27 septembre 2022.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
DÉBATS en chambre du conseil à l'audience solennelle du 3 octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 novembre 2022, après rapport oral de l'affaire par Hélène Château.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Hélène Château, première présidente de chambre, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Suivant requête formée le 1er octobre 2021, Mme [S] [T] a demandé au conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille d'être admise au barreau en application de l'article 98 alinéa 3 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 sous réserve de l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle.
Le 4 mars 2022, Madame [S] [T] a été auditionnée par la commission d'admission, la commission a émis un avis réservé à sa demande d'intégration.
Suivant décision en date du 7 mars 2022, le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille a rejeté à l'unanimité des voix la demande d'admission présentée par Mme [S] [T] au motif que, nonobstant son diplôme de maîtrise en droit privé, ses postes successifs d'assistante juridique chez Fidal et chez Lesaffre, son poste de juriste d'entreprise qu'elle a occupé pendant 14 ans chez Lesaffre et son actuel poste de chargée d'affaires au CNRS, il n'a pas été possible d'identifier avec certitude des activités de nature juridique en l'absence d'organigramme ou de fiche de poste.
Le 7 mars 2022, le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Lille a notifié par lettre recommandée avec avis de réception la délibération du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille en date du 7 mars 2022.
Par lettre recommandée avec avis de réception postée le 6 avril 2022 et reçue le 13 avril 2022, Mme [S] [T] a formé un recours contre la décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille sollicitant un nouvel examen de sa demande d'admission.
Elle précise pouvoir justifier de plus de 8 années d'exercice en France d'une pratique professionnelle au sein du service juridique d'une entreprise, à savoir la SARL Lesaffre international.
Elle affirme avoir, lors de son audition du 4 mars 2022, précisé l'exercice de ce poste de juriste spécialisé en contrats et en propriété intellectuelle en charge de nombreux dossiers pour les services centraux et notamment la recherche et développement et les Bus du groupe Lesaffre, ses tâches d'analyses et de conception, la résolution de problèmes juridiques complexes, une gestion globale et en toute autonomie intellectuelle des questions d'ordre juridique posées par ses clients internes, les négociations en direct avec les partenaires en soutien des clients internes, l'établissement des actes et le suivi des contrats.
Elle a également mentionné son adhésion à l'association française des juristes d'entreprise depuis 2010, sa participation aux événements de la délégation régionale Hauts-de-France ainsi qu'un plan annuel de formation comprenant notamment les campus AFJE et les ateliers omnidroit.
Elle ajoute que la demande d'un organigramme ou d'une fiche de poste lui a été faite lors de son audition du 4 mars 2022 alors que la délibération du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille a été prise le 7 mars 2022 pour souligner que le délai qui lui était imparti pour produire de telles pièces était insuffisant.
Elle produit, à l'appui de son recours, un organigramme et une fiche de poste.
Enfin, Madame [S] [T] rappelle son admission à l'examen d'avocat en 2002 qui, bien qu'acquise, n'avait pu aboutir du fait d'un rejet du Fongecif pour raisons financières et son attente pour pouvoir solliciter, une fois le délai requis expiré, la passerelle permettant au juriste de devenir avocat.
DEROULEMENT DES DEBATS
A l'audience solennelle du 30 mai 2022 à laquelle l'affaire a été appelée, elle a été renvoyée à la demande de Mme [T] qui souhaitait pouvoir être assistée d'un avocat.
A l'audience solennelle du 3 octobre 2022 à laquelle l'affaire a été appelée, Mme [T], comparante en personne, assistée de Maître Dhonte demande à la cour de :
-infirmer la décision du conseil de l'ordre du 7 mars 2022, en ce qu'elle a rejeté sa demande d'admission en application de l'article 98 alinéa 3 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 sous réserve de l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle,
-statuant à nouveau, ordonner son admission au barreau de Lille en application de l'article 98 alinéa 3 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 sous réserve de l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle,
-condamner l'ordre des avocats du barreau de Lille aux dépens.
Maître Florent Mereau avocat de l'ordre des avocats du barreau de Lille a sollicité la confirmation de la décision du 7 mars 2022 du conseil de l'ordre et la condamnation de Mme [T] aux dépens, considérant qu'elle n'apportait pas la preuve d'activités juridiques au sein de l'entreprise Lesaffre, ses fonctions apparaissant plus des missions administratives ou des missions d'assistance.
Le ministère public a été entendu en ses observations.
MOTIFS DE LA DECISION
L'article 98-3° du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat précise que : « Sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat : Les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises. »
Mme [T] justifie qu'après avoir été embauchée par l'entreprise Lesaffre International en qualité d'assistante juridique du 4 novembre 2002 au 30 septembre 2007, elle y a travaillé comme juriste d'entreprise à compter du 1er octobre 2007 jusqu'au 31 août 2021, avec un statut de cadre à compter du 1er janvier 2011, l'organigramme de la société la faisant apparaître comme juriste au service « general practice ».
Elle verse aux débats les attestations de :
- Mme [V] [A] actuelle directrice juridique adjointe de LVMH, en date du 7 avril 2022, qui indique avoir travaillé de mai 2011 à mai 2017 avec Mme [T] alors qu'elle-même était avocate au barreau de Paris,
-M. Mikaël Salmena avocat associé au barreau de Paris, au sein du cabinet Hogan Lovells, en date du 1er avril 2022, qui indique avoir travaillé avec Mme [T] entre 2012 et 2021,
-M. [L] [R], ancien directeur général au sein de la société Lesaffre, en date du 1er avril 2022, qui indique avoir travaillé avec Mme [T] dès son entrée dans l'entreprise et notamment à compter de sa nomination comme juriste d'entreprise,
-Mme [Y] [I], dirigeante de la société Abolis Biotechnologies depuis 2016, qui indique avoir travaillé avec Mme [T] à compter de 2018,
-Mme [J] [X] [W], directrice juridique chez Lesaffre International en date du 28 juillet 2021,
-Mme [K] [H], directrice générale déléguée et directrice administrative de la société Lesaffre et Cie, en date du 25 mai 2022,
-Mme [C] [U], juriste d'entreprise au sein de la société Lesaffre International de 2011 à 2021, en date du 26 mars 2022.
Au vu de l'ensemble de ces attestations, Mme [T] justifie de la réalité de ses activités juridiques au sein de la société Lesaffre International, pendant la période de janvier 2011 à août 2021, en qualité de juriste d'entreprise, chargée notamment de l'élaboration et de la sécurisation des contrats recherche et développement, de rédaction de contrats de confidentialité, de contrats de transfert de matériel, de contrats de consortium et de contrats de collaboration, assurant des consultations juridiques pour les différents départements de l'entreprise et reconnue pour son expertise en protection intellectuelle.
La décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille du 7 mars 2022 sera en conséquence infirmée et Mme [T] admise au barreau des avocats de Lille en application de l'article 98 alinéa 3 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 sous réserve de l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle.
Il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens inexistants dans la présente instance.
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille du 7 mars 2022 rejetant la demande de Mme [S] [T] d'admission au barreau des avocats de Lille en application de l'article 98 alinéa 3 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 sous réserve de l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle,
Statuant à nouveau,
Ordonne l'admission de Mme [S] [T] au barreau des avocats de Lille en application de l'article 98 alinéa 3 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 sous réserve de l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.
Le greffier La présidente
Delphine Verhaeghe Hélène Château