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03/11/2022 | FRANCE | N°21/05305

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 03 novembre 2022, 21/05305


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 03/11/2022





****





N° de MINUTE : 22/416

N° RG 21/05305 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T4W2



Jugement (N° 19/04473) rendu le 30 août 2021 par le tribunal judiciaire de Lille



APPELANTS



Monsieur [T] [G]

de nationalité française

[Adresse 6]

[Localité 2]



Monsieur [X] [S] es qualité de « mandataire liquidateu

r » de la « SAS Porteurope »

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représentés par Me Martin Grasset, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



INTIMÉ



Monsieur [N] [K]

de nationalité frança...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 03/11/2022

****

N° de MINUTE : 22/416

N° RG 21/05305 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T4W2

Jugement (N° 19/04473) rendu le 30 août 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTS

Monsieur [T] [G]

de nationalité française

[Adresse 6]

[Localité 2]

Monsieur [X] [S] es qualité de « mandataire liquidateur » de la « SAS Porteurope »

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentés par Me Martin Grasset, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉ

Monsieur [N] [K]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Jean-François Cormont, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 14 septembre 2022 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 3 novembre 2022 après prorogation du délibéré en date du 27 octobre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 4 juillet 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

M. [T] [G] a créé en octobre 2010 une SAS Porteurope dont l'objet est de commercialiser des portes coupe-feu, portes métalliques, portes battantes et portes sectionnelles industrielles.

La comptabilité de la société Porteurope a été confiée à M. [N] [K].

Le cabinet Grant Thornton a été missionné pour procéder à un examen de comptabilité. Le rapport a été déposé le 15 juin 2015, concluant à la non-conformité des comptes établis par M. [K] aux normes professionnelles.

Le 15 juillet 2015, la société Porteurope a procédé à la déclaration de cessation des paiements.

Par jugement du 27 septembre 2015, le tribunal de commerce prononce la liquidation judiciaire de la société Porteurope, Me [X] [S] étant désigné pour y procéder.

Le juge des référés ayant ordonné une expertise comptable, l'expert [M] a déposé son rapport le 12 décembre 2018.

Par acte du 4 juin 2019, M. [G] et le liquidateur judiciaire de la société Porteurope ont assigné M. [K] en responsabilité professionnelle, estimant pour l'essentiel que des fautes imputables à cet expert-comptable avaient causé la liquidation judiciaire de la société.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 30 août 2021, le tribunal judiciaire de Lille a :

1- rejeté la totalité des demandes formées par M. [G] et M. [S] en qualité de liquidateur de la société Porteurope ;

2- rejeté la demande reconventionnelle de M. [K] ;

3- dit n'y avoir lieu à aucune condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

4- condamné M. [G] et M. [S] ès qualités à supporter les dépens de l'instance au fonds, ainsi que ceux de l'instance de référé en ce compris le coût de l'expertise judiciaire exécutée par Mme [M] ;

5- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de son jugement.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 14 octobre 2021, M. [G] et M. [S], en qualité de mandataire liquidateur de la société Porteurope, ont formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement. 1, 3 et 4 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1.Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 7 juin 2022, M. [G] et M. [S] ès qualités, demandent à la cour de réformer le jugement critiqué et statuant à nouveau de :

- dire et juger M. [K], expert-comptable a commis des fautes tant en ce qui concerne son devoir de conseil que de fautes techniques, ayant directement entraîné un préjudice pour la société Porteurope et pour M. [G] à titre personnel ;

- condamner M. [K] à payer à Me [S], pris en sa qualité de liquidateur de la société Porteurope, une somme de 2 064 954,10 euros correspondant au préjudice subi ;

- condamner M. [K] à payer à M. [G] une somme de 2 250 000 euros correspondant au préjudice subi à titre personnel ;

- débouter le défendeur de toutes ses demandes, fins et conclusions reconventionnelles ;

- condamner M. [K] à payer à chacun des demandeurs une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 ;

- condamner M. [K] aux entiers frais et dépens, en ce compris les frais d'expertise de Mme [M].

A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

- les fautes commises par M. [K] sont établies : (i) l'absence de lettre de mission est fautive, alors que l'expert-comptable n'a pas respecté les obligations minimales de tenue des comptes et qu'une telle absence de cadre contractuel a conduit à un défaut d'organisation du contrôle des comptes ; (ii) chaque exercice comptable a été marqué par une absence de respect des normes professionnelles, et notamment l'absence de visa ou de note de synthèse, l'absence d'analyse globale, et l'absence de supervision des travaux réalisés par l'un de ses salariés, notamment s'agissant d'un montant anormalement «'rond'» de 180 000 euros au titre de «'travaux en cours'» ; ces comportements constituent des manquements à son devoir de fiabilité et à son devoir de conseil et de mise en garde, notamment s'agissant de l'état de cessation des paiements qui existait en réalité dès août 2013 ; l'appréciation finale de l'expert [M] repose sur une appréciation erronée, s'agissant des «'travaux en cours'» qu'elle valide pour 180 000 euros à l'actif du bilan, alors qu'ils concernent des travaux non encore facturés ; à défaut d'avoir demander des justificatifs des travaux en cours, M. [K] a validé un tel montant figurant sur un tableur fourni par la société Porteurope sans procéder à aucun contrôle ; si M. [G] a été sanctionné à titre personnel pour ses propres fautes, elles n'ont pas effacé celles de l'expert-comptable ;

- le lien de causalité entre ces fautes et le préjudice subi est établi : les bilans 2012 à 2014 fournis par M. [K] ont été transmis aux partenaires financiers de la société Porteurope ; (i) pendant la vie de la société, l'ensemble des décisions prises a dépendu des bilans produits par M. [K] : dès la fin de l'année 2013, l'actif était inférieur au passif, de sorte qu'il aurait dû appartenir à l'expert d'en informer la société et d'attirer l'attention du dirigeant de sorte qu'il n'aurait pas procédé à des embauches, que la BNP n'aurait pas accordé des lignes de crédit, que son mode de facturation n'aurait pas évolué vers une moindre trésorerie, et que la société ne se serait pas engagée dans des charges nouvelles (nouveaux locaux, achat en leasing d'un véhicule) ; (ii) lors de la découverte des erreurs commises, la BNP et la société générale ont été informées des erreurs et omissions d'écriture, de sorte que les facilités et encours bancaires ont été immédiatement bloqués ; la liquidation judiciaire était inévitable, alors que :

* en l'absence de tels partenaires financiers, les délais d'environ 120 jours avant paiement par les clients étaient insupportables ;

* la cessation des cautions bancaires a conduit les fournisseurs à exiger le paiement immédiat des produits en cours de fabrication, mais non livrés pour un montant d'environ 450 000 euros ;

* l'obtention d'un chantier pour le stade de football de [Localité 7] nécessitait d'engager immédiatement 500 000 euros pour la fabrication des portes à livrer ;

- le préjudice subi par la société Porteurope ne se limite pas à la seule surévaluation du compte de résultat pour l'année 2014, mais est constitué par le passif de la liquidation judiciaire fixé à 2 064 954,10 euros ; le préjudice subi par M. [G] à titre personnel est constitué par la perte de son entreprise, de son mode d'existence et de sa vie de couple : (i) alors qu'il bénéficiait d'une rémunération mensuelle de 7 500 euros jusqu'en août 2015, il est désormais allocataire du RSA, de sorte que son préjudice économique s'évalue à 120 mois (jusqu'à sa prise de retraite en 2025) x 7 500 euros, soit 900 000 euros ; (ii) son préjudice moral résulte de la perte de son statut social et de sa fierté, dont l'indemnisation peut être fixée à 100 000 euros ;

- la demande fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile est irrecevable, dès lors que seule la juridiction a qualité pour prononcer une amende civile.

4.2.Aux termes de ses conclusions notifiées le 25 mars 2021, Monsieur [N] [K], demande à la cour

A l'appui de leurs prétentions, Monsieur [N] [K] fait valoir que :

- M. [G] n'a pas collaboré à l'expertise en s'abstenant de produire des éléments comptables, alors que les justifications fournies à une telle carence sont tardives et fantaisistes ; une telle carence a d'ailleurs conduit l'expert [M] à modifier dans son rapport définitif les conclusions amorcées dans son pré-rapport ;

- L'expert [M] estime que la liquidation judiciaire de la société Porteurope résulte d'une gestion imprudente ; à l'inverse, seule l'absence de lettre de mission et le non-respect de règles purement formelles lui sont reprochés par l'expert ; alors que l'expert avait initialement plafonné le préjudice imputable à de telles fautes à 173 000 euros, il a en définitive estimer que ce montant n'est pas démontré, à défaut pour la société d'avoir produit les pièces justificatives ;

- la liquidation judiciaire de la société a été immédiatement sollicitée par son dirigeant lui-même, alors que la composition du passif révèle que la société ne payait pas les cotisations sociales et ses fournisseurs et qu'elle engageait des dépenses importante, telles qu'un véhicule d'une valeur de 124 000 euros environ

- à l'initiative du liquidateur judiciaire, M. [G] a été personnellement sanctionné par le tribunal de commerce pour des paiements effectuées en cours de période suspecte à son profit direct ou à celui d'autres sociétés qu'il contrôle, et notamment la veille de la liquidation judiciaire ;

- les fautes reprochées ne sont pas établies : (i) l'absence de lettre de mission est sans lien de causalité avec une telle procédure collective, alors qu'il résulte en outre de l'expertise que sa mission était en définitive limitée à la seule présentation des comptes, ainsi que les demandeurs l'avaient indiqué dans leur assignation initiale ; s'agissant d'une mission d'assurance de niveau modéré, il en résulte qu'il ne lui appartenait pas de procéder à des audits ou examens limités, et que les comptes annuels étaient enfin établis sous la responsabilité de la direction ; l'absence de lettre de mission n'entraîne pas la mise à sa charge des obligations les plus larges prévues en la matière ; (ii) aucun élément n'établit que les banques aient exclusivement pris en compte les bilans pour accorder leurs concours financiers ou leurs garanties, alors que ces établissements intègrent à leur prise de décision des éléments techniques, commerciaux ou des éléments comptables prévisionnels qui ont été établis par un autre cabinet comptable ; (iii) le rapport attribué au cabinet Grant Thorton n'est pas signé de sorte qu'il est dépourvu de valeur probante ; (iv) les reproches formulés dans ce rapport sont rejetés par l'analyse de l'expert [M], alors que M. [G] lui-même a reconnu en cours d'expertise que le principal grief constitué par une mauvaise comptabilisation de la somme de 180 000 euros au titre de TEC n'était pas fondé ; (v) la tentative de revenir sur le dire parfaitement clair qu'a formulé la société Porteurope le 1er octobre 2018 est vaine, alors qu'il était accompagné d'une pièce validant le montant litigieux de 180 000 euros ; (vi) la notion de cessation des paiements est décorrelée de celle de résultat bénéficiaire ou déficitaire ;

- le préjudice invoqué n'est pas celui de la société Porteurope, dès lors que le passif de la procédure collective est la représentation des dettes contractées par Porteurope et son dirigeant à l'égard de ses créanciers.

- les fautes reprochées sont dépourvues de lien de causalité avec le préjudice invoqué : (i) le résultat ne doit pas se confondre avec la trésorerie : à cet égard, même si le résultat comptable était erronée, la société Porteurope ne pouvait se méprendre sur la circonstance que sa trésorerie disponible ne lui permettait pas de régler son passif exigible ; la société et son dirigeant ne pouvaient ignorer l'état de ses dettes, qui résulte des appels et factures reçus, et non du bilan ; (ii) la liquidation judiciaire de la société résulte en réalité d'autres causes, imputables notamment à sa gestion par le dirigeant.

- le préjudice économique de M. [G] n'est pas établi, alors qu'il s'est abstenu de produire des justificatifs devant l'expert judiciaire sur son statut et sur sa rémunération et qu'il produit tardivement devant la cour des pièces forgées pour les besoins de sa cause ;

- l'action diligentée par la société Porteurope et M. [G] à son encontre est abusive et justifie son indemnisation, outre l'éventuelle amende civile que la cour pourrait lui infliger.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le fondement de l'action en responsabilité :

Les premiers juges ont souligné à titre liminaire que le visa d'une responsabilité contractuelle de M. [K] à l'encontre de M. [G] était «'questionnable'», alors qu'il n'est pas contesté qu'étant le dirigeant et la caution de la société Porteurope, il est un tiers au contrat confié par cette dernière à l'expert-comptable qu'elle avait missionné.

En cause d'appel, le dispositif des conclusions de M. [G] vise de façon très générale les dispositions des «'articles 1147 et suivants du code civil'» et «'des articles 1240 et suivants du code civil'». Alors que la responsabilité qu'engage M. [K] à l'encontre de la société Porteurope est de nature contractuelle, elle est en revanche de nature délictuelle à l'encontre de M. [G], qui est un tiers au contrat de louage d'ouvrage. En vertu de l'opposabilité du contrat par les tiers aux parties, le tiers à un contrat peut toutefois invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage : si ce lien de causalité est prouvé, la seule démonstration d'une faute contractuelle dispense le tiers d'établir de façon distincte une faute délictuelle.

Sur la responsabilité de l'expert-comptable :

Sur l'absence de lettre de mission :

La responsabilité contractuelle de l'expert-comptable repose sur le contrat de louage d'ouvrage qui le lie à son client.

La rédaction d'un contrat définissant les prestations et précisant les droits et obligations de chacune des parties, est imposée par l'article 151 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012, applicable à compter du 1er avril 2012 et ce, quelle que soit la mission dévolue. Ce contrat peut prendre la forme d'une lettre de mission.

À défaut d'une telle lettre de mission, il convient de rechercher la commune intention des parties pour déterminer la mission qui était confiée à l'expert-comptable en vue de déterminer les diligences qui pesaient sur lui.

Au-delà des seules obligations contractuelles, les diligences incombant à l'expert-comptable résultent des normes professionnelles applicables à sa profession et déclinées dans le référentiel normatif encadrant leur exercice professionnel.

Le référentiel normatif est constitué (i) du cadre de référence, (ii) de la norme professionnelle de maîtrise de la qualité (NPMQ), applicable à l'ensemble des missions, et (iii) des normes professionnelles propres à chaque type de mission normalisée, qui en décrivent l'objet et précisent l'ensemble des diligences à la charge de l'expert-comptable.

L'expression d'une assurance par le professionnel de l'expertise comptable permet aux tiers utilisateurs des informations de l'entité d'être en mesure d'apprécier le degré de confiance à accorder à ces informations. La nature et le degré d'assurance obtenus sont liés à la nature et à l'étendue des diligences mises en 'uvre ainsi qu'au résultat de celles-ci.

En l'espèce, l'absence de lettre de mission n'a pas comme corrolaire de mettre à la charge de l'expert-comptable le degré d'assurance le plus élevé parmi les types de missions normalisées, mais doit exclusivement conduire à rechercher les indices permettant de qualifier la mission que les parties ont convenu de confier à l'expert-comptable.

À cet égard, l'expert [M] a relevé que les comptes font référence à une mission de présentation des comptes, ainsi qu'il résulte clairement des termes de l'attestation fournie annuellement par M. [K] (pages 12 et 20 du rapport). Les propres conclusions de la société Porteurope et de M. [G] visent la norme 2300 correspondant à cette dernière mission. Dès lors, l'existence d'une faute imputable à M. [K] doit s'apprécier par référence à la norme relative à cette mission, dans sa version applicable à l'époque où les faits reprochés sont intervenus.

Sur la faute :

=$gt; sur le manquement au devoir de fiabilité des comptes :

L'actualisation de la version du référentiel normatif et de déontologie du professionnel de l'expertise comptable établi en 2003 par la commission des normes professionnelles a été adoptée le 7 juillet 2010 par le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptable et publiée en septembre 2011. Ces normes sont entrées en vigueur à compter du 1er janvier 2012 pour les normes générales (NPMQ et cadre de référence), et à partir des exercices ouverts à compter du 1er Janvier 2012 pour les normes spécifiques aux missions.

Le cadre de référence définit la nature des différentes missions réalisées par les structures d'exercice professionnel de l'expertise comptable ainsi que les normes professionnelles applicables à ces missions. Parmi les missions d'assurance sur des comptes complets historiques, il distingue notamment la mission de présentation des comptes de celles d'examen limité des comptes et d'audit d'états financiers dans une petite entité.

La mission de présentation des comptes fait l'objet d'une norme professionnelle 2300.

L'objectif d'une mission de présentation des comptes est d'émettre une assurance de niveau modéré sur la cohérence et la vraisemblance des comptes de l'entité. L'opinion étant exprimée de façon négative, l'expert-comptable conclut qu'il n'a pas relevé d'éléments de nature à remettre en cause la cohérence et la vraisemblance des comptes de l'entité pris dans leur ensemble.

L'objectif n'est pas de se prononcer sur la régularité, la sincérité et l'image fidèle de ces comptes. Il n'est pas non plus de déceler les erreurs, actes illégaux ou autres irrégularités, par exemple des fraudes ou des malversations éventuelles.

Le niveau d'assurance est inférieur à celui d'un audit ou d'un examen limité.

En termes de diligences, cette mission s'appuie essentiellement sur :

' les informations fournies par la direction de l'entité ;

' la technique comptable de l'expert-comptable pour participer à l'établissement des comptes annuels ou intermédiaires et s'assurer de la régularité en la forme de la comptabilité ;

' l'expérience de l'expert-comptable, sa connaissance de l'entité et de son environnement et la mise en 'uvre de procédés analytiques destinés à apprécier la cohérence et la vraisemblance des comptes annuels ou intermédiaires pris dans leur ensemble.

La mission de présentation peut porter sur des comptes annuels ou intermédiaires. Elle n'est pas applicable aux comptes consolidés.

Les comptes sont ainsi établis sous la responsabilité de la direction de l'entité, conformément au référentiel comptable qui lui est applicable. En conséquence, la direction de l'entité est responsable à l'égard des tiers de l'exhaustivité, de la fiabilité et de l'exactitude des informations comptables et financières ainsi que des procédures de contrôle interne concourant à l'établissement des comptes. Dès lors, la direction de l'entité est responsable des informations communiquées à l'expert-comptable pour les besoins de sa mission.

S'agissant spécifiquement des procédures applicables aux stocks, la mission de présentation des comptes prévoit notamment un contrôle de cohérence et de vraissemblance du stock, par la comparaison par rubriques avec l'exercice précédent, le contrôle de cohérence des marchandises et matières premières avec les derniers achats effectués et un contrôle de cohérence des travaux en cours (TEC) avec la facturation de l'exercice suivant.

En l'espèce, les prétentions de la société Porteurope et de M. [G] reposent sur un rapport d'examen limité des comptes annuels que ce dernier a confié au cabinet Grant Thornton selon courrier du 2 juin 2015 et portant sur l'exercice clos le 31 août 2014.

Alors que M. [K] ne démontre pas avoir fait injonction à la société Porteurope et à son dirigeant de produire l'original signé de ce rapport (pièce 8), il n'établit pas davantage la fausseté d'un tel document non signé qu'il convient par conséquent de prendre en compte.

Cette mission d'examen limité des comptes ne correspond toutefois pas à celle confiée à M. [K], alors qu'elle implique que l'expert-comptable procède selon la norme 2400 à des diligences plus approfondies pour lui permettre d'exprimer une assurance modérée sur la cohérence et la vraissemblance des comptes, et notamment par des entretiens avec la direction pour collecter des éléments probants.

Il en ressort également qu'en dépit du rappel des décisions adoptées par l'entreprise entre 2013 et 2015, la société Porteurope et son dirigeant n'invoquent en réalité des fautes reprochées à M. [K] qu'au titre de l'exercice 2014 et limitées aux seules appréciations critiques de ce rapport.

Ce rapport établi par le cabinet Grant Thornton retient en définitive que :

«'- le principe d'indépendance des exercices qui vise à faire apparaitre dans le résultat d'un exercice donné les charges et les produits qui s'y rapportent, et ceux-là seulement, ne nous semble pas assuré, nous avons ainsi relevé :

o Un montant de stock d'en-cours de 436 840 €, qui comprend un en-cours de 180 K€ non justifié, et un en-cours de 53.5 K€ à priori erroné vis-à-vis de la filiale Rhône Acier sur des ventes finales,

o Des achats de marchandises d'août 2014 comptabilisés en septembre 2014 sans provision pour factures non parvenues dans les comptes clos le 31 août 2014. Nous avons estimé l'insuffisance de provision estimé à 140 K€.

o Des avoirs établis sur septembre 2014, relatifs à l'exercice précédent non provisionnés en avoirs à établir dans les comptes clos le 31 août 2014 à hauteur de 33 K€.

- Le principe de prudence, qui veut qu'une charge est comptabilisée dès qu'elle est probable, ne semble pas respecté. En effet, les stocks de marchandises sont inchangés à 61 711 € entre le début et la clôture de l'exercice, et ne font l'objet d'aucune dépréciation alors que les perspectives de ventes de ces marchandises sont incertaines s'agissant d'erreurs de fabrication livrées chez le client.

Sur la base de notre examen limité, nous ne sommes pas en mesure, en raison des incertitudes exposées ci-dessus, de déterminer si les comptes ont été établis, dans tous leurs aspects significatifs, conformément au référentiel comptable qui leur est applicable."

L'expert [M] a notamment été missionnée pour analyser de tels reproches.

Elle relève toutefois que la société Porteurope et son dirigeant n'ont pas colloboré à la mission d'expertise, dès lors qu'ayant admis avoir recouvré depuis juillet 2017 l'accès à ses archives, ils ne lui ont toutefois pas fourni les pièces permettant de confirmer ou d'infirmer l'existence et l'imputabilité des erreurs comptables relevées par le cabinet Grant Thornton.

En particulier, l'expert judiciaire relève que :

- le contrôle des TEC a révélé des taux de marge cohérent d'une année à l'autre, mais qui cachaient la présence d'achats comptabilisés concernant d'autres sociétés que la société Porteurope, de sorte que la neutralisation était techniquement justifiée par leur comptabilisation en TEC ;

- le montant de 180 K€ initialement reproché a été validé en cours d'expertise par un dire adressé par le conseil de la société Porteurope : l'expert en conclut valablement, notamment au regard d'un tel aveu dénué d'ambiguité et de la production d'une pièce à l'appui, que «'la forme des dossiers de M. [K] expert comptable n'est pas satisfaisante mais il n'y a plus de sujet sur une éventuelle erreur des TEC puisque M. [G] fait écrire qu'ils étaient justes'», contrairement à l'indication fournies par le cabinet Grant Thornton.

- reste la question des factures à recevoir non comptabilisées et des avoirs à établir non comptabilisés : sur ce point, alors qu'il appartient à la société Porteurope de collaborer avec l'expert et de démontrer ses allégations, l'expert [M] observe qu'en l'absence de production des pièces pourtant retrouvées par cette société, elle ne peut conclure sur le bien-fondé des montants indiqués dans le rapport de Grant Thornton. La société Porteurope n'apporte pas davantage dans ses conclusions récapitulatives une démonstration d'une telle faute technique imputable à M. [K].

Les reproches exprimés par l'expert [M] à l'encontre de M. [K] sont en définitive soit purement formels (les termes employés dans son attestation étant légèrement différents de ceux figurant dans la norme), soit d'ordre méthodologique : ainsi l'absence de supervision ou de révision du travail de son collaborateur n'a pas vocation à être prise en compte, dès lors que les erreurs techniques reprochées ne sont elles-mêmes pas établies, de sorte qu'une telle absence de contrôle n'a pas affecté l'exécution de la mission confiée par la société Porteurope en l'absence de corrections à apporter par un tel superviseur aux travaux de son collaborateur.

=$gt; sur le manquement à l'obligation de conseil et de mise en garde :

La société Porteurope et son dirigeant évoquent furtivement les obligations de conseil et de mise en garde incombant à l'expert-comptable (page 17 de leurs conclusions).

* Pour autant, ils ne fondent pas d'une part leurs demandes indemnitaires sur un manquement à ces obligations, mais exclusivement sur des fautes techniques dans la présentation des comptes. En effet, ils estiment exclusivement que si M. [K] «'avait convenablement effectué les comptes, il aurait conseillé à son client de mettre en place un plan d'économies pour redresser la situation rapidement'».

Ils prétendent ainsi que M. [K] aurait dû les alerter sur la situation financière de l'entreprise s'il avait correctement comptabilisé les écritures dans des conditions lui permettant de prendre lui-même conscience d'une telle anomalie.

Il en résulte qu'une telle faute se confond en réalité avec les fautes techniques qu'ils reprochent à cet expert-comptable, dont la démonstration conditionne ainsi l'existence d'un défaut de conseil ou de mise en garde.

Dès lors que la société Porteurope et M. [G] n'ont pas établi l'existence de telles fautes ayant pu modifier l'appréciation sur la situation financière de l'entreprise, la preuve d'un manquement au devoir de conseil et de mise en garde n'est pas rapportée.

* D'autre part, ils n'invoquent pas à l'inverse que cet expert-comptable devait avoir conscience, indépendamment des erreurs techniques comptables qu'ils lui imputent notamment au titre d'un défaut de révision du travail de son collaborateur, de l'état de cessation des paiements dès 2013 pour en conclure qu'il lui appartenait à ce titre de les conseiller et de les alerter.

Alors que l'expert [M] estime qu'un professionnel bancaire avait nécessairement conscience d'un tel état de cessation des paiements dès 2013 au seul examen des comptes présentés par M. [K], ils soutiennent au contraire que les concours financiers accordés par les banques ont exclusivement reposé sur les bilans présentés par ce dernier et que seule la découverte de ses erreurs de comptabilisation par le cabinet Grant Thornton a permis une telle prise de conscience. Il s'en déduit qu'ils estiment que M. [K] lui-même ne pouvait connaître un tel état de cessation des paiements que lui masquaient les erreurs techniques qu'ils lui imputent. La cour ayant l'obligation de respecter les termes du litige, il en résulte que la société Porteurope et M. [G] ne démontrent pas une violation par M. [K] de son obligation de conseil et de mise en garde.

Sur le lien de causalité :

=$gt; D'une part, si la société Porteurope prétend que le cabinet Grant Thornton a été mandaté par la BPI France investissement (page 7 de ses conclusions), l'examen du rapport mentionne à l'inverse que la mission d'examen limité des comptes a été confiée par le président de l'entité contrôlée.

=$gt; D'autre part, la société Porteurope et son dirigeant prétendent que le rapport du cabinet Grant Thornton a été diffusé à la BPI France investissement, qui a refusé en conséquence son concours, puis aux deux banques BNP et Société générale (page 8 de ses conclusions).

Pourtant, ils ne produisent aucune pièce à l'appui d'une telle allégation. Alors que le destinataire du rapport était son commanditaire, et non la BPI France investissement, rien ne démontre que cette dernière a été avisée des conclusions de ce rapport et plus encore que les autres établissements bancaires ont bénéficié d'une telle information.

Ils ne démontrent pas davantage que l'absence de finalisation du projet de financement par la BPI France investissement (pièce 38) ou le retrait des concours bancaires de la BNP et de la Société générale résultent de la communication alléguée d'un tel rapport. Aucune pièce ne permet de connaître les motifs pour lesquels ces établissements bancaires n'ont pas poursuivi leurs relations contractuelles avec la société Porteurope.

=$gt; Enfin, la société Porteurope et son dirigeant prétendent que seul ce rapport a permis de découvrir la réalité économique de l'entreprise et a conduit à la liquidation judiciaire de la société, faute de maintien des concours financiers par les établissements bancaires à la suite d'une telle découverte d'une situation comptable défaillante.

Pour autant, l'expert [M] indique qu'elle est «'certaine que les tiers financiers (banquiers, '), lecteurs des comptes ne pouvaient pas ignorer sur simple lecture des bilans (même avec K€ 200 d'éventuelle erreur de résultat) que les passifs à court terme dépassaient les actifs à court terme, depuis environ 2013'».

Sans être valablement démentie par la société Porteurope et son dirigeant, cet expert confirme de façon répétée que la liquidation judiciaire de la société Porteurope ne résulte pas d'éventuelles erreurs comptables au 31 août 2014, qui ne sont en outre démontrées par aucune pièce.

En définitive, l'expert [M] estime que la déconfiture de la société Porteurope s'explique par sa gestion, et notamment par des dépenses somptuaires, par les circonstances du marché et des zones d'ombres sur le bien-fondé de charges supportées par la société.

L'expert relève à cet égard que le conseil de la société Porteurope a lui-même indiqué que certains fournisseurs facturaient cette dernière pour le compte de la société France Acier, filiale de la société Porteurope, ce qui constituait une source d'erreurs significative.

En définitive, il n'est pas établi que les fautes établies ou alléguées à l'encontre de M. [K] ont rempli un rôle causal dans la cessation des concours et garanties bancaires ayant ultérieurement conduit les fournisseurs à solliciter le paiement de leurs factures, étant enfin observé que leur octroi initial reposait lui-même sur une analyse multifactorielle de la situation de l'entreprise au-delà des seuls bilans établis par cet expert-comptable.

La liquidation judiciaire de la société Porteurope n'est ainsi pas causée par le comportement de son expert-comptable.

Le jugement ayant débouté la société Porteurope et M. [G] est par conséquent confirmé de ce chef.

Sur l'abus du droit d'agir en justice :

En application de l'article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu'un préjudice en résulte.

En l'espèce, M. [K] ne rapporte pas la preuve du caractère dolosif ou malveillant de l'action diligentée à son encontre.

Le jugement l'ayant débouté de ce chef est confirmé.

Sur l'amende civile':

Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un montant maximum de 10 000 euros au profit du Trésor public en application de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Une telle amende civile relève de l'office du juge, de sorte qu'une partie est irrecevable à en solliciter le prononcé par la juridiction, alors que ce texte réserve simplement la faculté pour une partie de solliciter des dommages-intérêts pour abus du droit d'agir en justice.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et à le confirmer sur la charge des dépens de première instance,

et d'autre part, à condamner M. [G] et Me [S], ès qualités, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à M. [K] la somme de 5'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 30 août 2021 par le tribunal judiciaire de Lille dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant :

Condamne in solidum M. [T] [G] et Me [X] [S], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Porteurope aux dépens d'appel ;

Condamne in solidum M. [T] [G] et Me [X] [S], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Porteurope à payer à M. [N] [K] la somme de 5'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés tant en première instance qu'en appel ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le President

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/05305
Date de la décision : 03/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-03;21.05305 ?
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