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20/10/2022 | FRANCE | N°21/02161

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 20 octobre 2022, 21/02161


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 20/10/2022



N° de MINUTE : 22/392

N° RG 21/02161 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSBM



Jugement (N° 20/01343) rendu le 02 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer



APPELANTE



SAMCV Matmut

[Adresse 6]

[Adresse 6]



Représentée par Me Delbar, avocat au barreau de Lille , avocat constitué



INTIMÉS



Monsieur [P] [E]
r>né le [Date naissance 1] 1958

de nationalité française

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représenté par Me Besson, avocat au barreau de Boulogne sur Mer, avocat constitué



Monsieur [M] [V]

né le [Date ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 20/10/2022

N° de MINUTE : 22/392

N° RG 21/02161 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSBM

Jugement (N° 20/01343) rendu le 02 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer

APPELANTE

SAMCV Matmut

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Delbar, avocat au barreau de Lille , avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [P] [E]

né le [Date naissance 1] 1958

de nationalité française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Besson, avocat au barreau de Boulogne sur Mer, avocat constitué

Monsieur [M] [V]

né le [Date naissance 2] 1996 à [Localité 7]

de nationalité française

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représenté par Me Dhorne, avocat au barreau de Saint Omer, avocat constitué

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Artois venant aux droits de la Caisse primaire d'Assurance Maladie de la Côte d'Opale suivant convention relative à l'activité de recours contre tiers ci-jointe.

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Olivia Druart, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 02 juin 2022 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022 après prorogation du délibéré en date du 06 octobre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 avril 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

1. les faits et la procédure antérieure :

Le 15 août 2015, M. [P] [E], né le [Date naissance 1] 1958, a subi des blessures au genou droit à la suite d'une altercation avec M. [M] [V], lequel est assuré au titre de sa responsabilité civile par la Matmut.

La plainte de M. [E] a été classée sans suite par le procureur de la République.

Le juge des référés a ordonné deux expertises médicales successives.

Par acte du 11 mai 2020, M. [E] a assigné devant le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer M. [V], la Matmut et la caisse primaire d'assurance-maladie de la Côte d'Opale en réparation de ses préjudices corporels.

2. le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 2 mars 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer a :

1- débouté M. [V] de sa demande tendant à voir condamnée seule la Matmut à réparer le préjudice subi par M. [E] ;

2- fixé les dépenses de santé actuelles à 32 435,22 euros ;

3- condamné in solidum, M. [V] et la Matmut à payer à M. [E] les sommes suivantes :

* 71 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

* 13 915,99 euros au titre des frais divers et de l'assistance par tierce personne

* 5 480,44 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

* 1 000,00 euros au titre de l'incidence professionnelle

* 5 572,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

* 10 000 euros au titre des souffrances endurées

* 300 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

* 6 350 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

* 2 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent

4- débouté M. [E] de sa demande au titre de la perte de gains professionnels actuels

5- condamné in solidum, M. [V] et la Matmut à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois les sommes de :

* 32 364,22 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

* 69 859,64 euros au titre des indemnités journalières versées jusqu'à la date de consolidation

* 5 375,55 euros au titre des indemnités journalières et capital accident du travail, versés postérieurement à la consolidation,

soit un total de 107 599,41 euros avec intérêts au taux légal

6- condamné in solidum M. [V] et la Matmut à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion

7- condamné in solidum M. [V] et la Matmut à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

8- condamné in solidum M. [V] et la Matmut à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

9- débouté la Matmut et M. [V] de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile

10- condamné in solidum M. [V] et la Matmut aux dépens, en ce compris les dépens de l'instance de référé et les frais d'expertise médicale

11- autorisé la distraction des dépens au profit de Me [R].

3. la déclaration d'appel :

Par déclaration du 14 avril 2021, la Matmut a formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 2, 3, et 5 à 11 ci-dessus.

4. les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 19 mars 2022, la Matmut demande à la cour de :

=$gt; à titre principal : infirmer le jugement critiqué en ses chefs visés par sa déclaration d'appel et statuant à nouveau, de :

- exclure sa garantie au regard des articles 1.14 et 38 du contrat multigaranties habitation et de la faute de M. [V] au sens de l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances ;

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes à l'égard de la Matmut ;

=$gt; à titre subsidiaire : limiter le droit d'indemnisation de M. [E] au regard de sa faute au sens de l'article 1240 du code civil ;

- condamner la caisse primaire d'assurance-maladie, M. [V] et M. [E] à payer les dépens et la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, la Matmut fait valoir que :

- sa garantie est exclue en application de l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances, dès lors que M. [V] a commis une faute intentionnelle, ou tout au moins dolosive, étant observé que les autres parties ne contestent pas l'applicabilité de cette dernière qualification aux violences commises par M. [V] ;

- sa garantie est exclue en application de deux clauses du contrat souscrit, dès lors que M. [V] a commis des violences volontaires sur M. [E] en pratiquant une prise de judo sur la victime ; la clause d'exclusion de garantie est valable, dès lors qu'elle respecte le formalisme exigée, à la fois par son caractère très apparent et par sa clarté ;

- subsidiairement, le droit à indemnisation de M. [E] doit être réduit par la faute qu'il a commise à l'occasion des faits ayant entraîné ses blessures.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 11 octobre 2021, M. [V], intimé, demande à la cour de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a jugé qu'aucune faute intentionnelle ne lui est imputable et que la garantie souscrite est acquise ; pour le surplus condamner la Matmut à le garantir de toute condamnation et la débouter de toute demande contraires ou plus amples ; condamner la Matmut et M. [E] aux entiers dépens et à lui verser 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, il fait valoir que :

- il n'a pas commis de faute, s'étant défendu après avoir été agressé par M. [E] en pratiquant une prise de judo, dans des conditions ayant conduit au classement sans suite de la procédure en l'absence d'infraction suffisamment caractérisée ; en tout état de cause, il n'a pas commis de faute volontaire ;

- la liquidation du préjudice subi par M. [E] est partiellement critiquable.

- la garantie de son assureur n'est pas exclue, alors qu'il n'a pas commis de faute volontaire en l'absence de volonté de créer le dommage subi par M. [E] ; la garantie relève d'un contrat multirisque habitation incluant la couverture de la responsabilité civile de l'assuré ;

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 août 2021, M. [E], intimé et appelant incident, demande à la cour de :

=$gt; confirmer le jugement critiqué en ce qu'il :

- a fixé à 32 435,22 euros les dépenses de santé actuelles ;

- a dit que M. [V] est responsable de son préjudice et l'a condamné, in solidum avec la Matmut, à lui payer les sommes susvisées au titre des dépenses de santé actuelles, frais divers, tierce personne temporaire, préjudice esthétique temporaire, déficit fonctionnel permanent, préjudice esthétique permanent et pertes de gains professionnels futurs ;

- l'a débouté de sa demande au titre des pertes de gains professionnels actuels ;

=$gt; réformer le jugement critiqué en ce qu'il a limité son indemnisation au titre de l'incidence professionnelle, du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées, et statuant à nouveau, de condamner in solidum M. [V] et la Matmut à lui payer les sommes de :

- 15 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- 7 504 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- 12 000 euros au titre des souffrances endurées.

- condamner solidairement M. [V] et la Matmut à lui payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, M. [E] fait valoir que :

- la responsabilité civile de M. [V] est engagée, pour avoir commis une faute civile, voire pénale, en lien de causalité avec ses préjudices corporels ;

- la faute commise par M. [V] n'est pas exclusive de garantie, dès lors que la pratique du judo vise à maîtriser son geste et à immobiliser son adversaire, de sorte qu'elle n'est ni intentionnelle, ni dolosive ;

- le fait de M. [V] ne s'analyse pas comme une agression, mais une réaction face à un automobiliste mécontent ;

- la liquidation de son préjudice doit être partiellement réévaluée à la hausse.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 février 2022, la caisse primaire d'assurance-maladie demande à la cour de confirmer le jugement critiqué, sauf en ce qu'il a condamné solidairement M. [V] et la Matmut à lui payer la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion

et y ajoutant, de :

- condamner solidairement M. [V] et son assureur à lui payer :

* les intérêts au taux légal, à compter de la première demande, courus sur la somme totale de 107 599,41 euros ;

* la somme de 34 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS':

1.Sur l'obligation de garantie par la Matmut :

Sur l'exclusion légale de garantie au titre d'une faute dolosive ou intentionnelle :

Aux termes de l'article L. 113-1 du code des assurances, «'les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.'»

Au sens de cet article, la faute intentionnelle et la faute dolosive sont autonomes, chacune justifiant l'exclusion de garantie de l'assureur.

Il appartient à la partie qui souhaite invoquer l'existence d'une faute dolosive au sens de l'article L. 113-1, alinéa 2 du code des assurances de l'invoquer de manière distincte de la faute intentionnelle à défaut de quoi le juge n'a pas à statuer sur cette demande.

=$gt; Sur la faute intentionnelle :

La faute intentionnelle visée par son alinéa 2 se définit comme la violation délibérée de ses obligations par l'assuré attestant de sa volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu. Elle implique non seulement que l'action ou l'omission à l'origine du dommage soit volontaire, mais également que le dommage lui-même soit intentionnellement provoqué par l'assuré.

Il incombe par conséquent à l'assureur de démontrer la volonté consciente de l'assuré de provoquer les blessures subies par M. [E] et résultant d'un coup porté au genou droit de ce dernier.

Sur ce point, l'enquête réalisée par la gendarmerie a établi que M. [V] a pratiqué une prise de judo ayant entraîné la chute au sol de M. [E]. Pour autant, l'intention de M. [V] de causer les lésions effectivement subies par la victime au genou n'est pas démontrée par la Matmut. Le classement sans suite de la procédure par le parquet corrobore l'absence de démonstration d'une telle intention de causer consciemment le dommage.

La faute intentionnelle n'est pas établie.

=$gt; Sur la faute dolosive :

Constitue une faute dolosive excluant la garantie de l'assureur le comportement délibéré de l'assuré, qui a rendu inéluctable la réalisation du dommage et fait disparaître le caractère aléatoire du risque garanti. Elle se distingue de la faute intentionnelle par l'absence de volonté délibérée de créer le dommage tel qu'il est survenu. En revanche, elle implique de caractériser la conscience que l'assuré avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son acte.

En l'espèce, si la pratique d'une prise de judo par M. [V] visait à déséquilibrer et maîtriser M. [E], la Matmut n'établit pas pour autant qu'elle devait avoir pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque assuré.

En particulier, si M. [V] reconnaît devant les gendarmes la possibilité que la lésion subie au genou par M. [E] provienne de la chute de ce dernier, la confrontation ou les constatations médicales ne permettent toutefois pas d'établir qu'une telle prise de judo, consistant à mettre sa jambe en opposition et à faire pivoter son adversaire au-dessus de sa jambe, impliquait que M. [V] avait conscience de léser le genou de son adversaire par un tel geste. Pour sa part, M. [E] indique au cours de la confrontation ne pas conserver un souvenir précis des circonstances ayant causé sa blessure au genou («'c'est vague, je me souviens avoir reçu un coup au niveau du genou'»), alors qu'il indique qu'ayant à ce moment son pull par dessus la tête, il n'a pas eu conscience qu'une prise de judo était effectuée. En tout état de cause, la version d'un coup de pied directement porté sur le genou de M. [E] et dont la violence aurait impliqué une conscience par M. [V] du caractère inéluctable des lésions importantes affectant le genou de son adversaire n'est pas établi avec certitude.

La faute dolosive n'est pas établie.

Le jugement critiqué est par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la Matmut de sa demande d'exclusion de garantie au titre d'une faute intentionnelle ou dolosive.

Sur l'exclusion conventionnelle de garantie :

Pour être valable, une telle exclusion conventionnelle doit donc être non seulement «formelle» et «limitée», mais encore «être contenue dans la police», aux termes de l'article L. 113-1 du code des assurances, et être rédigée en caractères «très apparents», en application de l'article L. 112-4, dernier alinéa, du même code.

Il résulte de l'article L.'113-1, alinéa'1, du code des assurances que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elles doivent être interprétées et qu'elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées.

Elles doivent par conséquent se référer à des faits, circonstances ou obligations définis avec précision de telle sorte que l'assuré puisse connaître exactement l'étendue de sa garantie. Des clauses générales, floues ou imprécises lui sont inopposables.

Une clause d'exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée.

En l'espèce, alors que le caractère très apparent de la clause dans la police d'assurance n'est pas discuté, le premier juge a estimé que les clauses d'exclusion de garantie ne présentaient pas un caractère formel et limité de la clause.

La Matmut sollicite l'application de deux clauses d'exclusion figurant dans les conditions générales du contrat souscrit par le père de M. [V], dont l'opposabilité à ce dernier n'est pas contestée :

- article 1.14 : « outre les exclusions communes citées à l'article 38 (titre VI), nous ne garantissons pas les dommages occasionnés par vol, vandalisme ou agression commis par l'un des assurés. » . Cette clause figure parmi les exclusions de garantie spécifique à la garantie «'responsabilité civile de l'assuré'» ;

- article 38 : « Outre les exclusions spécifiques à chacun des risques couverts, nous n'assurons pas les dommages pour toutes les garanties, intentionnellement causés ou provoqués par l'assuré ou avec sa complicité, ou résultant de paris». Cette clause figure parmi les exclusions générales du contrat.

D'une part, la cour adopte la motivation du premier juge ayant considéré que le terme «'agression'» figurant dans l'article 1.14 est imprécis et ne permet pas à l'assuré de savoir ce qui est exactement exclu par une telle clause. Le terme étant sujet à interprétation, la clause litigieuse ne remplit nécessairement pas le caractère formel et limité qu'exige l'article L. 113-1 précité.

D'autre part, pour exclure sa garantie en se fondant sur une clause d'exclusion visant les «'dommages causés ou provoqués intentionnellement'» par l'assuré, l'assureur doit prouver que l'assuré a eu la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu (Civ. 2e, 16 sept. 2021, n°19-25678). Une telle clause d'exclusion conventionnelle s'assimile ainsi à l'exclusion légale de la faute intentionnelle, dont la démonstration n'a pas été rapportée par la Matmut. En outre, le premier juge a valablement jugé qu'une telle clause d'exclusion est ambigüe et nécessite une interprétation, de sorte qu'elle est inopposable à l'assuré à défaut de présenter un caractère formel et limité (Civ. 2e., 20 janvier 2022, n°20-10529, FS'B ).

Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a débouté la Matmut de sa demande d'exclusion conventionnelle de garantie.

2.Sur le droit à indemnisation de M. [E] :

La Matmut sollicite de limiter le droit à indemnisation de M. [E] au regard de sa faute délictuelle. Pour autant, au-delà d'une telle prétention, elle ne propose aucun taux de partage de responsabilité entre MM. [E] et [V] et ne demande pas à la cour de déterminer, après infirmation des dispositions du jugement ayant liquidé les préjudices de M. [E], les montants qu'il conviendrait de retenir en statuant à nouveau.

Si cette demande est nouvelle en cause d'appel, son irrecevabilité n'est toutefois pas invoquée par les parties.

A l'appui d'une telle prétention, la Matmut invoque le comportement routier de M. [E], «'chauffeur routier aguerri'» auquel elle reproche d'avoir forcé le passage à l'approche d'un rétrécissement de la chaussée pour en conclure qu'en fonction du caractère banal de l'accrochage des véhicules, la victime n'a pas agi en personne raisonnable.

Pour autant, la confrontation organisée par les gendarmes révèle que la faute routière alléguée à l'encontre de la victime n'est pas elle-même établie au regard des versions respectives des conducteurs et qu'en tout état de cause, le refus par M. [V] de laisser se rabattre le camion est admis par ce dernier.

D'autre part, les circonstances indéterminées dans lesquelles l'accident matériel de la circulation s'est déroulé sont étrangères à la réalisation du dommage corporel subi par M. [E]. Aucun lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice de la victime n'est ainsi établi.

Enfin, s'il a effectivement été impliqué dans une rixe, l'existence d'une faute résultant d'une telle participation à ces faits, qui serait imputable à M. [E] et aurait contribué à la réalisation de son propre dommage n'est pas démontrée par la Matmut. En particulier, en l'absence de tout témoignage extérieur ou d'objectivation médicale de lésions, la preuve que M. [E] aurait porté des coups à M. [V] préalablement à sa propre chute n'est pas rapportée, alors que M. [E] nie formellement une telle circonstance.

Dans ces conditions, la Matmut n'établit pas à l'encontre de M. [E] l'existence d'une faute ayant concouru à la réalisation de son propre dommage. Le droit à indemnisation de M. [E] est par conséquent intégral.

3.Sur l'indemnisation des préjudices corporels

L'article 954 du code de procédure civile dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En l'espèce, M. [V] a exclusivement sollicité dans son dispositif la confirmation du jugement critiqué, de sorte que la circonstance qu'il conteste dans le corps de ses conclusions la liquidation par le premier juge de certains postes de préjudice ne saisit la cour d'aucune demande d'infirmation des montants fixés par le tribunal judiciaire.

La Matmut ne conteste pas davantage les termes de la liquidation des préjudices corporels subis par M. [E].

La cour ne doit par conséquent statuer que sur l'infirmation sollicitée par M. [E] en sa qualité d'appelant incident, au titre de :

-l'incidence professionnelle :

L'incidence professionnelle correspond aux conséquences patrimoniales de l'incapacité ou de l'invalidité permanente subie par la victime dans la sphère professionnelle du fait des séquelles dont elle demeure atteinte après consolidation, autres que celles directement liées à une perte ou diminution de revenus. Ce poste tend, notamment, à réparer les difficultés futures d'insertion ou de réinsertion professionnelle de la victime résultant d'une dévalorisation sur le marché du travail, d'une perte de chance professionnelle, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi ou du changement d'emploi ou de poste, même en l'absence de perte immédiate de revenus. Il comprend également la perte de droits à la retraite que la victime va devoir supporter en raison de ses séquelles, c'est-à-dire le déficit de revenus futurs imputable à l'accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension de retraite à laquelle elle pourra prétendre. Il inclut enfin l'indemnisation de la dévalorisation sociale liée à l'exclusion du monde du travail.

En l'espèce, M. [E] a été licencié pour inaptitude en raison des séquelles résultant de sa blessure, en l'absence de toute possibilité de reclassement. De fait, il dispose essentiellement d'une compétence de chauffeur routier qu'il ne peut plus exploiter et n'a pu envisager, en considération tant de son âge que de ses compétences, de reprendre une activité professionnelle compatible avec ces séquelles. Alors qu'il était en capacité de prendre sa retraite à compter de juillet 2020, il n'apporte aucun élément justifiant un projet de prolonger son activité professionnelle au-delà de cette échéance. En revanche, la privation d'un emploi pendant une durée supérieure à deux ans jusqu'à l'âge de la retraite caractérise une dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail.

Le jugement ayant évalué à 1 000 euros l'indemnisation de ce poste de préjudice est infirmé, la cour estimant que la réparation intégrale d'une telle incidence professionnelle doit s'évaluer à 2 500 euros.

-le déficit fonctionnel temporaire

M. [E] sollicite exclusivement que la liquidation de ce poste s'effectue sur la base d'une indemnisation quotidienne de 28 euros.

La cour valide toutefois la fixation d'une indemnisation quotidienne de 25 euros au titre d'un déficit fonctionnel temporaire total, de sorte que l'évaluation de ce poste par le premier juge est confirmée.

-les souffrances endurées

La cour adopte la motivation du premier juge, dont elle confirme par ailleurs l'évaluation de ce poste de préjudice.

4.Sur les demandes accessoires

sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner in solidum M. [V] et la Matmut, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à :

- à M. [E] la somme de 1 500 euros ;

- à la caisse primaire d'assurance-maladie la somme de 1 000 euros,

sur le fondement de l'article 700 du code de procédure au titre de l'instance d'appel.

sur l'indemnitaire forfaitaire de gestion :

Aux termes de l'article L. 376-1 alinéa 9 du code de la sécurité sociale, en contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné à son 3ème alinéa, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum et minimum révisé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. En application de ces dispositions, la caisse est autorisée à recouvrer contre le tiers responsable une seule indemnité forfaitaire au cours d'une même instance, laquelle indemnise le traitement administratif du dossier par ses services.

En l'espèce, le premier juge a condamné in solidum M. [V] et son assureur à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie une indemnité de 1 091 euros, qu'il y a lieu de confirmer, tout en y ajoutant la différence avec l'indemnité fixée au titre de l'année 2022 et s'élevant à 1114 euros. La caisse primaire d'assurance-maladie subissant l'appel formé à l'encontre du jugement, il convient par conséquent de condamner M. [V] et son assureur à lui payer la différence à hauteur de 23 euros.

sur le point de départ des intérêts au taux légal

Le premier juge n'avait aucune obligation de préciser le point de départ des intérêts légaux applicable à la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie.

La caisse primaire d'assurance-maladie ne demande d'ailleurs pas de fixer une date, mais de préciser que le cours des intérêts débute «'à compter de la première demande'».

La caisse poursuit le remboursement des dépenses auxquelles elle est légalement tenue et la créance, dont la décision judiciaire se borne à reconnaître l'existence, doit, conformément à l'article 1153, devenu 1231-6 du code civil applicable aux obligations légales, produire intérêts au jour de la demande.

PAR CES MOTIFS':

La cour,

Confirme le jugement rendu le 2 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer dans toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné in solidum M. [M] [V] et la Matmut à payer à M. [P] [E] la somme de 1 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

Et statuant à nouveau sur le chef infirmé :

Condamne in solidum M. [M] [V] et la Matmut à payer à M. [P] [E] la somme de 2 500 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

Y ajoutant :

Dit que le droit à indemnisation de M. [P] [E] est intégral ;

Dit que la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois porte intérêts au taux légal à compter de la première demande ;

Condamne in solidum M. [M] [V] et la Matmut à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois une somme de 23 euros à titre de complément de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

Condamne in solidum M. [M] [V] et la Matmut aux dépens d'appel ;

Condamne in solidum M. [M] [V] et la Matmut à payer à :

-la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois une somme de 1 000 euros ;

-M. [P] [E] une somme de 1 500 euros

au titre des frais irrépétibles exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le President

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/02161
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;21.02161 ?
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