République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 03/11/2022
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/05600 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T56J
Jugement (N° 2021R16) rendu le 22 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Dunkerque
APPELANTE
SPRL Rohart International, SPRL de droit belge, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
ayant son siège social [Adresse 1] (Belgique)
représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Marc Messager, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉE
SARL Lenewg International agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
ayant son siège social, [Adresse 2]
représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Thomas Deschryver, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant, substitué par Me Fatima Khazoui, avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l'audience publique du 14 juin 2022 tenue par Nadia Cordier magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Laurent Bedouet, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 novembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Agnès Fallenot, conseiller, en remplacement de Laurent Bedouet, président empêché et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 14 juin 2022
****
La société Rohart international, détentrice de l'intégralité du capital de la SAS Rohart production, a cédé ses parts à la société Lenewg international en date du 4 décembre 2020.
Cette cession a été précédée de nombreux échanges et discussions, notamment d'une lettre d'intention en date du 17 juillet 2020 et d'un protocole de cession sous conditions suspensives en date du 10 novembre 2020, signé entre la société Rohart international, cédante, et Monsieur [V] [R], lequel se substituera la société Lenewg international.
Le prix de cette cession était composé d'un « prix de base », détaillé à l'article 3.1.1 du protocole (et non concerné par la présente procédure), ainsi que d'un « complément de prix », objet de l'article 3.2 du protocole, et qui est l'objet du présent litige.
Ce complément de prix a été convenu d'un montant égal au résultat net réalisé entre le 1er mai et la date de réalisation (soit au plus tard le 1er décembre 2020), plafonné en tout état de cause à la somme de 145 000 euros.
La réalisation de la cession a été actée au 4 décembre 2020.
Un litige est apparu tant sur les éléments comptables transmis que sur la proposition de complément de prix, les échanges se poursuivant notamment par mails, tant entre les parties qu'entre leurs conseils, sans parvenir à l'établissement de comptes acceptés par tous permettant le calcul du complément de prix.
Face à cette situation, le cédant a proposé à l'acquéreur par mail en date du 18 mars 2021, de recourir à la procédure d'expertise prévue par le protocole de cession, et a avancé le nom de Me [X] [Z] pour y procéder.
Les parties se sont opposées sur le respect du délai prévu au protocole pour contester la proposition de contestation de complément de prix et sur le nom de l'expert à nommer.
Par requête enregistrée au greffe du tribunal de commerce de Dunkerque en date du 9 avril 2021, la société Rohart international a sollicité la désignation d'un expert chargé de déterminer le complément de prix en cause.
Par ordonnance du 12 avril 2021, ce magistrat a déclaré cette requête irrecevable comme devant être formulée par voie d'assignation selon la procédure accélérée au fond.
Par acte d'huissier du 27 avril 2021, remis au greffe le 03 mai 2021, la société Rohart international S.P.R.L. ayant siège en Belgique (n° BCE0666.7B7.797), a fait citer à comparaître en procédure accélérée au fond la S.A.R.L. Lenewg international (RCS Dunkerque B91 084 667) aux fins de désignation d'expert au visa de l'article 1843-4 du code civil pour détermination d'un complément de prix litigieux.
La société Rohart international a conclu à la régularité de sa demande, au rejet des prétentions adverses, à la désignation d'un expert et au paiement en sa faveur d'une indemnité de 2 000 euros pour frais exposés outre dépens.
La société Lenewg international a conclu à l'irrecevabilité pour cause de notification et saisine hors délais, sinon au débouté pour absence de définition des éléments litigieux dans la notification de désaccord et en tout état de cause au paiement d'une indemnité procédurale de 2 000 euros.
Par jugement contradictoire en date du 22 octobre 2021 et exécutoire de droit à titre provisoire en application des dispositions des articles 876-1 et 481-1 du code de procédure civile, le juge faisant fonction de président du tribunal de commerce statuant en procédure accélérée au fond, a :
- déclaré irrecevable les demandes de la société Rohart international et dit que le complément de prix discuté se trouvait fixé de plein droit à 65 000 euros depuis le 18 février 2021 à minuit ;
- condamné la société Rohart international à payer à la société Lenewg international la somme de 500 euros pour indemnité procédurale ;
- condamné la société Rohart international aux dépens,
Par déclaration en date du 4 novembre 2021, la société Rohart international SPRL a interjeté appel, de la décision en ce qu'elle a « déclaré irrecevable la demande de la société ROHART INTERNATIONAL et dit que le complément de prix discuté se trouvait fixé de plein droit à 65 000 euros depuis le 18 février 2021 à minuit; condamné la société ROHART INTERNATIONAL à payer à la société LENEWG INTERNATIONAL la somme de 500 euros pour indemnité procédurale; condamné la société ROHART INTERNATIONAL aux dépens dont frais de greffe liquidés pour débours et formalités sur la présente décision à la somme de 60.22 euros TTC; dit que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire en application des dispositions des articles modifiés 1843-4 du Code Civil ainsi que 876-1 et 481-1 du Code de Procédure Civile. »
MOYENS ET PRÉTENTIONS :
Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 8 juin 2022, la société Rohart international SPRL demande à la cour de :
- dire l'appel recevable et bien fondé,
- vu l'article 131-1 du code de procédure civile,
- proposer aux parties de recourir à une mesure de médiation et donner acte à la société Rohart international de son accord dès à présent pour participer à une telle mesure ;
- en cas d'absence de médiation ou d'échec de celle-ci,
- infirmer le jugement rendu le 22/10/2021 par le Tribunal de Commerce de Dunkerque en ce qu'il a :
' Déclaré irrecevable la demande de la société Rohart international et dit que le complément de prix discuté se trouvait fixé de plein droit à 65 000 euros depuis le 18 février 2021 à minuit,
' Condamné la société Rohart international à payer à la société Lenewg international la somme de 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
' Condamné la société Rohart international aux dépens, dont frais de greffe liquidés pour débours et formalités sur la présente décision à la somme de 60,22 euros TTC (tarifs 01 ' 2021 N°18,20X2)
- Statuant à nouveau,
- commettre expert avec mission de :
1) se faire communiquer et prendre connaissance
- des termes du protocole de cession du 10.11.2020,
- des courriers et échanges entre les parties et les experts-comptables respectifs relatant les « éléments litigieux » au sens du protocole,
- des bilans, comptes de résultats et annexes détaillés des 3 exercices précédents la cession de la société Rohart international,
- de la situation intermédiaire établie par la société Lenewg le 19.01.2021
2) recueillir contradictoirement les observations des parties sur les différents documents listés ci-dessus, et entendre de même toutes personnes informées,
3) déterminer dans le respect du principe convenu entre les parties d'application des mêmes principes et conditions d'éléments des comptes des exercices antérieurs de la société ROHART Production, le complément de prix dû par la société Lenewg International prévu à l'article 3.2 du protocole du 10.11.2020
- condamner la société Lenewg en tous frais et dépens de première instance et d'appel, outre une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle souligne que des discussions, malgré le non-respect des dispositions du protocole, se sont poursuivies entre les parties directement ou par leurs conseils interposés, pour rechercher le montant du complément de prix, ce qui rend possible et souhaitable une mesure de médiation.
Elle se prévaut des dispositions contractuelles et de l'absence de notification initiale faisant valablement courir les délais contractuels, faute de respecter les conditions strictes encadrant leur forme et les délais impartis par le protocole qui déterminent précisément le point de départ du délai.
Le courrier du 19 octobre 2021 opposé par la société Lenweg ne constitue pas le point de départ du délai contractuel imparti aux cédants par l'article 3-2-1-3 du protocole et aucune adresse par courriel n'avait été indiquée dans le protocole, ce qui ne permettait pas de prévoir une notification par ce biais. Ce courriel n'est de plus pas envoyé avec accusé de réception et n'a pas été doublé d'une lettre recommandée avec accusé de réception.
Le juge ne pouvait, sur sa seule initiative et sans inviter les parties, fonder sa décision pour écarter cet élément sur le fait que le protocole n'a pas prévu de sanction en cas d'absence de confirmation par la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette motivation est irrégulière car reposant sur une appréciation personnelle du juge qui a été substituée à une expression régulière et non ambiguë de la volonté des parties. Le protocole a bien prévu une sanction par nature : soit la notification est faite régulièrement, soit elle n'existe pas.
Sur la computation des délais en cas de notification du désaccord, elle soutient, à titre subsidiaire, que la notification non régulière n'a pu faire courir le délai de 30 jours et que, de toute façon, au vu des règles de computation, le délai n'était pas expiré. La société Lenweg ne peut contester cette computation, motif pris du terme « jours calendaires ».
Elle souligne, qu'au vu des dispositions contradictoires entre elles du protocole, le premier juge a retenu un critère quantitatif pour déterminer la règle applicable, critère qui ne fait pas partie de ceux prévus pour l'interprétation des conventions posés par le code civil.
Elle estime que les critères de l'article 1188 du code civil conduisent donc à faire prévaloir la rédaction de l'article 20 du protocole et rappelle que dans le doute, le contrat de gré à grè s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur.
Sur le défaut de saisine dans le délai du juge aux fins de désignation d'expert, elle conclut que :
- il n'est pas justifié du point de départ du délai de 15 jours prétendument non respecté ;
- le désaccord étant établi, la cédante a proposé le 18 mars 2021 à l'acquéreur la désignation de Me [Z], proposition rejetée par l'acquéreur le 30 mars 2021 ;
- le 6 avril, elle a saisi le président du tribunal de commerce par requête enregistrée le 9 avril. L'ordonnance du 12 avril ayant invité à saisir selon la procédure accélérée au fond, l'assignation a été délivrée le 27 avril.
Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 13 juin 2022, la SARL Lenewg demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1103 et suivants du code civil,
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée et les pièces versées aux débats,
- confirmer l'intégralité du jugement du tribunal de commerce de Dunkerque en date du 22 octobre 2021, en ce qu'il a :
o Déclaré irrecevable la demande de la société Rohart international et dit que le complément de prix discuté se trouvait de plein droit à soixante cinq mille euros (65 000 €) depuis le 18/02/2021 à minuit.
o Condamné la société Rohart international à payer la société Lenewg international la somme de cinq cents (500 euros) pour indemnité procédurale.
o Condamné la société Rohart international aux dépens, dont les frais de greffe liquidés pour débours et formalités sur la présente décision à la somme de 60,22 euros T.T.C (=tarifs 01-2021 n°18, 20x2).
en conséquence
- à titre principal :
- prononcer l'irrecevabilité des demandes formulées par la société Rohart international ;
- prononcer que la notification de désaccord et la saisine de la juridiction sont intervenues hors délais, de sorte que le complément de prix de 65 000 euros proposé dans la notification initiale s'applique automatiquement et de plein droit.
- débouter en conséquence la société Rohart international de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- à titre subsidiaire :
si par extraordinaire la Cour jugeait recevable la demande fondée sur l'article 1843-4 du code civil
- juger que le pouvoir de désigner un expert chargé de l'évaluation des droits sociaux appartient au seul président du tribunal, et ainsi, en toute hypothèse, débouter l'appelante de sa demande
- prononcer que la notification de désaccord de la société Rohart international ne comportait pas les éléments litigieux.
- prononcer que la mission de l'expert doit être strictement limitée à l'expertise des éléments litigieux, de sorte que le périmètre de la mission ne peut être précisé.
- rejeter en conséquence la demande d'expertise de la société Rohart international.
- débouter la société Rohart international de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- en tout état de cause :
- condamner la société Rohart international au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Elle rappelle la procédure prévue par le protocole, sa notification d'une proposition de complément de prix en date du 19 janvier 2021, la réponse hors délai du 20 février 2021 et l'absence de saisine dans le délai du tribunal faute d'avoir trouvé une issue amiable.
Elle conclut à la validité de la notification initiale faisant valablement courir les délais contractuels, une procédure spécifique étant prévue et l'article 20 du protocole n'ayant pas à être appliqué en la matière.
Elle souligne que les parties n'ont en aucun cas fait part de leur souhait de modifier la procédure prévue à l'article 3.2.1 du protocole, ni celui de se voir appliquer la procédure de l'article 20 pour la détermination du complément de prix, de sorte que la procédure prévue à l'article 3.2.1 demeure applicable.
Elle rappelle que :
- la notification de désaccord devait intervenir dans un délai strict de 30 jours calendaires, suivant la date de la notification initiale, selon l'article 3-2-1 du protocole, dérogatoire à l'article 20 du même protocole ;
- la notification adressée l'a été postérieurement au délai et ne contenait pas les éléments sur lesquels portaient le désaccord, ni les motifs de désaccord ou les ajustements proposés ;
- cette notification ne comporte pas les éléments justificatifs de sorte que le complément de prix de 65 000 euros, proposé dans la notification, s'applique automatiquement et de plein droit.
Elle oppose également le non-respect du délai de recours judiciaire, la saisine du juge judiciaire devant intervenir avant le 12 avril 2021. La requête déposée le 6 avril a été déclarée irrecevable et la demande en justice était non avenue de sorte que le délai contractuel n'a pas été interrompu par la requête. L'assignation a été délivrée 15 jours après la date butoir. Seul le président du tribunal de commerce est compétent pour désigner l'expert.
Elle revient à titre subsidiaire sur le périmètre de la mission d'expertise et surtout estime que la cour n'a pas le pouvoir de désigner un expert chargé de l'évaluation des droits sociaux lequel pouvoir appartient au seul président du tribunal. Dans le cadre d'une telle expertise, la mission de l'expert est strictement limitée à l'expertise des éléments litigieux.
***
À l'audience du 14 juin 2022, le dossier a été mis en délibéré au 3 novembre 2022.
MOTIVATION
- Sur la proposition de médiation
Aux termes de l'article 131-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret 2022-245 du 22 février 2022, entrée en vigueur le 27 février 2022 et applicable à l'instance en cours, le juge saisi d'un litige peut, après avoir recueilli l'accord des parties, ordonner une médiation. Le médiateur désigné par le juge a pour mission d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose. La médiation peut également être ordonnée en cours d'instance par le juge des référés.
Aucun accord entre les parties sur la proposition de médiation de la société Rohart international n'étant acté, la cour notant d'ailleurs l'existence d'un long processus de concertation prévu par le protocole de cession sous conditions suspensives des droits sociaux de la société Rohart production et son échec, la demande ne peut prospérer.
- Sur la demande de désignation d'expert et la fixation du complément de prix
La société Rohart international a sollicité, dans le cadre d'une procédure accélérée au fond devant le président du tribunal de commerce, la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, suivant lequel, « dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible ».
La décision du premier juge ayant refusé la désignation sollicitée, un appel-réformation à l'encontre de la décision est ouvert et permet à la cour, au terme d'un réexamen complet des faits et circonstances de la cause, en cas d'infirmation de la décision, de désigner elle-même un expert, sans recours possible, contrairement à ce que sous-entend la société Lenewg (Cass 25 mai 2022 20.14-352), à condition toutefois d'être dans un des cas où le texte précité permet la désignation d'un expert, aucune des parties ne s'émouvant en l'espèce de la modification du texte apportée par l'ordonnance du 30 juillet 2014 et de ses effets sur la possibilité de recourir contractuellement au dispositif de l'article 1843-4 du code civil.
1) sur la fin de non-recevoir opposée et le processus contractuel
Sollicitant dans le dispositif de ses écritures une irrecevabilité générale « des demandes » de la société Rohart international, la société Lenewg international conclut en réalité à l'irrecevabilité de la demande de désignation de l'expert en conclusion du paragraphe 2.2.2, intitulé à titre principal (p17), motif pris de l'expiration des délais prévus par le protocole, tandis que le paragraphe 2.1.1, également présenté à titre principal (pages 11 à 13) porte en son titre la référence à une irrecevabilité mais évoque uniquement le non-respect des délais du protocole sans en tirer de conséquence juridique.
Statuer sur la seule fin de non-recevoir identifiable dans ses écritures nécessite d'examiner le processus contractuel dessiné par les parties dans le cadre du protocole, le recours au mécanisme de l'article 1843-4 du code civil ayant été contractuellement envisagé par les parties et strictement encadré par la convention.
Or, conformément aux dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Sans dénaturer les obligations qui résultent des termes clairs et précis d'une convention, et sans modifier les stipulations qu'elle renferme, il appartient au juge de rechercher la commune intention, d'interpréter les clauses d'un contrat les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier, étant rappelé que, dans le doute, le contrat de gré à gré s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur.
Des stipulations de la convention on peut retenir :
- Article 3.2 Complément de prix : « Outre le Prix de Base, les Parties sont convenues du paiement d'un complément de prix égal au résultat net réalisé entre le 1er mai 2020 et la Date de Réalisation, tel que celui-ci figurera au compte de la Situation Intermédiaire (tel que ce terme est défini ci-après à l'article 3.2.1.1) arrêtée à la Date de Réalisation, et dont le montant ne pourra en aucun cas excéder CENT QUARANTE CINQ MILLE EUROS (euros145 000) (ci-après le « Complément de Prix »).
En tant que de besoins, les Parties précisent que le Prix de Base et le Complément de Prix sont parfaitement autonomes l'un de l'autre.
- Article 3.2.1 : Procédure de détermination du Complément de Prix :
- 3.2.1.1 :« les Parties conviennent expressément que la situation comptable intermédiaire de la Société arrêtée à la Date de Réalisation (ci-avant la « Situation intermédiaire »), nécessaire à la détermination du Complément de Prix, devra avoir été établie par l'expert-comptable de la Société conformément aux principes comptables (bilan, compte de résultat et annexes complets et détaillés) et dans les mêmes conditions que les exercices précédents. Un inventaire contradictoire sera réalisé à la Date de Réalisation.
- 3.2.1.2 : Au plus tard quarante cinq (45) jours calendaires après la Date de Réalisation, l'Acquéreur notifiera au Cédant (i) la Situation Intermédiaire, accompagnée (ii) d'une proposition du montant du Complément de Prix, considération prise du résultat net figurant dans le compte de résultat de la Situation Intermédiaire (ci-après, la « Notification Initiale »).
- 3.2.1.3 : Le Cédant notifiera à l'Acquéreur son accord ou ses remarques éventuelles sur le Complément de Prix dans les trente (30) jours calendaires de la Notification Initiale (ci-après la « Notification de Désaccord »). À défaut d'envoi d'une Notification de Désaccord dans le délai susvisé, les Parties conviennent que le montant définitif du Complément de Prix sera, automatiquement et de plein droit, celui mentionné dans la Notification Initiale.
- 3.2.1.4 : En cas de désaccord, le Cédant devra indiquer dans la Notification de Désaccord les éléments sur lesquels porte le désaccord (ci-après les « Éléments Litigieux »), les motifs de ce désaccord et les ajustements qui, à son avis, devraient être apportés aux Éléments Litigieux.
Les Parties discuteront de bonne foi sur les Éléments Litigieux et s'efforceront de parvenir à un accord concernant ces derniers, dans un délai de quinze (15) jours calendaires à compter de la Notification de Désaccord (ci-après, le Délai d'Accord Amiable »).
Le Cédant et l'Acquéreur s'engagent à faire tous leurs meilleurs efforts pour permettre la détermination du Complément de Prix.
- 3.2.1.5 : Si, à l'expiration du Délai d'Accord Amiable, les Parties ne parviennent pas à un accord, il sera fait application des stipulations de l'article 3.3.2 ci-après.
À ce titre, à compter de la Notification Initiale, l'Acquéreur et la Société donneront accès au Cédant à tout élément comptable lui permettant d'auditer la Situation Intermédiaire, ainsi que tout autre élément utile, et subséquemment d'apprécier la détermination du Complément de Prix.
- Article 3.2.2 Détermination du Complément de Prix en l'absence d'accord :
- 3.2.2.1 : À défaut d'accord entre les Parties sur le Complément de Prix (ci-après, « le Complément de Prix Litigieux »), celui-ci sera déterminé par expertise dans les conditions ci-après définies en vertu de l'article 1843-4 du code civil.
La mission de l'expert sera strictement limitée à l'expertise des Éléments Litigieux et subséquemment à la détermination du Complément de Prix Litigieux, à l'exclusion de tous autres, conformément à la méthode arrêtée aux termes des présentes.
- 3.2.2.2 : L'expert indépendant sera désigné d'un commun accord entre les Parties dans un délai de quinze (15) jours calendaires à compter de l'expiration du Délai d'Accord Amiable (ou à défaut d'accord dans ce délai, par le Président du Tribunal de commerce compétent à la requête de la Partie la plus diligente) (ci-après l' « Expert »). Faute de saisir le Président du Tribunal de commerce compétent dans les quinze (15) jours suivant l'expiration du délai de 15 jours précité, les parties conviennent qu'automatiquement et de plein droit les Parties seront réputées avoir convenu que le montant du Complément de Prix Litigieux est égal à celui figurant dans la Notification Initial.
- Article 20 : Notifications : « Pour l'exécution des présentes, les soussignés font élection de domicile en leur domicile respectif tel qu'indiqué en tête des présentes. Tout changement sera notifié dans les conditions ci-dessous.
Toute notification au titre des présentes sera considérée avoir été régulièrement effectuée si elle est faite par écrit, par remise en main propre contre reconnaissance manuscrite de la réception de la notification, par courriel avec accusé de réception, confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception ou par lettre recommandée avec accusé de réception.
Une telle notification sera réputée réalisée :
(i) pour la lettre remise en main propre, à la date mentionnée sur le récépissé
(ii) pour la lettre recommandée avec accusé de réception à compter de la date d'émission, le cachet de la poste faisant foi (ou équivalent en cas de recours à Chronopost, DHL ou autre)
(iii) pour le courriel, à la date mentionnée sur l'envoi du courriel, confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception.
Tout délai prévu aux présentes courra à compter :
(i) pour la lettre remise en main propre, à la date mentionnée sur le récépissé,
(ii) pour la lettre recommandée avec accusé de réception à compter de la date de réception ou, à défaut, de sa première présentation, le cachet de la poste faisant foi (ou équivalent en cas de recours à Chronopost, DHL ou autre),
(iii) pour le courriel, à la date mentionnée sur l'envoi du courriel, confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception.
Tout délai stipulé aux termes des présentes sera décompté sur la base de cinq(5) jours de la semaine du lundi aux vendredi, sans exception ni réserve.
De manière générale se trouve organisé contractuellement un processus complexe, formant un tout, indivisible et marqué par des étapes successives, qui dépendent les unes des autres et s'enchaînent en termes de délais, la saisine du juge n'intervenant éventuellement qu'à l'issue de ce processus.
En outre les parties ont prévu des formes et délais spécifiques pour encadrer strictement la fixation du complément de prix et pour recourir au juge pour la fixation à dire d'expert de ce complément de prix seulement au terme et en cas d'échec de ce processus de rapprochement.
Ainsi, c'est sans aucune pertinence et sans aucune explication rationnelle que la société Lenewg prétend que l'article 20 ne trouverait pas à s'appliquer, l'article 3 y dérogeant selon elle, alors même que les termes de l'article 20 prévoient une application générale, « pour l'exécution des présentes », encadrant la forme de « toute notification » et fixant des règles pour la computation de « tout délai stipulé aux termes des présentes ».
L'ajout d'un simple qualificatif au terme de notification dans l'article 3 du protocole, tel la « notification initiale » ou la « notification de désaccord », ne marque pas une spécificité par rapport à la notification générale définie à l'article 20 et une dérogation aux formes envisagées par cet article, mais est uniquement un moyen d'identifier les différentes notifications pour faire courir et computer les délais prévus par l'article 3.
Par ailleurs, le seul fait qu'il puisse exister d'éventuelles contrariétés dans les règles de computation des délais prévues par ces deux articles ne saurait conduire à écarter intégralement l'un des articles au profit de l'autre, les stipulations concernant la forme des notifications ne présentant quant à elles aucune difficulté et ne nécessitant aucune interprétation.
Pour être « régulièrement effectuée » et ainsi valoir point de départ des délais contractuellement prévus par le protocole, les parties ont assujetti les notifications à des formes très précises, prévoyant, notamment pour la notification par courriel, qui en l'espèce a été utilisée par les parties, l'envoi d'un « courriel avec accusé de réception, confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception ».
La société Lenewg consacre l'essentiel de ses développements au caractère tardif de la notification de désaccord de la société Rohart international, intervenue le 20 février 2021, soit selon elle plus de 30 jours calendaires après la notification initiale, effectuée par mail du 19 janvier 2021.
Cependant, invoquant uniquement l'inapplicabilité de l'article 20, elle ne conteste pas, ce qu'établissent d'ailleurs les pièces versées aux débats, que le courriel du 19 janvier 2021, qui porte proposition du complément de prix et notification de la situation intermédiaire, ne respecte pas la forme des notifications par courriel prévu par l'article 20 du protocole.
En effet, ledit courriel n'est pas assorti d'un accusé de réception et n'est pas confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception.
Or, faute de respecter les formes prévues par le protocole, lequel, faisant la loi entre les parties, doit être strictement appliqué, ce courriel ne saurait valoir « Notification Initiale » au sens du protocole, et point de départ des délais impartis par ledit protocole pour permettre la réponse de la société Rohart international, sans qu'il soit besoin qu'une sanction spécifique soit énoncée, comme le suggère la société Lenewg international.
Dès lors aucune tardiveté de sa réponse et aucune irrecevabilité faute d'avoir respecté les délais ne peuvent être utilement opposées à la société Rohart international, la décision du premier juge ne pouvant qu'être infirmée en ce qu'elle a, après avoir, constaté la tardiveté de la réponse de la société Rohart international, déclaré irrecevable sa demande, en concluant que le complément de prix discuté se trouvait fixé de plein droit à 65 000 euros depuis le 18 février 2021 à minuit.
Cependant, les délais s'enchaînant et en l'absence de notification régulière de la situation intermédiaire dans les délais impartis, permettant la mise en 'uvre du processus contractuel indivisible, l'article 3.2.2 consacrant un recours contractuel à l'article 1843-4 du code civil, à l'issue du délai d'accord amiable, ne peut ni trouver à s'appliquer ni fonder la compétence du président du tribunal de commerce pour désigner l'expert en fixation du complément de prix.
Par ailleurs, la demande reconventionnelle de la société Lenewg en fixation du complément de prix à 65 000 euros, en l'absence d'une notification de désaccord de la société Rohart international dans le délai, ne peut pas plus prospérer, dès lors qu'aucune notification régulière de la proposition de prix n'est intervenue, comme soulignée précédemment, étant en outre observé que cette demande échappait de toute façon nécessairement à la compétence du président du tribunal de commerce, statuant sur le recours contractuel renvoyant à l'article 1843-4 du code civil, ledit président ne disposant que du pouvoir d'ordonner ou refuser une expertise sur ce fondement.
En conséquence, la demande de confirmation du chef du jugement ayant dit que le complément de prix discuté se trouvait fixé de plein droit à 65 000 euros depuis le 18 février 2021 à minuit ne saurait prospérer, la décision devant être infirmée de ce chef et la société Lenewg déboutée de sa demande de fixation du complément de prix.
2) la demande sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil
La demande de désignation d'expert ne pouvant prospérer sur le fondement de l'article 3.2.2 renvoyant aux dispositions de l'article 1843-4 du code civil comme précédemment démontré, il convient d'examiner si la demande formulée par la société Rohart n'entre pas dans le domaine légal, d'ordre public, de l'article 1843-4 du code civil.
Le domaine légal de l'article 1843-4 du code civil, tel qu'issu de l'ordonnance de 2014, a été restreint aux seuls cessions et rachats de droits sociaux prévus par la loi et à condition que ladite loi renvoie expressément à l'article 1843-4 du code civil (« dans les cas où la loi renvoie au présent article ») et que les parties, bien sûr, ne s'accordent pas le moment venu sur le prix (« ['] en cas de contestation ['] »).
Or force est de constater que la cession litigieuse des droits sociaux de la société Rohart production ne ressort ni de l'article 1844-12 alinéa 3 du code civil (rachat forcé des droits sociaux d'un associé de toute société en vue de supprimer son intérêt à agir en nullité de la société), ni de l'article 1860 (retrait de plein droit de l'associé d'une société civile atteint de déconfiture, faillite personnelle, liquidation de biens ou règlement judiciaire), encore moins de l'article 1862, alinéa 3 (rachat ou cession des parts de l'associé d'une société civile en cas de refus d'agrément) ou de l'article 1869, alinéa 2 (rachat des parts d'un associé de société civile exerçant son droit de retrait) voire de l'article 1870-1, alinéa 2 (indemnisation des héritiers ou légataires d'un associé de société civile).
Elle ne relève pas plus de l'article L. 223-14, alinéa 3 (rachat ou cession suite à un refus d'agrément dans une SARL), de l'article L. 227-18, alinéa 1er (renvoi subsidiaire en cas de rachat ou cession d'actions de SAS issu de la mise en 'uvre d'une clause statutaire d'exclusion ou d'agrément), de l'article L. 221-12, alinéa 1er (droit de retrait légal du gérant de SNC révoqué), de L. 221-15, alinéa 6 (indemnisation des héritiers de l'associé de SNC non agréés), de l'article L. 221-16, alinéa 2 (indemnisation de l'associé de SNC retiré de plein droit), de l'article L. 223-13, alinéa 5 (indemnisation des héritiers non agréés d'un associé de SARL), de l'article L. 228-24, al. 2 (rachat ou cession suite à un refus d'agrément dans une société par actions), de l'article L. 228-35-10, alinéa 3 (rachat forcé des actions à dividende prioritaire sans droit de vote), de l'article L. 229-14, alinéa 1er (renvoi subsidiaire en cas de rachat ou cession d'actions d'une société européenne issu de la mise en 'uvre d'une clause statutaire d'exclusion ou d'agrément), de l'article L. 235-6, alinéa 3 (rachat forcé des droits sociaux d'un associé d'une société commerciale en vue de supprimer son intérêt à agir en nullité de la société), ou de l'article L. 236-11-1, 2°, a) (rachat aux actionnaires minoritaires d'une société non cotée avant son absorption par voie de fusion).
La demande de la société Rohart international n'entrant pas dans le champ d'application légal de l'article 1843-4 du code civil, elle ne peut qu'être rejetée.
- Sur les dépens et accessoires
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, tant la société Rohart international que la société Lenewg international succombant en leurs prétentions respectives, il convient de dire que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
La décision des premiers juges est infirmée en ce qu'elle a condamné la société Rohart international aux dépens de première instance et à une indemnité procédurale.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, aucune des parties n'étant en outre condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement du président du tribunal de commerce de Dunkerque statuant en procédure accélérée au fond en date du 22 octobre 2021 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DEBOUTE la société Rohart international de sa demande de désignation d'un expert sur le fondement des dispositions de l'article 3.2.2 du protocole et sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil ;
DEBOUTE la société Lenewg international de sa demande de fixation du complément de prix à hauteur de 65 000 euros ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.
Le greffier
Valérie Roelofs
P/le président
Agnès Fallenot